La Princesse de Navarre

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PERSONNAGES


Constance, Princesse de Navarre.

Le duc de foix

Don Morillo, Seigneur de campagne.

Sanchette, Fille de Morillo.

Leonor, Une des femmes de la Princesse.

Hernand, Écuyer du duc.

Un officier des gardes

Un alcade

Un jardinier.


ACTE I


Scène I

Constance, Léonor
LEONOR

Ah quel voyage, et quel séjour,
Pour l’héritière de Navarre  !
Votre tuteur Don Pedre est un tyran barbare,
Il vous force à fuir de sa Cour.
Du fameux Duc de Foix vous craignez la tendresse ;
Vous fuyez la haine et l’amour ;
Vous courez la nuit et le jour,
Sans page et sans dame d’atour,
Quel état pour une Princesse !
Vous vous exposez tour à tour
À des dangers de toute espèce.

CONSTANCE

J’espère que demain, ces dangers, ces malheurs,
De la guerre civile effet inévitable,
Seront au moins suivis d’un ennui tolérable ;
Et je pourrai cacher mes pleurs,
Dans un asile inviolable.
Ô fort ! à quels chagrins me veux-tu réserver  ?
De tous côtés infortunée,

Don Pedre aux fers m’avait abandonnée,
Gaston de Foix veut m’enlever.

LEONOR

Je fuis de vos malheurs comme vous occupée ;
Malgré mon humeur gaie ils troublent ma raison ;
Mais un enlèvement, ou je fuis fort trompée,
Vaut un peu mieux qu’une prison.
Contre Gaston de Foix quel couroux vous anime ?
Il veut finir votre malheur ;
Il voit ainsi que nous Don Pedre avec horreur.
Un Roi cruel qui vous opprime,
Doit vous faire aimer un vengeur.

CONSTANCE

Je hais Gaston de Foix autant que le Roi même.

LEONOR

Eh pourquoi ? Parce qu’il vous aime ?

CONSTANCE

Lui, m’aimer ! Nos parents se font toujours haïs.

LEONOR

Belle raison !

CONSTANCE

Son père accabla ma famille.

LEONOR

Le fils est moins cruel, Madame, avec la fille ;
Et vous n’êtes point faits pour vivre en ennemis.

CONSTANCE

De tout temps la haine sépare
Le sang de Foix, et le sang de Navarre.

LEONOR

Mais l’amour est utile aux raccommodements.
Enfin dans vos raisons je n’entre qu’avec peine
Et je ne crois point que la haine
Produise les enlèvements.
Mais ce beau Duc de Foix que votre cœur déteste,
L’avez-vous vu, Madame ?

CONSTANCE

Au moins mon fort funeste,
À mes yeux indignés n’a point voulu l’offrir.
Quelque hasard aux siens m’a pu faire paraître.

LEONOR

Vous m’avouerez qu’il faut connaître
Du moins avant que de haïr.


CONSTANCE

J’ai juré, Léonor, au tombeau de mon père,
De ne jamais m’unir à ce sang que je hais.

LEONOR

Serment d’aimer toujours, ou de n’aimer jamais,
Me paraît un peu téméraire.
Enfin, de peur des Rois et des amants, hélas !
Vous allez dans un cloître enfermer tant d’appas.


CONSTANCE

Je vais dans un couvent tranquille,
Loin de Gaston, loin des combats,
Cette nuit trouver un asile.


LEONOR

Ah ! c’était à Burgos, dans votre appartement,
Qu’était en effet le couvent.
Loin des hommes renfermés,
Vous n’avez pas vu seulement
Ce jeune et redoutable amant
Qui vous avait tant alarmée.
Grâce aux troubles affreux dont nos États font pleins,
Au moins dans ce château nous voyons des humains.
Le maître du logis, ce Baron qui vous prie
À dîner malgré vous, faute d’hôtellerie,
Est un Baron absurde, ayant assez de bien,
Grossièrement galant avec peu de scrupule ;
Mais un homme ridicule Vaut peut-être encore mieux que rien.


CONSTANCE

Souvent dans le loisir d’une heureuse fortune,
Le ridicule amuse, on se prête à ses traits ;
Mais il fatigue, il importune
Les cœurs infortunés et les esprits bien faits.

LEONOR

Mais un esprit bien fait peut remarquer, je pense,
Ce noble Cavalier si prompt à vous servir,
Qu’avec tant de respects, de soin, de complaisance,
Au devant de vos pas nous avons vu venir.

CONSTANCE

Vous le nommez ?

LEONOR

Je crois qu’il se nomme Alamir.


CONSTANCE

Alamir ? Il paraît d’une toute autre espèce
Que monsieur le Baron.

LEONOR

Oui, plus de politesse,
Plus de monde, de grâce.

CONSTANCE

Il porte dans son air
Je ne sais quoi de grand.

LEONOR

Oui.

CONSTANCE

De noble.

LEONOR

Oui.

CONSTANCE

De fier.

LEONOR

Oui. J’ai cru même y voir je ne fais quoi de tendre.

CONSTANCE

Oh point. Dans tous les soins qu’il s’empresse à nous rendre
Son respect est si retenu !

LEONOR

Son respect est si grand qu’en vérité j’ai cru
Qu’il a deviné votre Altesse.

CONSTANCE

Les voici, mais surtout point d’Altesse en ces lieux :
Dans mes destins injurieux
Je conserve le cœur, non le rang de Princesse.
Garde de découvrir mon secret à leurs yeux :
Modère ta gaieté déplacée, imprudente
Ne me parle point en suivante.
Dans le plus secret entretien,
Il faut t’accoutumer à passer pour ma tante.

LEONOR

Oui, j’aurai cet honneur, je m’en souviens très-bien.

CONSTANCE

Point de respect, je te l’ordonne.


Scène II

Morillo, Le duc de foix, Constance, Léonor
MORILLO

au Duc de Foix  : qu’il prend toûjours pour Alamir.

OH, oh, qu’est — ce donc que j’entends ?
La tante est tutoyée ? Ah, ma foi, je soupçonne
Que cette tante là n’est pas de ses parents.
Alamir, mon ami, je crois que la friponne
Ayant sur moi du dessin, Pour renchérir sa personne,
Prit cette tante en chemin.

LE DUC DE FOIX

Non, je ne le crois pas ; elle paraît bien née.
La vertu, la noblesse éclate en ses regards.
De nos troubles civils les funestes hasards,
Près de votre château l’ont sans doute amenée.

MORILLO

Parbleu, dans mon château je prétends la garder ;
En bon parent tu dois m’aider :
C’est une bonne aubaine, et : des nièces pareilles
Se trouvent rarement, et miraient à merveilles.

LE DUC DE FOIX

Gardez de les laisser échapper de vos mains.

LEONOR

à la Princesse.

On parle ici de vous, et l’on a des desseins.

MORILLO

Je réponds de leurs complaisances.

Morillo s’avance vers la Princesse de Navarre.

Madame, jamais mon château, …

(au Duc de Foix. )

Aide-moi donc un peu.

LE DUC DE FOIX

bas.

Ne vit rien de si beau.

MORILLO

Ne vit rien de si beau … Je sens en sa présence
Un embarras tout nouveau ;
Que veut dire cela ? Je n’ai plus d’assurance.

LE DUC DE FOIX

Son aspect : en impose, et se fait respecter.

MORILLO

À peine elle daigne écouter.
Ce maintien réservé glace mon éloquence
Elle jette sur nous un regard bien altier !
Quels grands airs ! Allons donc, sers— moi de chancelier,
Explique— lui le reste, et touche un peu son âme.

LE DUC DE FOIX

Ah ! que je le voudrais ! … Madame,
Tout reconnaît ici vos souveraines lois,
Le ciel, sans doute, vous a faite
Pour en donner aux plus grands Rois.
Mais du sein des grandeurs, on aime quelquefois,
À se cacher dans la retraite.
On dit que les Dieux autrefois,
Dans de simples hameaux se plaisaient à paraître :
On put souvent les méconnaître,
On ne peut se méprendre aux charmes que je vois.

MORILLO

Quels discours ampoulés, quel diable de langage !
Es— tu fou ?

LE DUC DE FOIX

Je crains bien de n’être pas trop sage.

(À Léonor.)

Vous qui semblez le cœur de cet objet divin,
De nos empressements daignez être attendrie,
Accordez un seul jour, ne partez que demain ;
Ce jour le plus heureux, le plus beau de ma vie,
Du reste de nos jours va régler le destin.

(à Morillo. )

Je parle ici pour vous.

MORILLO

Eh bien, que dit la tante ?

LEONOR

Je ne vous cache point que cette offre me tente :
Mais, madame, ma nièce.

MORILLO

à Léonor.

Oh, c’est trop de raison
À la fin, je ferai le maître en ma maison.
Ma tante, il faut souper alors que l’on voyage ;
Petites façons et grands airs,
À

mon avis, font des travers.
Humanisez un peu cette nièce sauvage.
Plus d’une Reine en mon château
À couché dans la route, et l’a trouvé fort beau.

CONSTANCE

Ces Reines voyageaient en des temps plus paisibles,
Et vous savez quel trouble agite ces Etats.
À tous vos soins polis nos cœurs feront sensibles ;
Mais nous partons, daignez ne nous arrêter pas.

MORILLO

La petite obstinée ! Où courez— vous si vite ?

CONSTANCE

Au couvent.

MORILLO

Quelle idée, et quels tristes projets !
Pourquoi préférez— vous un aussi vilain gîte ?
Qu’y pourriez— vous trouver ?

CONSTANCE

La paix.

LE DUC DE FOIX

Que cette paix est loin de ce cœur qui soupire !

MORILLO

Eh bien, espères-tu de pouvoir la réduire ?

LE DUC DE FOIX

Je vous promets du moins d’y mettre tout mon art.

MORILLO

J’emploierai tout le mien.

LEONOR

Souffrez qu’on se retire
Il faut ordonner tout pour ce prochain départ.

(Elles font un pas vers la porte. )

LE DUC DE FOIX

Le respect nous défend d’insister davantage ;
Vous obéir en tout est le premier devoir.

(Ils font une révérence. )

Mais quand on cesse de vous voir,
En perdant vos beaux yeux, on garde votre image.


Scène III

Le duc de foix, Morillo


MORILLO

Ne partira point, et j’y suis résolu.

LE DUC DE FOIX

Le sang m’unit à vous, et c’est une vertu
D’aider dans leurs desseins des parents qu’on révère.

MORILLO

La nièce est mon vrai fait, quoiqu’un peu froide et fière ;
La tante fera ton affaire.
Que me conseilles— tu ?

LE DUC DE FOIX

D’être aimable, de plaire.

MORILLO

Fais-moi plaire.

LE DUC DE FOIX

Il y faut mille foins complaisants,
Les plus profonds respects, des fêtes et du temps.

MORILLO

J’ai très peu de respect, le temps est long ; les fêtes
Coûtent beaucoup ? et ne font jamais prêtes ;
C’est de l’argent perdu.

LE DUC DE FOIX

L’argent fut inventé Pour payer,
si l’on peut, l’agréable et l’utile.
Eh jamais le plaisir fut-il trop acheté ?

MORILLO

Comment t’y prendras— tu ?

LE DUC DE FOIX

La chose est très facile.
Laissez— moi partager les frais.
Il vient de venir ici près
Quelques comédiens de France,
Des Troubadours experts dans la haute science,
Dans le premier des arts, le grand art du plaisir :
Ils ne font pas dignes, peut — être,

Des adorables yeux qui les verront paraître ;
Mais ils savent beaucoup, s’ils savent réjouir.

MORILLO

Réjouissons— nous donc.

LE DUC DE FOIX

Oui, mais avec mystère.

MORILLO

Avec mystère, avec fracas,
Sers-moi tout comme tu voudras ;
Je trouve tout fort bon quand j’ai l’amour en tête.
Prépare ta petite fête :
De mes menus plaisirs je te fais l’Intendant.
Je veux subjuguer la friponne
Avec son air important,
Et je vais pour danser ajuster ma personne.


Scène IV

Le duc de Foix, Hernand
LE DUC DE FOIX

Hernand, tout est-il prêt ?

HERNAND

Pouvez-vous en douter ?
Quand Monseigneur ordonne, on fait exécuter.
Par mes soins secrets tout s’apprête,
Pour amollir ce cœur et si fier et si grand.
Mais j’ai grand peur que votre fête
Réussisse aussi mal que votre enlèvement.

LE DUC DE FOIX

Ah ! c’est-là ce qui fait la douleur qui me presse ;
Je pleure ces transports d’une aveugle jeunesse,
Et je veux expier le crime d’un moment
Par une éternelle tendresse.
Tout me réussira ; car j’aime à la fureur.

HERNAND

Mais en déguisements vous avez du malheur :
Chez Don Pedre en secret j’eus l’honneur de vous suivre
En qualité de conjuré,
Vous fûtes reconnu, tout prêt d’être livré,
Et nous sommes heureux de vivre ;

Vos affaires ici ne tournent pas trop bien,
Et je crains tout pour vous.

LE DUC DE FOIX

J’aime et je ne crains rien ;
Mon projet avorté, quoique plein de justice,
Dut sans doute être malheureux ;
Je ne méritais pas un destin plus propice,
Mon cœur n’était point amoureux,
Je voulais d’un tyran punir la violence,
Je voulais enlever Confiance,
Pour unir nos maisons, nos noms et nos amis ;
La feule ambition fut d’abord mon partage.
Belle Confiance je vous vis,
L’amour seul arme mon courage.

HERNAND

Elle ne vous vit point, c’est— là votre malheur.
Vos grands projets lui firent peur ;
Et dès qu’elle en fut informée,
Sa fureur contre vous dès longtemps allumée,
En avertit toute la cour.
Il salut fuir alors.

LE DUC DE FOIX

Elle fuit à son tour.
Nos communs ennemis la rendront plus traitable.

HERNAND

Elle hait votre sang.

LE DUC DE FOIX

Quelle haine indomptable
Peut tenir contre tant d’amour ?

HERNAND

Pour un héros tout jeune et sans expérience,
Vous embrassez beaucoup de terrain à la fois :
Vous voudriez finir la mésintelligence
Du sang de Navarre et de Foix ;
Vous avez en secret avec le Roi de France,
Un chiffre de correspondance.
Contre un Roi formidable ici vous conspirez ;
Vous y risquez vos jours et ceux des conjurez.
Vos troupes vers ces lieux s’avancent à la file ;
Vous préparez la guerre au milieu des festins,
Vous bernez le Seigneur qui vous donne un asile ;
Sa fille pour combler vos singuliers dessins,

Devient folle de vous, et vous tient en contrainte ;
Il vous faut employer et l’audace et la feinte ;
Téméraire en amour et criminel d’État,
Perdant votre raison, vous risquez votre tête.
Vous allez livrer un combat,
Et vous préparez une fête ?

LE DUC DE FOIX

Mon cœur de tant d’objets n’en voit qu’un seul ici.
Je ne vois, je n’entends que la belle Confiance.
Si par mes tendres foins son cœur est adouci,
Tout le reste est en assurance.
Don Pedre périra, Don Pedre est trop haï.
Le fameux Du Guesclin vers l’Espagne s’avance ;
Le fier Anglais notre ennemi,
D’un tyran détesté prend en vain la défense :
Par le bras des Français les Rois font protégés ;
Des tyrans de l’Europe ils domptent la puissance ;
Le sort des Castillans fera d’être vengé
Par le courage de la France.

HERNAND

Et cependant en ce séjour
Vous ne connaissez rien qu’un charmant esclavage.

LE DUC DE FOIX

Va, — tu verras bientôt ce que peut un courage,
Qui sert la patrie et l’amour.
Ici tout ce qui m’inquiète,
C’est cette passion dont m’honore Sanchette,
La fille de notre Baron.

HERNAND

C’est une fille neuve, innocente, indiscrète,
Bonne par inclination,
Simple par éducation,
Et par instinct un peu coquette ;
C’est la pure nature en sa simplicité.

LE DUC DE FOIX

Sa simplicité même est fort embarrassante,
Et peut nuire aux projets de mon cœur agité.
J’étais loin d’en vouloir à cette âme innocente.
J’apprends que la Princesse arrive en ce canton.
Je me rend sur la route, et me donne au Baron
Pour un fils d’Alamir, parent de la maison.
En amour comme en guerre une ruse est permise.

J’arrive, et sur un compliment,
Moitié poli, moitié galant,
Que partout l’usage autorise, Sanchette prend feu promptement,
Et son cœur tout neuf s’humanise :
Elle me prend pour son amant,
Se flatte d’un engagement,
M’aime, et le dit avec franchise.
Je crains plus sa naïveté,
Que d’une femme bien apprise
Je ne craindrais la fausseté.

HERNAND

Elle vous cherche.

LE DUC DE FOIX

Je te laisse ;
Tâche de dérouter sa curiosité,
Je vole aux pieds de la Princesse.


Scène V

Sanchette[1], Hernand
SANCHETTE

Je fuis au désespoir.

HERNAND

Qu’est — ce qui vous déplaît, Mademoiselle ?

SANCHETTE

Votre maître.

HERNAND

Vous déplaît-il beaucoup ?

SANCHETTE

Beaucoup ; car c’est un traître,
Ou du moins il est prêt de l’être ;
Il ne prend plus à moi nul intérêt.
Avant — hier il vint, et je fus transportée

De son séduisant entretien ;
Hier il m’a beaucoup flattée,
À présent il ne me dit rien.
Il court, ou je me trompe, après cette étrangère :
Moi je cours après lui, tous mes pas font perdus ;
Et depuis qu’elle est chez mon père,
Il semble que je n’y fois plus.
Quelle est donc cette femme, et si belle et si fière,
Pour qui l’on fait tant de façons ?
On va pour elle encor donner les violons,
Et c’est ce qui me désespère.

HERNAND

Elle va tout gâter. Mademoiselle, eh bien
Si vous me promettiez de n’en témoigner rien
D’être discrète.

SANCHETTE

Oh oui, je jure de me taire,
Pourvu que vous parliez.

HERNAND

Le regret, le mystère
Rend les plaisirs piquants.

SANCHETTE

Je ne vois pas pourquoi.

HERNAND

Mon maître né galant, dont vous tournez la tête,
Sans vous en avertir, vous prépare une fête.

SANCHETTE

Quoi tous ces violons !

HERNAND

Sont tous pour vous.

SANCHETTE

Pour moi !

HERNAND

N’en faites point semblant, gardez un beau silence,
Vous verrez vingt Français entrer dans un moment ;
Ils font parés superbement ;
Ils parlent en chansons, ils marchent en cadence,
Et la joie : leur élément.

SANCHETTE

Vingt beaux messieurs Français ! J’en ai l’âme ravie ;
J’eus de voir des Français toujours très grande envie :
Entreront— ils bientôt ?



HERNAND

Ils font dans le château.

SANCHETTE

L’aimable nation ! Que de galanterie !

HERNAND

On vous donne un spectacle, un plaisir tout nouveau.
Ce que font les Français est si brillant, si beau !

SANCHETTE

Eh qu’est— ce qu’un spectacle ?

HERNAND

Une chose charmante.
Quelquefois un Spectacle est un mouvant tableau
Où la nature agit, où l’histoire est parlante,
Ou les Rois, les héros sortent de leur tombeau :
Des mœurs des nations, c’est l’image vivante.

SANCHETTE

Je ne vous entends point.

HERNAND

Un spectacle assez beau
Serait encore une fête galante ;
C’est un art tout français d’expliquer ses désirs,
Par l’organe des jeux, par la voix des plaisirs,
Un spectacle est surtout un amoureux mystère,
Pour courtiser Sanchette tâcher de lui plaire,
Avant d’aller tout uniment, Parler au Baron votre père,
De Notaire, d’engagement, De fiançailles et : de douaire.

SANCHETTE

Ah ! je vous entends bien ; mais moi, que dois-je faire ?

HERNAND

Rien.

SANCHETTE

Comment, rien du tout ?

HERNAND

Le goût, la dignité
Consistent dans la gravité,
Dans l’art d’écouter tout finement sans rien dire,
D’approuver d’un regard, d’un geste, d’un sourire.
Le feu dont mon maître soupire,
Sous des noms empruntés, devant vous paraîtra.
Et l’adorable Sanchette,

Toujours tendre, toujours discrète,
En silence triomphera.

SANCHETTE

Je comprends fort peu tout cela ;
Mais je vous avouerai que je suis enchantée
De voir de beaux Français, et d’en être fêtée.


Scène VI

Sanchette et Hernand sont sur le devant, la princesse DE NAVARRE arrive par un des côtés du fond sur le théâtre, entre DON MORILLOet le duc de foix

LEONOR

à Morillo

Oui, monsieur, nous allons partir.

LE DUC DE FOIX

à part.

Amour, daigne éloigner un départ qui me tue.

SANCHETTE

à Hernand

On ne commence point.
Je ne peux me tenir ;
Quand aurai— je une fête aux yeux de l’inconnue ?
Je la verrai jalouse, et c’est un grand plaisir.
constance voulant passer par une porte, elle s’ouyre, et paraît remplie de guerriers.
Que vois-je, oh ciel, fuis— je trahie ?
Ce passage : rempli de guerriers menaçants !
Quoi Don Pedre en ces lieux étend sa tyrannie ?

LEONOR

La frayeur trouble tous mes sens.

(Les guerriers entrent sur la scène précédés de trompettes, et tous les aéleurs de la comédie se rangent d’un côté du théâtre, )

UN GUERRIER CHANTANT

Jeune beauté cessez de vous plaindre,
Bannissez vos terreurs,
C’est vous qu’il faut craindre :
Bannissez vos terreurs,
C’est vous qu’il faut craindre,
Régnez sur nos cœurs.
le chœur répète.
Jeune beauté cessez de vous plaindre,

(Marche de guerriers dansants. )

UN GUERRIER

Lorsque Vénus vient embellir la terre c’est dans nos champs qu’elle établit sa cour.
Le terrible Dieu de la guerre,
Désarmé dans ses bras sourit au tendre Amour,
Toujours la beauté dispose,
Des invincibles guerriers ;
Et le charmant Amour est sur un lit de rose
À l’ombre des lauriers.

LE CHŒUR

Jeune beauté, cessez de vous plaindre,

(On danse. )

UN GUERRIER

Si quelque tyran vous opprime,
Il va tomber la vaine
De l’amour et de la valeur,
Il va tomber fous le glaive vengeur.

UN GUERRIER

À votre présence
Tout doit s’enflammer,
Pour votre défense
Tout doit s’armer ;
L’amour, la vengeance
Doit-nous animer.

LE CHŒUR

À votre présence Tout doit s’enflammer, etc.

(On danse. )

CONSTANCE

à Léonor.

Je l’avouerai, ce divertissement
Me plaît, m’alarme davantage ;
On dirait qu’ils ont fait l’objet de mon voyage.
Ciel ! Avec mon état quel rapport étonnant

LEONOR

Bon, c’est pure galanterie,
C’est un air de chevalerie,
Que prend le vieux Baron pour faire l’important.

(La Princesse veut s’en aller, le Chœur s’arrête en chantant. )

LE CHŒUR

Demeurez, présidez à nos fêtes,
Que nos cœurs soient ici vos conquêtes.

DEUX GUERRIERS

Tout l’univers doit vous rendre l’Hommage qu’on rend aux Dieux ;
Mais en quels lieux Pouvez— vous attendre
Un hommage plus tendre,
Plus digne de vos yeux ?

LE CHŒUR

Demeurez, présidez à nos fêtes
Que nos cœurs soient vos tendres conquêtes.

(Les acteurs du divertissement rentrent par le même portique. )

Pendant que Constance parle à Léonor, Don Morillo qui est devant elles, leur fait des mines. Et Sanchette qui est alors auprès du Duc de Foix, le tire à part sur le devant du théâtre. )

SANCHETTE

au Duc de Foix.

Écoutez donc, mon cher amant
l’Aubade qu’on me donne étrangement faite,
Je n’ai pas pu danser.
Pourquoi cette trompette ?
Qu’est —ce qu’un Mars, Vénus, des tyrans, des combats,
Et pas un seul mot de Sanchette ?
À cette dame — ci, tout s’adresse en ces lieux.
Cette préférence me touche.

LE DUC DE FOIX

Croyez — moi, taisons — nous ;
l’Amour respectueux
Doit avoir quelquefois son bandeau sur la bouche,
Bien plus encore que sur les yeux.

SANCHETTE

Quel bandeau, quels respects ! ils font bien ennuyeux !

MORILLO, s’avançant vers la Princesse.

Eh bien, que dites — vous de notre sérénade ?
La tante — elle un peu contente de l’aubade ?

LEONOR

Et la tante et la nièce y trouvent mille appas.

LA PRINCESSE

à Léonor.

Qu’est — ce que tout ceci ?
Non, je ne comprends pas
Les contrariétés qui s’offrent à ma vue ;
Cette rusticité du Seigneur du château,
Et ce goût si noble, si beau,
D’une fête si prompte si bien entendue.

MORILLO

Eh bien donc, notre tante approuve mon cadeau.


LEONOR

Il me paraît brillant, fort heureux et nouveau.

MORILLO

La porte était gardée avec de beaux gens — d’armes ;
Eh, eh, l’on n’est pas neuf dans le métier des armes.

SANCHETTE

C’est magnifiquement recevoir nos adieux ;
Toujours le souvenir m’en fera précieux.

MORILLO

Je le crois.
Vous pourriez voyager par le monde Sans être festoyée, ainsi qu’on l’est ici :
Soyez sage, demeurez— y ;
Cette fête, ma foi, n’aura pas sa seconde,
Vous chômerez ailleurs.
Quand je vous parle ainsi,
C’est pour votre seul bien ; car pour moi, je vous jure,
Que si vous décampez, de bon cœur je l’endure,
Et quand il vous plaira, vous pourrez nous quitter.

CONSTANCE

De cette offre polie il nous faut profiter ;
Par cet autre côté, permettez que je sorte.

LEONOR

On nous arrête encor à la seconde porte ?

CONSTANCE

Que vois— je, quels objets ! Quels spectacles charmants !

LEONOR

Ma nièce, c’est ici le pays des romans. ?

(Il sort de cette seconde porte une troupe de danseurs et de danseuses avec des tambours de basque des tambourins.[2])

Après cette entrée, Léonor se trouve à côté de Morillo, et lui dit :

Qui font donc ces gens — ci ?

MORILLO

au Duc de Foix.

C’est à toi de leur dire
Ce que je ne fais point.

LE DUC DE FOIX

A Princesse de Navarre

Ce sont des gens savants,
Qui dans le ciel tout courant savent lire,

Des Mages d’autrefois illustres descendants,
À qui fut réservé le grand art de prédire.

(Les astrologues Arabes qui étaient reliés sous le portique pendant la danse y s’avancent sur le théâtre, et tous les acteurs de la comédie se rangent pour les écouter. )

UNE DEVINERESSE

chante.

Nous enchaînons le temps, le plaisir fuit nos pas ;
Nous portons dans les cœurs la flatteuse espérance ;
Nous leur donnons la jouissance
Des biens même qu’ils n’ont pas ;
Le présent fuit, il nous entraîne,
Le passé n’est plus rien.
Charme de l’avenir, vous êtes le seul bien
Qui reste à la faiblesse humaine.
Nous enchaînons le temps

(On danse, )

UN ASTROLOGUE

L’astre éclatant et doux de la fille de l’onde,
Qui devance ou qui fuit le jour,
Pour vous recommençait son tour.
Mars a voulu s’unir pour le bonheur du monde
À la planète de l’Amour.
Mais quand les saveurs célestes
Sur nos jours précieux allaient se rassembler,
Des Dieux inhumains et surelles
Se plaisent à les troubler.

UN ASTROLOGUE

Alternativement avec le Chœur,

Dieux ennemis,
Dieux impitoyables,
Soyez confondus :
Dieux secourables,
Tendre Vénus
Soyez à jamais favorables.

CONSTANCE

Ces astrologues me paraissent
Plus instruits du passé que du sombre avenir ;
Dans mon ignorance ils me laissent ;
Comme moi sur mes maux, ils semblent s’attendrir,
Ils forment comme moi des souhaits inutiles,
Et des espérances stériles,
Sans rien prévoir, et sans rien prévenir.

LE DUC DE FOIX

Peut — être ils prédiront ce que vous devez faire

Des férets de nos cœurs ils percent le mystère.
l’une devineresse s’approche de la Princesse et chante.
Vous excitez la plus sincère ardeur,
Et vous ne sentez que la haine ;
Pour punir votre âme inhumaine,
Un ennemi doit toucher votre cœur :

(Ensuite s’avançant vers Sanchette, )

Et vous, jeune beauté que l’amour veut conduire,
L’amour doit vous instruire
Suivez ses douces lois.
Votre cœur est né tendre ;
Aimez, mais en faisant un choix.
Gardez de vous méprendre.

SANCHETTE

Ah l’on s’adresse à moi, la fête était pour nous.
J’attendais, j’éprouvais des transports si jaloux.

UN DEVIN ET UNE DEVINERESSE

s’adressant à Sanchette

En mariage
Un sort heureux ;
Est un rare avantage ;
Ses plus doux feux
Sont un long esclavage.
Du mariage
Formez les nœuds ;
Mais ils font dangereux.
L’amour heureux
Est trop volage.
Du mariage
Craignez les nœuds,
Ils font trop dangereux.

SANCHETTE

au Duc de Foix.

Bon ! Quels dangers feraient à craindre en mariage ?
Moi, je n’en vois aucun ; de bon cœur je m’engage :
Nous nous aimons, tout ira bien.
Puisque nous nous aimons, nous ferons fort fidèles
Donnez-moi bien souvent des fêtes aussi belles,
Et je ne me plaindrai de rien.

LE DUC DE FOIX

Hélas ! j’en donnerais tous les jours de ma vie,
Et les fêtes font ma folie ;
Mais je n’espère point faire votre bonheur.

SANCHETTE

Il est déjà tout fait, vous enchantez mon cœur.

On danse. Les acteurs de la comédie sont rangés sur les ailes ; Sanchette veut danser avec le Duc de Foix, qui s’en défend ; Morillo prend la Princesse de Navarre et danse avec elle.

GUILLOT

(avec un garçon jardinier vient interrompre la danse, dérange tout, prend le Duc de Foix et Morillo par la main, fait des signes en leur parlant bas, et ayant fait cesser la musique, il dit au Duc de Foix, )

Oh ! vous allez bientôt avoir une autre danse,
Tout est perdu, comptez sur moi.

LE DUC DE FOIX

à Morillo

Quelle étrange aventure !
Un Alcade !
Eh pourquoi ?

MORILLO

Il vient la demander par ordre exprès du Roi.

LE DUC DE FOIX

De quel Roi ?

MORILLO

De Don Pedre.

LE DUC DE FOIX

Allez ; le Roi de France
Vous défendra bientôt de cette violence.

LEONOR

à la Princesse.

Il paraît que sur vous roule la conférence.

MORILLO

Bon ; mais en attendant qu’allons-nous devenir
Quand un Alcade parle, il faut bien obéir.

LE DUC DE FOIX

Obéir  ? Moi  ?

MORILLO

Sans doute, et : que peux — tu prétendre ?

LE DUC DE FOIX

Nous battre contre tous, contre tous la défendre..

MORILLO

Qui toi te révolter contre un ordre précis,
Émané du Roi même ? Es-tu de sang,

LE DUC DE FOIX

Le premier des devoirs de servir les belles,
Et les Rois ne vont qu’après elles.

MORILLO

Ce petit parent-là m’a l’air d’un franc vaurien :
Tu feras
Mais ma foi je ne m’en mêle en rien.,

Rebelle à la justice !
Allons rentrez Sanchette, ?
Plus de fête.

(Morillo pousse Sanchette dans la maison, renvoie la musique et sort avec fort monde. )

SANCHETTE

Eh quoi donc !

LEONOR

D’où vient cette retraite
Ce trouble, cet effroi, ce changement soudain ?

CONSTANCE

Je crains de nouveaux coups de mon triste destin.

LE DUC DE FOIX

Madame, il est affreux de causer vos alarmes :
Nos divertissements vont finir par des larmes.
Un cruel.

CONSTANCE

Ciel ! Qu’entends— je ?
Eh quoi jusqu’en ces lieux Gaston poursuivrait— il ses projets odieux


LEONOR

Qu’avez-vous dit ?

LE DUC DE FOIX

Quel nom prononce votre bouche ?
Gaston de Foix, Madame, a-t-il un cœur farouche
Sur la foi de son nom, j’ose vous protester
Qu’ainsi que moi, pour vous, il donnerait sa vie
Mais d’un autre ennemi craignez la barbarie,
De la part de Don Pedre on vient vous arrêter.

CONSTANCE

M’arrêter ?

LE DUC DE FOIX

Un Alcade avec impatience
Jusqu’en ces lieux suivit vos pas.
Il doit venir vous prendre.

CONSTANCE

Eh sur quelle apparence
Sous quel nom, quel prétexte ?

LE DUC DE FOIX

Il ne vous nomme pas
Mais il a désigné vos gens, votre équipage
Tout envoyé qu’il est d’un ennemi sauvage
Il a surtout désigné vos appas.


LEONOR

Ah, cachons — nous, Madame.

CONSTANCE

Où ?

LEONOR

Chez la jardinière, Chez guillot.

LE DUC DE FOIX

Chez guillot on viendra vous chercher.
La beauté ne peut se cacher.

CONSTANCE

Fuyons.

LE DUC DE FOIX

Ne fuyez point.

LEONOR

Restons donc.

CONSTANCE

Ciel ! que faire  ?

LE DUC DE FOIX

Si vous restez, si vous fuyez,
Je mourrai partout à vos pieds.
Madame, je n’ai point la coupable imprudence
D’oser vous demander quelle est votre naissance :
Soyez Reine ou bergère, il n’importe à mon cœur :
Et le secret que vous m’en faites,
Du soin de vous servir n’affaiblit point l’ardeur ;
Le trône est partout où vous êtes.
Cachez, s’il se peut, vos appas,
Je vais voir en ces lieux si l’on peut vous surprendre,
Et je ne me cacherai pas,
Quand il faudra vous défendre.


Scène VII

Constance, Léonor
LEONOR

Enfin, nous avons un appui,
Le brave Chevalier ! nous viendrait-il de France ?

CONSTANCE

Il n’est point d’Espagnol plus généreux que lui.


LEONOR

J’en espère beaucoup, s’il prend votre défense.

CONSTANCE

Mais que peut-il seul aujourd’hui
Contre le danger qui me presse
Le fort a sur ma tête épuisé tous ses coups.

LEONOR

Je craindrais le fort en courroux
Si vous n’étiez qu’une Princesse ;
Mais vous avez, Madame, un partage plus doux..
La nature elle-même a pris votre querelle
Puisque vous êtes jeune et belle,
Le monde entier fera pour vous.

ACTE II


Scène I

Sanchette, Guillot
SANCHETTE

Arrête, parle — moi, guillot.

GUILLOT

Oh, guillot est pressé.

SANCHETTE

guillot, demeure ; un mot ;
Que fait notre Alamir ?

GUILLOT

Oh, rien n’est plus étrange.

SANCHETTE

Mais que fait-il, dis-moi ?

GUILLOT

Moi, je crois qu’il fait tout,
Libéral comme un Roi, jeune et beau comme un Ange.

SANCHETTE

L’infidèle me pouffe à bout.
N’est-il pas au jardin avec cette étrangère ?

GUILLOT

Eh vraiment oui !

SANCHETTE

Qu’elle doit me déplaire !

GUILLOT

Eh mon Dieu ! d’où vient ce courroux ?
Vous devez l’aimer au contraire
Car elle est belle comme vous.

SANCHETTE

D’où vient qu’on a cessé sitôt la sérénade ?


GUILLOT

Je n’en sais rien.

SANCHETTE

Que veut dire un Alcade ?

GUILLOT

Je n’en fais rien.

SANCHETTE

D’où vient que mon père voulait
M’enfermer fous la clef ? d’où vient qu’il s’en allait ?

GUILLOT

Je n’en fais rien.

SANCHETTE

D’où vient qu’Alamir est près d’elle ?

GUILLOT

Eh, je le fais qu’elle est belle ;
Il lui parle à genoux, tout comme on parle au Roi ;
C’est des respects, des soins, j’en fuis tout hors de moi.
Vous en feriez charmée.

SANCHETTE

Ah, guillot, le perfide !

GUILLOT

Adieu ; car on m’attend, on a besoin d’un guide,
Elle veut s’en aller.

(Il sort. )

SANCHETTE

seule.

Puisse — t — elle partir,
Et me laisser mon Alamir !
Oh, que je fuis honteuse, dépitée !
Il m’aimait en un jour ; en deux, fuis — je quittée ?
Monsieur Hernand m’a dit que c’est là le bon ton.
Je n’en crois rien du tout. Alamir ! quel fripon !
S’il était sot et laid, il me ferait fidèle,
Et ne pouvant trouver de conquête nouvelle,
Il m’aimerait faute de mieux.
Comment faut — il faire à mon âge ?
J’ai des amants Constans, ils font tous ennuyeux,
J’en trouve un seul aimable, et le traître est volage.


Scène II

Sanchette, L’alcade
L’ALCADE

Mes amis, vous avez un important emploi ;
Elle est dans ces jardins ; ah, la voici, c’est elle ;
Le portrait qu’on m’en fit me semble assez fidèle ;
Voilà son air, sa taille, elle est jeune, elle est belle,
Remplissons les ordres du Roi.
Soyez prêts à me suivre et faites sentinelle.
un lieutenant de l’alcade.
Nous vous obéirons, comptez sur notre zèle.


SANCHETTE

Ah, Meilleurs, vous parlez de moi.

L’ALCADE

Oui, Madame, à vos traits nous savons vous connaître ;
Votre air nous dit assez ce que vous devez être ;
Nous venons vous prier de venir avec nous ;
La moitié de mes gens marchera devant vous,
L’autre moitié suivra, vous ferez transportée
Sûrement et sans bruit, et partout respectée.

SANCHETTE

Quel étrange propos !
Me transporter !
Qui ? moi !
Eh, qui donc êtes — vous ?

L’ALCADE

Des officiers du Roi ;
Vous l’offensez beaucoup d’habiter ces retraites ;
Monsieur l’amirante[3] en secret,
Sans nous dire qui vous êtes,
Nous a fait votre portrait.

SANCHETTE

Mon portrait dites-vous ?

L’ALCADE

Madame, trait pour trait.

SANCHETTE

Mais je ne connais point ce monsieur l’amirante.


L’ALCADE

Il fait pourtant de vous la peinture vivante.

SANCHETTE

Mon portrait à la Cour a donc été porté ?

L’ALCADE

Apparemment.

SANCHETTE

Voyez ce que fait la beauté.
Et de la part du Roi vous m’enlevez ?

L’ALCADE

Sans doute, C’est notre ordre précis, il le faut quoi qu’il coûte.

SANCHETTE

Ou allez-vous me mener ?

L’ALCADE

À Burgos, à la Cour ;
Vous y ferez demain avant la fin du jour.

SANCHETTE

À la Cour ! mais vraiment ce n’est pas me déplaire
La Cour, j’y consens fort ; mais que dira mon père ?

L’ALCADE

Votre père ? il dira tout ce qu’il lui plaira.

SANCHETTE

Il doit être charmé de ce voyage —là !

L’ALCADE

C’est un honneur très—grand qui sans doute le flatte.

SANCHETTE

On m’a dit que la Cour est un pays si beau
Hélas hors ce jour-ci, la vie en ce château
Fut toujours ennuyeuse et plate.

L’ALCADE

Il faut que dans la Cour votre personne éclate.

SANCHETTE

Eh, qu’est— ce qu’on y fait ?

L’ALCADE

Mais, du bien et du mal ;
On y vit d’espérance, on tâche de paraître ;
Près des belles toujours on a quelque rival,
On en a cent auprès du maître.

SANCHETTE

Eh, quand je ferai-là, je verrai donc le Roi ?


L’ALCADE

C’est lui qui veut vous voir.

SANCHETTE

Ah, quel plaisir pour moi !
Ne me trompez-vous point ? Eh quoi, le Roi souhaite
Que je vive à sa Cour ? il veut avoir Sanchette ?
Hélas ! de tout mon cœur, il m’enlève, partons.
Est-il comme Alamir ? quelles font ses façons ?
Comment en use — t — il, messieurs, avec les belles ?

L’ALCADE

Il ne m’appartient pas d’en savoir des nouvelles ;
À ses ordres sacrés, je ne fais qu’obéir.

SANCHETTE

Vous emmenez sans doute à la Cour Alamir ?

L’ALCADE

Comment ? quel Alamir ?

SANCHETTE

L’homme le plus aimable,
Le plus fait pour la Cour, brave, jeune, adorable.

L’ALCADE

Si c’est : un Gentilhomme à vous,
Sans doute, il peut venir, vous êtes la maîtresse.

SANCHETTE

Un Gentilhomme à moi, plût à Dieu !

L’ALCADE

Le temps presse
La nuit vient, les chemins ne font pas sûrs pour nous.
Partons.

SANCHETTE

— Ah, volontiers.


Scène III

Morillo, Sanchette, L’alcade
MORILLO

Messieurs, êtes-vous fous ?
Arrêtez donc, qu’allez — vous faire ?
Où menez-vous ma fille ?

SANCHETTE

À la Cour, mon cher père.


MORILLO

Elle est folle ; arrêtez, c’est ma fille.

L’ALCADE

Comment ?
Ce n’est pas cette Dame,

MORILLO

Non vraiment
C’est ma fille, et je suis Don Morillo son père
Jamais on ne l’enlèvera.

SANCHETTE

Quoi, jamais !

MORILLO

Emmenez, s’il le faut, l’étrangère, Mais ma fille me restera.

SANCHETTE

Elle aura donc sur moi toujours la préférence
C’est elle qu’on enlève !

MORILLO

Allez en diligence.

SANCHETTE

L’heureuse créature ! on l’emmène à la Cour :
Hélas ! quand sera-ce mon tour ?

MORILLO

Vous voyez que du Roi la volonté sacrée
Est chez Don Morillo comme il faut révérée,
Vous en rendrez compte.

L’ALCADE

Oui, fiez-vous à nos soins.

SANCHETTE

Meilleurs, ne prenez qu’elle au moins.


Scène IV

Morillo, Sanchette
MORILLO

Je fuis saisi de crainte ; ah ! L’affaire est fâcheuse.

SANCHETTE

Eh, qu’ai — je à craindre moi ?

MORILLO

La chose est sérieuse,

C’est affaire d’Etat, vois-tu, que tout ceci.

SANCHETTE

Comment d’Etat ?

MORILLO

Eh, oui, j’apprends que près d’ici
Tous les Français font en campagne
Pour donner un maître à l’Espagne.

SANCHETTE

Qu’est-ce que cela fait ?

MORILLO

On dit qu’en ce canton,
Alamir est leur espion ;
Cette Dame est errante, et : chez moi se déguise ;
Elle a tout l’air d’être comprise
Dans quelque conspiration ;
Et si tu veux que je le dise,
Tout cela sent la pendaison.
J’ai fait une grosse sottise,
De faire entrer dans ma maison
Cette Dame en ce temps de crise,
Et cet agréable fripon,
Qui me joue, et qui la courtise :
Je veux qu’il parte tout de bon,
Et qu’ailleurs il s’impatronise.

SANCHETTE

Lui, mon père, ce beau garçon ?

MORILLO

Lui — même, il peut ailleurs donner la sérénade.


Scène V

Morillo, Sanchette, Guillot
GUILLOT

tout essouflé.

Au secours, au secours, ah, quelle étrange aubade

MORILLO

Quoi donc ?

SANCHETTE

Qu’a-t-il donc fait ?

GUILLOT

Dans ces jardins là-bas

MORILLO

Eh bien !

GUILLOT

Cet Alamir, ce monsieur

L’ALCADE

Les gens d’Alamir, des soldats,
Ayant du fer partout, en tête, au dos, aux bras
L’étrangère enlevée au milieu des gens — d’armes,
Et le brave Alamir tout brillant fous les armes,
Qui la reprend soudain, et : fait tomber à bas,
Tout alentour de lui, nez, mentons, jambes, bras,
Et la belle étrangère en larmes,
Des chevaux renversés, et. des maîtres dessous,
Et des valets dessus, des jambes fracassées
Des vainqueurs, des fuyards, des cris, du sang, des coups
Des lances à la fois, et des têtes cassées,
Et la tante, et ma femme, et ma fille, avec moi,
C’est horrible à penser, je fuis tout mort d’effroi.

SANCHETTE

Eh, n’est-il point blessé ?

GUILLOT

C’est lui qui blesse et tue,
C’est un héros, un diable.

MORILLO

Ah, quelle étrange issue !
Quel maudit Alamir ! quel enragé y quel fou !
S’attaquer à son maître, et : hasarder son cou !
Et le mien, qui pis est ! Ah, le maudit esclandre !
Qu’allons-nous devenir ?
Le plus grand châtiment
Sera le digne fruit de cet emportement ;
Et moi bien sot aussi de vouloir entreprendre
De retenir chez moi cette fière beauté ;
Voilà ce qu’il m’en a coûté.
Assemblons nos parents, allons chez votre mère,
Et tâchons d’assoupir cette effroyable affaire.

SANCHETTE

en s’en allant.

Ah, guillot ! prends bien foin de ce jeune officier,
Il a tort, en effet mais il est bien aimable
Il est si brave


Scène V

GUILLOT

seul

AH, oui, c’est un homme admirable
On ne peut mieux se battre, on ne peut mieux payer :
Que j’aime les héros, quand ils font de l’espèce
De cet amoureux Chevalier !
J’ai vu ça tout d’un coup.
La dame a sa tendresse.
J’aime à voir un jeune guerrier
Bien payer ses amis, bien servir sa maîtresse
C’est comme il faut me plaire.


Scène VII

Constance, Léonor, Guillot
CONSTANCE

Ou me réfugier
Hélas ! qu’est devenu ce guerrier intrépide,
Dont l’âme généreuse et la valeur rapide
Étalent tant d’exploits avec tant de vertu
Comme il me défendait ! comme il a combattu !
L’aurais-tu vu ? répond.

GUILLOT

J’ai vu, je n’ai rien vu.
Je ne vois rien encor.
Une semblable fête
Trouble terriblement les yeux.

LEONOR

Eh, va donc t’informer.

GUILLOT

Où, Madame

CONSTANCE

En tous lieux.
Va, vole, réponds donc : que fait-il ? cours, arrête :
Aurait-il succombé ?
Que ne puis-je à mon tour
Défendre ce héros et lui sauver le jour ?


LEONOR

Hélas ! plus que jamais y le danger est extrême,
Le nombre était trop grand.

GUILLOT

Contre un, ils étaient dix.

LEONOR

Peut-être qu’on vous cherche, et qu’Alamir est pris.

GUILLOT

Qui ? lui ! vous vous moquez ; il aurait pris lui-même
Tous les Alcades d’un pays.
Allez, croyez sans vous méprendre
Qu’il fera mort cent fois avant que de se rendre.

CONSTANCE

Il serait mort ?

LEONOR

Va donc.

CONSTANCE

(il sort. )

Tâche de t’éclaircir
Va vite. Il serait mort !

LEONOR

je vous envois frémir y Il le mérite bien, votre ame attendrie
Mais y sur quoi jugez-vous, qu’il ait perdu la vie ?

CONSTANCE

S’il vivait, Léonor, il ferait près de moi.
De l’honneur qui, connaît trop la loi.
Sa main pour me servir par le ciel Réservée,
M’abandonnerai— elle après m’avoir sauvée ?
Non, je crois qu’en tout temps il ferait mon. appui.
Puisqu’il ne paraît pas je dois trembler pour lui

LEONOR

Tremblez aussi pour vous, car tout vous est contraire
En vain partout vous savez plaire,
Par — tout on vous poursuit, on menace vos Jours ;
Chacun craint ici pour sa tête.
Le maître : du château qui vous donne une fête
N’ose vous donner du secours.
Alamir seule vous sert ; le reste vous opprime,

CONSTANCE

Que devient Alamirt ? et quel fera mon sort ?


LEONOR

Songez au votre, hélas ! quel transport vous anime !

CONSTANCE

Léonor, ce n’est point un aveugle transport,
C’est un sentiment légitime..
Ce qu’il a fait pour moi.


Scène VIII

Constance, Léonor, Alamir
ALAMIR

J’ai fait ce que j’ai dû.
J’exécutais votre ordre, et vous avez vaincu.

CONSTANCE

Vous n’êtes point blessé ?

ALAMIR

Le ciel, ce ciel propice
De votre cause en tout seconda la justice.
Puisse un jour cette main, par de plus heureux coups,
De tous vos ennemis vous faire un sacrifice !
Mais un de vos regards doit les désarmer tous.

CONSTANCE

Hélas ! du sort encor je ressens le courroux ;
De vous récompenser il m’ôte la puissance. ;
Je ne puis qu’admirer cet excès de vaillance.

ALAMIR

Non, c’est moi qui vous dois de la reconnaissance.
Vos yeux me regardaient, je combattais pour vous,
Quelle plus belle récompense !

CONSTANCE

Ce que j’entends, ce que je vois,
Votre sort le mien, vos discours, vos exploits
Tout étonne mon âme ; elle en est confondue ;
Quel nous rassemble, par quel noble effort,
Par quelle grandeur d’âme en ces lieux peu connue
Pour ma feule défense affrontiez— vous la mort ?

LE DUC DE FOIX

Eh n’est — ce pas assez que de vous avoir vue ?


CONSTANCE

Quoi, vous ne connaissez ni mon nom, ni mon fort,
Ni mes malheurs, ni ma naissance ?

LE DUC DE FOIX

Tout cela dans mon cœur eût-il été plus fort
Qu’un moment de votre présence ?

CONSTANCE

Alamir, je vous dois ma juste confiance,
Après des services si grands.
Je fuis fille des Rois et du sang de Navarre ;
Mon fort est cruel et bizarre :
Je fuyais ici deux tyrans :
Mais vous de qui le bras protège l’innocence,
À votre tour daignez-vous découvrir.

ALAMIR

Le sort juste une fois me fit pour vous servir ;
Et ce bonheur me tient lieu de naissance :
Quoi puis — je encor vous secourir ?
Quels font ces deux tyrans de qui la violence
Vous persécutait à la fois ?
Don Pedre est le premier ?
Je brave sa vengeance.
Mais l’autre quel est — il ?

CONSTANCE

L’autre est le Duc de Foix.

LE DUC DE FOIX

Ce Duc de Foix qu’on dit et si juste, et si tendre !
Eh que pourrai — je contre lui ?

CONSTANCE

Alamir, contre tous vous serez. mon appui ;
Il cherche à m’enlever.

LE DUC DE FOIX

Il cherche à vous défendre,
On le dit, il le doit, et tout le prouve assez.

CONSTANCE

Alamir !
Et c’est vous !
C’est vous qui l’excusez

ALAMIR

Non, je dois le haïr si vous le haïssez.
Vous étant odieux, il doit l’être à lui — même ;
Mais comment condamner un mortel qui vous aime ?
On dit que la vertu l’a pû seule enflammer ;
S’il est ainsi, grand Dieu ? comme il doit vous aimer
On dit que devant vous il tremble de paraître,

Que ses jours aux remords font tous sacrifiés ;
On dit qu’enfin si vous le connaissiez,
Vous lui pardonneriez peut-être.

CONSTANCE

C’est vous seul que je veux connaître,
Parlez-moi de vous seul, ne trompez plus mes vœux..

LE DUC DE FOIX

Ah daignez épargner un soldat malheureux ;
Ce que je suis dément ce que je peux paraître[4].

CONSTANCE.

Vous êtes un héros, et vous le paraissez.
Mon sang me fait rougir. Il me condamne

CONSTANCE

Si votre sang est d’une source obscure,
Il est noble par vos vertus,
Et des dessins j’effacerai l’injure.
Si vous êtes sorti d’une source plus pure,
Je. Mais vous êtes Prince, et je n’en doute plus,
Je n’en veux que l’aveu, le reste me l’assure,
Parlez.

LE DUC DE FOIX

J’obéis à vos lois ;
Je voudrais être Prince, alors que je vous vois.
Je fuis un cavalier.


Scène IX

Constance, Le duc de Foix, Léonor, Sanchette
SANCHETTE

Vous ? Vous êtes un traître,
Vous n’échapperez pas, et je prétends connaître
Pour qui la fête était, qui vous trompiez des deux.

LE DUC DE FOIX

Je n’ai trompé personne, si je fais des vœux
Ces vœux font trop cachés, et tremblent de paraître.
Ne jugez point de moi par ces frivoles jeux.
Une fête est un hommage,
Que la galanterie, ou bien la vanité,
Sans en prendre aucun avantage,
Quelquefois donne à la beauté.
Si j’aimais, si j’osais m’abandonner aux flammes
De cette passion, vertu des grandes âmes,
J’aimerais constamment sans espoir de retour ;
Je mêlerais dans le silence
Les plus profonds respects au plus ardent amour.
J’aimerais un objet d’une illustre naissance.

SANCHETTE

à part.

Mon père est bon Baron.

LE DUC DE FOIX

Un objet ingénu.

SANCHETTE

Je la suis fort[5].

LE DUC DE FOIX

Doux, fier, éclairé, retenu,
Qui joindrait sans effort, l’esprit et l’innocence.

SANCHETTE

à part.

Est — ce moi ?

LE DUC DE FOIX

J’aimerais certain air de grandeur,
Qui produit le respect sans inspirer la crainte,
La beauté sans orgueil, la vertu sans contrainte,
L auguste majesté sur le visage empreinte,
Sous les voiles de la douceur.

SANCHETTE

De la madéfié ! moi !

LE DUC DE FOIX

Si j’écoutais mon cœur,
Si j’aimais, j’aimerais avec délicatesse
Mais en brûlant avec transport :
Et je cacherais ma tendresse,
Comme je dois cacher mes malheurs mon fort.


LEONOR

Eh bien, connaissez — vous la personne qu’il aime ?

CONSTANCE

à Léonor.

Je ne me connais pas moi — même,
Mon cœur est trop ému pour oser vous parler.


Scène X

Morillo, et les personnages précédents
MORILLO

Helas tout cela fait trembler :
Ta mère en va mourir, que deviendra ma fille ?
L’enfer est déchaîné, mon château, ma famille,
Mon bien, tout est pillé, tout est à l’abandon,
Le Duc de Foix a fait investir ma maison.

CONSTANCE

Le Duc de Foix ? Qu’entends-je ?
ciel, ta tyrannie veut encore par ses mains persécuter ma vie !

MORILLO

Bien ce n’est-là que la moindre partie
De ce qu’il nous faut ennuyer.
Un certain Du Guesclin, brigand de son métier ?
Turc de Religion ? et Breton d’origine,
Avec ses spadassins, devers Burgos chemine.
Ce traître Duc de Foix vient de s’associer
Avec toute cette racaille.
Contre eux, tout près d’ici, le Roi va guerroyer,
Et nous allons avoir bataille.

CONSTANCE

Ainsi donc à mon fort je n’ai pu résister ;
Son inévitable poursuite Dans le piège me précipite
Par les mêmes chemins choisis pour l’éviter.
Toujours le Duc de Foix ! sa funeste tendresse
Est pire que la haine, , il me poursuit sans celle.

MORILLO

C’est bien moi qu’il poursuit, si vous le trouvez bon :
Serait-ce donc pour vous que je fuis au pillage ?
On fera sauter ma maison.

Est-ce vous qui causez tout ce maudit ravage ?
Quelle personne étrange êtes-vous y s’il vous plaît
Pour que les Rois et les Princes
Prennent à vous tant d’intérêt,
Et qu’on coure après vous au fond de nos provinces ?

CONSTANCE

Je fuis infortunée, et c’est assez pour vous, Si vous avez un cœur.


Scène XI

Les officiers du Duc de Foix, et les personnages précédents
L’OFFICIER

Voyez à vos genoux, Madame, un envoyé du Duc de Foix mon maître
De sa part je mets en vos mains
Cette place, où lui-même il n’oserait paraître :
En son nom je viens reconnaître
Vos commandements souverains.
Mes soldats fous vos lois vont, avec allégresse,
Vous suivre, ou vous garder, ou sortir de ces lieux
Et quand le Duc de Foix combat pour vos beaux yeux
Nous répondons ici des jours de votre Altesse.


MORILLO

Son Altesse ! Eh bon Dieu, quoi Madame est Princesse ?

L’OFFICIER

Princesse de Navarre, et suprême maîtresse
De vos jours et des miens, et de votre maison.

CONSTANCE

Je suis hors de moi —même.

MORILLO

Ah, Madame, pardon
Je me jette à vos pieds.

LEONOR

Vous voilà reconnue.

MORILLO

De mes desseins coquets la singulière issue !

SANCHETTE

Quoi, vous êtes Princesse, et faite comme nous


L’OFFICIER

Nous attendons ici vos ordres à genoux.

CONSTANCE

Je rends grâce à vos soins, mais ils font inutiles ;
Je ne crains rien dans ces asiles ;
Alamir est ici ; contre mes oppresseurs
Je n’aurai pas besoin de nouveaux défenseurs.

L’OFFICIER

Alamir ! de ce nom je n’ai point connaissance ;
Mais je respecte en lui l’honneur de votre choix ;
S’il combat pour votre défense,
Nous ferons trop heureux de servir sous ses lois :
Je vous ramène aussi vos compagnes fidèles,
Vos premiers officiers, vos dames du palais[6]
Échappés aux tyrans, ils nous suivent de près.

LEONOR

Ah ! les agréables nouvelles !

CONSTANCE

Ciel ! qu’est-ce que je vois ?

LES TROIS GRACES

une troupe d’Amours et de plaisirs paraissent sur la scène.

LEONOR

Les Grâces, les Amours

LE DUC DE FOIX

Ainsi Caton de Foix veut vous servir toujours.
On danse.

SANCHETTE

au Duc de Foix. (Interrompant la danse. )

Ce font donc là ses domestiques ?
Que les Grands font heureux, et qu’ils font magnifiques
Quoi de toute Princesse est — ce là la maison ?
Ah ! que j’en fois, je vous conjure :
Quel cortège ! quel train !

LE DUC DE FOIX

Ce cortège est un don
Qui vient des mains de la nature ;
Toute femme y prétend.

SANCHETTE

Puis— je y prétendre aussi ?

LE DUC DE FOIX

Oui sans doute, avec vous les Grâces font ici ;
Les Grâces suivent la jeunesse
Et vous les partagez avec cette Princesse.

SANCHETTE

Il le faut avouer, on n’a point de parent
Plus agréable et plus galant.
Venez que je vous parle ; expliquez-moi de grace
Ce qu’est un Duc de Foix, et tout ce qui se pale :
Restez auprès de moi, contez — moi tout cela,
Et parlez-moi toujours, pendant qu’on dansera.

(Elle s’assied auprès du Duc de Foix. )

(On danse. )

LES TROIS GRACES

chantent.

La nature en vous formant,
Près de vous nous fit naître ;
Loin de vos yeux nous ne pouvions paraître :
Nous vous servons fidèlement :
Mais le charmant Amour est notre premier maître.

(On danse. )

UNE DES GRACES

Vents furieux, tristes tempêtes,
Fuyez de nos climats :
Beaux jours, levez-vous sur nos têtes,
Fleurs, naissez sur nos pas.

(On danse. )

Eco, voix errante,
Légère habitante, De ce séjour, Eco, fille de l’Amour,
Doux rossignol, bois épais, onde pure ;
Répétez avec moi ce que dit la nature, Il faut aimer à son tour.

(On danse. )

UN PLAISIR

(Paroles sur un menuet. ) (Premier couplet. )

Non, le plus grand empire
Ne peut remplir un cœur,
Charmant vainqueur,
Dieu séducteur,

C’est ton délire,
Qui fait le bonheur.

(On danse. )

UNE BERGERE

J’aime, et je crains ma flamme.
Je crains le repentir.
Tendre désir, Premier plaisir,
Dieu de mon âme,
Fais-moi moins gémir.

UN BERGER

Ah le refus, la feinte,
Ont des charmes puissants ;
Désirs naissants,
Combats charmants,
Tendre contrainte,
Tout sert les amants.

(On danse, )

UN AMOUR

alternativement avec LE CHŒUR

Divinité de cet heureux séjour,
Triomphe et fais grâce,
Pardonne à l’audace,
Pardonne à l’amour.

(On danse. )

le même amour.
Toi seule es cause
De ce qu’il ose.
Toi seule allumas ses feux.
Quel crime est plus pardonnable ?
C’est celui de tes beaux yeux,
Et les voyant tout mortel est coupable.

LE CHŒUR

Divinité de cet heureux séjour,
Triomphe et Fais grâce,
Pardonne à l’audace ;
Pardonne à l’amour.

CONSTANCE

On pardonne à l’amour, et non pas à l’audace.
Un téméraire amant, ennemi de ma race,
Ne pourra m’apaiser jamais.

LE DUC DE FOIX

Je connais son malheur, et sans doute il l’accable ;

Mais serez-vous toujours inexorable ?

CONSTANCE

Alamir, je vous le promets.

LE DUC DE FOIX

On ne fuit point sa destinée :
Les Devins ont prédit à votre âme étonnée,
Qu’un jour votre ennemi ferait votre vainqueur.

CONSTANCE

Les Devins se trompaient, fiez— vous à mon cœur.

LE CHŒUR

chante.

On diffère vainement ;
Le sort nous entraîne
L’amour nous amène
Au fatal moment.

(Trompettes et timbales. )

CONSTANCE

Mais d’où partent ces cris, ces sons, ce bruit de guerre ?

HERNAND

arrivant avec précipitation.

On marche, et les Français précipitent leurs pas,
Ils n’attendent personne.

LE DUC DE FOIX

Et je vole avec eux.
Ils ne m’attendront pas ;

CONSTANCE

Les jeux et les combats
Tour à tour aujourd’hui partagent-ils la terre ?
Où fuyez — vous, où portez — vous vos pas ?

LE DUC DE FOIX

Je sers sous les Français, et mon devoir m’appelle ;
Ils combattent pour vous ; jugez s’il m’est permis
De rester un moment loin d’un peuple fidèle,
Qui vient vous délivrer de tous vos ennemis.

Il sort.

CONSTANCE

à Léonor.

Ah Léonor ! cachons un trouble si funeste.
La liberté des pleurs est tout ce qui me reste.

(Elles sortent. )

SANCHETTE

Sans ce brave Alamir que devenir hélas !

MORILLO

Que d’aventures, quel fracas !
Quels démons en un jour assemblent des Alcades,

Des Alamir, des sérénades,
Des Princesses et des combats !

SANCHETTE

Vous allez donc aussi servir cette Princesse ?
Vous suivrez Alamir, vous combattrez.

MORILLO

Qui, moi ?
Quelque sot ! Dieu m’en garde.

SANCHETTE

Et pourquoi non ?

MORILLO

Pourquoi ?
C’est que j’ai beaucoup de sagesse.
Deux Rois s’en vont combattre à cinq cent pas d’ici,
Ce sont des affaires fort belles,
Mais ils pourront sans moi terminer leurs querelles,
Et je ne prends point de parti.

Fin du second acte

ACTE III


Scène I

Constance, Léonor, Hernand
LEONOR

Quel est notre destin ?

HERNAND

Délivrance et victoire.

CONSTANCE

Quoi, Don Pedre est défait ?

HERNAND

Oui, rien ne peut tenir
Contre un peuple ne pour la gloire
Pour vaincre, et pour vous obéir.
On poursuit les fuyards.

CONSTANCE

Et le brave Alamir ?

HERNAND

Madame, on doit à sa personne
La moitié du succès que ce grand jour nous donne :
Invincible aux combats, comme avec vous soumis
Il vole à la mêlée aussi — bien qu’aux aubades ;
Il a traité nos ennemis,
Comme il a traité les Alcades.
Il est en ce moment avec le Duc de Foix,
Dont nos soldats charmés célèbrent les exploits
Mais il pense à vous seule, et pénétré de joie,
À vos pieds Alamir m’envoie,
Et je sens, comme lui, les transports les plus doux,
Qu’il ait deux fois vaincu pour vous.

CONSTANCE

Je veux absolument savoir de votre bouche


HERNAND

Eh quoi, Madame ?

CONSTANCE

Un secret qui me touche ;
Je veux savoir quel est ce généreux guerrier.

HERNAND

Puis-je parler, Madame, avec quelque assurance ?

CONSTANCE

Ah, parlez ; est-ce à lui de cacher sa naissance ?
Qu’est — il ? Répondez-moi.

HERNAND

C’est un brave officier
Dont l’âme est assez peu commune,
Elle est au — dessus de son rang ; ?
Comme tant de Français, il prodigue son sang,
Il se ruine enfin pour faire sa fortune.

LEONOR

Il la fera sans doute.

CONSTANCE

Eh, quel est son projet ?

HERNAND

D’être toujours votre sujet ;
D’aller à votre cour, d’y servir avec zèle ;
De combattre pour vous, de vivre et de mourir,
De vous voir, de vous obéir,
Toujours généreux et fidèle ;
Appartenir à vous est tout ce qu’il prétend.

CONSTANCE

Ah, le ciel lui devait un fort plus éclatant !
Rien qu’un simple officier ! mais dans cette occurrence
Quel parti prend le Duc de Foix ?

HERNAND

Votre parti, le parti de la France,
Le parti du meilleur des Rois.

CONSTANCE

Que n’osera —t— il point ? que va-t-il entreprendre ?
Où va-t-il ?

HERNAND

À Burgos il doit bientôt se rendre.
Je cours vers Alamir ; ne lui pourrai— je apprendre
Si mon message est bien reçu ?


CONSTANCE

Allez, et dites-lui que le cœur de Constance
S’intéresse à tant de vertu,
Plus encor qu’à ma délivrance.


Scène II

Constance, Léonor
CONSTANCE

Rien qu’un simple officier ?

LEONOR

Tout le monde le dit.

CONSTANCE

Mon cœur ne peut le croire, et mon front en rougit.

LEONOR

J’ignore de quel sang le destin l’a fait naître,
Mais on est ce qu’on veut avec un si grand cœur.
C’est à lui de choisir le nom dont il veut être,.
Il lui fera beaucoup d’honneur.

CONSTANCE

Que de vertu ! que de grandeur !
Combien sa modestie illustre sa valeur !

LEONOR

C’est peu d’être modeste, il faut avoir encore
De quoi pouvoir ne l’être pas.
Mais ce héros a tout, courage, esprit, appas,
S’il a quelques défauts, pour moi je les ignore,
Et vos yeux ne les verraient pas.
J’ai vu quelques héros assez insupportables ;
Et l’homme le plus vertueux,
Peut être le plus ennuyeux ;
Mais comment résister à des vertus aimables ?

CONSTANCE

Alamir fera mon malheur.
Je lui dois trop d’estime et de reconnaissance.

LEONOR

Déjà dans votre cœur il a sa récompense ;
J’en crois assez votre rougeur ;
C’est de nos sentiments le premier témoignage.


CONSTANCE

C’est l’interprète de l’honneur.
Cet honneur attaqué dans le fond de mon cœur,
S’en indigne sur mon visage.
Ô ciel ! que devenir, s’il était mon vainqueur !
Je le crains, je me crains moi-même,
Je tremble de l’aimer, et je ne fais s’il m’aime.

LEONOR

Il voit que votre orgueil ferait trop offensé
Par ce mot dangereux, si charmant et si tendre
Il ne vous l’a pas prononcé,
Mais qu’il fait bien le faire entendre !

CONSTANCE

Ah ! son respect encor est un charme de plus.
Alamir ! Alamir a toutes les vertus.

LEONOR

Que lui manque-t-il donc ?

CONSTANCE

Le hasard, la naissance.
Quelle injustice ! ô ciel !.., mais sa magnificence,
Ces fêtes, cet éclat, ses étonnants exploits,
Ce grand air, ses discours, son ton même, sa voix.

LEONOR

Ajoutez-y l’amour, qui parle en sa défense.
Sans doute il est du sang des Rois..

CONSTANCE

Tout me le dit, et je le crois.
Son amour délicat voulait que je rendisse
À tant de grandeur d’âme, à ce rare service
Ce qu’ailleurs on immole à son ambition.
Ah ! si pour m’éprouver, il m’a caché son nom,
S’il n’a jamais d’autre artifice,
S’il est Prince, s il m’aime !. ciel ! que me veut-on  ?


Scène III

Constance, Léonor, Sanchette
SANCHETTE

Madame, à vos genoux, souffrez que je me jette.
Madame, protégez Sanchette ;

Je vous ai mal connue, et pourtant malgré moi,
Je sentais :, sans savoir bien pourquoi.
Vous voilà, je crois, Reine ; il faut à tout le monde
Faire du bien à tout moment,
À commencer par moi.

CONSTANCE

Si le sort me seconde,
C’est mon projet, du moins.

LEONOR

Eh bien, ma belle enfant,
Madame a des bontés ; quel bien faut — il vous faire ?

SANCHETTE

On dit le Duc de Foix vainqueur ;
Mais je prends peu de part au destin de la guerre ;
Tout cela m’épouvante, et ne m’importe guère ;
J’aime, et c’est tout pour moi.

CONSTANCE

Votre aimable candeur
M’intéresse pour vous ; parlez, soyez sincère.

SANCHETTE

Ah, je suis de très— bonne foi.
J’aime Alamir, Madame, et j’avais sû lui plaire ;
Il devait parler à mon père ;
Il est de mes parents ; il vint ici pour moi.


CONSTANCE

se tournant vers Léonor.

Son parent, Léonor !

SANCHETTE

En écoutant ma plainte,
D’un profond déplaisir votre âme semble atteinte !

CONSTANCE

Il l’aimait !

SANCHETTE

Votre cœur paraît bien agité !

CONSTANCE

Je vous ai donc perdue, illusion flatteuse !

SANCHETTE

Peut — on se voir Princesse, et n’être pas heureuse ?

CONSTANCE

Hélas ! votre simplicité
Croit que dans la grandeur est la félicité ;
Vous vous trompez beaucoup ; ce jour doit vous apprendre
Que dans tous les états, il est des malheureux.

Vous ne connaissez pas mes destins rigoureux.
Au bonheur, croyez — moi, c’est à vous de prétendre.
Mon cœur, de ce grand jour, est encor effrayé ;
Le ciel me conduisit de disgrâce en disgrâce,
Mon sort peut — il être envié ?

SANCHETTE

Votre Altesse me fait pitié ; Mais je voudrais être à sa place
Il ne tiendrait qu’à vous de finir mon tourment.
Alamir est tout fait pour être mon amant.
Je bénis, bien le ciel que vous soyez Princesse
Il faut un Prince à votre altesse
Un simple gentilhomme est peu pour vos appas.
Seriez — vous assez rigoureuse,
Pour m’ôter mon amant, en ne le prenant pas ?
Vous qui semblez si généreuse !

CONSTANCE

ayant un peu rêvé.

Allez, ne craignez rien,. quoi ! le sang vous unit ?

SANCHETTE

Oui, Madame.

CONSTANCE

Il vous aime !

SANCHETTE

Oui, d’abord il l’a dit,
Et d’abord je l’ai cru ; souffrez que je le croie :
Madame, tout mon cœur avec vous se déploie.
Chez messieurs mes parents je me mourais d’ennui ;
Il faut qu’en l’épousant, pour comble de ma joie,
J’aille dans votre Cour vous servir avec lui.

CONSTANCE

Vous ! avec Alamir ?

SANCHETTE

Vous connaissez son zèle,
Madame, qu’avec lui, votre Cour fera belle !
Quel plaisir de vous y servir !
Ah ! quel charme de voir, et sa Reine, et son Prince !
Un chagrin à la Cour donne plus de plaisir
Que mille fêtes en province.
Mariez — nous, Madame, et faites — nous partir.

CONSTANCE

Étouffe tes soupirs, malheureuse Constance ;
Soyons en tous les temps digne de ma naissance.

Oui, vous l’épouserez.
Comptez sur mon appui.
Au vaillant Alamir, je dois ma délivrance ;
Il a tout fait pour moi.
Je vous unis à lui ;
Et vous ferez sa récompense.

SANCHETTE

Parlez donc à mon père.

CONSTANCE

Oui.

SANCHETTE

Parlez aujourd’hui,
Tout à l’heure.

CONSTANCE

Oui. quel trouble et quel effort extrême !

SANCHETTE

Quel excès de bonté ! je tombe à vos genoux,
Madame, et je ne fais qui j’aime,
Le plus sincèrement d’Alamir ou de vous.

(Elle fait quelques pas pour s’en aller.)

CONSTANCE

De mon fort ennemi la rigueur est confiante.

SANCHETTE

revenant.

C’est à condition que vous m’emmènerez.

CONSTANCE

C’en est trop.

SANCHETTE

De nous deux vous ferez si contente.

(à Léonor. )

Avertissez-moi, vous, lorsque vous partirez.

(En s’en allant.)

Que je suis une heureuse fille !
Qu’on va me respecter ce soir dans ma famille !


Scène IV

Constance, Léonor
CONSTANCE

Quels maux différents tous mes jours font livrés !
Léonor, connais — tu ma peine et mon outrage ?

LEONOR

Je supportais, Madame, avec tranquillité,

Les persécutions, le couvent, le voyage ;
J’essuyais même avec gaieté
Ces infortunes de passage.
Vous me faites enfin connaître la douleur,
Tout le reste n’est rien près des peines du cœur ;
Le vrai malheur est son ouvrage.

CONSTANCE

Je suis accoutumée à dompter le malheur.

LEONOR

Ainsi par vos bontés, sa parente l’épouse.
Il méritait d’autres appas.

CONSTANCE

Si j’étais son égale, hélas !
Que mon âme ferait jalouse !
Oublions Alamir, ses vertus, ses attraits,
Ce qu’il est, ce qu’il devrait être.
Tout ce qui de mon cœur s’en : presque rendu maître.
Non je ne l’oublierai jamais.

LEONOR

Vous ne l’oublierez point ! vous le cédez !

CONSTANCE

Sans doute.

LEONOR

Hélas ! que cet effort vous coûte !
Mais ne ferait — il point un effort généreux
Non moins grand, beaucoup plus heureux ?
Celui d’être au — dessus de la grandeur suprême ?
Vous pouvez aujourd’hui disposer de vous-même.
Elever un héros, est-ce vous avilir ?
Est — ce donc par orgueil qu’on aime ?
N’a — t — on que des Rois à choisir ?
Alamir ne l’est pas, mais il est brave et tendre.

CONSTANCE

Non, le devoir l’emporte, et tel est son pouvoir.

LEONOR

Hélas, gardez-vous bien de prendre
La vanité pour le devoir.
Que résolvez— vous donc ?

CONSTANCE

Moi ! d’être au désespoir,
D’obéir en pleurant à ma gloire importune,
D’éloigner le héros dont je me sens charmer,

De goûter le bonheur de faire sa fortune,
Ne pouvant me livrer au bonheur de l’aimer.

(On entend derrière le théâtre un bruit de trompettes. )

LE CHŒUR

Triomphe Victoire,
L’équité marche devant nous ;
Le ciel y joint la Gloire,
L’ennemi tombe fous nos coups.
Triomphe Victoire.

LEONOR

Est-ce le Duc de Foix qui prétend par des fêtes,
Vous mettre encore, Madame, au rang de ses conquêtes ?

CONSTANCE

Ah ! je déteste le parti,
Dont la Victoire a secondé ses armes ;
Quel qu’il soit, Léonor, il est mon ennemi.
Puisse le Duc de Foix auteur de mes alarmes,
Puissent Don Pedre et lui l’un par, l’autre périr !
Mais, ô ciel ! conservez mon vengeur Alamir,
Dût — il ne point m’aimer, dût — il causer mes larmes.


Scène V

Le duc de foix, Constance, Léonor
LE DUC DE FOIX

Madame, les Français ont délivré ces lieux ;
Don Pedre est descendu dans la nuit éternelle.
Gaston de Foix victorieux,
Attend encor une gloire plus belle,
Et demande l’honneur de paraître à vos yeux.

CONSTANCE

Que dites — vous, et qu’osez — vous m’apprendre ?
Il paraîtrait en des lieux où je fuis !
Don Pedre est mort, et mes ennuis
Survivraient encor à sa cendre !

LE DUC DE FOIX

Gaston de Foix vainqueur en ces lieux va se rendre.
J’ai combattu fous lui ; j’ai vu dans ce grand jour,
Ce que peut le courage, et ce que peut l’amour.

Pour moi, seul malheureux, si pourtant je peux l’être,
Quand des jours plus sereins pour vous semblent renaître
Pénétré, plein de vous jusqu’au dernier soupir,
Je n’ai qu’à m’éloigner, ou plutôt qu’à vous fuir.

CONSTANCE

Vous partez !

LE DUC DE FOIX

Je le dois.

CONSTANCE

Arrêtez, Alamir.

LE DUC DE FOIX

Madame !

CONSTANCE

Demeurez, je fais trop quelle vue
Vous conduisit en ce séjour.

LE DUC DE FOIX

Quoi, mon âme vous est connue ?

CONSTANCE

Oui.

LE DUC DE FOIX

Vous sauriez ?

CONSTANCE

Je fais que d’un tendre retour
On peut payer vos vœux
Je fais que l’innocence,
Qui des dehors du monde a peu de connaissance,
Peut plaire et connaître l’amour.
Je fais qui vous aimiez, et même avant ce jour.
Elle est votre parente, et doublement heureuse.
Je ne m’étonne point qu’une âme vertueuse
Ait pu vous chérir à son tour.
Ne partez point, je vais en parler à sa mère.
La doter richement, est le moins que je dois ;
Devenant votre épouse elle me fera chère ;
Ce que vous aimerez aura des droits sur moi.
Dans vos enfants je chérirai leur père ;
Vos parents, vos amis, me tiendront lieu des miens ;
Je les comblerai tous de dignités, de biens.
C’est trop peu pour mon cœur et rien pour vos services.
Je ne ferai jamais d’assez grands sacrifices ;
Après ce que je dois à vos heureux secours,
Cherchant à m’acquitter je vous devrai toujours.

LE DUC DE FOIX

Je ne m’attendais pas à cette récompense.
Madame, ah ! croyez —moi, votre reconnaissance
Pourrait me tenir lieu de plus grands châtiments.
Non, vous n’ignorez pas mes secrets sentiments ;
Non, vous n’avez point cru qu’une autre ait pu me plaire.
Vous voulez, je le vois, punir un téméraire ;
Mais laissez-le à lui-même, il est assez puni.
Sur votre renommée, à vous feule asservi,
Je me crus fortuné pourvu que je vous visse ;
Je crus que mon bonheur était dans vos beaux yeux ;
Je vous vis dans Burgos, et ce fut mon supplice.
Oui, c’est un châtiment des Dieux,
D’avoir vu de trop près leur chef— d’œuvre adorable :
Le reste de la terre en est insupportable :
Le ciel est ; sans clarté, le monde est sans douceurs :
On vit dans l’amertume, on dévore ses larmes ;
Et l’on est malheureux auprès de tant de charmes,
Sans pouvoir être heureux ailleurs.

CONSTANCE

Quoi, je ferais la cause et l’objet de vos peines !
Quoi, Quoi, cette innocente beauté
Ne vous tenait pas dans ses chaînes !
Vous osez !

LE DUC DE FOIX

Cet aveu plein de timidité,
Cet aveu de l’amour le plus involontaire,
Le plus pur à la fois, et le plus emporté,
Le plus respectueux, le plus sûr de déplaire ;
Cet aveu malheureux peut-être a mérité
Plus de pitié que de colère.

CONSTANCE

Alamir, vous m’aimez !

LE DUC DE FOIX

Oui, dès longtemps ce cœur,
D’un feu toujours caché brûlait avec fureur ;
De ce cœur éperdu voyez toute l’ivresse ;
À peine encor connu par ma faible valeur,
Né simple cavalier, amant d’une Princesse,
Jaloux d’un Prince et d’un vainqueur,
Je vois le Duc de Foix amoureux, plein de gloire,
Qui, du grand Du Guesclin compagnon fortuné,

Aux yeux de l’Anglais consterné,
Va vous donner un Roi des mains de la Victoire.
Pour toute récompense, il demande à vous voir ;
Oubliant ses exploits, n’osant s’en prévaloir
Il attend son arrêt, il l’attend en silence.
Moins il espère, et plus il semble mériter ;
Est — ce à moi de rien disputer,
Contre son nom sa gloire, et surtout sa confiance ?

CONSTANCE

À quoi fuis— je réduite ! Alamir, écoutez :
Vos malheurs font moins grands que mes calamités ;
Jugez — en ; concevez mon désespoir extrême.
Sachez que mon devoir est de ne voir jamais
Ni le Duc de Foix, ni vous-même.
Je vous ai déjà dit à quel point je le hais,
Je vous dis encor plus ; son crime impardonnable
Excitait mon juste courroux ;
Ce crime jusqu’ici le fit seul haïssable,
Et je crains à présent de le haïr pour vous
Après un tel discours, il faut que je vous quitte.

LE DUC DE FOIX

Non, Madame, arrêtez ; il faut que je mérite
Cet oracle étonnant qui paire mon espoir.
Donner pour vous ma vie, est mon premier devoir
Je puis punir encore ce rival redoutable,
Même au milieu des siens je puis percer son flanc,
Et noyer tant de maux dans les flots de son sang ;
J’y cours.

CONSTANCE

Ah ! demeurez, quel projet effroyable !
Ah ! respectez vos jours à qui je dois les miens ;
Vos jours me font plus chers que je ne hais les siens.

LE DUC DE FOIX

Mais est-il en effet si sûr de votre haine ?

CONSTANCE

Hélas ! plus je vous vois, plus il m’est odieux.

LE DUC DE FOIX

se jetant à genoux, et présentant son épée.

Punissez donc son crime en terminant sa peine,
Et puisqu’il doit mourir, qu’il expire à vos yeux.
Il bénira vos coups ; frappez, que cette épée
Par vos divines mains soit dans son sang trempée ;
Dans ce sang malheureux, brûlant pour vos attraits.

CONSTANCE

l’arrêtant.

Ciel ! Alamir, que vois-je, et qu’avez-vous pu dire ?
Alamir, mon vengeur, vous par qui je respire.
Êtes-vous celui que je hais ?

LE DUC DE FOIX

Je fuis celui qui vous adore ;
Je n’ose prononcer encore Ce nom haï longtemps, et toujours dangereux ;
Mais parlez, de ce nom faut-il que je jouisse ?
Faudra-t-il qu’avec moi ma mort l’ensevelisse,
Ou que de tous les noms il soit le plus heureux ?
J’attends de mon destin l’arrêt irrévocable ;
Faut-il vivre, faut-il mourir ?

CONSTANCE

Ne vous connaissant pas je croyais vous haïr ;
Votre offense à mes yeux semblait inexcusable.
Mon cœur à son courroux s’était abandonné ;
Mais je sens que ce cœur vous aurait pardonné,
S’il avait connu le coupable.

LE DUC DE FOIX

Quoi ! ce jour a donc fait ma gloire et mon bonheur !

CONSTANCE

De Don Pedre et de moi vous êtes le vainqueur.


Scène VI

Morillo, Sanchette, Hernand, et les personnages de la scène précédente
MORILLO

Allons, une Princesse est bonne à quelque chose
Puisqu’elle veut te marier,
Et que ton bon cœur s’y dispose,
Je vais au plus vite, et pour cause,
Avec Alamir te lier, Et conclure à l’instant la chose.
Apercevant Alamir qui parle bas, c’est qui embrasse les genoux de la Princesse
Oh ! oh ! que fait donc là mon petit officier ?
Avec elle tout bas il cause,
D’un air tant soit peu familier.

SANCHETTE

À genoux il va la prier
De me donner à lui pour femme :
Elle ne répond point, ils sont d’accord.

CONSTANCE

au Duc de Foix, à qui elle parlait bas auparavant.

Mon âme Mes États, mon dessin, tout est au Duc de Foix
Je vous le dis encore, vos vertus, vos exploits
Me sont moins chers que votre flamme.

SANCHETTE

Le Duc de Foix ? Mon père, avez — vous entendu ?

MORILLO

Lui, Duc de Foix te moques — tu ?
Il est notre parent.

SANCHETTE

S’il allait ne plus l’être ?

HERNAND

Il vous faut avouer que ce héros mon maître,
Qui fut votre parent pendant une heure ou deux,
Est un Prince puissant, galant, victorieux ;
Et qu’il s’est fait enfin connaître.

LE DUC DE FOIX

en se retournant vers Hernand

Ah ! dites seulement qu’il est un Prince heureux,
Dites que pour jamais, il consacre ses vœux
À cet objet charmant notre unique espérance,
La gloire de l’Espagne, et l’amour de la France.

SANCHETTE

Adieu mon mariage !
Hélas trop bonnement,
Moi j’ai crû qu’on m’aimait.

MORILLO

Quelle étrange journée !

SANCHETTE

À qui ferai — je donc ?

CONSTANCE

À ma cour amenée,
Je vous promets un établissement ;
J’aurai soin de votre hyménée.

LEONOR

Ce sera, s’il vous plaît, avec un autre amant.

SANCHETTE

à la Princesse.

Si je vis à vos pieds, je fuis trop fortunée.

MORILLO

Le Duc de Foix, comme je vois,
Me faisait donc l’honneur de se moquer de moi.

LE DUC DE FOIX

Il faudra bien qu’on me pardonne.
La Victoire et l’Amour ont comblé tous nos vœux ;
Qu’au plaisir désormais ici tout s’abandonne :
Confiance daigne aimer, l’univers est heureux.

Fin du troisième acte
  1. Les amis de Voltaire critiquèrent ce rôle parce qu’ils le trouvaient trop gai, trop comique, trop bas. Nous notons cela pour faire remarquer combien le rire était hors de mode au théâtre en 1745. (G. A.)
  2. « Y a—t—il rien, écrit Voltaire au duc de Richelieu, de plus contrasté et de plus magnif‍ique, j’ose dire de plus neuf ? Où trouvera-t-on une femme persécutée, arrêtée par des fêtes à toutes les portes par où elle veut sortir? »
  3. Le mot espagnol almirante signifie amiral (B.)
  4. Ce vers se lit ainsi dans la première édition ; mais dans le Mercure de
    France, février, tome II, où l’on rapporte des fragments de la Princesse de Navarre, on lit:

    Ce que je suis dément ce que je parais être. |

    Voyez page 272, dans l'Avertissement, ce qu'il est dit de quelques vers d'une première version que donnent quelques lettres de Voltaire.
  5. C’est ainsi qu’on lit dans toutes les éditions donnée du vivant de l’auteur. (B.)
  6. Il paraît qu’il y avait d’abord : « Vos suivantes et. vos dames du palais. » Le duc de Luynes relève cette incongruité dans ses Mémoires. Voltaire s’empressa de refaire le vers comme il est dans le texte.