La Métaphysique (trad. Pierron et Zévort)/Livre Λ

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Traduction par Alexis Pierron et Charles Zévort.
Ébrard, Joubert (p. 202-240).

LA

MÉTAPHYSIQUE D’ARISTOTE.


LIVRE DOUZIÈME.


(Λ)




sommaire du livre douzième

I. De l’essence. — II. De l’essence susceptible de changement, et du changement. — III. Ni la matière, ni la forme ne deviennent. — IV. Des causes, des principes et des éléments. — V. Des principes des êtres sensibles. — VI. Il faut qu’il existe une essence éternelle, cause première de toutes choses. — VII. Du premier moteur. De Dieu. — VIII. Des astres et des mouvements du ciel. Traditions de la plus haute antiquité touchant les dieux. — IX. De l’Intelliligence suprême. — X. Comment l’Univers renferme le souverain bien.


Ι.

L’essence est l’objet de notre étude, car ce que nous cherchons, ce sont les principes et les causes des essences. Si l’on considère l’univers comme un ensemble de parties[1], l’essence en est la partie première ; si comme une succession[2], alors l’essence a le premier rang ; après elle vient la qualité, puis la quantité. Du reste, les objets qui ne sont pas des essences ne sont pas des êtres, à proprement parler, mais des qualités et des mouvements[3] : ils n’existent qu’au même titre que le non-blanc et le non-droit, auxquels dans le langage nous attribuons l’existence ; quand nous disons, par exemple : le non-blanc est. Enfin rien ne peut avoir une existence séparée, que l’essence.

L’exemple des anciens eux-mêmes est une preuve de ce que nous venons d’avancer ; car ce qu’ils cherchaient, c’étaient les principes de l’essence, ses éléments, ses causes. Ce que les philosophes d’aujourd’hui préfèrent pour essence, ce sont les universaux ; car ce sont des universaux que ces genres dont ils font des principes et des essences, trop préoccupés qu’ils sont par le point de vue logique. Pour les anciens, l’essence était le particulier : c’était le feu, c’était la terre, et non pas le corps en général.

Il y a trois essences, deux sensibles, dont l’une est éternelle et l’autre périssable ; il n’y a pas de contestation sur cette dernière : ce sont les plantes, les animaux ; quant à l’essence sensible éternelle, il faut s’assurer si elle n’a qu’un élément, ou si elle en a plusieurs[4]. La troisième essence est immobile ; elle a, suivant quelques philosophes[5], une existence indépendante. Les uns la divisent en deux éléments[6], les autres ramènent à une nature unique les idées et les êtres mathématiques[7], d’autres enfin ne reconnaissent que les êtres mathématiques. Les deux essences sensibles sont les objets de la physique ; car elles sont susceptibles de mouvement. Mais l’essence immobile est l’objet d’une science différente, puisqu’elle n’a aucun principe qui lui soit commun avec les deux premières.


ΙI.

La substance sensible est susceptible de changement. Or, si le changement a lieu entre les opposés ou les intermédiaires, non pas entre tous les opposés, car le son est opposé au blanc, mais du contraire au contraire, il y a nécessairement un sujet qui subit le changement du contraire au contraire, car ce ne sont point les contraires eux-mêmes qui changent. De plus, ce sujet persiste après ce changement, tandis que le contraire ne persiste pas. Il y a donc, outre les contraires, un troisième terme, la matière. Il y a quatre sortes de changement : changement d’essence, de qualité, de quantité, de lieu. Le changement d’essence, c’est la production et la destruction proprement dites ; le changement de quantité, l’augmentation et la diminution ; le changement de qualité, l’altération ; le changement de lieu, le mouvement. Le changement doit donc se faire entre des contraires de la même espèce[8], et il faut que la matière, pour changer de l’un à l’autre, les ait tous deux en puissance. Il y a deux sortes d’être, l’être en puissance et l’être en acte ; tout changement se fait donc de l’un à l’autre : ainsi du blanc en puissance au blanc en acte. De même pour l’augmentation et la diminution. Il suit de là que ce n’est pas toujours accidentellement qu’une chose provient du non-être. Tout provient de l’être, mais, sans doute, de l’être en puissance, c’est-à-dire du non-être en acte ; c’est là l’unité d’Anaxagore, car ce terme exprime mieux sa pensée que les mots : Tout était ensemble ; c’est là le mélange[9] d’Empédocle et d’Anaximandre[10] ; c’est là ce que dit Démocrite : Tout était à la fois en puissance, mais non pas en acte. Ces philosophes ont donc quelque idée de ce que c’est que la matière.

Tout ce qui change a une matière ; mais il y a des différences. Ceux des êtres éternels qui, sans être soumis aux lois de la production, sont pourtant susceptibles d’être mis en mouvement ont une matière, mais une matière différente : cette matière n’a point été produite, elle est seulement sujette au changement de lieu.

On pourrait se demander de quel non-être proviennent les êtres, car le non-être a trois acceptions[11]. S’il y a réellement l’être en puissance, c’est de lui que proviennent les êtres ; non pas de tout être en puissance quel qu’il soit, mais tel être en acte de tel être en puissance. Il ne suffit pas de dire que toutes les choses existaient ensemble ; car elles différent par la matière. Pourquoi sans cela se serait-il produit une infinité d’êtres, et non un être unique ? L’intelligence, dans ce système, est unique ; si donc il n’y avait qu’une matière, il n’en serait sorti en acte que ce dont elle eût été la matière en puissance.

Ainsi il y a trois causes, trois principes : deux constituent la contrariété, d’un côté la notion substantielle et la forme, de l’autre, la privation ; le troisième principe est la matière.

ΙII.

Prouvons maintenant que ni la matière ni la forme ne deviennent ; j’entends la matière et la forme primitives[12]. Tout ce qui change est quelque chose, et le changement a une cause et un but. La cause, c’est le premier moteur ; le sujet, c’est la matière ; le but, c’est la forme. On irait donc à l’infini, si ce qui devient c’était, non pas seulement l’airain cylindrique, mais la forme cylindrique elle-même, ou l’airain : or, il faut s’arrêter[13]. Ensuite chaque essence provient d’une essence de même nom[14] : ainsi pour les choses naturelles, lesquelles sont des essences ; ainsi pour les autres êtres ; car il va des êtres qui sont des produits de l’art, d’autres viennent de la nature, ou de la fortune, ou du hasard[15]. L’art est un principe qui réside dans un être différent de l’objet produit ; mais la nature réside dans l’objet lui-même, car c’est un homme qui engendre un homme[16]. Pour les autres causes, elles ne sont que des privations de ces deux là. Il y a trois sortes d’essence : la matière qui n’est qu’en apparence l’être déterminé, car des parties entre lesquelles il n’y a que simple contact et non pas connexion, ne sont qu’une pure matière et un sujet ; la nature, c’est-à-dire cette forme, cet état déterminé auquel aboutit la production ; la troisième essence est la réunion des deux premières, c’est l’essence individuelle, c’est Socrate ou Callias.

Il est des objets dont la forme n’existe pas indépendamment de l’ensemble de la matière et de la forme : ainsi la forme d’une maison ; à moins que par forme on entende l’art lui-même. Les formes de ces objets ne sont d’ailleurs sujettes ni à production, ni à destruction. C’est d’une autre manière que sont, ou que ne sont pas, et la maison immatérielle, et la santé, et tout ce qui est un produit de l’art. Mais il n’en est pas de même pour les choses naturelles. Aussi Platon n’a-t-il pas eu tort de dire qu’il n’y a des idées que des choses naturelles ; si l’on admet qu’il peut y avoir des idées autres que les objets sensibles, celles du feu, par exemple, de la chair, de la tête : toutes choses qui ne sont qu’une matière, la matière intégrante[17] de l’essence par excellence[18].

Les causes motrices ont la priorité d’existence sur les choses qu’elles produisent  ; les causes formelles sont contemporaines de ces choses. C’est quand l’homme est sain, que la santé existe ; et la figure de la sphère d’airain est contemporaine de la sphère d’airain.

Demandons-nous encore s’il subsiste quelque chose après la dissolution de l’ensemble. Pour certains êtres rien ne s’y oppose : l’âme, par exemple, est dans ce cas, non pas l’âme tout entière, mais l’intelligence, car pour l’âme entière cela est peut-être impossible.

Il est donc évident que dans tout ce que nous venons de voir il n’y a pas de raison pour admettre l’existence des idées. C’est un homme qui engendre un homme ; c’est l’individu qui engendre l’individu. Il en est de même pour les arts : c’est la médecine qui contient la notion de la santé.


IV.

Les causes et les principes sont différents pour les différents êtres sous un point de vue, et sous un autre point de vue ne le sont pas. Si on les considère généralement et par analogie, ils sont les mêmes pour tous les êtres. On pourrait se poser cette question : Y a-t-il diversité ou identité de principes et d’éléments entre les essences, les relations, et en un mot chacune des catégories ? Mais il est absurde d’admettre l’identité des principes, car c’est des mêmes éléments que proviendraient alors et les relations et l’essence. Quel serait donc l’élément commun ? En dehors de l’essence et des autres catégories, il n’y a rien qui soit commun à tous les êtres ; or l’élément est antérieur à ce dont il est l’élément. Ce n’est pas davantage l’essence qui est l’élément des relations, ni une relation quelconque celui de l’essence. Comment d’ailleurs est-il possible que les éléments soient les mêmes pour tous les êtres ? Il ne saurait jamais y avoir identité entre un élément et ce qui est composé d’éléments, entre B ou A, par exemple, et B A. Il n’y a pas même un élément intelligible, tel que l’unité ou l’être, qui puisse être l’élément universel ; ce sont là des caractères qui appartiennent même à tout composé. Ni l’unité ni l’être ne saurait donc être ni essence, ni relation ; et pourtant cela serait nécessaire. Les êtres n’ont donc pas tous les mêmes éléments, ou plutôt, et c’est là notre opinion, il y a identité sous un point de vue, et sous un autre il n’y a pas identité. Ainsi, pour les corps sensibles, la forme est probablement le chaud, et d’une autre manière le froid, c’est-à-dire la privation du chaud ; la matière, c’est le principe qui, de soi, renferme en puissance ces deux opposés. Ces trois éléments sont des essences, ainsi que les corps qu’ils constituent, et dont ils sont les principes. Tout ce que le chaud et le froid peuvent produire qui soit un, de la chair, un os, par exemple, est une essence ; car ces corps ont nécessairement dès lors une existence distincte de celle des éléments dont ils proviennent.

Les corps ont donc les mêmes éléments et les mêmes principes ; mais les principes et les éléments diffèrent pour les différents corps. Toutefois on ne peut pas dire, d’une manière absolue, qu’il y ait identité de principes pour tous les êtres, si ce n’est par analogie ; c’est ainsi qu’on dit qu’il n’y a que trois principes : la forme, la privation et la matière. Chaque principe est différent pour chaque genre d’êtres : pour la couleur c’est le blanc, le noir, la surface ; la lumière, les ténèbres et l’air sont les principes du jour et de la nuit.

Les éléments constitutifs ne sont pas seuls des causes ; il y a encore des causes externes, telles que le moteur. Il est clair, d’après cela, que le principe et l’élément sont deux choses différentes. Tous deux sont causes, l’un et l’autre sont compris dans le terme général de principe, et l’être qui produit le mouvement ou le repos est, lui aussi, un principe[19].

Ainsi donc, au point de vue de l’analogie, il y a trois éléments et quatre causes, ou quatre principes ; et, sous un autre point de vue, il y a des éléments différents pour les êtres différents, et une première cause motrice différente aussi pour les différents êtres. Santé, maladie, corps : le moteur, c’est l’art du médecin ; forme déterminée, désordre, briques : le moteur, c’est l’art de l’architecte. Tels sont les principes compris sous le terme général de principe. D’ailleurs, puisque pour les hommes, produits de la nature, le moteur est un homme, tandis que pour les êtres qui sont les produits de l’art, le moteur est la forme ou le contraire de la forme[20], d’une manière il y a trois causes, de l’autre quatre ; car l’art du médecin est en quelque façon la santé ; celui de l’architecte, la forme de la maison, et c’est un homme qui engendre un homme. Enfin, en dehors de ces principes, il y a le premier de tous les êtres, le moteur de tous les êtres.


V.

Parmi les êtres, les uns peuvent exister à part, les autres ne le peuvent pas : les premiers sont des substances ; ils sont, par conséquent, les causes de toutes choses, puisque les qualités et les mouvements n’existent pas indépendamment des substances. Ajoutons que ces principes sont probablement l’âme et le corps, ou bien l’intelligence, le désir et le corps[21].

Sous un autre point de vue encore, les principes sont, par analogie, identiques pour tous les êtres : ainsi ils se réduisent à l’acte et à la puissance. Mais il y a un autre acte et une autre puissance pour les différents êtres, et la puissance et l’acte ne sont pas toujours marqués des mêmes caractères. Il est, par exemple, des êtres qui sont tantôt en acte, tantôt en puissance : ainsi le vin, la chair, l’homme. Alors les principes en question rentrent dans ceux que nous avons énumérés. En effet, l’être en acte, c’est d’un côté la forme, dans le cas où la forme peut avoir une existence indépendante, et l’ensemble de la matière et de la forme ; de l’autre, c’est la privation : ainsi les ténèbres ou le malade. L’être en puissance, c’est la matière ; car la matière est ce qui peut devenir l’un ou l’autre des deux opposés. Les êtres dont la matière n’est pas la même sont autrement en puissance et en acte que ceux dont la forme n’est pas la même, mais diffère : ainsi, l’homme a pour causes les éléments, à savoir le feu et la terre, qui sont la matière, puis sa forme propre, puis une autre cause, une cause externe, son père, par exemple, et outre ces causes, le soleil et le cercle oblique[22], lesquels ne sont ni matière, ni forme, ni privation, ni des êtres du même genre que lui, mais des moteurs.

Il faut considérer ensuite que, parmi les principes, les uns sont universels, les autres ne le sont pas. Les principes premiers de tous les êtres sont d’un côté l’actualité première, c’est-à-dire la forme ; de l’autre, la puissance. Or, ce ne sont pas là les universaux ; car c’est l’individu qui est le principe de l’individu, tandis que de l’homme universel il ne sortirait qu’un homme universel : or, il n’y a pas d’homme universel existant par lui-même ; c’est Pelée qui est le principe d’Achille ; c’est ton père qui est ton principe ; c’est ce B qui est celui de cette syllabe BA : le B universel ne serait que le principe de la syllabe BA en général. Ajoutons que les formes sont les principes des essences. Mais les causes et les éléments sont, comme nous l’avons dit, différents pour les différents êtres ; pour ceux, par exemple, qui n’appartiennent pas au même genre : couleurs, sons, essences, qualités ; à moins toutefois qu’on ne parle par analogie. De même pour ceux qui appartiennent à la même espèce ; mais alors ce n’est pas spécifiquement qu’ils différent ; alors chaque principe est différent pour les différents individus : ta matière, ta forme, ta cause motrice, ne sont pas les mêmes que les miennes ; mais, sous le point de vue général, il y a identité.

Si l’on nous adressait cette question : Quels sont les principes ou les éléments des essences, des relations, des qualités ; sont-ils les mêmes, ou sont-ils différents ? Évidemment il nous faudrait répondre, que, pris dans leur acception générale, ils sont les mêmes pour chaque être ; mais que, si l’on établit des distinctions, ils ne sont plus les mêmes : ce sont des principes différents. Et pourtant, même alors, ils sont, sous l’autre point de vue, les mêmes pour tous les êtres. Si l’on considère l’analogie, il y a identité, puisque les principes sont toujours matière, forme, privation, moteur ; alors encore les causes des substances sont les causes de toutes choses, car si l’on détruit les substances, tout est détruit. Ajoutons que le premier principe est en acte. Il y a donc, à ce titre, autant de principes qu’il y a de contraires qui ne sont ni des genres, ni des termes embrassant plusieurs choses différentes. Enfin les matières sont des premiers principes.

Nous avons exposé quels sont les principes des êtres sensibles, quel est leur nombre, dans quels cas ils sont les mêmes et dans quels cas ils différent.


VI.

Il y a, avons-nous dit, trois essences[23], deux essences physiques et une essence immobile. C’est de cette dernière que nous allons parler ; nous allons montrer qu’il y a nécessairement une essence éternelle qui est immobile. Les essences sont les premiers des êtres, et si toutes elles sont périssables, tous les êtres sont périssables. Mais il est impossible que le mouvement ait commencé ou qu’il finisse : le mouvement est éternel. De même le temps ; car si le temps n’existait pas, il ne saurait y avoir ni avant ni après. Ajoutons que le mouvement et le temps ont la même continuité. Ou bien, en effet, ils sont identiques l’un à l’autre, ou bien le temps est un mode du mouvement. Il n’y a de mouvement continu que le mouvement dans l’espace, non pas tout mouvement dans l’espace, mais le mouvement circulaire. Or, s’il y a une cause motrice, ou une cause efficiente, mais que cette cause ne passe point à l’acte, il n’y a pas pour cela mouvement, car ce qui a la puissance peut ne pas agir. Nous ne serions pas plus avancés quand même nous admettrions des essences éternelles, comme font les partisans des idées ; il faudrait encore qu’elles eussent en elles un principe capable d’opérer le changement. Ni ces substances ne suffisent, ni aucune autre substance : si cette substance ne passait pas à l’acte, il n’y aurait pas de mouvement ; le mouvement n’existerait même pas, bien qu’elle passât à l’acte, si son essence était la puissance, car alors le mouvement ne serait pas éternel, ce qui est en puissance pouvant ne se pas réaliser. Il faut donc qu’il y ait un principe tel, que son essence soit l’acte même. D’ailleurs, les substances en question[24] doivent être immatérielles, car elles sont nécessairement éternelles, puisqu’il y a certainement d’autres choses éternelles[25] ; leur essence est, par conséquent, l’acte même.

Mais ici une difficulté se présente. Tout être en acte a, ce semble, la puissance, tandis que ce qui a la puissance ne passe pas toujours à l’acte. L’antériorité appartiendrait donc à la puissance. Or, s’il en est ainsi, rien de ce qui est ne saurait exister ; car ce qui a la puissance d’être peut n’être pas encore. Et alors, soit qu’on partage l’opinion des Théologiens[26], lesquels font tout sortir de la nuit ; soit qu’on adopte ce principe des Physiciens[27] : « Toutes les choses existaient ensemble » ; des deux côtés l’impossibilité est la même. Comment y aura-t-il mouvement, s’il n’y a pas de cause en acte ? Ce n’est pas la matière qui se mettra elle-même en mouvement ; ce qui l’y met c’est l’art de l’ouvrier. Ce ne sont pas non plus les menstrues ni la terre qui se féconderont elle-mêmes ; ce sont les semences, c’est le germe qui les fécondent. Aussi quelques philosophes admettent-ils une action éternelle : ainsi Leucippe et Platon[28] ; car le mouvement, suivant eux, est éternel. Mais ils n’expliquent ni le pourquoi, ni la nature, ni le comment, ni la cause. Et pourtant rien n’est mu par hasard ; il faut toujours que le mouvement ait un principe ; telle chose se meut de telle manière, ou par sa nature même, ou par l’action d’une force, ou par celle de l’intelligence, ou par celle de quelque autre principe déterminé. Et quel est le mouvement primitif ? Question d’une haute importance, qu’ils ne résolvent pas davantage. Platon ne peut pas même alléguer, comme principe du mouvement, ce principe dont il parle quelquefois, cet être qui se meut lui-même[29] ; car l’âme, d’après son propre aveu, est postérieure au mouvement, et contemporaine du ciel. Ainsi, regarder la puissance comme antérieure à l’acte, c’est une opinion vraie sous un point de vue, erronée sous un autre, et nous avons déjà dit comment[30].

Anaxagore reconnaît l’antériorité de l’acte, car l’intelligence est un principe actif ; et, avec Anaxagore, Empédocle, qui admet comme principes l’Amitié et la Discorde, et les philosophes qui font le mouvement éternel, Leucippe, par exemple. Il ne faut donc pas dire que pendant un temps indéfini le chaos et la nuit existaient seuls. Le monde est de tout temps ce qu’il est (soit qu’il y ait des retours périodiques[31], soit qu’une autre doctrine ait raison), si l’acte est antérieur à la puissance. Or, si la succession périodique des choses est toujours la même, il doit y avoir un être dont l’action demeure éternellement la même[32]. Ce n’est pas tout : pour qu’il puisse y avoir production, il faut qu’il y ait un autre principe[33] éternellement agissant, tantôt dans un sens, tantôt dans un autre sens. Il faut donc que ce nouveau principe agisse, sous un point de vue, en soi et pour soi, sous un autre point de vue, par rapport à autre chose ; et cette autre chose, c’est ou bien quelque autre principe, ou bien le premier principe. C’est nécessairement en vertu du premier principe qu’agit toujours celui dont nous parlons, car le premier principe est la cause du second, et aussi de cet autre principe par rapport auquel le second pourrait agir. Le premier principe est donc aussi le meilleur. C’est lui qui est la cause de l’éternelle uniformité, tandis que l’autre est la cause de la diversité : les deux réunis sont évidemment la cause de la diversité éternelle. C’est ainsi qu’ont lieu les mouvements. Qu’est-il donc besoin de chercher d’autres principes ?


VII.

Il est possible qu’il en soit ainsi : autrement il faudrait dire que tout provient de la nuit[34], de la confusion primitive[35], du non-être[36] ; ces difficultés peuvent donc être résolues. Il y a quelque chose qui se meut d’un mouvement continu, lequel mouvement est le mouvement circulaire. Ce n’est pas le raisonnement seul qui le prouve, mais le fait même. Il s’ensuit que le premier ciel doit être éternel[37]. Il y a donc aussi quelque chose qui meut éternellement ; et comme il n’y a que trois sortes d’êtres, ce qui est mu, ce qui meut, et le moyen terme entre ce qui est mu et ce qui meut, c’est un être qui meut sans être mu, être éternel, essence pure, et actualité pure.

Or, voici comment il meut. Le désirable et l’intelligible[38] meuvent sans être mus ; et le premier désirable est identique au premier intelligible. Car l’objet du désir, c’est ce qui paraῖt beau, et l’objet premier de la volonté[39], c’est ce qui est beau. Nous désirons une chose parce qu’elle nous semble bonne, plutôt qu’elle ne nous semble telle parce que nous la désirons : le principe, ici, c’est la pensée. Or, la pensée est mise en mouvement par l’intelligible, et l’ordre du désirable[40] est intelligible en soi et pour soi ; et dans cet ordre l’essence est au premier rang ; et, entre les essences, la première est l’essence simple et actuelle. Mais l’un et le simple ne sont pas la même chose : l’un désigne une mesure commune à plusieurs êtres ; le simple est une propriété du même être[41].

Ainsi le beau en soi et le désirable en soi rentrent, l’un et l’autre, dans l’ordre de l’intelligible ; et ce qui est premier est toujours excellent, soit absolument, soit relativement. La véritable cause finale réside dans les êtres immobiles, c’est ce que montre la distinction établie entre les causes finales ; car il y a la cause finale absolue et celle qui n’est pas absolue. L’être immobile meut comme objet de l’amour, et ce qu’il meut imprime le mouvement à tout le reste. Or, pour tout être qui se meut il y a possibilité de changement. Si donc le mouvement de translation est le mouvement premier, et que ce mouvement soit en acte, l’être qui est mu peut changer, sinon quant à l’essence, du moins quant au lieu. Mais, dès qu’il y a un être qui meut, tout en restant immobile, bien qu’il soit en acte, cet être n’est susceptible d’aucun changement. En effet, le changement premier c’est le mouvement de translation, et le premier des mouvements de translation c’est le mouvement circulaire. Or, l’être qui imprime ce mouvement, c’est le moteur immobile. Le moteur immobile est donc un être nécessaire ; et, en tant que nécessaire, il est le bien, et, par conséquent, un principe ; car voici qu’elles sont les acceptions du mot nécessaire : il y a la nécessité violente, c’est ce qui contraint notre inclination naturelle ; puis la nécessité, qui est la condition du bien ; enfin le nécessaire, c’est ce qui est absolument de telle manière, et n’est pas susceptible d’être autrement[42].

Tel est le principe auquel sont suspendus[43] le ciel et toute la nature. Ce n’est que pendant quelque temps que nous pouvons jouir de la félicité parfaite. Il la possède éternellement, ce qui nous est impossible[44] (44). La jouissance, pour lui, c’est son action même. C’est parce qu’elles sont des actions, que la veille, la sensation, la pensée, sont nos plus grandes jouissances ; l’espoir et le souvenir ne sont des jouissances que par leur rapport avec celles-là. Or, la pensée en soi est la pensée de ce qui est en soi le meilleur, et la pensée par excellence est la pensée de ce qui est le bien par excellence. L’intelligence se pense elle-même en saisissant l’intelligible ; car elle devient elle-même intelligible à ce contact, à ce penser. Il y a donc identité entre l’intelligence et l’intelligible ; car la faculté de percevoir l’intelligible et l’essence, voilà l’intelligence ; et l’actualité de l’intelligence, c’est la possession de l’intelligible. Ce caractère divin, ce semble, de l’intelligence, se trouve donc au plus haut degré dans l’intelligence divine ; et la contemplation est la jouissance suprême et le souverain bonheur.

Si Dieu jouit éternellement de cette félicité que nous ne connaissons que par instants, il est digne de notre admiration ; il en est plus digne encore si son bonheur est plus grand. Or, son bonheur est plus grand en effet. La vie est en lui, car l’action de l’intelligence est une vie, et Dieu est l’actualité même de l’intelligence ; cette actualité prise en soi, telle est sa vie parfaite et éternelle. Aussi appelons nous Dieu un animal éternel, parfait. La vie, et la durée continue et éternelle appartiennent donc à Dieu ; car cela même c’est Dieu.

Ceux qui pensent, avec les Pythagoriciens et Speusippe, que le premier principe ce n’est pas le beau et le bien par excellence, parce que les principes des plantes et ceux des animaux sont des causes, tandis que le beau et le parfait ne se trouvent que dans ce qui provient des causes[45] ; ceux-là n’ont pas une opinion bien fondée, car la semence provient d’êtres parfaits qui lui sont antérieurs, et le principe n’est pas la semence, mais l’être parfait : c’est ainsi qu’on peut dire que l’homme est antérieur à la semence, non pas, sans doute, l’homme qui est né de la semence, mais celui dont elle provient.

Il est évident, d’après ce que nous venons de dire, qu’il y a une essence éternelle, immobile, et distincte des objets sensibles. Il est démontré aussi que cette essence ne peut avoir aucune étendue, qu’elle est sans parties et indivisible. Elle meut, en effet, durant un temps infini. Or, rien de fini ne saurait avoir une puissance infinie. Toute étendue est ou infinie ou finie : par conséquent, cette essence ne peut avoir une étendue finie ; et d’ailleurs, elle n’a pas une étendue infinie, parce qu’il n’y a absolument pas d’étendue infinie[46]. Ajoutez enfin qu’elle n’admet ni modification, ni altération, car tous les mouvements sont postérieures au mouvement dans l’espace.

Tels sont les caractères manifestes de l’essence dont il s’agit.


VIII.

.

Cette essence est-elle unique, ou bien y en a-t-il plusieurs, et s’il y en a plusieurs, combien y en a-t-il ? C’est là une question qu’il faut résoudre. Il faut se rappeler aussi les opinions des autres philosophes sur ce point. Nul d’entre eux ne s’est expliqué d’une manière satisfaisante sur le nombre des premiers êtres. La doctrine des idées ne fournit aucune considération qui s’applique directement à ce sujet. Ceux qui admettent l’existence des idées disent que les idées sont des nombres ; et ils parlent des nombres tantôt comme s’il y en avait une infinité, tantôt comme s’il n’y en avait que dix. Pour quelle raison reconnaissent-ils précisément dix nombres, c’est ce dont ils n’apportent aucune démonstration concluante. Pour nous, nous allons traiter la question en partant de ce que nous avons établi et déterminé précédemment.

Le principe des êtres, l’être premier, n’est, selon nous, susceptible d’aucun mouvement, ni essentiel, ni accidentel, et c’est lui qui imprime le mouvement premier, mouvement éternel et unique. Mais puisque ce qui est mu est nécessairement mu par quelque chose, que le premier moteur est immobile dans son essence, et que le mouvement éternel est imprimé par un être éternel, et le mouvement unique par un être unique ; puisque d’ailleurs, outre le mouvement simple de l’univers, mouvement qu’imprimé, avons-nous dit, l’essence première et immobile, nous voyons qu’il existe encore d’autres mouvements éternels, ceux des planètes (car tout corps sphérique est éternel et incapable de repos, comme nous l’avons démontré dans la Physique) ; il faut alors que l’être qui imprime chacun de ces mouvements soit une essence immobile en soi, et éternelle. En effet, la nature des astres est une essence éternelle ; ce qui meut est éternel et antérieur à ce qui est mu, et ce qui est antérieur à une essence est nécessairement une essence. Il est donc évident qu’autant il y a de planètes, autant il doit y avoir d’essences éternelles de leur nature, immobiles en soi, et sans étendue[47] : c’est la conséquence qui ressort de ce que nous avons dit plus haut. Ainsi les planètes sont certainement des essences ; et l’une est la première, l’autre la seconde ; dans le même ordre que celui qui règne entre les mouvements des astres. Mais quel est le nombre de ces mouvements, c’est ce que nous devons demander à celle des sciences mathématiques qui se rapproche le plus de la philosophie : je veux dire l’astronomie ; car l’objet de la science astronomique est une essence, sensible, il est vrai, mais éternelle ; tandis que les autres sciences mathématiques n’ont pour objet aucune essence réelle, témoin l’arithmétique et la géométrie.

Or, qu’il y ait un plus grand nombre de mouvements que d’êtres en mouvement, c’est ce qui est évident pour ceux-là même qui ont à peine effleuré ces matières. En effet, chacune des planètes a plus d’un mouvement ; mais quel est le nombre de ces mouvements ? C’est ce que nous allons dire. Pour éclaircir ce point, et pour qu’on se fasse une idée précise du nombre dont il s’agit, nous rapporterons d’abord les opinions de quelques mathématiciens, nous présenterons nos propres observations, nous interrogerons les systèmes ; et s’il y a quelques différence entre les opinions des hommes versés dans cette science et celles que nous avons adoptées, on devra tenir compte néanmoins des unes et des autres, et ne s’en rapporter qu’à celles qui soutiendront le mieux l’examen.

Eudoxe expliquait le mouvement du soleil et celui de la lune, en admettant trois sphères pour chacun de ces deux astres. La première était celle des étoiles fixes ; la seconde suivait le cercle qui passe par le milieu du zodiaque ; la troisième, celui qui est incliné dans la largeur du zodiaque. Le cercle que suit la troisième sphère de la lune est plus incliné que celui de la troisième sphère du soleil[48]. Il plaçait le mouvement des planètes chacune dans quatre sphères. La première et la seconde étaient les mêmes que la première et la seconde du soleil et de la lune ; car la sphère des étoiles fixes imprime le mouvement à toutes les sphères, et la sphère qui est placée au-dessous de celle-là, et dont le mouvement suit le cercle qui passe par le milieu du zodiaque, est commune à tous les astres. La troisième sphère des planètes avait ses pôles dans le cercle qui passe par le milieu du zodiaque, et le mouvement de la quatrième suivait un cercle oblique au cercle du milieu de la troisième[49]. La troisième sphère avait des pôles particuliers pour chaque planète ; mais ceux de Vénus et de Mercure étaient les mêmes.

La position des sphères, c’est-à-dire l’ordre de leurs distances respectives, était la même dans le système de Callippe que dans celui d’Eudoxe. Quant aux nombre des sphères, ces deux mathématiciens sont d’accord pour Jupiter et pour Saturne ; mais Callippe pensait qu’il faut ajouter deux autres sphères au soleil et deux à la lune, si l’on veut rendre compte des phénomènes, et une à chacune des autres planètes.

Mais pour que toutes ces sphères ensemble puissent rendre compte des phénomènes, il est nécessaire qu’il y ait, pour chacune des planètes, d’autres sphères en nombre égal, moins une, au nombre des premières, et que ces sphères tournent en sens inverse, et maintiennent toujours un point donné de la première sphère, dans la même position relativement à l’astre qui est placé au-dessous. C’est à cette condition seulement que tous les phénomènes se peuvent expliquer par le mouvement des planètes[50].

Or, puisque les sphères dans lesquelles se meuvent les astres sont huit d’une part, et vingt-cinq de l’autre ; puisque d’ailleurs, les seules sphères qui n’en exigent pas d’autres mues en sens inverse sont celles dans lesquelles se meut la planète qui se trouve placée au-dessous de toutes les autres[51] ; il y aura alors pour les deux premiers astres six sphères tournant en sens inverse, et seize pour les quatre suivants, et le nombre total des sphères, des sphères à mouvement direct et des sphères à mouvement inverse, sera de cinquante-cinq. Mais si l’on n’ajoute pas au soleil et à lune les mouvements dont nous avons parlé, il n’y aura en tout que quarante-sept sphères.

Admettons que tel est le nombre des sphères. Il y aura alors un nombre égal d’essences et de principes immobiles et sensibles. C’est là ce qu’il est raisonnable de penser ; mais qu’il faille l’admettre nécessairement, c’est à d’autres plus habiles que je laisse le soin de le démontrer.

S’il n’est pas possible qu’il y ait aucun mouvement dont le but ne soit le mouvement d’un astre ; si d’ailleurs on doit croire que toute nature, toute essence non-susceptible de modifications et existant en soi et pour soi, est une cause finale excellente ; il ne peut y avoir d’autres natures que celles dont il s’agit, et le nombre que nous avons déterminé est nécessairement celui des essences. S’il y avait d’autres essences, elles produiraient des mouvements, car elles seraient causes finales de mouvement : or, il est impossible qu’il y ait d’autres mouvements que ceux que nous avons énumérés ; c’est une conséquence naturelle du nombre des êtres en mouvement. En effet, si tout moteur existe à cause de l’objet en mouvement, et que tout mouvement soit le mouvement d’un objet mu, il ne peut y avoir aucun mouvement qui n’ait pour fin que lui-même ou un autre mouvement ; les mouvements existent à cause des astres. Supposons qu’un mouvement ait un mouvement pour fin ; celui-ci alors aura pour fin une autre chose. Or, on ne saurait aller jusqu’à l’infini. Le but de tout mouvement est donc un de ces corps divins qui se meuvent dans le ciel.

Il est évident, du reste, qu’il n’y a qu’un seul ciel. S’il y avait plusieurs cieux, comme il y a plusieurs hommes, le principe de chacun d’eux serait un, sous le rapport de la forme, mais multiple quant au nombre. Or, tout ce qui est multiple numériquement a de la matière, car il n’y a, lorsqu’il s’agit de plusieurs êtres, d’autre unité, d’autre identité entre eux, que celle de la notion substantielle : ainsi, il y a la notion de l’homme en général ; mais Socrate est véritable, ment un. Quant à la première essence, elle n’a pas de matière, car elle est une entéléchie[52]. Donc le premier moteur, le moteur immobile est un, et formellement et numériquement ; et ce qui est en mouvement éternellement et d’une manière continue est unique ; donc il n’y a qu’un seul ciel.

Une tradition venue de l’antiquité la plus reculée, et transmise à la postérité sous le voile de la fable, nous apprend que les astres sont des dieux, et que la divinité embrasse toute la nature ; tout le reste n’est qu’un récit fabuleux imaginé pour persuader le vulgaire, et pour servir les lois et les intérêts communs. Ainsi on donne aux dieux la forme humaine, on les représente sous la figure de certains animaux ; et mille inventions du même genre qui se rattachent à ces fables. Si l’on sépare du récit le principe lui-même, et qu’on ne considère que cette idée, que toutes les essences premières sont des dieux, alors on verra que c’est là une tradition vraiment divine. Une explication qui n’est pas sans vraisemblance, c’est que les arts divers et la philosophie furent découverts plusieurs fois et plusieurs fois perdus, comme cela est très possible, et que ces croyances sont, pour ainsi dire, des débris de la sagesse antique conservés jusqu’à notre temps. Telles sont les réserves sous lesquelles nous acceptons les opinions de nos pères et la tradition des premiers âges.


IX.

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Nous avons à résoudre quelques questions relatives à l’intelligence[53]. L’intelligence est, ce semble, la plus divine des choses que nous connaissons. Mais pour être telle en effet, quel doit être son état habituel ? Il y a là des difficultés. Si elle ne pensait rien, si elle était comme un homme endormi, où serait sa dignité[54] ? Et si elle pense, mais que sa pensée dépende d’un autre principe, son essence n’étant plus alors la pensée, mais un simple pouvoir de penser, elle ne saurait être l’essence la meilleure, car ce qui lui donne son prix, c’est le penser. Enfin, que son essence soit l’intelligence, ou qu’elle soit la pensée, que pense-t-elle ? car, ou elle se pense elle-même, ou bien elle pense quelque autre objet. Et si elle pense un autre objet, ou bien c’est toujours le même, ou bien son objet varie. Importe-t-il donc, oui ou non, que l’objet de sa pensée soit le bien, ou la première chose venue ? ou plutôt ne serait-il pas absurde que telles et telles choses fussent l’objet de la pensée ? Ainsi il est clair qu’elle pense ce qu’il y a de plus divin et de plus excellent, et qu’elle ne change pas d’objet ; car changer ce serait passer du mieux au pire, ce serait déjà un mouvement. Et d’abord, si elle n’était pas la pensée, mais une simple puissance, il est probable que la continuité de la pensée serait pour elle une fatigue. Ensuite il est évident qu’il y aurait quelque chose de plus excellent que la pensée, à savoir ce qui est pensé ; car le penser et la pensée appartiendraient encore à l’intelligence, même alors qu’elle penserait ce qu’il y a de plus vil. C’est là ce qu’il faut éviter (et, en effet, il est des choses qu’il faut ne pas voir, plutôt que de les voir) ; sinon la pensée ne serait pas ce qu’il y a de plus excellent. L’intelligence se pense donc elle-même, puisqu’elle est ce qu’il y a de plus excellent, et la pensée est la pensée de la pensée[55]. La science, la sensation, l’opinion, le raisonnement, ont, au contraire, un objet différent d’eux-mêmes ; ils ne s’occupent d’eux-mêmes qu’en passant. D’ailleurs, si penser était différent d’être pensé, lequel des deux constituerait l’excellence de la pensée ? Car la pensée et l’objet de la pensée n’ont pas la même essence. Ou bien la science est-elle dans certains cas la chose même ? Dans les sciences créatrices, l’essence indépendante de la matière et la forme déterminée, la notion et la pensée, dans les sciences théorétiques, sont l’objet même de la science. Pour les êtres immatériels, ce qui est pensé n’a pas une existence différente de ce qui pense, il y a identité, et la pensée ne fait qu’un avec ce qui est pensé.

Reste encore une difficulté ; c’est de savoir si l’objet de la pensée est composé, et dans ce cas l’intelligence changerait, car elle parcourrait les parties de l’ensemble ; ou bien si tout ce qui n’a pas de matière est indivisible. Il en est éternellement de la pensée, comme il en est de l’intelligence humaine, de toute intelligence dont les objets sont des composés, à quelques instants fugitifs. Car ce n’est pas toujours successivement que l’intelligence humaine saisit le bien ; c’est dans un instant indivisible qu’elle saisit son bien suprême. Mais son objet n’est pas elle-même ; tandis que la pensée éternelle, qui saisit aussi son objet dans un instant indivisible, se pense elle-même durant toute l’éternité.


X.

Il nous faut examiner aussi comment l’univers renferme le souverain bien ; si c’est comme un être indépendant, qui existe en soi et par soi, ou bien comme l’ordre du monde ; ou enfin si c’est des deux manières à la fois, ainsi que dans une armée. En effet, le bien de l’armée, c’est l’ordre qui y règne et son général, et surtout son général : ce n’est pas l’ordre qui fait le général, c’est le général qui est la cause de l’ordre. Tout a une place marquée dans le monde, poissons oiseaux, plantes ; mai » il y a des degrés différents, et les êtres ne sont pas isolés les uns des autres ; ils sont dans une relation mutuelle, car tout est ordonné en vue d’une existence unique. Il en est de l’univers comme d’une famille. Là les hommes libres ne sont point assujettis à faire ceci ou cela suivant l’occasion ; toutes leurs fonctions, ou presque toutes sont réglées. Les esclaves, au contraire, et les bêtes de somme, concourent pour une faible part à la fin commune, et habituellement l’on se sert d’eux au gré des circonstances. Le principe du rôle de chaque chose dans l’univers, c’est sa nature même : tous les êtres, veux-je dire, vont nécessairement se séparant les uns des autres ; et tous, dans leurs fonctions diverses, conspirent à l’harmonie de l’ensemble.

Nous devons indiquer toutes les impossibilités, toutes les absurdités qui sont les conséquences des autres systèmes. Rappelons ici les doctrines mêmes les plus spécieuses, et qui présentent le moins de difficultés.

Toutes les choses, suivant tous les philosophes, proviennent de contraires. Toutes les choses, de contraires, ces deux termes sont également mal posés ; et d’ailleurs comment les choses dans lesquelles existent les contraires proviendraient-elles des contraires ? C’est ce qu’ils n’expliquent pas ; car les contraires n’ont pas d’action les uns sur les autres. Pour nous, nous levons rationnellement la difficulté, en établissant l’existence d’un troisième terme[56].

Il en est qui font de la matière même un des deux contraires[57] : ainsi ceux qui opposent l’inégal à l’égal, la pluralité à l’unité. Cette doctrine se réfute de la même manière. La matière première n’est le contraire de rien. D’ailleurs, tout participerait du mal, hormis l’unité, car le mal est l’un des deux éléments. D’autres prétendent que ni le bien ni le mal ne sont des principes[58] ; et pourtant le principe, c’est, dans toutes choses, le bien par excellence. Ceux-là ont raison, sans nul doute, qui admettent le bien comme principe ; mais ce qu’ils ne disent pas, c’est comment le bien est un principe, si c’est à titre de fin, ou de cause motrice, ou de forme.

L’opinion d’Empédocle n’est pas moins absurde. Le bien, pour lui, c’est l’Amitié. Or l’Amitié est principe en même temps, et comme cause motrice, car elle rassemble les éléments, et comme matière, car elle est une partie du mélange des éléments. En supposant même qu’il puisse arriver que la même chose existe à la fois à titre de matière et de principe, et à titre de cause motrice, toujours est-il qu’il n’y aurait pas identité dans son être. Qu’est-ce donc qui constitue l’Amitié ? Une autre absurdité, c’est d’avoir fait la Discorde impérissable, tandis que la Discorde est l’essence même du mal[59].

Anaxagore reconnaît le bien comme un principe : c’est le principe moteur. L’Intelligence meut ; mais elle meut en vue de quelque chose. Voilà donc un nouveau principe ; à moins qu’Anaxagore n’admette, comme nous, l’identité, car l’art de guérir est en quelque façon la santé. Il est absurde d’ailleurs de ne pas donner de contraire au bien et à l’Intelligence.

On verra, si l’on y fait attention, que tous ceux qui posent les contraires comme principes, ne se servent pas des contraires. Et pourquoi ceci est-il périssable, cela impérissable ? c’est ce que n’explique nul d’entre eux[60], car ils font provenir tous les êtres des mêmes principes.

Il en est qui tirent les êtres du non-être[61]. D’autres, pour échapper à cette nécessité, réduisent tout à l’unité absolue[62]. Enfin, pourquoi y aura-t-il toujours production, et quelle est la cause de la production ? c’est ce que personne ne nous dit.

Non-seulement ceux qui reconnaissent deux principes doivent admettre un autre principe supérieur, mais les partisans des idées doivent admettre, eux aussi, un principe supérieur aux idées ; car en vertu de quoi y a-t-il eu déjà, y a-t-il encore participation des choses avec les idées ? Et puis les autres sont forcés de donner un contraire à la sagesse et à la science par excellence, tandis que nous ne le sommes pas, n’y ayant pas de contraire à ce qui est premier, car les contraires ont une matière, et sont identiques en puissance. Or, l’ignorance, pour être le contraire de la science, impliquerait un objet contraire à celui de la science. Mais ce qui est premier n’a pas de contraire.

Que si d’ailleurs il n’y a pas d’autres êtres que les êtres sensibles, il ne peut plus avoir ni principe, ni ordre, ni production, ni harmonie céleste, mais seulement une suite d’infinie de principes, comme chez tous les Théologiens et les Physiciens sans exception. Mais si l’on admet l’existence des idées ou des nombres, on n’aura la cause de rien ; du moins on n’aura pas celle du mouvement. Et puis comment d’êtres sans étendue tirera-t-on l’étendue et le continu ? car ce n’est pas le nombre qui produira le continu, ni comme cause motrice, ni à titre de forme. Ce n’est pas non plus un des contraires qui sera la cause efficiente d’un contraire. Nous avons dit comment. De plus, en vertu de quel principe y a-t-il unité dans les nombres, dans l’âme, dans le corps, et en général unité de forme et d’objet ? personne ne le dit, et personne ne saurait le dire, à moins de reconnaître avec nous que c’est en vertu de la cause motrice.

Quant à ceux qui prennent pour principe le nombre mathématique, et qui admettent ainsi une succession infinie d’essences, et des principes différents pour les différentes essences, ils font de l’essence de l’univers une collection d’épisodes[63], car qu’importe alors à une essence qu’une autre essence existe ou n’existe pas ? Enfin ils ont une multitude de principes ; mais les êtres ne veulent pas être mal gouvernés :

Le commandement de plusieurs n’est pas bon ; il ne faut qu’un seul chef[64].


FIN DU LIVRE DOUZIÈME.

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  1.  Ὅλον τι.
  2. Ἐφεξῆς.
  3. Voyez liv. VII, passim.
  4. Voyez plus bas le chapitre 8 tout entier.
  5. Les Pythagoriciens et les Platoniciens,
  6. C’est le système de Platon.
  7. « Peut-être les successeurs de Platon, Speusippe et Xénocrate. Dans le livre XIII de la Métaphysique, il est question de philosophes qui, comme les Pythagoriciens, n’admettent qu’un seul nombre, à savoir, le nombre mathématique, et se distinguent des Pythagoriciens en ce qu’ils donnent à ce nombre une existence séparée des choses sensibles. Syrien et Philopon rapportent cette opinion à Xénocrate. » Note de M. Cousin. — Voyez pour l’éclaircissement de ce point obscur de l’histoire de la philosophie, la dissertation si savante et si complète de M. Ravaisson, Speusippi de primis rerum principiis placita qualia fuisse videntur ex Aristotele, VII, p. 28.
  8. Littéralement : Sur les contrariétés d’individu à individu : εἰς ἐνατιώσεις τὰς καθ’ ἔκαστον.
  9. Μίγμα. C’est l’unité ou le Dieu dont il est question ailleurs, et qu’Empédocle appelait σφαῖρος. Voyez liv. III, 4, t. I, p. 89-90.
  10. Voyez liv. I, 6, t. I, p. 34, et Phys. liv.I, 4 ; Bekk., p. 187.
  11. « Ces trois formes du non-être sont : le faux, le néant, ce qui est en puissance. » Note de M. Cousin.
  12. Voyez liv. VI, 3, t. I, p. 217 sqq. et surtout le chapitre 8 du VIIe livre, t. II, p. 25 sqq. Voyez aussi la fin du premier livre de la Physique.
  13. Voyez liv. II, 2, t. I, p. 60 sqq.
  14. Voyez liv. VII, 7 et 9, t. II, p. 20 sqq., p. 29 sqq.
  15. Liv. VII, 7, t. II, p. 20 sqq.
  16. Cette espèce d’aphorisme, dont Aristote se sert plusieurs fois dans la Métaphysique, contient implicitement la réfutation d’une opinion de Speusippe, comme l’a démontré M. Ravaisson par d’ingénieux rapprochements. Speus. de prim. princip. placit., III, p. 12, 13. Speusippe prétendait que la puissance est toujours antérieure à l’acte, et il s’autorisait de ce qui se passe dans la génération des animaux, où la semence, c’est-à-dire l’animal en puissance, est antérieure à l’existence de l’animal. Aristote répond que l’homme vient réellement, non pas de la semence, mais de l’homme, parce que la semence provient de l’homme : ἄνθρωπος ἄνθρωπον γεννᾷ.
  17. Ἡ τελευταία, la matière à laquelle retourne l’être après la destruction, ses éléments constitutifs, ce dont la réunion avec la forme le fait être ce qu’il est.
  18. Aristote appelle ici essence par excellence le composé de la matière et de la forme, l’individu, Socrate ou Callias. Tous les commentateurs sont unanimes sur ce point.
  19. Voyez, sur l’étendue de la signification du mot principe, le livre V, 1, t. I, p. 146 sqq.
  20. « Aristote se sert de l’expression : hommes produits de la nature, pour qu’on ne confonde pas avec l’homme en soi [des Platoniciens]. Il fait allusion ici à ce qu’il avait exposé dans la Physique, à savoir que souvent il y a identité entre la cause efficiente et la cause formelle. » Alex. d’Aphr., Schol, p. 801 ; Sepulv., p. 288. Voyez aussi Phys. auscult., II, 1, Bekker, p. 192, 193.
  21. On sait ce qu’Aristote entend par âme ; on ne s’étonnera donc pas de voir Alexandre développer ainsi ce passage : ταῦτα γὰρ ( scil. αἴτια), φησὶν, ἔστι ψυχὴ ἴσως καὶ σῶμα, ὥσπερ ἐπὶ τῶν φυτῶν, ἢ νοῦς καὶ σῶμα καὶ ὄρεξις, ὡς ἐπὶ ἀνθρώπων, ἢ σῶμα καὶ ὄρεξις, ἐπὶ τῶν ἀλόγων ἔστιν ἰδεῖν. Ainsi il y a trois cas : 1° âme et corps, le végétal ; 2° corps et désir, la bête ; 3° intelligence, désir et corps, l’homme. Voyez Schol., p. 801, Sepulv., p. 289.
  22. Le zodiaque. C’est là une cause de l’homme, dans le système d’Aristote, parce que le soleil parcourt les signes du zodiaque, et que ce mouvement, qui est le mouvement des saisons, est la cause de la production et de la destruction des êtres dans le monde terrestre.
  23. Voyez plus haut, chap. 2 de ce livre.
  24. Tous les principes moteurs.
  25. Les mouvements célestes.
  26. Orphée, Hésiode et les autres poètes de l’antiquité héroïque et fabuleuse. Voyez liv. I, 4. 1.1, p. 19.
  27. « En général les Ioniens et en particulier Anaxagore, au moins dans une partie de son système. » Note de M. Cousin.
  28. La matière, suivant Platon, Timée, édit. de H. Est., p. 30, était animée de tout temps d’un mouvement sans règle et sans but, et les atomes, suivant Leucippe, se mouvaient dans le vide de toute éternité.
  29. « Jamais Platon, en définissant ainsi l’âme, n’a entendu la donner comme le principe éternel de toutes choses ; il la considère comme le principe du petit monde qu’elle gouverne. » Note de M. Cousin.
  30. Dans le De Anima, II, 4, Bekker, p. 415, 416.
  31. C’était là la doctrine d’Empédocle.
  32. C’est le premier ciel, suivant Aristote, le ciel des étoiles fixes, lequel entraîne dans son mouvement tous les autres êtres.
  33. Il s’agit du soleil et des autres planètes, qui se meuvent suivant le cercle oblique ou zodiaque.
  34. Opinion des Théologiens.
  35. Opinion d’Anaxagore.
  36. Opinion des Atomistes.
  37. Voyez plus bas, chap, 8 de ce livre.
  38. Τὸ ὀρεκτὸν καὶ τὸ νοητόν.
  39. Βουλητὸν πρῶτον
  40. Ἡ ἑτέρα συστοιχία. Allerum autem ordinem appellat, ordinem pulchri (par conséquent l’ordre du désirable), in quem secundum Pythagoricos substantia, lumen, triangulus, impar, et cœtera his enumerata rediguntur. Alex. Sepulv., p. 295 ; Schol., p. 804. Voyez aussi Philopon, fol. 50, b.
  41. Aristote explique incidemment comment son essence simple se distingue de l’unité primitive de Platoniciens.
  42. Voyez liv. V, 5, t.1, p. 158 sqq.
  43. Ἤρηται.
  44. « La vie des dieux immortels est toute félicité ; quant aux hommes, ils ne connaissent le bonheur qu’en tant qu’il y a dans leurs facultés quelque chose qui leur est commun avec les dieux. Mais aucun autre animal que l’homme ne goûte le bonheur dans sa vie, parce que aucun autre animal n’a avec les dieux cette communauté de nature. » Aristot., Ethic. Nicom. X, 8 ; Bekker, p. 1178.
  45. Scilicet Pythagoricis non ut Platoni placuerat primum omnium principium bonum ipsum, bonum per se esse ; sed contra, in uno numerorum fonte et omnium principio, impar et par, finitum et infinitum, bonum denique et malum, quasi unum idemque conflata conjungi ; contraria nonnisi in rerum natura prodire. De Speusippo, utrum contraria e primo rerum principio prorsus excluserit, an, in eo quoque Pythagoricos secutus, conjunxerit, nihil Aristoteles. Verisimillimum tamen idem Speusippo ac Pyttagoricis placuisse. Quippe ut hi, sic ille, a plantis et animalibus exemplum sumebat, quibus semina, unde initium habent, pulchri bonique causœ sunt. F. Ravaisson, Speusipp., III, p. 7, 8. — Au lieu de Speusippe, Themistius, ou plutôt ses traducteurs donnent, par erreur, Leucippe. Themist., fol. 16 ; Schol., p. 806.
  46. Il ne faut pas conclure de cet argument, comme le fait observer M. Ravaisson, Essai, t.1, p. 567, en note, que, dans la pensée d’Aristote, le premier moteur doive avoir une puissance infinie, mais au contraire qu’il lui faudrait de la puissance s’il avait de l’étendue, mais dans ce cas seulement. La puissance n’appartient qu’à ce qui existe, comme l’âme, en une matière, ἔνυλον, et par conséquent en une étendue.
  47. Voyez la note à la fin du volume.
  48. Les commentateurs dont nous nous servons expliquent ainsi ce passage : Chaque planète avait un ciel à part, composé de sphères concentriques, dont les mouvements, se modifiant l’un l’autre, formaient les mouvements de la planète. Le soleil et la lune avaient chacun trois sphères : la première était celle des étoiles fixes, elle tournait d’Orient en Occident en vingt-quatre heures et rendait raison du mouvement diurne. On n’avait pas encore découvert, dit St. Thomas, le mouvement d’Occident en Orient qui est propre à ces étoiles. La deuxième sphère passait par le milieu du zodiaque ; c’est le mouvement longitudinal du soleil, par lequel il tourne autour du pôle de l’écliptique en 365 jours 1/4, suivant le calcul d’Eudoxe. Enfin la troisième sphère tournait sur son axe perpendiculaire à un cercle incliné à l’écliptique ; elle écartait, par conséquent, le soleil de son mouvement longitudinal, en l’emportant dans la latitude du zodiaque ; et, en effet, le soleil dévie de la route longitudinale, et s’éloigne plus ou moins des pôles de l’écliptique, ce qui produit les saisons. Enfin cette déviation est plus prononcée dans la lune que dans le soleil, ce qu’Aristote exprime en disant, que l’axe de la troisième sphère de la lune est perpendiculaire à un cercle incliné à l’écliptique sous un plus grand angle ; ou, plus simplement, que l’axe de la troisième sphère de la lune a plus d’inclinaison que celui de la troisième sphère du soleil. Note de M. Cousin.
  49. Suivant St. Thomas, la troisième sphère ayant ses pôles au milieu du zodiaque, aurait donné aux planètes trop de latitude ; la quatrième sphère est destinée à corriger l’influence de la troisième, et c’est pour cela que son axe est incliné au cercle du milieu, c’est-à-dire au plus grand cercle de la troisième sphère. Pour comprendre cette expression du plus grand cercle, il faut se figurer la sphère divisée en cercles non concentriques, et alors, en effet, le cercle du cercle du milieu sera le plus grand cercle. Mais dans quel sens faut-il faire la division ? Est-ce parallèlement ou perpendiculairement à l’axe de la troisième sphère ? C’est ce que St. Thomas ne dit pas. Note de M. Cousin.
  50. Tous les commentateurs s’accordent à expliquer la nécessité de ces nouvelles sphères par les raisons suivantes : Chaque planète a le mouvement diurne, et ce mouvement est représenté dans chaque système par une sphère. Cette sphère est contenue dans les autres sphères, et influe sur leur mouvement. Or, comme chacune des autres sphères a un mouvement qui lui est propre, si elles reçoivent en outre et se transmettent mutuellement une autre impulsion, il en résultera que leur vitesse sera augmentée, et que la plus éloignée du centre se mouvra beaucoup plus rapidement que les autres. Mais les sphères extrêmes des différents systèmes sont presque en contact les unes avec les autres ; la sphère extrême d’un premier astre communiquera donc ce mouvement trop précipité à la sphère extrême du système voisin, cette sphère à la sphère voisine du même système, celle-ci à une autre, de manière à accélérer le mouvement diurne, et à produire ainsi une perturbation complète. Il fallait remédier à cet inconvénient et corriger cette influence accélératrice par une influence contraire ; de là l’intercalation entre les sphères d’un même système, de nouvelles sphères dont le mouvement est en sens inverse ; et comme la sphère la plus éloignée et la sphère la plus rapprochée du centre doivent avoir le même vitesse, ces sphères intermédiaires égalent le nombre des autres sphères, moins une. Note de M. Cousin.
  51. La lune.
  52. « Ἐντελέχια, ce qui a en soi sa fin, qui, par conséquent, ne relève que de soi-même, et constitue une unité indivisible. » Note de M. Cousin.
  53. Il s’agit toujours dans ce passage de l’intelligence de Dieu, du νοῦς proprement dit.
  54. « Il ne faut pas se figurer les dieux dormant comme Endymion. » Ethic. Nicom., X, 8 ; Bekker, p. 1178.
  55. Ἔστιν ἡ νόησις νοήσεως νόησις.
  56. La matière, sujet commun des deux contraires.
  57. Système de Platon.
  58. Système pythagoricien.
  59. Voyez liv. III, 4,1.1, p. 89 sqq.
  60. Liv. III, 4, ubi supra.
  61. Hésiode, les anciens Théologiens, etc.
  62. L’École d’Ëlée.
  63. Voyez plus bas, liv. XIV, 3.
  64. Homère, Iliade, II, B., 204.