La Sœur du Soleil/Chapitre VI

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DENTU & Cie (p. 67-79).


VI


LA CONFRÉRIE DES AVEUGLES


Quelques heures plus tard, des courtisans étaient groupés sous la vérandah du palais de Hiéyas ; ils voulaient être les premiers à saluer le véritable maître et attendaient son réveil. Les uns, adossés aux colonnettes en bois de cèdre qui supportaient la toiture, les autres fièrement campés, une main sur la hanche, froissant les plis soyeux de leur tunique large, ils prêtaient l’oreille à l’un d’entre eux qui racontait une anecdote, sans doute fort intéressante, car elle était écoutée attentivement et les auditeurs laissaient parfois échapper un éclat de rire aussitôt étouffé par respect pour le sommeil de l’illustre dormeur.

Le narrateur était le prince de Toza, et le prince de Nagato le héros de l’aventure qu’il contait.

— Hier, disait-il, le soleil allait se coucher, lorsque j’entendis du bruit à la porte de mon palais ; je m’approchai d’une fenêtre et je vis mes serviteurs qui se disputaient avec une troupe d’aveugles. Ceux-ci voulaient entrer à toute force et parlaient tous à la fois en frappant les dalles de leurs bâtons ; les valets criaient pour les faire sortir et l’on ne s’entendait pas du tout. Je commençais à m’irriter de cette scène, lorsque je vis arriver le prince de Nagato ; aussitôt mes serviteurs s’inclinèrent devant lui, et, sur son ordre, firent entrer les aveugles dans le pavillon qui sert d’écurie aux chevaux des visiteurs. J’allai au-devant du prince, curieux d’avoir l’explication de toute cette comédie.

— Hâtons-nous, dit-il en entrant dans ma chambre et en jetant un paquet sur le tapis, ôtons nos habits et revêtons ces costumes.

— Pourquoi faire ? dis-je en regardant les costumes qui étaient peu de mon goût.

— Quoi ! dit-il, n’est-ce pas l’heure où nous quittons l’ennuyeuse pompe de notre rang pour redevenir des hommes joyeux et libres ?

— Oui, dis-te, mais pourquoi employer notre liberté à nous affubler de ces costumes peu gracieux ?

— Tu verras, j’ai un projet, dit le prince, qui se déshabillait déjà ; puis, s’approchant de mon oreille, il ajouta :

— Je me marie cette nuit. Tu verras quelle noce !

– Comment ! tu vas te marier ? et dans ce costume ? m’écriai-je en voyant le prince revêtu d’un habit misérable.

— Allons, dépêchons-nous, dit-il, ou bien nous ne trouverons plus la fiancée.

Le prince descendait déjà l’escalier ; je me hâtai d’endosser, l’habit semblable au sien et, piqué de curiosité, je le suivis.

— Mais, lui criai-je, et tous ces aveugles que tu as fait mettre dans l’écurie ?

— Nous allons les rejoindre.

— Dans l’écurie ? dis-je.

Je n’y comprenais rien du tout ; mais j’ai confiance dans l’imagination fantasque du prince, et je me résignai à attendre pour comprendre. Les aveugles étaient sortis dans la grande cour du palais, et je vis que nous étions vêtus comme eux. Ces pauvres gens avaient les figures les plus comiques du monde avec leurs paupières sans cils, leur nez écrasé, leurs grosses lèvres et leur expression bêtement joyeuse. Nagato me mit un bâton dans la main et cria :

— En route !

On ouvrit les portes. Les aveugles, se tenant les uns les autres par le pan de l’habit, se mirent en marche, en tapotant le sol de leurs bâtons. Nagato, courbant sa taille, fermant les yeux, se mit à leur suite. Je compris que j’en devais faire autant, et je m’y appliquai de mon mieux. Nous voici donc par les rues à la suite de cette bande d’aveugles. Je n’y pus tenir. Je fus pris d’un fou rire que tous mes compagnons partagèrent bientôt.

— Nagato a décidément perdu l’esprit ! s’écrièrent les auditeurs du prince de Toza en éclatant de rire.

— Il me semble que Toza n’était guère raisonnable non plus !

— Le prince de Nagato, lui, ne riait pas, continua le narrateur, il était fort en colère. J’essayais de m’informer auprès de l’aveugle le plus proche de moi des desseins du prince, il les ignorait ; j’appris seulement que la corporation, dont je faisais partie, appartenait à a cette confrérie d’aveugles dont le métier est d’aller chez les petites gens masser les personnes faibles et les malades. Je commençais à entrevoir confusément l’intention de Nagato. Il voulait s’introduire, sous ce déguisement grotesque, dans une demeure d’honnêtes marchands. L’idée que nous aurions peut-être quelqu’un à masser me plongea de nouveau dans un tel accès de gaieté que, malgré mes efforts pour garder mon sérieux, afin de complaire au prince, je fus contraint de m’arrêter et de m’asseoir sur une borne pour me tenir les côtes.

Nagato était furieux.

— Tu vas faire manquer mon mariage, disait-il.

Je me remis en route, clignant des yeux et imitant, autant que possible, la démarche de mes étranges confrères. Ils frappaient le sol de leurs bâtons, chantant, sur l’air connu, leur habilete dans l’art de masser, et, à ce bruit, des gens se penchaient hors des fenêtres et les appelaient. Nous arrivâmes ainsi devant une maison de peu d’apparence ; le bruit des bâtons redoubla d’activité. Une voix demanda deux masseurs.

— Viens, me dit Nagato ; c’est ici. Nous séparant de la bande, nous montâmes quelques marches et nous nous trouvâmes dans la maison. J’aperçus deux femmes, que Nagato salua gauchement, en leur tournant le dos. Je me hâtai de fermer les yeux et de saluer la muraille. Je rouvris un œil, cependant, poussé par la curiosité. Il y avait là une jeune fille et une vieille femme, sa mère sans doute.

— Occupez-vous de nous d’abord, dit-elle, vous masserez mon mari ensuite.

Elle s’accroupit aussitôt à terre et découvrit son dos. Je compris que la vieille me revenait et qu’il fallait décidément faire le métier de masseur. Nagato se confondait en salutations.

— Ah ! ah ! ah ! faisait-il comme font les inférieurs qui saluent un homme de haut rang.

Je commençais à frotter rudement la vieille femme qui poussait des gémissements lamentables. Je faisais tous mes efforts pour contenir le rire qui me montait de nouveau à la gorge et m’étranglait. La jeune fille avait découvert son épaule, modestement, comme si nous avions eu des yeux.

— C’est là, disait-elle ; je me suis donné un coup et le médecin a dit que quelques frictions me feraient du bien.

Nagato commença à masser ! a jeune fille avec un sérieux étonnant, mais tout à coup il sembla oublier son rôle d’aveugle.

— Quels beaux cheveux vous avez ! dit-il. Certes, pour adopter la coiffure des femmes nobles, vous n’auriez pas besoin d’user comme elles des artifices destinés à allonger la chevelure.

La jeune fille poussa un cri et se retourna ; elle vit les yeux très ouverts de Nagato qui la regardaient.

— Mère, s’écria-t-elle, ce sont de faux aveugles !

La mère tomba assise à terre et, la stupeur lui ôtant toutes ses facultés, elle ne fit aucun effort pour se relever, mais elle se mit à pousser des piaillements d’une acuité extraordinaire.

Le père accourut tout effrayé.

Moi, j’avais donné un libre cours à mon rire et je me roulais le long des murs de la chambre, n’en pouvant plus. À ma grande surprise, le prince de Nagato se jeta aux pieds de l’artisan.

Pardonne-nous, disait-il, ta fille et moi nous voulions nous marier ensemble, et comme je suis sans argent j’avais résolu, comme c’est l’usage, de l’enlever pour éviter les frais de noces. Selon la coutume, tu nous aurais pardonnés après t’être fait un peu prier.

— Moi, épouser cet homme ! disait la jeune fille, mais je ne le connais pas du tout.

— Tu crois que ma fille voudrait pour époux un bandit de ton espèce, s’écria le père. Allons ! hors d’ici au plus vite si tu ne veux pas faire connaissance avec mes poings !

Le bruit de cette voix courroucée commençait à attirer la foule devant la maison. Nagato poussa un sifflement prolongé.

— Partiras-tu ! s’écria l’homme du peuple, rouge de colère.

Et, au milieu des injures les plus grossières, il leva le poing sur Nagato.

— Ne frappe pas celui qui sera ton fils, dit le prince en lui relevant le bras.

— Toi, mon fils ? Tu verrais plutôt les neiges du Fousi-Yama se couvrir de fleurs.

— Je te jure que tu seras mon beau-père, dit le prince en saisissant l’homme à bras-le-corps.

Celui-ci a beau se débattre, Nagato l’emporte hors de la maison. Je m’approche alors de la balustrade et je vois la foule amassée devant la maison s’écarter devant les coureurs qui précèdent un cortège magnifique : musique, bannières, palanquins, le tout aux armes du prince. Les norimonos s’arrêtent devant la maison et Nagato fourre son beau-père dans l’un d’eux, qu’il ferme et cadenasse. Je comprends ce qu’il faut faire, j’empoigne la vieille et je la loge dans un autre palanquin, tandis que Nagato revient chercher la jeune fille. Deux norimonos nous reçoivent et le cortège se met en marche, tandis que la musique retentit joyeusement. Nous arrivons bientôt à une habitation charmante, située au milieu du plus joli jardin que j’ai jamais vu. Tout est illuminé, on entend des orchestres cachés dans les feuillages, des serviteurs affairés courent de ci de là.

Qu’est-ce donc que ce ravissant palais ? dis-je à Nagato.

— Oh rien, répond-il dédaigneusement, c’est une petite maison que j’ai achetée pour ma nouvelle femme.

— Il est fou, pensais-je et va se ruiner complètement, mais cela ne me regarde pas.

On nous conduit dans une chambre, où nous revêtons de splendides toilettes, puis nous descendons dans la salle du festin ; là sont réunis tous les jeunes amis de Nagato, Sataké, Foungo, Aki et bien d’autres. Ils nous accueillent par des acclamations extravagantes. Bientôt la fiancée, magnifiquement parée, entre suivie de son père et de sa mère qui trébuchent dans les plis de leurs vêtements de soie. Le père me paraît tout à fait calme, la mère est ahurie et la jeune fille tellement stupéfaite qu’elle tient sa jolie bouche toute grande ouverte. Nagato déclare qu’il la prend pour femme et le mariage se fait. Jamais je n’en vis d’aussi joyeux. Le festin était des plus délicats, tout le monde fut bientôt ivre, et moi comme les autres ; mais je me fis ramener au palais vers trois heures pour me reposer, car je voulais être ce matin au lever du régent.

— Cette histoire est la plus folle que je connaisse, dit le prince de Figo. Il n’y a vraiment que Nagato pour savoir conduire une plaisanterie.

— Et il s’est vraiment marié ? demanda un autre seigneur.

— Très certainement, dit le prince de Toza le mariage est valable, malgré le rang méprisable de la femme.

— Chaque jour le prince invente de nouvelles folies et donne de splendides fêtes, il est certain que son immense fortune finira par s’épuiser.

— S’il se ruine, cela fera plaisir au régent qui ne l’aime guère.

— Oui, mais cela chagrinera le siogoun qui l’aime beaucoup et qui ne le laissera pas manquer d’argent.

— Tenez ! s’écria le prince de Toza, voici Nagato qui rentre au palais.

Un cortège traversait les jardins, en effet. Sur les bannières, sur le norimono porté par vingt hommes, on pouvait voir les armes du prince : une ligne noire surmontant trois boules en pyramide. Le cortège passa assez près de la vérandah qui abritait les seigneurs, et par les portières du norimono ils aperçurent le jeune prince assoupi sur les coussins.

— Il ne viendra certes pas au lever du régent, dit un seigneur, il risquerait de s’endormir sur l’épaule d’Hiéyas.

— Nagato ne vient jamais saluer Hiéyas, il le déteste profondément, c’est son ennemi déclaré.

— Un pareil ennemi n’est guère à craindre, dit le prince de Toza. Au retour de ses folies nocturnes, il n’est capable que de dormir.

— Je ne sais si cela est l’avis du régent.

— S’il pensait autrement, supporterait-il de lui des injures propres à le faire condamner au hara-kiri[1]. Si le prince est encore vivant, c’est à la douceur d’Hiéyas qu’il le doit.

— Ou à la protection pleine de tendresse de Fidé-Yori.

— Sans doute Hiéyas n’est magnanime que par égard pour le maître, mais s’il n’avait que des ennemis de l’espèce de Nagato, il s’estimerait heureux.

Pendant que les courtisans s’entretenaient ainsi en attendant son réveil, Hiéyas, levé depuis longtemps, se promenait à grands pas dans sa chambre, inquiet, agité, portant sur son visage soucieux des traces d’insomnie.

Un homme était près du régent, adossé à une muraille ; il le regardait aller et venir ; cet homme était un ancien valet d’écurie nommé Faxibo. Les palefreniers jouissaient d’une assez grande considération depuis l’avènement au pouvoir de Taïko-Sama qui était à l’origine un palefrenier. Faxibo possédait mieux que personne la confiance du régent qui n’avait rien de caché pour lui et pensait tout haut en sa présence.

À chaque instant Hiéyas soulevait le store d’une fenêtre et regardait dehors.

— Rien, disait-il avec impatience, pas de nouvelles c’est incompréhensible.

— Patiente encore quelques instants, disait Faxibo, ceux que tu viens d’envoyer sur la route de Kioto ne peuvent être encore revenus.

— Mais les autres ! ils étaient quarante et nul ne revient s’il m’a échappé cette fois encore, c’est à devenir fou.

— Tu t’exagères peut-être l’importance de cet homme, dit Faxibo. C’est une intrigue amoureuse qui l’attire à Kioto ; il a la tête pleine de folies.

— Tu crois cela, et moi je t’avoue que cet homme m’épouvante, dit le régent avec force, en s’arrêtant devant Faxibo ; on ne sait jamais ce qu’il fait ; on le croit ici, il est là ; il déjoue les espions les plus fins : l’un affirme qu’il l’a suivi à Kioto, l’autre jure qu’il ne l’a pas perdu de vue un instant et qu’il n’est pas sorti d’Osaka ; tous ses amis ont soupé avec lui tandis qu’il se battait, en revenant de la Miako[2], avec des hommes postés par moi. On croit qu’il dort ou s’occupe de ses amours ; un de mes projets va-t-il s’accomplir, sa main s’abaisse sur moi au dernier instant. Depuis longtemps l’empire serait à nous sans lui ; mes partisans sont nombreux, mais les siens ne sont pas moins forts, et il a pour lui le droit. Tiens, ce plan que j’avais si habilement combiné pour débarrasser, sous une apparence accidentelle, le pays d’un souverain sans talent et sans énergie, ce plan qui faisait tomber le pouvoir entre mes mains, qui l’a fait avorter ? quel était le cocher maudit qui a lancé sur le pont cet infernal attelage ? Nagato ! Lui, toujours. Cependant, ajouta Hiéyas, un autre, un de mes alliés, a dû trahir, car il est impossible que rien ait transpiré de ce projet. Ah ! si je savais le nom du traitre ! Je me donnerais au moins le plaisir d’une terrible vengeance.

— Je t’ai fait part de ce que j’ai pu découvrir, dit Faxibo. Fidé-Yori s’est écrié au moment de l’écroulement : « Omiti, tu as dit vrai ! »

— Omiti ! Qu’est-ce qu’Omiti ? Je ne connais pas ce nom.

Le régent s’était avancé dans la salle attenant à sa chambre, et qui n’était séparée que par un large store de la vérandah où les seigneurs attendaient son lever. De l’intérieur, ce store permettait de voir sans être vu. Hiéyas entendit prononcer le nom de Nagato ; il s’approcha vivement et fit signe à Faxibo de venir près de lui. Ils entendirent ainsi toute la narration du prince de Toza.

— Oui, murmurait Hiéyas je l’ai pris longtemps pour un homme aux mœurs dissolues et sans importance politique, c’est pourquoi j’ai d’abord favorisé son intimité avec Fidé-Yori ; combien je m’en repens aujourd’hui que je sais ce qu’il vaut !

— Vous voyez, maître, dit Faxibo, que le prince, sans doute averti de votre projet, n’a pas quitté Osaka.

— Moi, je te dis qu’il était à la Miako et n’en est parti que fort avant dans la nuit.

— Cependant, le prince de Toza ne l’a quitté lui-même que très tard.

— Un de mes espions l’a suivi a Kioto, il y est entré en plein jour et n’en est ressorti qu’au milieu de la nuit.

— C’est incompréhensible, dit Faxibo tenez ; le voici qui rentre, ajouta-t-il en apercevant le cortège de Nagato.

— Est-ce bien lui qui occupe la litière ? dit Hiéyas en essayant de voir.

— Il me semble l’avoir reconnu, dit Faxibo.

— C’est impossible, ce ne peut être le prince de Nagato, à moins que ce ne soit son cadavre.

À ce moment quelqu’un entra dans la chambre et se prosterna le front contre terre.

— C’est mon envoyé, s’écria Hiéyas qui revint vivement dans la première salle, parle vite ; voyons, qu’as-tu appris ? dit-il au messager.

— Je me suis rendu à l’endroit de la route que tu m’as désigné, maître tout-puissant, dit l’envoyé. À cet endroit, le chemin est tout couvert de morts. J’ai compté quarante hommes et quinze chevaux. Des paysans étaient groupés autour des morts ; ils les palpaient pour voir s’il ne leur restait pas un souffle de vie d’autres poursuivaient des chevaux blessés qui couraient à travers les rizières. J’ai demandé ce qui s’était passé on m’a dit qu’on ne le savait pas ; on avait cependant vu passer au soleil levant une troupe de cavaliers du divin mikado qui allait du côté de Kioto. Quant aux hommes morts sur le chemin rouge de leur sang, ils portaient tous des costumes sombres, sans aucun insigne, et leur visage était à demi caché par leur coiffure d’après la mode des bandits et des assassins.

— Assez ! s’écria Hiéyas, les sourcils froncés. Va-t’en ! L’envoyé se retira ou plutôt s’enfuit.

— Il m’a échappé cette fois encore, dit Hiéyas. Eh bien ! c’est moi-même qui le frapperai ; le but que je veux atteindre est assez noble pour que je n’hésite pas à me servir de moyens infâmes pour renverser les obstacles qui se dressent sur mon chemin. Faxibo, ajouta-t-il en se tournant vers l’ancien palefrenier, fais entrer ceux qui attendent. Leur présence chassera peut-être les tristes pressentiments qui m’ont obsédé toute la nuit.

Faxibo releva le store et les seigneurs vinrent l’un après l’autre saluer le maître. Hiéyas remarqua que les courtisans étaient moins nombreux que d’ordinaire, il n’y avait là que les princes qui étaient tout dévoués à sa cause et quelques insouciants qui réclamaient une faveur spéciale du régent.

Hiéyas, tout en causant avec les seigneurs, s’avança sur la vérandah et regarda au dehors.

Il lui sembla qu’un mouvement inaccoutumé emplissait les cours du palais. Des messagers partaient à chaque instant et des princes arrivaient dans leurs norimonos malgré l’heure peu avancée. Tous se dirigeaient vers le palais de Fidé-Yori.

— Que se passe-t-il donc, dit-il, d’où vient toute cette agitation, que signifient ces messagers emportant des ordres que je ne connais pas ?

Et plein d’inquiétude, il congédia les seigneurs d’un geste.

— Vous m excuserez, n’est-ce pas ? dit-il, les intérêts du pays m’appellent.

Mais avant que les princes eussent pris congé, un soldat entra dans la chambre.

— Le siogoun Fidé-Yori prie l’illustre Hiéyas de vouloir bien se rendre, sur l’heure, en sa présence, dit-il.

Et, sans attendre de réponse, il s’éloigna.

Hiéyas arrêta les seigneurs prêts à sortir.

— Attendez-moi ici, dit-il, je ne sais ce qui se prépare, mais l’inquiétude me dévore. Vous m’êtes dévoués, j’aurai peut-être besoin de vous.

Il les salua d’un geste et sortit lentement, le front baissé, suivi seulement de Faxibo.


  1. Mort qui consiste à s’ouvrir à soi-même le ventre. On condamne souvent les nobles à cette mort.
  2. C’est-à-dire la capitale.