La Lanterne magique/44

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Petites Études : La Lanterne magique
G. Charpentier, éditeur (p. 71-72).
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Quatrième douzaine

XLIV. — DEUX POLICHINELLES

Beaux, riants, roses, joufflus, ravissants avec leurs blondes chevelures, leurs habits de velours et de soie, leurs blanches collerettes et leurs larges ceintures aux nœuds bouffants, les petits enfants assis sur les bancs regardent la Comédie, pleins d’une immense joie. Le Chat blanc, tout blanc comme la neige, hérisse sa moustache relevée comme celle du capitaine Matamore, et quant à Polichinelle, ivre, exalté, délicieux, féroce, il n’a jamais été si content que ce jour-là. Il est fendu comme un compas, il flambe comme un feu de la Saint-Jean ; son nez a l’air d’un rubis dans une fournaise, et avec sa bonne trique, il bat et rosse à tour de bras l’inexorable Commissaire. Pan ! pan ! pan ! il bat ses jambes, ses bras, son dos caverneux, et sur son crâne de bois il lui assène des coups furieux, qui font tressaillir le jardin sonore. Ô Commissaire ! c’est en vain que tu veux te dérober à ton sort par une fuite rapide ; toujours ton ennemi te rattrape, te saisit avec délice, et pan ! pan ! pan ! continue à l’administrer l’héroïque volée. Et les petits enfants rient comme des fous, montrant leurs dents blanches. Mais un monsieur grave, qui dès le matin a endossé un habit noir parce que le soir il doit aller dîner en ville, et qui est très irrité contre Polichinelle, quoique lui-même, avec sa face rouge, ses cheveux blancs et son nez en arc de cercle ressemble parfaitement à Polichinelle, s’écrie, bouillant d’une indignation qu’il ne cherche pas à dissimuler :

— « C’est une honte de donner aux enfants de pareils spectacles ! Comment veut-on qu’après cela ils respectent l’autorité et les représentants de l’ordre établi ?

— Ah ! monsieur, lui dit un sage assis à côté de lui, ne troublez pas le plaisir des enfants, et laissez-les s’amuser tranquillement, pour l’amour de Dieu !

— Hem ! Dieu ! fait en grommelant le Polichinelle en habit noir, il ne s’est pas déjà si bien conduit lui-même pendant sa vie terrestre ! Car, est-ce une conduite régulière que d’emmener continuellement ses compagnons diner en ville chez des gens qui ne vous ont pas invité, puis de ramasser sur le chemin un fer à cheval qui ne vous appartient pas, et de le vendre pour en employer indûment le prix à acheter des cerises ? »