La Pucelle d’Orléans/8

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<La Pucelle d’Orléans

La Pucelle d’Orléans
Œuvres complètes de VoltaireGarniertome 9 (p. 138-149).

CHANT VIII


Argument.- Comment le charmant La Trimouille rencontra un Anglais à Notre-Dame de Lorette, et ce qui s’ensuivit avec sa Dorothée.


Que cette histoire est sage, intéressante !
Comme elle forme et l’esprit et le cœur[1] !
Comme on y voit la vertu triomphante,
Des chevaliers le courage et l’honneur,
Les droits des rois, des belles la pudeur !
C’est un jardin dont tout le tour m’enchante
Par sa culture et sa variété.
J’y vois surtout l’aimable chasteté,
Des belles fleurs la fleur la plus brillante,
Comme un lis blanc que le ciel a planté,
Levant sans tache une tête éclatante.
Filles, garçons, lisez assidûment
De la vertu ce divin rudiment :
Il fut écrit par notre abbé Trithème,[2]

Savant Picard, de son siècle ornement ;
Il prit Agnès et Jeanne pour son thème.
Que je l’admire, et que je me sais gré
D’avoir toujours hautement préféré
Cette lecture honnête et profitable
A ce fatras d’insipides romans
Que je vois naître et mourir tous les ans,
De cerveaux creux avortons languissants !
De Jeanne d’Arc l’histoire véritable
Triomphera de l’envie et du temps.
Le vrai me plaît, le vrai seul est durable[3].



De Jeanne d’Arc cependant, cher lecteur,
En ce moment je ne puis rendre compte ;
Car Dorothée, et Dunois son vengeur,
Et La Trimouille, objet de son ardeur,
Ont de grands droits ; et j’avouerai sans honte
Qu’avec raison vous vouliez être instruit
Des beaux effets que leur amour produit.



Près d’Orléans vous avez souvenance
Que La Trimouille, ornement du Poitou,
Pour son bon roi signalant sa vaillance,
Dans un fossé fut plongé jusqu’au cou[4].
Ses écuyers tirèrent avec peine,
Du sale fond de la fangeuse arène,
Notre héros, en cent endroits froissé,
Un bras démis, le coude fracassé.
Vers les remparts de la ville assiégée
On reportait sa figure affligée ;
Mais de Talbot les efforts vigilants
Avaient fermé les chemins d’Orléans.
On transporta, de crainte de surprise,
Mon paladin par de secrets détours,
Sur un brancard, en la cité de Tours,

Cité fidèle, au roi Charles soumise.
Un charlatan, arrivé de Venise,
Adroitement remit son radius[5],
Dont le pivot rejoignit l’_humérus_.
Son écuyer lui fit bientôt connaître
Qu’il ne pouvait retourner vers son maître,
Que les chemins étaient fermés pour lui.
Le chevalier, fidèle à sa tendresse,
Se résolut, dans son cuisant ennui,
D’aller au moins rejoindre sa maîtresse.



Il courut donc, à travers cent hasards,
Au beau pays conquis par les Lombards.
En arrivant aux portes de la ville,
Le Poitevin est entouré, heurté.
Pressé des flots d’une foule imbécile,
Qui d’un pas lourd, et d’un œil hébété,
Court à Milan des campagnes voisines ;
Bourgeois, manants, moines, bénédictines,
Mères, enfants ; c’est un bruit, un concours,
Un chamaillis ; chacun se précipite ;
On tombe, on crie : " Arrivons, entrons vite :
Nous n’aurons pas tels plaisirs tous les jours. "



Le paladin sut bientôt quelle fête
Allait chômer ce bon peuple lombard,
Et quel spectacle à ses yeux on apprête.
" Ma Dorothée ! ô ciel ! " Il dit, et part ;
Et son coursier, s’élançant sur la tête
Des curieux, le porte en quatre bonds
Dans les faubourgs, dans la ville, à la place
Où du bâtard la généreuse audace
A dissipé tous ces monstres félons ;
Où Dorothée, interdite, éperdue,
Osait à peine encor lever la vue.
L’abbé Trithème, avec tout son talent,
N’eût pu jamais nous faire la peinture
De la surprise et du saisissement,
Et des transports dont cette âme si pure
Fut pénétrée en voyant son amant.
Quel coloris, quel pinceau pourrait rendre

Ce doux mélange et si vif et si tendre,
L’impression d’un reste de douleur,
La douce joie où se livrait son cœur,
Son embarras, sa pudeur, et sa honte,
Que par degrés la tendresse surmonte ?
Son La Trimouille, ardent, ivre d’amour,
Entre ses bras la tient longtemps serrée,
Faible, attendrie, encor tout éplorée ;
Il embrassait, il baisait tour à tour
Le grand Dunois, et sa maîtresse, et l’âne.



Tout le beau sexe, aux fenêtres penché,
Battait des mains, de tendresse touché ;
On voyait fuir tous les gens à soutane
Sur les débris du bûcher renversé,
Qui dans le sang nage au loin dispersé,
Sur ces débris le bâtard intrépide
De Dorothée affermissant les pas,
A l’air, le port, et le maintien d’Alcide,
Qui, sous ses pieds enchaînant le trépas,
Le triple chien, et la triple Euménide,
Remit Alceste à son dolent époux,
Quoique en secret il fût un peu jaloux.



Avec honneur la belle Dorothée
Fut en litière à son logis portée,
Des deux héros noblement escortée.
Le lendemain, le bâtard généreux
Vint près du lit du beau couple amoureux.
" Je sens, dit-il, que je suis inutile
Aux doux plaisirs que vous goûtez tous deux
Il me convient de sortir de la ville ;
Jeanne et mon roi me rappellent près d’eux ;
Il faut les joindre, et je sens trop que Jeanne
Doit regretter la perte de son âne.
Le grand Denys, le patron de nos lois,
M’a cette nuit présenté sa figure :
J’ai vu Denys tout comme je vous vois.
Il me prêta sa divine monture,
Pour secourir les dames et les rois :
Denys m’enjoint de revoir ma patrie.
Grâces au ciel, Dorothée est servie ;
Je dois servir Charles sept à son tour.
Goûtez les fruits de votre tendre amour.

A mon bon roi je vais donner ma vie ;
Le temps me presse, et mon âne m’attend.



— Sur mon cheval je vous suis à l’instant,
Lui répliqua l’aimable La Trimouille.
La belle dit : " C’est aussi mon projet ;
Un désir vif dès longtemps me chatouille
De contempler la cour de Charles sept,
Sa cour si belle, en héros si féconde,
Sa tendre Agnès, qui gouverne son cœur,
Sa fière Jeanne, en qui valeur abonde.
Mon cher amant, mon cher libérateur,
Me conduiraient jusques au bout du monde.
Mais sur le point d’être cuite en ce lieu,
En récitant ma prière secrète,
Je fis tout bas à la Vierge un beau vœu
De visiter sa maison de Lorette,
S’il lui plaisait de me tirer du feu.
Tout aussitôt la mère du bon Dieu
Vous députa sur votre âne céleste ;
Vous me sauvez de ce bûcher funeste,
Je vis par vous : mon vœu doit se tenir,
Sans quoi la Vierge a droit de me punir.



— Votre discours est très-juste et très-sage,
Dit La Trimouille ; et ce pèlerinage
Est à mes yeux un devoir bien sacré ;
Vous permettrez que je sois du voyage.
J’aime Lorette, et je vous conduirai.
Allez, Dunois, par la plaine étoilée,
Fendez les airs, volez aux champs de Blois ;
Nous vous joindrons avant qu’il soit un mois.
Et vous, madame, à Lorette appelée,
Venez remplir votre vœu si pieux ;
Moi j’en fais un digne de vos beaux yeux :
C’est de prouver à toute heure, en tous lieux,
A tout venant, par l’épée et la lance,
Que vous devez avoir la préférence
Sur toute fille ou femme de renom ;
Que nulle n’est et si sage et si belle. "
Elle rougit. Cependant le grison
Frappe du pied, s’élève sur son aile,
Plane dans l’air, et, laissant l’horizon,
Porte Dunois vers les sources du Rhône.

Le Poitevin prend le chemin d’Ancône[6]
Avec sa dame, un bourdon dans la main,
Portant tous deux chapeau de pèlerin,
Bien relevé de coquilles bénies.
A leur ceinture un rosaire pendait
De beaux grains d’or et de perles unies.
Le paladin souvent le récitait,
Disait _Ave_ : la belle répondait
Par des soupirs et par des litanies ;
Et _je tous aime_ était le doux refrain
Des _oremus_ qu’ils chantaient en chemin.
Ils vont à Parme, à Plaisance, à Modène,
Dans Urbino, dans la tour de Césène,
Toujours logés dans de très-beaux châteaux
De princes, ducs, comtes, et cardinaux.
Le paladin eut partout l’avantage
De soutenir que dans le monde entier
Il n’est beauté plus aimable et plus sage
Que Dorothée ; et nul n’osa nier
Ce qu’avançait un si grand personnage :
Tant les seigneurs de tout ce beau canton
Avaient d’égards et de discrétion.



Enfin portés sur les boids du Musône,
Près Ricanate en la Marche d’Ancône,
Les pèlerins virent briller de loin
Cette maison de la sainte Madone,
Ces murs divins de qui le ciel prend soin ;
Murs convoités des avides corsaires,
Et qu’autrefois des anges tutélaires
Firent voler dans les plaines des airs,
Comme un vaisseau qui fend le sein des mers.
A Loretto les anges s’arrêtèrent [7];

Les murs sacrés d’eux-mêmes se fondèrent ;
Et ce que l’art a de plus précieux,
De plus brillant, de plus industrieux,
Fut employé depuis par les saints pères,
Maîtres du monde, et du ciel grands vicaires,
A l’ornement de ces augustes lieux.
Les deux amants de cheval descendirent,
D’un cœur contrit à deux genoux se mirent ;
Puis chacun d’eux, pour accomplir son vœu,
Offrit des dons pleins de magnificence,
Tous acceptés avec reconnaissance
Par la Madone et les moines du lieu.



Au cabaret les deux amants dînèrent ;
Et ce fut là qu’à table ils rencontrèrent
Un brave Anglais, fier, dur, et sans souci,
Qui venait voir la sainte Vierge aussi
Par passe-temps, se moquant dans son âme
Et de Lorette, et de sa Notre-Dame :
Parfait Anglais, voyageant sans dessein,
Achetant cher de modernes antiques,
Regardant tout avec un air hautain,
Et méprisant les saints et leurs reliques.
De tout Français c’est l’ennemi mortel,
Et son nom est Christophe d’Arondel.
Il parcourait tristement l’Italie ;
Et se sentant fort sujet à l’ennui,
Il amenait sa maîtresse avec lui,
Plus dédaigneuse encor, plus impolie,
Parlant fort peu, mais belle, faite au tour,
Douce la nuit, insolente le jour,
A table, au lit, par caprice emportée,
Et le contraire en tout de Dorothée.
Le beau baron, du Poitou l’ornement,
Lui fit d’abord un petit compliment,
Sans recevoir aucune repartie ;
Puis il parla de la vierge Marie ;

Puis il conta comme il avait promis,
Chez les Lombards, à monsieur saint Denys,
De soutenir en tout lieu la sagesse
Et la beauté de sa chère maîtresse.
" Je crois, dit-il au dédaigneux Breton,
Que votre dame est noble et d’un grand nom,
Qu’elle est surtout aussi sage que belle ;
Je crois encor, quoiqu’elle n’ait rien dit,
Que dans le fond elle a beaucoup d’esprit :
Mais Dorothée est fort au-dessus d’elle,
Vous l’avouerez ; on peut, sans l’abaisser,
Au second rang dignement la placer. "



Le fier Anglais, à ce discours honnête,
Le regarda des pieds jusqu’à la tête.
" Pardieu, dit-il, il m’importe fort peu
Que vous ayez à Denys fait un vœu ;
Et peu me chaut que votre damoiselle
Soit sage ou folle, et soit ou laide ou belle
Chacun se doit contenter de son bien
Tout uniment, sans se vanter de rien.
Mais puisqu’ici vous avez l’impudence
D’oser prétendre à quelque préférence
Sur un Anglais, je vous enseignerai
Votre devoir, et je vous prouverai
Que tout Anglais, en affaires pareilles,
A tout Français donne sur les oreilles ;
Que ma maîtresse, en figure, en couleur,
En gorge, en bras, cuisses, taille, rondeur,
Même en sagesse, en sentiments d’honneur,
Vaut cent fois mieux que votre pèlerine ;
Et que mon roi (dont je fais peu de cas),
Quand il voudra, saura bien mettre à bas
Et votre maître, et sa grosse héroïne.
— Eh bien ! reprit le noble Poitevin,
Sortons de table, éprouvons-nous soudain ;
A vos dépens je soutiendrai peut-être
Mon tendre amour, mon pays, et mon maître.
Mais comme il faut être toujours courtois,
De deux combats je vous laisse le choix,
Soit à cheval, soit à pied ; l’un et l’autre
Me sont égaux : mon choix suivra le vôtre.
— A pied, mordieu ! dit le rude Breton ;

Je n’aime point qu’un cheval ait la gloire
De partager ma peine et ma victoire.
Point de cuirasse, et point de morion ;
C’est, à mon sens, une arme de poltron ;
Il fait trop chaud, j’aime à combattre à l’aise.
Je veux tout nu vous soutenir ma thèse :
Nos deux beautés jugeront mieux des coup.



— Très-volontiers, " dit d’un ton noble et doux
Le beau Français. Sa chère Dorothée
Frémit de crainte à ce défi cruel,
Quoique en secret son âme fût flattée
D’être l’objet d’un si noble duel.
Elle tremblait que Christophe Arondel
Ne transperçât de quelque coup mortel
La douce peau de son cher La Trimouille,
Que de ses pleurs tendrement elle mouille.
La dame anglaise animait son Anglais
D’un coup d’œil fier et sûr de ses attraits.
Elle n’avait jamais versé de larmes ;
Son cœur altier se plaisait aux alarmes ;
Et les combats des coqs de son pays
Avaient été ses passe-temps chéris.
Son nom était Judith de Rosamore,
Cher à Bristol, et que Cambridge honore[8].



Voilà déjà nos braves paladins
Dans un champ clos, près d’en venir aux mains :
Tous deux charmés, dans leurs nobles querelle
De soutenir leur patrie et leurs belles.
La tête haute, et le fer de droit fil,
Le bras tendu, le corps en son profil,
En tierce, en quarte, ils joignent leurs épées,
L’une par l’autre à tout moment frappées.
C’est un plaisir de les voir se baisser,
Se relever, reculer, avancer,
Parer, sauter, se ménager des feintes,
Et se porter les plus rudes atteintes.
Ainsi l’on voit dans une belle nuit,
Sous le lion ou sous la canicule,
Tout l’horizon qui s’enflamme et qui brûle

De mille feux dont notre œil s’éblouit :
Un éclair passe, un autre éclair le suit.



Le Poitevin adresse une apostrophe
Droit au menton du superbe Christophe ;
Puis en arrière il saute allègrement,
Toujours en garde ; et Christophe à l’instant
Engage en tierce, et, serrant la mesure,
Au ferrailleur inflige une blessure
Sur une cuisse ; et de sang empourpré
Ce bel ivoire est teint et bigarré.



Ils s’acharnaient à cette noble escrime,
Voulant mourir pour jouir de l’estime
De leur maîtresse, et pour bien décider
Quelle beauté doit à l’autre céder ;
Lorsqu’un bandit des États du saint-père
Avec sa troupe entra dans ces cantons
Pour s’acquitter de ses dévotions.



Le scélérat se nommait Martinguerre,
Voleur de jour, voleur de nuit, corsaire,
Mais saintement à la Vierge attaché,
Et sans manquer récitant son rosaire,
Pour être pur et net de tout péché.
Il aperçut sur le pré les deux belles,
Et leurs chevaux, et leurs brillantes selles,
Et leurs mulets chargés d’or et d’_agnus._
Dès qu’il les vit, on ne les revit plus.
Il vous enlève et Judith Rosamore,
Et Dorothée, et le bagage encore,
Mulets, chevaux, et part comme un éclair.



Les champions tenaient toujours en l’air,
A poing fermé, leurs brandissantes lames,
Et ferraillaient pour l’honneur de ces dames.
Le Poitevin s’avise le premier
Que sa maîtresse est comme disparue.
Il voit de loin courir son écuyer ;
Il s’ébahit, et son arme pointue
Reste en sa main sans force et sans effet.
Sire Arondel demeure stupéfait.
Tous deux restaient la prunelle effarée,
Bouche béante, et la mine égarée,
L’un contre l’autre. " Oh ! oh ! dit le Breton,
Dieu me pardonne, on nous a pris nos belles ;

Nous nous donnons cent coups d’estramaçon
Très-sottement ; courons vite après elles,
Reprenons-les, et nous nous rebattrons
Pour leurs beaux yeux quand nous les trouverons. "
L’autre en convient, et, différant la fête,
En bons amis ils se mettent en quête
De leur maîtresse. A peine ils font cent pas,
Que l’un s’écrie : " Ah ! la cuisse ! ah ! le bras ! "
L’autre criait la poitrine et la tête ;
Et n’ayant plus ces esprits animaux
Qui vont au cœur et qui font les héros,
Ayant perdu cette ardeur enflammée
Avec leur sang au combat consumée,
Tous deux meurtris, faibles, et languissants,
Sur le gazon tombent en même temps
Et de leur sang ils rougissent la terre.
Leurs écuyers, qui suivaient Martinguerre,
Vont à sa piste, et gagnent le pays.
Les deux héros, sans valets, sans habits,
Et sans argent, étendus dans la plaine,
Manquant de tout, croyaient leur fin prochaine ;
Lorsqu’une vieille, en passant vers ces lieux,
Les voyant nus, s’approcha plus près d’eux,
Et eut pitié, les fit sur des civières
Porter chez elle, et par des restaurants
En moins de rien leur rendit tous leurs sens,
Leur coloris, et leurs forces premières.



La bonne vieille, en ce lieu respecté,
Est en odeur qu’on dit de sainteté.
Devers Ancône il n’est point de béate,
Point d’âme sainte en qui la grâce éclate
Par des bienfaits plus signalés, plus grands.
Elle prédit la pluie et le beau temps ;
Elle guérit les blessures légères
Avec de l’huile et de saintes prières ;
Elle a parfois converti des méchants.



Les paladins à la vieille contèrent
Leur aventure, et conseil demandèrent.
La décrépite alors se recueillit,
Pria Marie, ouvrit la bouche, et dit :
" Allez en paix, aimez tous deux vos belles,
Mais que ce soit à bonne intention ;

Et gardez-vous de vous tuer pour elles.
Les doux objets de votre affection
Sont maintenant à des épreuves rudes ;
Je plains leurs maux et vos sollicitudes.
Habillez-vous ; prenez des chevaux frais,
Ne manquez pas le chemin qu’il faut prendre ;
Le ciel par moi daigne ici vous apprendre,
Pour les trouver, qu’il faut courir après. "



Le Poitevin admira l’énergie
De ce discours ; et le Breton pensif,
Lui dit : " Je crois à votre prophétie,
Nous poursuivrons le voleur fugitif,
Quand nous aurons retrouvé des montures,
Et des pourpoints, et surtout des armures. "
La vieille dit : " On vous en fournira. "
Un circoncis par bonheur était là,
Enfant barbu d’Isâc et de Juda,
Dont la belle âme, à servir empressée,
Faisait fleurir la gent déprépucée.
Le digne Hébreu leur prêta galamment
Deux mille écus à quarante pour cent,
Selon les _us_ de la race bénite
En Canaan par Moïse conduite ;
Et le profit que le Juif s’arrogea
Entre la sainte et lui se partagea.

  1. Cette expression, dont Voltaire a si souvent fait ressortir le ridicule, était tellement en vogue vers le milieu du xviii siècle, que Rollin lui-même, cédant au mauvais goût, publia son excellent Traité des études sous ce titre prétentieux : Traité sur la manière d'enseigner et d'étudier les belles-lettres par rapport à l'esprit et au cœur, etc. On a lieu de croire que c'est sur lui particulièrement que porte la critique de Voltaire, bien qu'il n'ait été désigné nominativement que dans ce passage du Taureau blanc, chapitre ix : « Contez-moi quelque fable bien vraie, bien avérée, et bien morale, dont je n'aie jamais entendu parler, pour achever de me former l'esprit et le cœur, comme dit le professeur égyptien Linro. » Il serait trop long et sans doute inutile d'énumérer ici tous les autres endroits des écrits de Voltaire où cette locution est tournée en ridicule. (R.)
  2. L'abbé Trithême n'était point de Picardie; il était du diocèse de Trêves : il mourut en 1516. Nous n'oserions assurer que sa famille ne fût pas d'origine picarde; nous nous en rapportons au savant auteur qui, sans doute, a vu le manuscrit de la Pucelle dans quelque abbaye de bénédictins. (Note de Voltaire, 1762). — Ce que Voltaire dit ici par forme de plaisanterie, il aurait pu le dire sérieusement. M. Louis du Bois a vu un manuscrit de la Pucelle en quinze chants, in-4o de 257 pages, en tête duquel on lit : « Ex bibliotheca conventus et nosocomi regalis sancti Joannis-Baptistæ Religiosorum Parisiensium a Charitate nuncnpatorum, ordinis sancti Joannis de Deo, sub régula sancti Augustini, 1759. » (R.)
  3. Ce vers, par sa tournure et par l'idée qu'il exprime, rappelle celui-ci de Boileau (épitre IV, vers 43) :
    Rien n'est beau que le vrai, le vrai seul est aimable.
  4. Voyez chant IV.
  5. Le radius et l’ulna sont les deux os qui partent du coude et se joignent au poignet ; l’humerus est l'os du bras qui se joint à l'épaule. (Note de Voltaire, 1773.)
  6. C'est dans la Marche d'Ancône qu'est la maison de la Vierge apportée de Nazareth par les anges; ils la mirent d"abord en dépôt en Dalmatie pendant trois ans et sept mois, et ensuite la posèrent près de Recanati. Sa statue est de quatre pieds de haut, son visage noir; elle porte la même tiare que le pape : on connaît ses miracles et ses trésors. (Note de Voltaire, 1774.)
  7. Ils ne s'arrêtèrent pas d'abord à Loretto ; c'est une inadvertance de notre auteur : « Non ego paucis offendar maculis. » (Id., 1762.) Cependant on peut dire, pour sa défense, que les anges s'arrêtèrent enfin à Lorette, eux et la maison, après avoir essayé de plusieurs autres pays qui ne plurent point à la sainte Vierge. Cette aventure se passa sous le pontificat de Boniface VIII, dont on dit qu'il usurpa sa place comme un renard, qu'il s'y comporta comme un loup, et qu'il mourut comme un chien. Les historiens qui ont parlé ainsi de Boniface n'avaient pas de pension de la cour de Rome. (Note de Voltaire, 1773). — Il y a dans la citation, quoique tronquée, assez peu de modestie, La voici au complet :
    Verum ubi plura nitent ia carmine, non ego paucis
    Offendar maculis. Hor., de Arte poct., 351. (R.)
  8. Bristol et Cambridge, deux villes célèbres, la première par son commerce, la seconde par son université, qui a eu de grands hommes. (Note de Voltaire, 1762.)