La Lanterne magique/28

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Petites Études : La Lanterne magique
G. Charpentier, éditeur (p. 47-48).
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Troisième douzaine

XXVIII. — LE TOUCHER

Quelqu’un a discrètement frappé à la porte de la loge, et Lise Jolia a certainement cru que ce quelqu’un était son habilleuse, car elle a répondu : Entrez ! De sorte qu’au moment où l’aimable auteur dramatique Lucien Arg entre en effet, il trouve la jeune comédienne dans la tenue initiale d’une Ève qui n’aurait pas encore mis sa feuille de figuier. Aventure très simple, le costume travesti que Lise va endosser tout à l’heure ne comportant pas de chemise. En Parisien que rien n’étonne, Arg s’assied tranquillement, et, avec une sérénité parfaite, cause de La Tour de Nesle et des affaires d’Égypte.

Cependant, un peu humiliée et blessée de n’avoir pas même entendu un : Oh ! de surprise et d’admiration, mademoiselle Jolia sent sa pudeur se réveiller meurtrie, et prend le parti de rougir jusque dans ses beaux sourcils en arc. Lucien voit bien que la neutralité ne lui est pas permise, qu’il devra s’exécuter, accoucher du moins d’un madrigal heureux, et comme la comédienne murmure, en croisant ses bras coquets sur sa poitrine :

— « Oh ! j’avais cru que c’était Adèle. Mais en vérité, qu’allez-vous penser de ce — manque d’habit ?

L’étoffe en est moelleuse, » dit hypocritement l’auteur, en imitant de son mieux le geste poli et impertinent de Tartuffe.