La Lanterne magique/80

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Petites Études : La Lanterne magique
G. Charpentier, éditeur (p. 124-126).
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Septième douzaine

LXXX. — UN PEU D’HISTOIRE

C’est en septembre 1982. Dans la jolie bonbonnière construite au milieu de la plaine de Fontainebleau (où, à ce qu’on assure, verdoyait jadis une forêt,) un million de spectateurs entendent facilement l’aimable conférencier Edgard Mour, si cher aux dames, grâce à l’ingénieux appareil, inventé récemment pour amplifier sans limite la voix humaine. Sous le regard du sympathique professeur, les crânes ondulent comme une mer de flots noirs, tous pareils et également touffus depuis qu’on a trouvé le moyen de semer et de faire pousser les cheveux comme de l’herbe.

Uniformément vêtus d’habits taillés dans une étoffe composée chimiquement, tous ces auditeurs paraissent avoir le même âge, grâce aux tablettes à l’aide desquelles on efface désormais les rides, comme on effaçait jadis le crayon avec la gomme élastique. Pouvant ainsi se modeler eux-mêmes à leur fantaisie, les hommes apparaissent dans l’éclat de la force ; mais, quant aux dames, aucune d’elle n’a consenti à avoir plus de seize ans, et sous l’éclairage sidéral de la lumière éthéréenne, on voit flamber et papilloter leurs robes de trente-deux couleurs, brodées de quarante métaux divers. Cependant on boit les paroles du charmant Edgard Mour ; on l’écoute passionnément ; et le silence est si profond, que dans cette assemblée séduite l’oreille d’un sourd entendrait voler un grain de poussière.

— « Oui, mesdames et messieurs, dit le conférencier rose, je ne crains pas de l’affirmer contrairement à la doctrine de mon honorable collègue Quinette, de l’Académie des Faits et Documents, le mot guerre, que nous trouvons si souvent reproduit dans les poèmes considérés longtemps à tort comme des histoires, n’a qu’un sens idéal et symbolique, et exprime purement et simplement la lutte des idées. Pouvez-vous croire en effet que, réellement et au pied de la lettre, deux troupes d’hommes, armées d’engins meurtriers comme ceux que nous employons à la chasse, se soient placées en face l’une de l’autre, avec mission de s’entre-tuer ? Je ne veux pas, messieurs, abuser de l’avantage que me donnent les renseignements certains, et accabler sans générosité mon bien-aimé confrère : mais n’est-il pas évident que laissant pour compte ceux qui les conduisaient, ces troupeaux voués à la mort s’en seraient allés chacun de son côté, les mains dans les poches ? Sans quoi il faudrait admettre qu’ils préféraient quelque chose (mais quoi ?) à leur propre conservation, ou que dans leur pensée, tout ne finissait pas pour eux avec la vie, hypothèse qui, même présentée conditionnellement, paraît absurde ! »