La Lanterne magique/46

La bibliothèque libre.
Petites Études : La Lanterne magique
G. Charpentier, éditeur (p. 76-77).
◄  XLV.
XLVII.  ►
Quatrième douzaine

XLVI. — SORTIE DE BAL

La petite Julie est bien heureuse. Elle vient de retrouver, dans le bal de la Reine-Blanche, Céphise, son amie d’enfance, qui est restée sage et a continué à vivre de son aiguille, tandis qu’elle, Julie, menait la rude existence de la fille perdue, et obéissait à des maîtres qui ne plaisantent pas. Mais elle s’est sentie toute réconfortée et consolée en revoyant sa chère compagne. Elle va la suivre dans sa chambrette, et là, tranquille, rassérénée, oubliant la cruauté de ses tyrans, elle coudra comme autrefois, s’occupera du ménage, et, avec sa jolie voix d’oiseau, chantera les anciennes chansons. Les deux fillettes ont acheté pour leur souper un panier de fraises et un peu de vin. Elles s’en vont, gaies, rieuses, faisant mille projets, marchant d’un pas léger dans la nuit bleue, et le vent mêle, en se jouant, leurs chevelures. Mais, sous la lumière crue d’un bec de gaz, elles voient venir à elles monsieur Alexandre.

Il est sérieux et vêtu, non suivant le lieu commun légendaire, mais selon la mode la plus récente usitée dans le monde auquel il appartient. Il n’est pas coiffé d’une casquette à pont. Son pantalon à pieds d’éléphant, ses souliers pointus, son col droit, sa cravate claire, son petit chapeau, ses cheveux qui forment une dent sur son front, inspirent le respect ; et ses gants chamois à coutures bleues rangés dans son veston font la meilleure figure du monde. Silencieusement, il dénoue les bras des deux jeunes filles ; puis, sans s’occuper de Céphise rougissante et stupéfaite, sans se départir du calme inséparable de la vraie force, il dit à la petite Julie, qui tremble comme la feuille :

— « Eh bien ! et travailler ? »