La Muse au cabaret/La Reine, ma blanchisseuse

La bibliothèque libre.
La Muse au cabaretLibrairie Charpentier et Fasquelle (p. 278-280).


LA REINE, MA BLANCHISSEUSE


À E. Gillet


Ah ! c’est toi, chameau ! lui dis-je.
Parbleu ! jeune callipyge,
Depuis tantôt dix-sept ans
Je t’espérais, pour te dire
Que c’est bien fini de rire
Avec mon linge. Il est temps.

« Tu peux le garder ton linge —
Fit-elle — espèce de singe !
Je m’en fous, et… faudrait voir
À me parler moins à l’aise,
Car je suis, ne t’en déplaise
La reine de mon lavoir. »


Ah ! fichtre ! bouffre ! une reine !
Eh bien donc, ma souveraine,
Je suis votre humble sujet.
Sa Majesté veuille croire
Que me moquer de sa poire
N’entre pas dans mon projet.

Mais dis-moi, ma pauvre fille,
Ornement de ta famille,
Pour être reine, tu n’en
Es pas moins ma blanchisseuse ?
Et c’est à la blanchisseuse
Que je parle maintenant :

Écoute ! de quoi me plains-je ?…
Eh bien, de ce que mon linge
Connaît le pire destin,
S’effrite sous tes doigts roses,
Et ne vit, comme les roses,
Que l’espace d’un matin.

Regarde-moi ces chemises ;
Je les ai quatre fois mises,
Elles ont tantôt vécu ;
Et, sans les croire éternelles,
Je te livre des flanelles,
Tu me rends des torche-culs !


Mes mouchoirs sont tout en miettes…
Que dire de mes chaussettes !
Or, je voudrais bien savoir
De quelle étrange lessive,
Furieuse et convulsive,
Tu te sers à ton lavoir ?

Mais, si je fais des grimaces,
C’est surtout pour mes « limaces. »
Je me demande comment,
— Soit dit — entre parenthèses, —
Il se fait que tu m’empèses
Chacune différemment ?

En voici, par exemple, une,
Molle comme un clair de lune,
Qui vous filtre entre les doigts ;
Cette autre est une cuirasse,
Du Moyen Âge… De grâce,
Répartis mieux ton empois.

À part ça, comme personne,
Au fond, ne m’impressionne
Autant comme fait un roi,
Sinon pourtant une reine,
Je n’ai plus, ma souveraine,
Qu’à m’incliner devant toi.