La Suite de l’Adolescence Clémentine/Les Epistres

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Les Œuvres de Clément Marot
Texte établi par Georges Guiffrey,  (p. 80-106).
Marot prisonnier escrit au Roy pour sa deliurance
(De l’Adolescence)

Roy des Françoys, plein de toutes bontez,
Quinze jours a (je les ay bien comptez)
Et des demain seront justement seize,
Que je fuz faict Confrere au Diocese
De sainct Marry en l’Eglise sainct Pris :

Si vous diray, comment je fuz surpris,
Et me desplaist, qu’il fault que je le dye.
Trois grands Pendars vindrent à l’estourdie
En ce Palais, me dire en desarroy,
Nous vous faisons Prisonnier par le Roy.

Incontinent, qui fut bien estonné,
Ce fut Marot, plus que s’il eust tonné.
Puis m’ont monstré ung Parchemin escript,
Où il n’avoit seul mot de Jesus christ :

Il ne parloit tout que de playderie,
De Conseilliers, et d’emprisonnerie.
Vous souvient il (se me dirent ilz lors)
Que vous estiez l’aultre jour là dehors,
Qu’on recourut ung certain Prisonnier
Entre noz mains ? Et moy de le nyer :
Car soyez seur, si j’eusse dict ouy,
Que le plus sourd d’entre eux m’eust bien ouy :
Et d’aultre part j’eusse publicquement
Esté menteur. Car pourquoy, et comment
Eussé je peu ung aultre recourir,
Quand je n’ay sceu moymesmes secourir ?
Pour faire court, je ne sceu tant prescher,
Que ces Paillards me voulsissent lascher.
Sur mes deux bras ilz ont la main posée,
Et m’ont mené ainsi qu’une Espousée,
Non pas ainsi, mais plus roide ung petit :
Et toutefois j’ay plus grand appetit
De pardonner à leur folle fureur,
Qu’à celle là de mon beau Procureur.
Que male Mort les deux jambes luy casse :
Il a bien prins de moys une Becasse,
Une Perdrix, et ung Levrault aussi :
Et toutesfoys je suis encor icy.

Encor je croy, si j’en envoioys plus,
Qu’il le prendroit : car ilz ont tant de glus
Dedans leurs mains ces faiseurs de pipée
Que toute chose, où touchent, est grippée.
Mais pour venir au poinct de ma sortie :
Tant doulcement j’ay chanté ma partie,
Que nous avons bien accordé ensemble :

Si que n’ay plus affaire, ce me semble,
Sinon à vous. La partie est bien forte :
Mais le droit poinct, où je me reconforte,
Vous n’entendez Proces, non plus que moy :
Ne plaidons point, ce n’est que tout esmoy.
Je vous en croy, si je vous ay mesfaict.
Encor posé le cas que l’eusse faict,
Au pis aller n’escherroit que une Amende.

Prenez le cas que je la vous demande,
Je prens le cas que vous me la donnez :
Et si Plaideurs furent onc estonnez,
Mieulx que ceulx cy, je veulx qu’on me delivre,
Et que soubdain en ma place on les livre.
Si vous supply (Sire) mander par Lettre,
Qu’en liberté voz gens me vueillent mettre :
Et si j’en sors, j’espere qu’à grand peine
M’y reverront, si on ne m’y rameine.
Treshumblement requerant vostre grâce,
De pardonner à ma trop grand audace
D’avoir empris ce sot Escript vous faire :

Et m’excusez, si pour le mien affaire
Je ne suis point vers vous allé parler :
Je n’ay pas eu le loysir d’y aller.


Au Roy
{De la Suyte)

Non que par moy soit arrogance prinse,
Non que ce soit par curieuse emprinse
D’escrire au Roy : pour tout cela ma Plume
D’ardant desir de voller ne s’allume.
Mon juste dueil (seulement) l’a contraincte

De faire à vous (et non de vous) complaincte.
Il vous a pleu, Sire, de pleine grâce
Bien commander, qu’on me mist en la place

Du Pere mien, vostre Serf humble mort :
Mais la Fortune, où luy plaist, rit, et mord.
Mords, elle m’a, et ne m’a voulu rire,
Ne mon nom faire en voz Papiers escrire.
L’Estat est faict, les Personnes rengées,

Le Parc est clos, et les Brebis logées
Toutes, fors moy le moindre du Trouppeau,
Qui n’a Toyson, ne Laine sur la peau.
Si ne peult pas grand los Fortune acquerre,
Quand elle meine aux plus foybles la guerre
Las pourquoy donc à mon bon heur s’oppose ?
Certes mon cas pendoyt à peu de chose,
Et ne falloit, Sire, tant seulement,
Qu’effacer Jan, et escrire Clement.
Or en est Jan par son trespas hors mis,
Et puis Clement par son malheur obmis,
C’est bien malheur, ou trop grand oubliance :
Car quant à moy, j’ay ferme confiance,
Que vostre dire est ung divin Oracle,
Où nul vivant n’oseroit mettre obstacle.
Telle tousjours a esté la parolle
Des Roys, de qui le bruit aux Astres volle.
Je quiers sans plus, Roy de los eternel,
Estre heritier du seul bien Paternel.
Seul bien je dy, d’aultre n’en eut mon Pere,
Ains s’en tenoit si content, et prospere,
Qu’aultre oraison ne faisoit icelluy,
Fors, que peussiez vivre par dessus luy :
Car vous vivant, tousjours se sentoit riche,
Et vous mourant, sa Terre estoit en frische.

Si est il mort, ainsi qu’il demandoit :
Et me souvient, quand sa mort attendoit,
Qu’il me disoit, en me tenant la Dextre :
Filz, puis que Dieu t’a faict la grâce d’estre
Vray Heritier de mon peu de sçavoir,
Quiers en le bien ; qu’on m’en faict avoir :
Tu congnois, comme user en est decent.
C’est ung sçavoir tant pur, et innocent,
Qu’on n’en sçauroit à creature nuire.
Par Preschemens, le Peuple on peult seduire :
Par Marchander, tromper on le peult bien :
Par Plaiderie, on peult menger son bien :
Par Medecine, on peult l’homme tuer :
Mais ton bel Art ne peult telz coups ruer :
Ains en sçauras meilleur Ouvrage tistre :
Tu en pourras dicter Lay, ou Epistre,
Et puis la faire à tes Amis tenir,
Pour en l’Amour d’iceulx t’entretenir.
Tu en pourras traduire les Volumes
Jadis escriptz par les divines Plumes
Des vieulx Latins, dont tant est mention.
Apres tu peulx de ton invention
Faire quelcque Œuvre [pour] jecter en lumiere : [à jecter]
Dedans lequel en la Fueille premiere
Doibs invocquer le nom du toutpuissant :

Puis descriras le bruit resplendissant
De quelcque Roy, ou Prince, dont le nom
Rendra ton Œuvre immortel de renom :
Qui te fera (peult estre) si bon heur,
Que le proffit sera joinct à l’honneur.
Donc pour ce faire, il fauldroit que tu prinses
Le droict chemin du service des Princes.
Mesme du Roy, qui cherit, et practique
Par son hault sens ce noble Art Poëtique.
Va donc à luy, car ma fin est presente,
Et de ton faict quelcque Œuvre luy presente,
Le suppliant, que par sa grand doulceur,
De mon estat te fasse successeur.
Que pleures tu, puis que l’aage me presse ?
Cesse ton pleur, et va, où je t’adresse.
Ainsi disoit le bon Vieillard mourant :
Et aussi tost que vers vous fuz courant,
Plus fut en vous Liberalité grande,
Qu’en moy desir d’impetrer ma demande.
Je l’impetray, mais des fruictz je ne herite.
Vray est aussi, que pas ne les merite,
Mais bien est vray, que j’ay d’iceulx besoing
Or si le cueur, que j’ay de prendre soing
A vous servir, si ceste Charte escripte,
Ou du Deffunct quelcque faveur petite
Ne vous esmeut (ô Sire) à me pourveoir,
A tout les moins vous y vueille esmouvoir
Royal promesse, en qui toute asseurance
Doibt consister. Là gist mon esperance,

Laquelle plus au Deffunct ne peult estre,
Combien qu’il eust double bien, comme ung Prebstre :
C’est assçavoir Spiritualité,
Semblablement la Temporalité.
Son Art estoit son bien Spirituel
Et voz Biensfaictz estoient son Temporel.
Or m’a laissé son Spirituel bien :
Du Temporel jamais n’en auray rien,
S’il ne vous plaist le commander en sorte,
Qu’obeissance (à mon profit) en sorte.


'
Au chancellier du Prat, nouuellement cardinal
(De l’Adolescence)

Si Officiers en l’Estat seurement
Sont tous couchez, fors le pauvre Clement,
Qui comme une Arbre est debout demouré,
Qu’en dictes vous Prelat trehonnoré ?
Doibt son malheur estre estimé offense ?

Je croy que non. Et dy pour ma deffense,
Si ung Pasteur, qui a fermé son parc

Trouve de nuict loing cinq, ou six traictz d’Arc,
Une Brebis des siennes esgarée,
Tant qu’il soit jour, et la nuict separée,
En quelcque lieu la doibt loger, et paistre :
Ainsi a faict nostre bon Roy, et Maistre,
Me voiant loing de l’Estat jà fermé
(Jusques au jour, qu’il sera deffermé)

Ce temps pendant, à pasturer m’ordonne,
Et pour trouver plus d’Herbe franche, et bonne,
M’a adressé au pré mieulx florissant
De son Royaulme ample, large, et puissant.
Là (sans argent) je rimaille, et compose,
Et quand suis las, sur ce Pré me repose,
Là où la Trefle en sa verdeur se tient,
Et où le Lys en vigueur se maintient :
Là je m’attends, là mon espoir je fiche,
Car si scellez mon Acquict, je suis riche.
Raison me dict (puis que le Roy l’entend)
Que le ferez. Mon espoir, qui attend,

Me dit apres (pour replique finale)
Que de la grand dignité Cardinale
Me sentiray. Car ainsi que les Roys
De nouveau mis en leurs nobles arroys,
Mettent dehors en pleine delivrance
Les Prisonniers vivans en esperance :
Ainsi j’espere, et croy certainement,
Qu’à ce beau rouge, et digne advenement,
Vous me mettrez (sans difference aulcune)
Hors des Prisons de faulte de pecune.
Puis qu’en ce donc tous aultres precellez,
Je vous supply (tresnoble Pré) scellez
Le mien Acquit : pourquoy n’est il scellé ?
Le Parchemin a long, et assez Lé.
Dictes (sans plus) il fault que le scellons,

Scellé sera sans faire proces longs.
S’on ne le veult d’adventure sceller,
Je puis bien dire (en effect) que c’est L’aer,
L’eau, Terre, et Feu, qui tout bon heur me celent,
Consideré que tant d’aultres se scellent :
Mais si je touche argent par la scellure,
Je beniray des fois plus de sept L’heure,
Le Chancellier, le Seau, et le Scelleur,
Qui de ce bien m’auront pourchassé l’heur.
C’est pour Marot, vous le congnoissez ly,
Plus legier est, que Volucres Coeli,
Et a suivy long temps Chancellerie,
Sans proffiter rien touchant scellerie.
Brief, Monseigneur, je pense que c’est là
Qu’il fault seeller, si jamais on seella :
Car vous sçavez, que tout Acquit sans seel,
Sert beaucoup moins, qu’ung Potage sans sel,
Qu’ung Arc sans corde, ou qu’ung Cheval sans selle.
Si prie à Dieu, et sa tresdoulce Ancelle,
Que dans cent ans en santé excellent
Vous puisse veoir de mes deux yeux seellant.


Audict Seigneur. Pour se plaindre du thresorier Preudhomme faisant difficulté d’obeyr à l’acquit despesché
(De l’Adolescence)

Puissant Prelat, je me plainds grandement
Du Tresorier, qui ne veult croire en Cire,
En bon Acquit, en expres Mandement,
En Robertet, n’en Françoys nostre Sire :
Si ne sçay plus, que luy faire, ne dire,
Fors paindre Dieu à mon Acquit susdict :

Adonc s’il est si preudhomme, qu’on dit,
Il y croira, car en Dieu doibt on croire.
Encor j’ay peur, que Dieu ne soit desdit,
Si ne mettez l’homme en bonne memoire.

Au reuerendissime Cardinal de Lorraine
(De l’Adolescence)

Au Reverendissime Cardinal de Lorraine
L’Homme qui est en plusieurs sortes bas,
Bas de stature, et de joye, et d’esbas,
Bas de sçavoir, en bas degré nourry,
Et bas de biens, dont il est bien marry,
Prince tresnoble, à vostre advis, comment

Vous pourroit il saluer haultement ?
Fort luy seroit, car petite Clochette
A beau branler avant que ung hault son jecte :
Puis qu’il n’a donc que humble, et basse value,
Par ung bas stile humblement vous salue.
Mais qui est il ce gentil salueur,
Qui ose ainsi approcher sa lueur.
Du cler Soleil, qui la peult effacer ?
C’est ung Marot : lequel vient pourchasser
Ung traict verbal de vostre Bouche exquise,
Pour bien tirer droict au blanc, où il vise.
Ce qu’il attend en ceste Court, gist là,
Et ce pendant pour tous Tresors il a

Non Revenu, Banque, ne grand Practique,
Mais seulement sa Plume Poëtique :
Ung don royal, où ne peult advenir :
Et ung espoir (en vous) d’y pervenir.
Touchant la Plume, elle vient de la Muse,
Qui à rimer aulcunesfoys m’amuse :
Le don Royal vient (certes) d’ung Octroy
Plus liberal, que de nul aultre Roy :
Quand à l’Espoir, que j’ay en vous bouté,
D’ailleurs ne vient, que de vostre bonté,
En qui me fie. Et brief, telle fiance.
Mettra ma peine au gouffre d’oubliance,
J’entends pourveu que Monsieur le grand Maistre
Vueillez prier vouloir souvenant estre
De mon affaire à ces nouveaux Estatz,
Car on y voyt ung si grand nombre, et tas
De Poursuivans, que grand peur au cueur ay je
De demourer aussi blanc comme Neige.

Et puis Fortune en l’Oreille me souffle,
Qu’on ne prend point en Court telz Chatz sans moufle,
En me disant, qu’à cause du rebout,
Souvent se fault tenir ferme debout,
Et qu’aux estatz des Roys on ne se couche
Facilement comme en Lict, ou en Couche.
Soubz ces propos, Fortune l’insensée
Languir me faict sans l’avoir offensée :
Mais bon Espoir, qui veult estre vainqueur,
Jusques chez moy vient visiter mon cueur,
En m’asseurant que une seule parolle
De vous me peult faire coucher au rolle.
Plaise vous donc noble fleuron Royal,

Plaise vous donc à ce Baron loyal,
En dire ung mot (pour ma protection)
Acompagné d’ung peu d’affection :
Si vous pourray donner ce loz (si j’ose)
De m’avoir faict de neant quelcque chose.
Mais d’où provient, que ma Plume se mesle
D’escrire à vous ? ignore, ou presume elle ?
Non pour certain, motif en est Mercure :
Qui long temps a de me dire print cure,
Que vous estiez des bien aymez Amans
De[s] dictz dorez, de rythme rommans,
Soit de science ou divine, ou humaine.

C’est le motif qui mon Epistre maine
Devant voz yeux, esperant que bien prise
Sera de vous, sans en faire reprise :
Non que dedans rien bon y puisse avoir,
Fors un desir de mieulx faire sçavoir.
Et non obstant, si petit que j’en sçay,
Quand me vouldrez pour vous mettre à l’essay,
Et que mon sens je congnoisse trop mince
Pour satisfaire à tant excellent Prince,
Je m’en iray par Boys, Prez, et Fontaines
Pour prier là les neuf Muses haultaines,
De vouloir estre à mon Escript propices,
Affin de mieulx accomplir voz services.

SVSCRIPTION

Clément Marot aux gentilz veaux
Qui ont faift les adieux nouueaulx.


Satyriques trop envieux
Escrivans de plume lezarde,

Vous avez faict de beaulx Adieux,
Le feu sainct Anthoine les arde :
Puis vostre langue se hazarde
De dire, que je les ay faictz.
Ainsi le Coupable se garde,

Et l’Innoncent porte le faiz.
Si mentez vous bien par la gorge,
Sur Dames ne suis animé :
Et ne sortit onc de ma forge
Ung Ouvrage si mal lymé :
Et ne sera mien estimé
Par ceulx, qui congnoissent ma veine.
Il est un petit mal rimé,
Et la raison en est bien vaine.
Et en cela plus sotz, que fins
Vous vous monstrez apertement :
Car pour bien venir à voz fins,
Besongner falloit aultrement.
Si parlé eussiez seulement
De six, qui hayne m’ont voué,

Texte du poème

On vous eust creu facilement,
Et j’eusse le tout advoué.
Mais ung chascun juger peult bien,
Que parler ne vouldrois des femmes,
Qui ne m’ont offensé en rien,
Et qui n’eurent jamais diffames.
Et puis vous y meslez les Dames,
Qui sçavent, que suis leur servant :
C’est tres mal entendu voz Games
Pour mettre voz chantz en avant.
Bien ne mal n’ay voulu escrire
De tant honnestes Damoyselles.
Et quand d’elles vouldrois rien dire,
Je ne ferois point faulx Libelles :
Plus tost leurs louanges tresbelles
Diroys en mon petit sçavoir,
Pour acquerir la grâce d’elles,
Que chascun mect peine d’avoir.
Dames, où n’y a que reprendre,
Et qui tenez l’honneur trescher,
A moy ne vous en vueillez prendre,
Oncques ne pensay d’y toucher.
Vueillez vous doncques attacher

Aux meschans, et sotz Blasonneurs,
Qui n’ont sceu comment me fascher,
Sinon en touchant voz honneurs.
De Tigne espesse de six doigts,
D’ung Œil hors du Chef arraché,
De membres aussi secs que boys,
D’ung nez de fins Clous attaché,
De tout cela soit entaché
Qui d’aultres Adieux a faict naistre.
Quand il sera ainsi marché,
Il sera aise à congnoistre.

Aux dames de Paris qui ne vouloyent prendre les précédentes excufes en payement
(De la Suyte)

Puis qu’au partir de Paris ce grand lieu
On vous a dit trop rudement Adieu,
Dire vous veulx, maulgré chascun Langard,
A l’arriver doulcement Dieu vous gard.
Dieu vous gard donc mes Dames tant poupines.

Qui vous faict mal ? trouvez vous des Espines
En ces Adieux ? Ces beaulx Retoriqueurs
Ont ilz au vif touché voz petitz cueurs ?
Croyez de vray, que le grand Lucifer
S’en chaufera ung jour en son enfer :
Car ce n’est point jeu de petitz Enfans
D’ainsi toucher voz honneurs triumphans.
Or puis qu’advient, que ce mal vous avez,
Guerissez vous, si guerir vous sçavez :
Quant est de moy, je ne scay Medecine,
Emplastre, Unguent, ny Herbe, ne Racine,
Qui sceust au vray l’aigreur diminuer
De vostre mal, qui veult continuer :
Mais je sçay bien, comme il ne croistra point,
Et ne poindra par moy non plus qu’il poinct.
Tant seulement fault, que plus ne croyez
Qu’il vient de moy : car certaines soyez,

Que si ma plume endroict vous se courrousse,
Il n’y aura blanche, noire, ny rousse,
Qui bien ne sente augmenter son angoisse,
Et qui au doigt, et à l’œil ne congnoisse,
Combien mieulx picque ung Poëte de Roy,
Que les Rimeurs, qui ont faict le desroy.
Non que ce soit de picquer ma coustume,
Mais il n’est boys si vert, qui ne s’allume.
Tant plus me suis par escript excusé,
Tant plus m’avez de parolle accusé,
Usant en moy de menasses follettes :
Puis quand sentez voz puissances foiblettes,
Allez querant aux hommes allegeance
En leur chantant, Faictes m’en la vengeance.
O foible gent, qui ne se peult (en somme)
D’homme venger sinon par secours d’homme.

Bon est l’Ouvrier, qui ne feit pas egalle
Vostre puissance à la volunté mâle,
Puis qu’en tout cas, et en toute saison
Vostre appetit surmonte la raison.
Ces motz ne vont jusques aux vertueuses.
Mais dictes moy vous aultres bien fascheuses,
Quand des Adieux j’eusse advoué l’affaire.
Sans m’excuser, qu’eussiez vous sceu pis faire ?
Vous me tenez termes plus rigoureux,
Que le Drappier au Berger doloreux.
Si n’est il Loup, Louve, ne Louveton,
Tigre, n’Aspic, ne Serpent, ne Luthon,
Qui jamais eust sur moy la dent boutée,
Si mon excuse il eust bien escouté.
Avez vous donc les cueurs moins Damoyseaulx
Qu’Aspicz, ne Loups, et telz gentilz Oyseaulx ?
Je croy que non : par tout avez louanges
D’humble parler, et de visaiges d’Anges :
Et de ma part me semblent voz façons
Succre en doulceur, et en froideur Glaçons.

Si trompé suis, je dy que la Couleuvre
En voz Jardins soubz doulces fleurs se cueuvre.
Certes je croy, que vous cuidez (sans faincte)
Que j’ay basty mes excuses par craincte.
Bien peu s’en fault, que ne dye en mes Vers
Propos de vous, qui montre le revers.
Ma Muse ardante aultre chose ne quiert,
L’encre le veult, la Plume m’en requiert :
Et je leur dy, que rien de vous ne sçay :
Mais Dieu vous gard que j’en fasse l’essay.
N’ay je passé ma jeunesse abusée
Au tour de vous ? laquelle j’eusse usée
En meilleur lieu (peult estre en pire aussi) ;
Rien ne diray, n’ayez aulcun soucy :
Et si en sçay, bien je l’ose asseurer,
Pour faire rire, et pour faire pleurer.

Mais que vauldroit d’en travailler mes doigts
Sur le Papier ? Mores, Turcz, et Medoys
Sçavent voz cas : la Terre n’est semée
Sinon du grain de vostre renommée.
Brief, pour escrire y a bien d’aultres choses
Dedans Paris trop longuement encloses.
Tant de Broillis, qu’en Justice on tolere,
Je l’escriroys, mais je crains la colere :
L’Oysiveté des Prebstres, et Cagotz,

Je la diroys, mais garde les Fagotz :
Et des abus, dont l’Eglise est fourrée,
J’en parleroys, mais garde la Bourrée.

De tout cela, et de vous me tayroie,
Et en chemin plus beau me retrairoye,
Quand me viendroit d’escrire le desir.
Je blasmeroys Guerre, qui faict gesir
Journellement par terre en grand oultrance
Les vieulx Souldars, et les jeunes de France.
Ou empliroys la mienne blanche Carte
Du bien de Paix, la priant qu’elle parte
Du hault du ciel pour venir visiter
Princes Chrestiens, et entre eulx habiter.

Ou dirois loz meritoire de ceulx,
Qui bien servans n’ont l’esprit paresseux
A la chercher, taschans (comme loyaulx)
Tirer deçà les deux Enfans Royaulx.

Ou parlerois (usant de plus hault stile)
De maint conflict cruel, dur, et hostile,
Ou l’on a veu charger, et presses fendre
Nostre bon Roy, pour vous aultres deffendre,
Ce temps pendant que preniez voz delictz

(Sans nul danger) en voz Chambres, et Lictz.
Ou compterois de luy maint grand orage
De grand fortune, et son plus grand courage,
Qui soubz le faiz n’a esté veu ploier.
Voilà les poinctz, où vouldrois m’emploier,
Sans m’amuser à rimer voz Adieux :
Et faictes moy mines de groings, et d’yeux,
Tant que vouldrez : oncques ne print visée
Pour vous lascher ung seul traict de risée,
Et m’en croyez : mais les langues, qui sonnent

Comme ung Cliquet, tousjours le bruit me donnent
De tous escriptz, tant soient lourdement faictz.
Ainsi soustiens des Asnes tout le faiz.
Or estes vous dedans Paris six femmes,
Qui ung escript tout farcy de diffames
M’avez transmys : et quand aulcun se boute
A l’escouter, luy semble qu’il escoute
En plain marché six ordes Harangeres
Jecter le feu de leurs langues legeres
Contre quelqu’ung. Va vilain Farcereau,
Marault, Belistre, Yvrongne, Macquereau,
Comme une Pie en Cage injurieuse.
En vostre Epistre aussi tant furieuse
M’avez reprins, que je veulx faire bragues
Dessus l’Amour, sans chaynes, et sans bagues.
Ha (dy je lors) il fault que chascun croye,
Qu’à tout Oyseau il souvient de sa proye.

Voz grands Faulcons, qui furent Faulconneaux,
Vollent tousjours pour chaynes, et anneaulx.
Puis vous touchez et les mortz, et les vifz.
Respondez moy, pourquoy en voz devis
Blasmez vous tant feu mon Pere honnoré,
Qui vostre sexe a tant bien decoré
Au Livre dict, des Dames l’Advocate ?
J’estimeroys la recompense ingrate,
Si pour vous six eust travaillé sa teste :
Mais il parla de toute femme honneste :
Non que sur vous je treuve que redire,

Ainçois chascun vous doibt nommer, et dire
Avant la mort les six Canonisées,
Ou (pour le moins) les six Chanoynisées.
Quant au Resveur, qui pour telz vieulx Registres
Print tant de peine à faire des Epistres
Encontre moy, pour tous les menus droitz
De son labeur, seulement je vouldrois
Qu’il eust couvert de vous six la plus saine,
Il auroit beau se laver d’eau de Seine
Apres le coup. Ha le vil Blasonneur,
C’est luy, qui feit sur les Dames d’honneur
Tous les Adieux : et vous six l’en priastes :

Puis dessus moy le grand haro criastes,
Sachans de vray, que pour vous seulement
On n’eust crié dessus moy nullement.
Et de bon heur prinstes ung Secretaire
Propre pour vous. Oncques ne se sceut taire
De composer en injure, et meschance :
Je le congnois. Or prenons aultre chance.
Je suis d’advis, que veniez appoinctant.
Quant au courroux, en moy n’en a point tant,
Que pour le bien de vous six je ne veille.
Et qu’ainsi soit, en Amy vous conseille,
Que desormais vostre bec teniez coy :
Car vostre honneur resemble ung ne sçay quoy,
Lequel tant plus on le va remuant,
Moins il sent bon, et tant plus est puant.
Et quand orrez ces miens presens alarmes,
Ayez bon cueur, et contenez voz larmes,
Que vous avez pour les Adieux rendues.
Las, mieulx vauldroit les avoir espendues
Dessus les piedz de Christ, les essuians
De vos Cheveulx, et voz pechez fuyans,
Par repentence avec Magdeleine.

Qu’attendez vous ? Quand on est hors d’alaine
La force fault. Quand vous serez hors d’aage,
Et que voz nerfz sembleront ung cordage,
Plus de voz yeux larmoyer ne pourrez,
Car sans humeur seiches vous demourrez :
Et quand voz yeux pourroient plorer encores,
Où prendrez vous les cheveulx, qu’avez ores,
Pour essuier les piedz du Roy des Cieulx ?
Croiez qu’à tel mistere precieux
Ne serez lors du bon Ange appellées,
Pource que trop serez vieilles pellées,
Desjà vous prend icelle maladie.
Vous voulez faire, et ne voulez qu’on dye.
Cessez, cessez toutes occasions,
Si prendront fin toutes derisions :
C’est le droict poinct pour clorre les passages
Aux mal disans. Et vous aultres bien sages,
Qui des Adieux ne fustes point touchées,
Et vous aussi que l’on y a couchées,

Et qui pourtant compte n’en feistes mye,
Nulle de vous ne me soit ennemye,
Je vous supply’, pour telles Bourgeoisettes,
Qui vont cherchant des noises pour noisettes.
On veoit assez, que vous estes entieres
De n’avoir prins à cueur telles matieres.
Aussi n’est il blason, tant soit infâme,
Qui sceust changer le bruyt d’honneste femme :
Et n’est blason tant soit plein de louange,
Qui le renom de folle femme change.
On a beau dire, une Colombe est noire,
Ung Corbeau blanc : pour l’avoir dit, fault croire
Que la Colombe en rien ne noircira,
Et le Corbeau de rien ne blanchira.
Certainement les vertus, qui s’espendent
Dessus voz cueurs, si fort vostre me rendent,
Que pour l’amour de vous n’eusse jamais
Contre elles faict ceste presente : mais
Tant m’on pressé d’escrire, et me contraignent,
Qu’il semble au vray, que plaisir elles preignent
En mes propos : et ont bien ce credit,
Que si je n’ay assez à leurs gré dict,
Je leur feray ung Livre de leurs gestes
Intitulé, Les six vieilles Digestes :

Et si n’auray de matiere deffault :
J’en ay encor plus, qu’il ne leur en fault.
Mais pour cest heure elles prendront en gré,
Car au propos, où elles m’ont encré,
Veulx mettre fin, et avant que l’y mettre,
Vostre Clement vous prie en ceste Lettre,
Dames d’honneur, que ces femmes notées
Soient desormais d’autour de vous ostées,
Ne plus ne moins qu’on oste maulvaise herbe
D’avec l’Espy, dont on faict bonne Gerbe :
Vous advisant, que trop plus sont nuysantes
A voz honneurs, que les Rymes cuysantes
Des sotz Adieux : et toutefois, affin
Que mon escriptz ne les fasche à la fin,
Je leur voys dire ung Adieu sans rancune.
A Dieu les six, qui n’en valez pas une :
A Dieu les six, qui en valez bien cent.
Qui ne vous veoit, de bien loing on vous sent.

A la Royne Elienor nouuellement arriuée
d’Efpagne auec les deux enfants du Roy
deliurez des mains de l’Empereur
(De la Suyte)

Puis que les Champs, les Montz, et les Vallées,
Les fleuves doulx, et les Undes sallées
Te font honneur à la venue tienne,
Princesse illustre, et Royne treschrestienne,
Puis que Clerons, et Bombardes tonantes,

Chantres, Oyseaulx, de leurs voix resonnantes
Tous à l’envy maintenant te saluent,

Feray je mal, si de ma plume fluent
Vers mesurez, pour saluer aussi
Ta grand haulteur, qui rompt nostre soucy ?
Certes le son de ma Lettre n’a garde
D’estre si dur, comme d’une Bombarde :
Et si n’est point mortel en Terre, comme
Voix de Clerons, ou d’Oysellet, ou d’homme :
Parquoy je croy que de toy sera pris
Aultant à gré. Doncques Perle de pris,
Par qui nous est tant de joye advenue,
Tu soys la bien (et mieulx que bien) venue.
Pourquoy as faict si longue demourée ?
Certainement ta venue honnorée
De tarder tant tous languir nous faisoit :
Mais bien sçavons que trop t’en desplaisoit.

N’est ce pas toy, qui du Roy fus esprinse
Sans l’avoir veu, mesmes apres sa prinse ?

Ou tellement aux armes laboura,
Que le corps pris, l’honneur luy demoura.
N’est ce pas toy, qui sentis plus fort croistre
L’amour en toy, quand tu vins à congnoistre,

Et veoir son port, forme, sens et beaulté,
Qui ne sent rien, que toute Royaulté ?
N’est ce pas toy, qui songeoys nuict, et jour
A le remettre en son privé sejour ?

Et qui depuis en Prison si amere
A ses Enfans feis office de Mere,
Jusque à donner à ton cher Frere Auguste
Doubte de toy, voire doubte tresjuste ?
Car je croy bien, si eusses eu l’usage

Des artz subtilz de Medée la sage,
Que en blancs Vieillards tu eusses transformez
Ces jeunes Corps tant beaulx, et bien formez,
Pour les mener secrettement en France,
Et puis rendu leur eusses leur enfance.

Or (Dieu mercy) amenez les as tu
Sans Nigromance, ou Magique vertu.
Ains par le vueil de Dieu, qui tout prevoit,
Et qui desjà destinée t’avoit
Femme du Roy, duquel et jours, et nuictz
Tu as porté la moytié des ennuiz :
Dont Raison veult, et le droict d’Amytié,
Que maintenant recepves la moytié

De sa grand joye, et du Regne puissant,
Et de l’amour du Peuple obeissant.
O Royne donc, de tes subjectz loyaulx
Vien recepvoir les haults honneurs royaulx,
Veoir te convient ton Royaulme plus loing.
Tu n’en as veu encor qu’ung petit coing,
Tu n’as rien veu, que la Doue, et Gironde,
Bien tost verras la Cherante profonde,
Loyre au long cours, Seine au port fructueux :
Saulne qui dort, le Rosne impetueux :
Aussi la Somme, et force aultres Rivieres,
Qui ont les bortz de force Villes fieres,
Dont la plusgrande est Paris sans pareille

Là, et ailleurs desjà on t’appareille
Mysteres, Jeux, beaulx Paremens de rues,
Sur le Pavé fleurs espesses, et drues,
Par les Quantons Theâtres, Colisées.
Brief, s’on pouvoit faire Champs Elisées,
On les feroit, pour mieulx te recepvoir.
Mais que veult l’on encor te faire veoir ?
Pourroit on bien augmenter tes plaisirs ?
N’as tu pas veu le grand de tes desirs,

Ton cher Espoux, nostre souverain Roy ?
Si as tresbien : mais encores je croy
Qu’en gré prendras, et voirras voulentiers
Les appareilz du peuple en maintz quartiers.
Et qui plus est, en cela regardant
Tu congnoistras le zele tresardant
Qu’en toy on a : ce que je te supplie
Congnoistre en moy, Royne tresaccomplie :
Car Apollo, ne Clyo, ne Mercure
Ne m’ont donné secours, ne soing, ne cure
En cest escript. Le zele que je dy,
L’a du tout faict, et m’a rendu hardy
A te l’offrir, tel que tu le voys estre.
Puis ton Espoux est mon Roy, et mon Maistre :
Doncques tu es ma Royne, et ma Maistresse.
Voylà pourquoy mes escriptz je t’adresse.

Epiftre à Monfeigneur de Lorraine (i) nouuellement venu à Paris par laquelle Marot luy prefente le premier Liure tranflaté de la Metamorphofe d’Ouide
(De la Suyte)

S’il y a rien, Prince de hault pouvoir,
Qui par deçà fasse mal son debvoir
De recepvoir ta haultesse honnorée,
Ce ne sera que ma Plume essorée,
Qui entreprend de te donner Salut,
Et pour ce faire onc assez ne valut,
Ains trop est lourde, et de style trop mince,
Pour s’adresser à trop excellent Prince :
Ce neantmoins sachant, que tu as pris
Par maintesfois plaisir en mes escriptz,

J’ayme trop mieulx t’escrire lourdement,
Que de me taire à ton advenement,
Car j’ay espoir que la voulenté tienne
Congnoistra bien en cest escript la mienne :
Qui est, et fut, et sera, de sçavoir
Faire aulcun cas, où tu puisses avoir
Quelcque plaisir. Premier donc je salue
Treshumblement ta haultesse, et value :
Puis à celluy, qui est Prince des Anges,
Rends de bon cueur immortelles louanges,
De l’heureux point de ta noble venue,
Qui est le temps de la Paix advenue :
Par qui tu voys les deux Enfans de France
Hors des lyens de captive souffrance.
Grâces aussi luy fault rendre des pertes :
Vray est que trop sont lourdes, et apertes
A ung chascun : mesmes ta Majesté
Participante aux malheurs a esté,
En y perdant soubz la fleur de jeunesse
Deux Freres pleins d’honneur, sens, et prouesse.

Qui est celluy (si bien les congnoissoit)
Qu’en y pensant, plein de douleur ne soit ?
Si convient il en douleur, et ennuy
Nostre vouloir conformer à celluy
Du tout puissant : aultrement on resiste
A sa bonté. Ce propos dur, et triste
En cest endroit rompray pour le present,
Et te suplly prendre en gré le present,
Que je te fay de ce translaté Livre,
Lequel (pour vray) hardiment je te livre,
Pour ce que point le sens n’en est yssu
De mon cerveau : ains a esté tissu
Subtilement par la Muse d’Ovide :
Que pleust à Dieu l’avoir tout mis au vuyde
Pour t’en faire offre. Or si ce peu t’agrée,
Heureux seray que ton cueur se y recrée
Ce temps pendant qu’en France tu sejournes,
Et attendant qu’en ta Duché retournes,
Duché puissante, et Duché souveraine,
Duché de biens, et de Paix toute pleine,
Duché, de qui partout le nom s’estend,

Là où ton Peuple à ceste heure t’attend
Aussi fasché de ta loingtaine absence,
Que toy joyeux de la noble presence
De nostre Roy, de ses Enfants aymez,
Et des treshaultz Princes tant renommez :
Entre lesquelz de tes Freres la reste

Tu voys fleurir en honneur manifeste,
Cheriz du Roy, et du peuple honnorez,
Or à ces deux, que Mort a devorez,
Dieu doint repos : et aux troys, qui demeurent,
Que de cent ans (bien comptez) il ne meurent.


Pour Pierre Vuyart à Madame de Lorraine
(De la Suyte)

Je ne l’ay plus, liberalle Princesse,
Je ne l’ay plus, par mort il a prins cesse
Le bon Cheval, que j’eu de vostre grâce.
N’en scauroit’on recouvrer de la race ?
Certainement tandis que je l’avoye,

Je ne trouvoys rien nuisant en la voye.
En le menant pas Boys, et par Taillys,
Mes yeux n’estoient de branches assaillys.
En luy faisant gravir Roc, ou Montaigne,

Aultant n’estoit que trotter en Campaigne.
Aultant m’estoit Torrents, et grandes Eaux
Passer sur luy, comme petis Ruisseaux.
Car il sembloit, que les Pierres se ostassent
De tous les lieux, où ses piedz se boutassent.
Que diray plus ? Onc voiage ne feit
Avecques moy, dont il ne vint proffit :
Mais maintenant toutes choses me grevent.
Branches au Boys les yeux quasi me crevent :
Car le Cheval que je pourmaine, et maine,
Est malheureux, et bunche en pleine Plaine :
Petis Ruisseaux, grands Rivieres luy semblent :
Pierres, Cailloux en son chemin s’assemblent,
Et ne me donne en voiages bon heur.
O Dame illustre, O parangon d’honneur,
Dont proceda le grand bon heur secret
Du Cheval mort, où j’ay tant de regret ?
Il ne vint point de Cheval ; ne de Selle :
J’ay ceste foy, qu’il proceda de celle,
Par qui je l’eu. Or en suis desmonté,
La Mort l’a pris, la Mort l’a surmonté :
Mais c’est tout ung, vostre bonté naifve
Morte n’est pas : ainçoys est si tresvive,
Qu’elle pourroit, non le resusciter,

Mais d’ung pareil bien me faire heriter.
S’il advient donc, que par la bonté vostre
Monseigneur fasse ung de ses Chevaulx nostre,
Treshumblement le supply, qu’il luy plaise
Ne me monter doulcement, et à l’aise.
Je ne veulx point de ces doulcetz Chevaulx,
Tant que pourray endurer les travaulx :
Je ne veulx point de Mulle, ne Mullet,
Tant que je soys Vieillard blanc comme laict :
Je ne veulx point de blanche Hacquenée,
Tant que je soys Damoyselle atournée.
Que veulx je donc ? ung Courtault furieux,
Ung Courtault brave, ung Courtault glorieux,
Qui ait en l’ai ruade furieuse ;
Glorieux Trot, la Bride glorieuse.
Si je l’ay tel, fort furieusement
Le picqueray, et glorieusement.
Conclusion, si vous me voulez croire,
D’homme, et Cheval ce ne sera que gloire.

Au Roy
(De l’Adolescence)

On dit bien vray, la maulvaise Fortune
Ne vient jamais, qu’elle n’en apporte une,
Ou deux, ou trois avecques elle (Sire).
Vostre cueur noble en sçauroit bien que dire :
Et moy chetif, qui ne suis Roy, ne rien

L’ay esprouvé. Et vous compteray bien,
Si vous voulez, comment vint la besongne.

J’avois ung jour un Valet de Gascongne,
Gourmant, Yvroigne, et asseuré Menteur,
Pipeur, Larron, Jureur, Blasphemateur,
Sentant la Hart de cent pas à la ronde,
Au demeurant le meilleur filz du Monde,
Prisé, loué, fort estimé des filles
Par les Bourdeaux, et beau Joueur de Quilles.

Ce venerable Hillot fut adverty
De quelcque argent, que m’aviez departy,
Et que ma Bourse avoit grosse apostume :
Si se leva plus tost que de coustume,
Et me va prendre en tapinois icelle :
Puis la vous mist tresbien soubz son Esselle,
Argent et tout (cela se doibt entendre),
Et ne croy point, que ce fust pour la rendre,
Car oncques puis n’en ay ouy parler.
Brief, le Villain ne s’en voulut aller
Pour si petit : mais encor il me happe

Saye, et Bonnet, Chausses, Pourpoinct, et Cappe :
De mes Habitz (en effect) il pilla
Tous les plus beaulx : et puis s’en habilla
Si justement, qu’à le veoir ainsi estre,
Vous l’eussiez prins (en plein jour) pour son Maistre.
Finablement, de ma Chambre il s’en va
Droit à L’estable, où deux Chevaulx trouva :
Laisse le pire, et sur le meilleur monte,
Picque, et s’en va. Pour abreger le compte,
Soiez certain, qu’au partir : dudict lieu
N’oublya rien, fors à me dire Adieu.
Ainsi s’en va chastoilleux de la gorge
Ledict Valet, monté comme ung sainct George :

Et vous laissa Monsieur dormir son saoul :
Qui au resveil n’eust sceu finer d’un soul.
Ce Monsieur là (Sire) c’estoit moy mesme :
Qui sans mentir fuz au Matin bien blesme,
Quand je me vy sans honneste vesture,
Et fort fasché de perdre ma monture :
Mais de l’argent, que vous m’aviez donné,
Je ne fuz point de le perdre estonné,
Car vostre argent (de tresbonnaire Prince)
Sans point de faulte est subject à la pince.
Bien tost apres ceste fortune là,
Une aultre pire encores se mesla
De m’assaillir, et chascun jour me assault,
Me menassant de me donner le sault,
Et de ce sault m’envoyer à l’envers,
Rymer soubz terre, et y faire des Vers.
C’est une lourde, et longue maladie
De troys bons moys, qui m’a toute eslourdie

La pauvre teste, et ne veult terminer,
Ains me contrainct d’apprendre à cheminer.
Tant affoibly m’a d’estrange maniere,
Et si m’a faict la cuisse heronniere,
L’estomac sec, le Ventre plat, et vague :
Quand tout est dit, aussi maulvaise bague
(Ou peu s’en fault) que femme de Paris,
Saulve l’honneur d’elles, et leurs Maris.
Que diray plus ? au miserable corps
(Dont je vous parle) il n’est demouré fors
Le pauvre esprit, qui lamente, et souspire,
Et en pleurant tasche à vous faire rire.
Et pour aultant (Sire) que suis à vous,
De troys jours l’ung viennent taster mon poulx
Messieurs Braillon, le Coq, Akaquia,

Pour me garder d’aller jusque à quia.
Tout consulté ont remis au Printemps
Ma guerison : mais à ce que j’entends,
Si je ne puis au Printemps arriver,
Je suis taillé de mourir en Yver,
Et en danger (si en Yver je meurs)
De ne veoir pas les premiers Raisins meurs.
Voilà comment depuis neuf moys en çà
Je suis traicté. Or ce que me laissa
Mon Larronneau (long temps a) l’ay vendu,
Et en Sirop, et Julez despendu :
Ce neantmoins ce que je vous en mande,
N’est pour vous faire ou requeste, ou demande :
Je ne veulx point tant de gens ressembler,
Qui n’ont soucy aultre que d’assembler.
Tant qu’ilz vivront, ilz demanderont eulx,
Mais je commence à devenir honteux,
Et ne veulx plus à voz dons m’arrester.
Je ne dy pas, si voulez rien prester,
Que ne le preigne. Il n’est point de Presteur
(S’il veult prester) qui ne fasse ung Debteur.
Et sçavez vous (Sire) comment je paye ?
Nul ne le sçait, si premier ne l’essaye.
Vous me debvrez (si je puis) de retour :
Et vous feray encores ung bon tour,

A celle fin qu’il ny ayt faulte nulle,
Je vous feray une belle Cedulle,
A vous payer (sans usure il s’entend)
Quand on verra tout le Monde content :
Ou (si voulez) à payer ce sera,
Quand vostre Loz, et Renom cessera.
Et si sentez, que soys foible de reins
Pour vous payer, les Deux Princes Lorrains
Me plegeront. Je les pense si fermes,
Qu’ilz ne fauldront pour moy à l’ung des termes.
Je sçay assez, que vous n’avez pas peur
Que je m’en fuie, ou que je soys trompeur :
Mais il faict bon asseurer ce, qu’on preste.
Brief, vostre paye (ainsi que je l’arreste)
Est aussi sceure, advenant mon trespas,
Comme advenant, que je ne meure pas.
Advisez donc, si vous avez desir
De rien prester, vous me ferez plaisir :
Car puis ung peu, j’ay basty à Clement,
Là où j’ay faict ung grand desboursement :
Et à Marot, qui est ung peu plus loing :

Tout tumbera, qui n’en aura le soing.
Voilà le poinct principal de ma Lettre.
Vous sçavez tout, il n’y fault plus rien mettre :
Rien mettre, las ! Certes, et si feray,
En ce faisant, mon stile j’enfleray,
Disant, ô Roy amoureux des neuf Muses,
Roy, en qui sont leurs sciences infuses,

Roy, plus que Mars, d’honneur environné,
Roy, le plus Roy, qui fut oncq couronné,
Dieu tout puissant te doint (pour t’estrener)
Les quatre coings du Monde gouverner,
Tant pour le bien de la ronde Machine,
Que pour aultant, que sur tous en es digne.


A vn fien amy fur ce propos
(De l’Adolescence)

Puis que le Roy a desir de me faire
A ce besoing quelcque gracieux prest,
J’en suis content, car j’en ay bien affaire,
Et de signer ne fuz oncques si prest :
Parquoy vous pry sçavoir, de combien c’est

Qui veult Cedulle, affin qui se contente :
Je la feray tant seure (si Dieu plaist)
Qu’il n’y perdra que l’Argent, et l’attente.


A vn qui calumnia l’epiftre précédente
(De l’Adolescence)

Le Rimeur, qui assailly m’a,
En mentant contre moy Rima,
Car je ne blasme point Gascoigne.
De toutes tailles bons Levriers,
Et de tous Arts maulvais Ouvriers,
Son Epistre assez le tesmoigne.
Il fault dire, puis qu’ainsi hoigne,
Que je luy ay gratté sa Roigne
En quelcque mot, qu’il trouva laid.
Pourquoy d’ailleurs vouldroit il guerre ?

Je vouldroys voulentiers m’enquerre,
S’il est parent de mon Valet.
Si je congnoissois le Follet,
Je produiroys en mon Rollet
De sa vie assez de Tesmoings.
Quel qu’il soit, il n’est point Poëte,
Mais Filz aisné d’une Chouette,
Ou aussi Larron pour le moins.
Pinseur pinsant, entre aultres poinctz
Je t’ai pinsé de ce mot, pinse :
Les Bons n’y sont pinsez, ny poinctz,
Mais les Meschans, dont tu es Prince.


Au lieutenant Gontier
(De l’Adolescence)

Si Maladie au visaige blesmy
N’eust perturbé le sens à ton Amy,
Long temps y a (Gontier) que ta semonce
Eust eu de moy la presente response,
Qui ne debvroit response se nommer.

Quant à tes faictz, qui feront renommer
Ton nom par tout, et apres la mort vivre,
Si en cest art veulx ta poincte poursuivre,
Tes poinctz sont grands, tes Metres mesurez,
Tes dictz tout d’Or, tes termes Azurez,
Voire si haults, et arduz à tout prendre,
Que mon Esprit travaille à les comprendre.
Quand tout est dit, les louanges données

De toy à moy, doibvent estre ordonnées
(Sans de nully vouloir blesser l’honneur)
A Jan le Maire, ou au mesme Donneur.

Il te failloit ung esprit Poëtique,
Non pas ma Plume essorée, et rustique,
Pour te respondre. Or ay je mis estude
A n’estre point notté d’ingratitude.
Tu m’as escript, je te responds aussi :
Et si tu n’as beaucoup de Vers icy,
Supporte moy : les Muses me contraignent
Penser ailleurs : et fault que mes Vers plaignent
La dure mort de la Mere du Roy
Mon Mecenas. Et si quelcque desroy
On treuve icy, ou resverie aulcune,
Tu n’as (Gontier) pour moy excuse, que une,
C’est que celluy pour Resveur on prendra,
Qui un Resvant (en fiebvre) reprendra.


A Vignals Thoulousan
(De l’Adolescence)

Quand Dieu m’auroit aussi bien presenté
Le bon loysir, et l’entiere santé,

Que le vouloir, ta Response alongée
Seroit du tiers, et beaucoup mieulx songée :
Ce neantmoins (Vignals) je pense bien,
Que tu congnois, que le souverain bien
De l’amytié ne gist en longues Lettres,
En motz exquis, en grand nombre de Mettres,
En riche Rime, ou belle invention,
Ains en bon cueur, et vraye intention :
Dont je m’attends, que excusé je seray
De ton bon sens. Or à tant cesseray.
Ma Muse foible à peine peult chanter :
Mais pour le moins tu te peulx bien vanter,
Que de Marot tu as à ta commande
Petite Epistre, et amytié bien grande.


A Monfeigneur de Guife paflant par Paris
(De l’Adolescence)

Va tost Epistre, il est venu, il passe,
Et part demain, des Princes l’outrepasse :
Il le te fault saluer humblement,
Et dire ainsi : Vostre humble Serf Clement
(Prince de pris) luy mesme fust venu,
Mais Maladie au Lict l’a retenu
Si longuement, qu’oncques ne fut si mince,
Pasle, et deffaict : Vray est (illustre Prince)
Qu’en ce corps mesgre est l’esprit demouré,
Qui aultrefoys a pour vous labouré,
Non bien sachant, combien il y doit estre :
Parquoy tandis, qu’il vit en ce bas estre,
Servez vous en. Ainsi diras Epistre
A cil, qui est digne de Royal tiltre :
Puis te tairas, car tant debile suis,
Que d’ung seul vers alonger ne te puis.


A Guillaume du Tertre secretaire de monsieur de Chafteaubriant
(De la Suyte)

Quand les Escriptz, que tu m’as envoyez,
Seroient de Rime, et raison desvoyez,
Quand ton vouloir (lequel trop plus j’estime,
Que tes Escriptz, ta Raison, ne ta Rime)
Seroit tout aultre : et quand le Secretaire
De Montejan n’eust rien faict, que se taire,
Sans me donner de t’escrire appetit,

Jà pour ces pointz (Monsieur de Montpetit)
N’eusse laissé la response transmettre :
Car la Maison, où Dieu t’a voulu mettre,
Digne te rend, et plus que digne au Monde
Non que Marot, mais Maro, te responde.
Que pleust à Dieu, que tant il me feit d’heur,
Qu’ores je peusse escrire au serviteur
Propos, qui fust si fort plaisant au Maistre,
Que mal plaisant ne peulst à la Dame estre.
Certes alors me tiendroys asseuré,
Que cest Escript (tant soit mal mesuré)
Pourroit combattre avecques ton Envoy :
Mais sans cela rien en luy je ne voy
Pour le saulver, qu’il ne se trouvast moindre

Aupres du tien, quand viendroit à les joindre.
Or tel qu’il est, en gré le vueilles prendre :
Plus escriroys, plus me feroys reprendre.


Epistre à Monseigneur le grand maistre de Montmorency par laquelle Marot luy enuoye vn petit recueil de des oeuures & luy recomande le porteur
(De la Suite)

En attendant le moyen et pouvoir,
Que honnestement je me puisse mouvoir
De ce Païs, il m’est prins le courage,
De mettre à part reposer ung Ouvrage,
Qui pour le Roy sera tost mis a fin :

Puis ay choysi une aultre plume, affin
De vous escrire en Rime la presente :
De par laquelle orendroit vous presente
Salut treshumble : et ung Livre petit,
Où j’ay espoir que prendrez appetit :
Car long temps a, qu’il vous a pleu me dire,
Et commander, que le vous feisse escrire.
C’est ung amas de choses espandues,
Qui (quant à moy) estoient si bien perdues,
Que mon esprit n’eut onc à les ouvrer
Si grand labeur, comme à les recouvrer.
Mais comme ardent à faire vostre vueil,
J’ay tant cherché, qu’en ay faict ung recueil,
Et un Jardin garny de fleurs diverses,
De couleur jaulne, et de rouges, et perses.
Vray est, qu’il est sans arbre, ne grand fruict.
Ce neantmoins je ne vous l’ay construict
Des pires fleurs, qui de moy sont sorties.
Il est bien vray qu’il y a des Orties :
Mais ce ne sont que celles, qui picquarent
Les Musequins, qui de moy se mocquarent.

Votre Esprit noble en ce petit Verger
Aulcunesfoys se pourra soulager,
Quand travaillé aura au bien publique,
Auquel tousjours soigneusement s’applique.
Donc (Monseigneur) plus que treshumblement
Je vous supply de cordiallement
Le recepvoir, et du porteur de luy
Avoir pitié. C’est encores celluy
Petit Tailleur entre tous les Tailleurs,
Dont à Bourdeaulx, à Coignac, et ailleurs
Je vous parlay par escript, et de bouche.
Enrichy n’est : il se lieve, et se couche
Soir, et Matin aussi mal fortuné,
Que quand pour luy fustes importuné.
Jadis servit la haulte Seigneurie
De la feu Royne en sa noble escuyrie :

Mais son estat dessoubz la dure Lame
Fut enterré avec la bonne dame.
Or ne peult plus revivre sa Maitresse :
Quant à l’estat maulgré la Mort traistesse
Vous le povez refaire aussi vivant,
Et aussi beau, qu’il estoit par avant.
Las (Monseigneur) faictes ce beau miracle,
Il est aisé. Et si par quelcque obstacle
Ne peult ravoir son estat de Tailleur,
Il ne le fault que tromper d’un meilleur.
Si vous haulsez son estat, et son bien,
Il le prendra : car je le congnois bien
Au pis aller, pour conclure l’affaire,
Je vous supply comme aux aultres luy faire :
Et s’il n’en a (aultant comme eulx) besoing,
Je suis content qu’on n’en preigne le soing.

Priant celluy, lequel vous a faict naistre,
Que cent bons ans vous maintienne grand Maistre,
Ou vous monter en plus digne degré,
Affin que plus luy en saichez de gré.


L’Epistre du coq en l’asne à Lyon Iamet de Sansay en Poictou
(De l’Adolescence)

Je t’envoye ung grand million

De salutz, mon Amy Lyon :

S’ilz estoient d’or, ilz vauldroient mieulx,
Car les Françoys ont parmy eulx
Tousjours des Nations estranges.

Mais quoy ? nous ne povons estre Anges,
C’est pour venir à l’Equivoque :
Pource que une femme se mocque,

Quand son Amy son cas luy compte,
Et pour mieulx te faire le compte,
A Romme sont les grands Pardons.

Il fault bien que nous nous gardons
De dire, qu’on les apetisse :

Excepté que gens de Justice
Ont le temps apres les Chanoynes.

Je ne vey jamais tant de Moynes,
Qui vivent, et si ne font rien.
L’Empereur est grand terrien,

Plus grand que Monsieur de Bourbon.

On dict, qu’il faict à Chambourg bon,

Si faict il à Paris en France :
Mais si Paris avoit souffrance,

Montmartre auroit grand desconfort.
Aussi depuis qu’il gele fort,

Croyez qu’en despit des Jaloux,
On porte souliers de Veloux,
Ou de Trippe, que je ne mente.
Je suis bien fol, je me tourmente
Le cueur, et le corps d’un affaire,
Dont toy, et moy n’avons que faire.
Cela n’est que irriter les gens :

Tellement que douze Sergens
Bien armez jusques au Collet,
Battrons bien ung homme seullet,
Pourveu que point ne se deffende.
Jamais ne veulent qu’on les pende :
Si disent les vieulx Quolibetz
Qu’on ne veoit pas tant de Gibetz
En ce Monde, que de Larrons.

Porte Bonnetz carrez, ou rondz,
Ou Chapperons fourrez d’Hermines,

Ne parle point, et fais des mines,
Te voyla sage, et bien discret.
Lyon, Lyon, c’est le secret,
Aprens tandis que tu es vieulx :
Et tu voirras les Envieux
Courir comme la Chananée,

En disant qu’il est grande année
D’Amoureuses, et d’Amoureux,
De Dolens, et de Langoreux,
Qui meurent le jour quinze foys.
Sabmedy prochain toutesfoys
On doibt lire la Loy civile :

Et tant que Veaulx, qui vont par Ville,
Seront bruslez sans faulte nulle,

Car ilz ont chevauché la Mulle,

Et la chevauchent tous les jours.
Tel faict à Paris longs sejours,

Qui vouldroit estre en aultre lieu.
Laquelle chose de par Dieu

Amours finissent par Cousteaux.
Et troys Dames des Blancs Manteaux
S’abillent toutes d’une sorte.

Il n’est pas possible qu’on sorte
De ces Cloistres aulcunement,
Sans y entrer premierement,
C’est ung argument de Sophiste.
Et qu’ainsi soit, ung bon Papiste
Ne dit jamais bien de Luther,

Car s’ilz venoient à disputer,
L’ung des deux seroit Heretique.

Oultre plus, une femme Ethique
Ne sçauroit estre bonne bague :
D’advantage, qui ne se brague,

N’est point prisé au temps present :
Et qui plus est, ung bon present
Sert en Amours, plus que babilz.
Et puis la façon des Habitz,
Dedans ung an sera trop vieille.
Il est bien vray qu’ung Amy veille
Pour garder l’autre de diffame :

Mais tant y a, que mainte femme
S’efforce à parler par Escript.
Or est arrivé l’Antechrist,
Et nous l’avons tant attendu.

Ma dame ne m’a pas vendu,
C’est une Chanson gringotée,
La Musique en est bien notée,
Ou l’assiette de la Clef ment.
Par la mort bieu, voylà Clement,
Prenez le, il a mangé le Lard.

Il faict bon estre Papelard,

Et ne courroucer poinct les Fées.
Toutes choses qui sont coiffées.
Ont moult de lunes en la teste.
Escripvez moy, s’on faict plus feste
De la Lingere du Palays,
Car maistre Jan du Pont Alays
Ne sera pas si oultrageux,
Quand viendra à jouer ses Jeux,
Qu’il ne nous fasse trestous rire.

Ung homme ne peult bien escrire,

S’il n’est quelcque peu bon lisart.

La Chanson de Frère Grisard,
Est trop [sallée à] ces Pucelles,

Et si faict mal au cueur de celles,
Qui tiennent foy à leurs Marys.
Si le grand Rimeur de Paris

Vient ung coup à veoir ceste Lettre,
Il en vouldra oster, ou mettre,
Car c’est le Roy des Corrigears.

Et ma plume d’Oye, ou de Jars
Se sent desjà plus errenée,
Que ta grand vieille Haquenée :
D’escrire aujourd’huy ne cessa.
Des nouvelles de pardeçà,
Le Roy va souvent à la chasse,
Tant qu’il faut descendre la Chasse
Saint Marceau pour faire pleuvoir.

Or Lyon, puis qu’il t’a pleu veoir
Mon Epistre jusques icy,
Je te supply m’excuser, si

Du Coq à l’Ase voys saultant,
Et que ta plume en fasse aultant,
Affin de dire en petit Metre,
Ce que j’ay oublié d’y mettre.

Epistre qu’il perdit à la condemnade contre les couleurs d’vne damoyselle
(De la Suyte)

Je l’ay perdue : il fault que je m’acquitte,
En la payant au fort me voylà quitte :
Prenez la donc l’Epistre que sçavez,
Et si dedans peu d’eloquence avez,
Si elle est sotte, ou aspre, ou à reprendre,
Au Composeur ne vous en vueillez prendre.
Prenez vous en aux fascheuses, qui prindrent

Vostre party, et qui lors entreprindrent
De haultement leurs caquetz redoubler
Durant le jeu affin de me troubler :
Prenez vous en à ceulx, qui me trompoient,

Et qui mon jeu à tous coups me rompoient :
Prenez vous en à quatre pour le moins,
Qui contre moy furent tous faulx tesmoings :
Prenez vous en à vous mesmes aussi,
Qui bien vouliez, qu’ilz feissent tous ainsi.
Si on ne m’eust troublé de tant de bave,
Vous eussiez eu une Epistre fort brave,
Qui eust parlé des Dieux, et des Deesses,
Et des neuf Cieulx, où sont toutes lyesses.
Sur ces neuf Cieulx je vous eusse eslevée,
Et eusse faict une grande levée,
De Rhetorique, et non pas de Bouclier :
Puis eusse dit, comment on oyt crier
Au fons d’Enfer plein de peines, et pleurs
Ceulx, qui au jeu furent jadis trompeurs :
Donnez vous garde. Or brief (sans m’eschauffer)
J’eusse descrit tout le logis d’Enfer,
Là où iront (si brief ne se reduisent),
Les vrays Trompeurs, qui le Monde seduisent.

Puis qu’on m’a donc l’esprit mis en mal aise,
Excusez moy, si l’Epistre est maulvaise,
Vous asseurant, si l’eussiez bien gaignée,
Qu’elle eust esté (pour vray) bien besongnée :
Mais tout ainsi que vous avez gaigné,
Par mon serment ainsi j’ay besongné.
Non qu’à regret ainsi faicte je l’aye,
Ne qu’à regret aussi je la vous paye.
Tous mes regretz, toutes mes grands douleurs
Viennent (sans plus) de ce, que les couleurs
N’ay sceu gaigner d’une tant belle Dame,
A qui Dieu doint repos de Corps, et d’Ame.


Epistre qu’il feit pour vn vieil gentil homme respondant à la lettre d’vn sien amy
(De la Suyte)

Venus venuste, et celeste Deesse
Ne sentit onc au cueur si grand liesse
En recepvant par Pâris Juge esleu
La Pomme d’or, comme moy, quand j’ay leu
Ta Lettre doulce, et d’amour toute pleine.
Tant coule doulx, tant nayfve a la veine,
Tant touche bien noz jeunesses muées,

Qu’elle a (pour vray) les cendres remuées
De mon vieil aage : et de faict en icelles
Il s’est encor trouvé des estincelles :
Du feu passé, toutesfois non ardentes :
Car quant à moy, les raisons sont patentes,
Qu’ardentement plus ne suis amoureux :
Par consequent, moins triste, et doloreux.
Mais quoy que peu à present je m’en mesle,
Quand de la Dosne à la poignant mammelle
Je vins à lire, aultant fuz resjouy,
Que de propos qu’en mon vivant ouy,
Si fuz je bien de celle de Grenoble.
O qu’elle est belle, et qu’elle a le cueur noble.
Il n’est Amant, qui se sceust exempter
De son service à elle presenter :
Et ne croy pas (ou tu es impassible)
Qu’à ta jeunesse il ayt esté possible

En regardant si parfaicte beaulté
De non sentir sa doulce cruauté.
Bien croy, qu’au faict onc ne t’esvertuas :
Car celle amour qu’en toy party tu as,
Ta foy loyalle, et tes façons pudiques
Vaincroient d’un coup cent Dardes Cupidiques.
Ta Lettre m’a maint plaisir faict sentir,
Mais le plus grand (il n’en fault point mentir)
C’est le rapport de la bonne vinée
De pardelà : car par chascune année
Me conviendra luy livrer les assaulx,
Puis qu’en Amours j’ay jecté mes grands saultz.
A dire vray je deviens vieille Lame,
Et ne puis bien croyre, qu’aulcune Dame
(Tant que tu dis) s’enquiere, et se soucie
De mon estat : neantmoins, te mercie,
Si quelcquefoys de moy tiennent ensemble
Aulcun propos : car par cela me semble
Que Cupido (sans de rien me priser)
En vieil Souldart me veult favoriser.
Or si tu m’as (ainsi comme je pense)
Mis en leur grâce, aulcune recompense
Fors que d’amour à toy n’en sera faicte :
Mais dy leur bien, qu’à toutes je soubhaicte,
Que les soubhaictz, qui d’elles seront faictz,
Deviennent tous accomplis, et parfaictz.
Te suppliant donner Salut pour moy
A celles là, desquelles sans esmoy
Nous devisions, passant mélancolie
Sur le chemin des Alpes d’Italie.
Et pour l’Adieu de ma Lettre, t’afferme
Que nonobstant que nostre Amytié ferme
Tousjours florisse en sa verdeur frequente,
Certes encor ton Epistre eloquente
Pres du Ruisseau Caballin composée,
Luy a servi d’une doulce Rosée,
Qui reverdir la faict, et eslever,
Comme la Rose au plaisant temps de Ver.

A vne ieime dame laquelle vn vieillard marié vouloir, espouser & decepuoir
(De la Suyte)

Non pour vouloir de rien vous requerir,
Non pour plus fort vostre grâce acquerir,
Non pour distraire aulcune vostre emprinse
J’ay le Papier, L’encre, et la Plume prise,
Et devers vous ce mien Escript transmis :
Mais pour aultant qu’il affiert aux Amys,
Et Serviteurs, jamais ne celer rien.

A leurs aymez, soit de mal, ou de bien,
J’ay bien voulu vous escrire (ma Dame)
Chose, qui n’est en congnoissance d’âme,
Fors que de moy. Et de vous n’est point sceue :
Parquoy pourriez en fin estre deceue :
Et je ne veulx vous laisser decepvoir,
Tant que mon œil pourra l’apercevoir.
Or est ainsi, que me trouvay au lieu,
Ou j’esperoys vous pouvoir dire Adieu,
Triste devins, saichant vostre haultesse
Desjà partie. Et adoncques l’Hostesse
Me va monstrer Lettres de vostre main,
Là où teniez propos doulx, et humain
A ung Vieillard, à qui vous les transmistes.
Lors à mon cueur soubdainement vous mistes
Deux pensemens, voyant vostre jeune aage
Favoriser ung si vieil personnage.
Mon pensement premier au cueur me dit,
Que par Amour il n’a vers vous credit,
Car je sçay bien, que Venus jeune, et coincte,
Du vieil Saturne en nul temps ne s’accoincte.
Mon pensement second me fit comprendre,
Que pour Espoux le pourriez vouloir prendre :
Et ne veulx pas de ce vous divertir,
Mais je veulx bien au vray vous advertir,
Que (long temps a) il fut mis soubz le jou
De Mariage, au bas pays d’Anjou,
Et est encor. Si voulez (toutesfois)
Il s’y mettra pour la seconde foys :
Combien pourtant, que bien foible me semble
Pour labourer à deux terres ensemble.

Donc si voulez vostre blonde jeunesse
Joindre, et lyer à sa Grise viellesse,
Il sera bon vous enquerir avant,
Si j’ay parlé du cas comme sçavant,
En ceste Epistre assez mal composée,
Vous suppliant l’avoir pour excusée,
Si elle n’est en termes elegans :
Et recepvoir vueillez aussi les Gans,
Que de bon cueur vous transmectz pour l’Estraine
De l’An present. La chose est bien certaine,
Que voz deux mains tant blanches de nature
Meritent bien plus digne couverture :
Mais s’ilz ne sont à voz mains comparez,
Du bon du cueur (pour le moins) les aurez.
Ainsi rendray mon propos accomply

En cest endroict. Et avant vous supply,
Si rencontrez rien dur en cest Epistre,
De l’oublier, et n’en tenir registre :
Car bien à tord vouldroit l’homme desplaire,
(S’il n’est trop fainct) qui mect peine à complaire.


A celluy qui l’iniuria par escript & ne s’osa nommer
(De la Suyte)

Quiconques soys, tant soys tu brave,
Qui ton orde, et puante bave
Contre moy a esté crachant,
Tu es Sot, Craintif, et Meschant.
Ta Sottie on voyt bien parfaicte
En l’Epistre, que tu as faicte
Sans art, et sans aulcun sçavoir :
Toutesfoys tu cuydes avoir

Chanté en Rossignol ramage :
Mais ung Corbeau de noir plumage,
Ou ung grand Asne d’Arcadie
Feroit plus doulce melodie.
Et pour venir au demourant,
Tu crains fort, ô pauvre ignorant,
Tu crains, qu’envers toy je m’allume,
Tu crains la fureur de ma Plume.
Pourquoy crains tu ? Il fault bien dire,
Qu’en toy y a fort à redire :
Car il est certain, si tu fusses
Homme de bien, et que tu n’eusses
Quelcque marque, ou maulvais renom,
Tu ne craindrois dire ton nom.
Quant est de ta meschanceté,
Elle vient de grand lascheté
D’injurier celluy, qui oncques
Ne te feit offense quelconques :
Et quand je t’auroys faict offense,

Es tu de si peu de deffense,
Si couard, et si baboyn,
De n’oser parler que de loing ?
L’epistre venue de moy
Pour femme, qui vault mieulx que toy,
N’est aultre cas que une risée,
Ou personne n’est desprisée.
Mais toy lourdault mal entendu
En ta response m’as rendu
Pour une risée une injure.
Si je te congnoissois (j’en jure)
Tu sentirois, si mes Lardons
Ressemblent Roses, ou Chardons.


Pour vn gentil homme de la Cour escripuant aux dames de Chasteaudun
(De la Suyte)

D’un cueur entier, Dames de grand value,
Par cest Escript vostre Amy vous salue,
Bien loing de voüs : et grandement se deult,
Que de plus pres saluer ne vous peult.
Car le record de voz grandes beaultez,
Le souvenir des doulces privaultez,
Qui sont en vous soubz honneste recueil,

Cent foys le jour font soubhaitter mon œil
A vous reveoir : mais la grand servitude
De ceste Court, où est nostre habitude,

M’oste souvent par force le plaisir,
Dessus lequel s’assiet tout mon desir :
Et m’esbahy, que veu vostre amytié
N’avez souvent de nous plus grand pitié,
En nous voiant pour noz Princes, et Maistres
Aller, venir parmy ces Boys champaistres,
Puis s’arrester en Villages et Bourgs,
Dont le meilleur ne vault pas voz Faulxbourgs.
Et là Dieu sçait, si en maisons Bourgeoises
Sommes logez : ces grosses Villageoises

Là nous trouvons. Les unes sont Vacheres
En gros estat, et les aultres Porcheres :
Qui nous diront (s’il nous ennuye, ou fasche)
Quelque propos de leur pays de vache.
Lors ces propos, qui mes maulx point n’appaisent,
Me font penser aux vostres, qui me plaisent :
Disant en moy, doulce Vierge honnorée,
Ferons nous cy la longue demourée ?
Prendrons nous point bien tost le droict sentier
De Chasteaudun ? Là gist mon cueur entier :
Non pour le lieu, mais pour meilleure chose,
Qui au dedans de voz murs est enclose.
Ainsi me plainds : et si tost qu’on depart,
Il m’est advis, qu’on tire celle part.
Dont suis deceu : car (peult estre) ce jour
Prendrons d’assault quelcque rural sejour,
Où les plus grands logeront en Greniers
De toutes pars percez comme Paniers.
Encor posé que fussions arrestez
Dedans Paris, et tousjours bien traictez,
Si qu’à soubhait eussions plusieurs delices,
Comme en Chevaulx courir en pleines Lices,
Chasser aux Boys, voller aux grands Prairies,
Ouyr des Chiens les abboys, et brairies,
Et aultre maint beau passetemps honneste,
Si me vient il tousjours en cueur, ou teste
Ung grand regret de vous perdre de veue,
Et ung desir de prochaine reveue :
Car le plaisir, que je prends à vous veoir,
Passe tous ceulx que je pourrois avoir :
Et si n’estoit espoir de brief retour,
Ennuy pourroit me faire ung maulvais tour,

Se transmuant en pire maladie :
Vous advisant (puis qu’il fault que le die)
Que me debvez d’Amour grand recompense :
Car il n’est jour qu’en vous aultres ne pense :
Et ne se passe une nuyct, qu’ung beau songe
De vous ne fasse. Encores (sans mensonge)
L’aultre nuictée en dormant fuz ravy,
Et me sembla que toutes je vous vy
Dessus ung Pré faire cent beaulx esbas
En Cotte simple, et les Robes à bas.
Les unes vey, qui dansoient soubz les sons
Du Tabourin : les aultres aux chansons :
L’aultre en apres qui estoit la plus forte,
Prend sa Compaigne, et par terre la porte,
Puis de sa main de l’herbe verte fauche,
Pour l’en fesser, dessus la cuisse gauche :
L’aultre qui veit sa Compaigne oultrager,
Laissa la Danse, et la vint revenger.
De l’aultre part, celles qui se lasserent,
En leur seant sur le Pré s’amasserent,
Et dirent là une grand Letanie
De plaisans motz. Et jeu sans vilainie.
Que diray plus ? L’aultre ung Banquet de Cresme
Faisoit porter pour la chaleur extrême,
Au moins pour ceulx, qui debvoient banqueter.
Lors me sembla que ne sceu m’arrester,
Que devers vous ne courusse en cest estre :
Mais sur ce poinct voicy une fenestre
De mon Logis, qui tombant feit tel bruit,
Que m’esveillant mon plaisir a destruict.
Ha (dy je lors) fenestre malheureuse,
Trop m’a esté ta cheute rigoreuse.
J’alloys baiser leur bouche doulce, et tendre,
L’une apres l’aultre : et tu n’as sceu attendre.
Si m’esveillay tout fasché, et m’en vins

Faire exposer mon beau songe aux Devins :
Entre lesquelz ung grand Frere Mineur
Je rencontray excellent Devineur,
Qui m’asseura que de trois choses l’une
Me diroit vray. A minuict à la Lune,
Va faire en terre ung grand cerne tout rond,
Guigne le Ciel, sa corde couppe, et rompt,
Faict neuf grands tours, entre les Dents barbotte
Tout à part luy, d’Agios une botte.
Puis me va dire, Amy trescher, je tien
Vray à peu pres l’effect du songe tien :
Si tu vas veoir la Ville desirée,
Garde n’auras de trouver empirée
La compaignie des Dames, et la chere.

Va doncques veoir ceste Ville tant chere
Mieulx que par songe. Alors le Devin sage
Va alleguer là dessus maint passage
De Zoroast, d’Hermes, de la Sibylle,

De Raziel, et de maint aultre habile
Nigromanceur. Puis je luy dy, Beaupere
Vous dictes vray. Ainsi Dames j’espere

Qu’apres avoir bien couru, et veillé
Par la Campaigne, et beaucoup travaillé,
Nostre retour vers Chasteaudun sera :
Là où mon œil se recompensera
De son plaisir perdu si longuement.
Mais en tandis je vous prie humblement,
Prendre la Plume, et faire en Prose, ou Metre
Quelcque response à ma grossiere Lettre.

A Alexis Iure de Quiers en Piedmont
(Du Recueil)

Amy Jure
Je te Jure,
Que desir,
Non loysir,
J’ay d’escrire.

Or de dire,
Que tes Vers
Me sont vertz,
Durs, ou aigres,
Ou trop meigres,
Qui l’a dit,
A mesdit :
Toutesfoys
Je m’en voys
Dire en sens,
Que j’en sens.
Ton vouloir
Faict valoir
Tes Escriptz,
Que j’ay pris
En gré, comme
Si docte homme
Chastelain,

Ou Allain
Les eust faictz.
De leurs faictz
Sans reproches
Tu n’approches :
Mais il fault
Ton deffault
Raboter
Pour oster
Les gros nœudz,
Lours, et neufz
Du langage
Tout ramage :
Et que limes,
Quand tu rimes,
Tes Mesures,
Et Cesures.
Alors Maistre
Pourras estre,
Car ta veine
N’est point vaine :
Mais d’icelle
Le bon zelle
D’amytié
La moytié
Plus j’estime,
Que ta Rime :
Qui ung jour
A sejour

Sera faicte
Plus parfaicte.
Ce pendant
Actedant
Que te voye,
Je t’envoye
Jusque en France
Asseurance,
Que je quiers
Congnoissance
D’ung de Quiers.

A ceulx qui après l’epigramme du beau Tetin en feirent d’aultres

Nobles Espritz de France Poëtiques,
Nouveaux Phebus surpassans les Antiques,
Grâces vous rendz, dont avez imité
Non ung Tetin beau par extremité,
Mais ung Blason, que je feis de bon zelle

Sur le Tetin d’une humble Damoiselle.
En me suivant vous avez blasonné :
Dont haultement je me sens guerdonné.
L’un de sa part, la Chevelure blonde :

L’aultre le Cueur : l’aultre la Cuisse ronde :
L’aultre la Main descripte proprement :

L’aultre un bel Œil deschiffré doctement :
L’autre ung Esprit, cherchant les Cieulx ouvers :
L’aultre la Bouche, où sont plusieurs beaulx Vers :

L’autre une Larme ; et l’aultre a faict l’Oreille :
L’aultre ung Sourcil de beaulté non pareille,
C’est tout cela qu’en ay peu recouvrer :
Et si bien tous y avez sceu ouvrer,
Qu’il n’y a cil, qui pour vray ne desserve
Ung Pris à part de la main de Minerve :
Mais du Sourcil la beaulté bien chantée
A tellement nostre Court contentée,

Qu’à son Autheur nostre Princesse donne
Pour ceste fois de Laurier la Couronne :
Et m’y consens, qui point ne le congnois,
Fors qu’on m’a dit, que c’est un Lyonnais.
O Sainct Gelais creature gentile,

Dont le sçavoir, dont l’Esprit, dont le stile,
Et dont le tout rend la France honnorée,
A quoy tient il, que ta Plume dorée
N’a faict le sien ? ce maulvais vent, qui court,
T’auroit il bien poulsé hors de la Court ?
O Roy Francoys, tant qu’il te plaira perds le,
Mais si le perd tu perdras une Perle
(Sans les susdictz Blasonneurs blasonner)
Que l’Orient ne te sçauroit donner.
Or chers Amys, par maniere de rire
Il m’est venu voulenté de descrire
A contre poil ung Tetin, que j’envoye
Vers vous, affin que suiviez ceste voye
Je l’eusse painct plus laid cinquante fois,

Si l’eusse peu : tel qu’il est toutesfois,
Protester veulx, affin d’eviter noise,
Que ce n’est point ung Tetin de Françoyse,
Et que voulu n’ay la bride lascher
A mes propos, pour les Dames fascher :
Mais voulentiers, qui l’Esprit exercite,
Ores le Blanc, ores le Noir recite :
Et est le Painctre indigne de louange,
Qui ne sçait paindre aussi bien Diable, qu’Ange.
Après la course il fault tirer la Barre :
Apres Bemol il fault chanter Becarre.
Là donc, Amys, celles, qu’avez louées,
Mieulx, qu’on n’a dict, sont de beaulté douées :
Parquoy n’entends, que vous vous desdiez
Des beaulx Blasons à elles desdiez :
Ains que chascun le Rebours chanter vueille,
Pour leur donner encores plus grand fueille :
Car vous sçavez qu’a Gorge blanche, et grasse,
Le Cordon noir n’a point maulvaise grâce.
Là doncq, là doncq, poulsez, faictes merveilles :
A beaulx Cheveux, et à belles Oreilles,
Faictes les moy les plus laidz, que l’on puisse :
Pochez cest Œil : fessez moy ceste Cuisse :
Descrivez moy en stile espoventable
Ung Sourcil gris : une Main detestable :

Sus, à ce Cueur, qu’il me soit pelaudé,
Mieulx que ne fut le premier collaudé :
A ceste Larme, et pour bien estre escripte,
Deschiffrez moy celle d’ung hipocrite :
Quant à l’Esprit, paignez moy une Souche :
Et d’ung Toreau le Mufle, pour la Bouche.
Brief, faictes les si horribles à veoir,
Que le grand Diable en puisse horreur avoir :
Mais je vous prie, que chascun Blasonneur
Veuille garder en ses Escriptz honneur :
Arriere motz, qui sonnent sallement,
Parlons aussi des membres seulement,
Que l’on peult veoir sans honte descouvers,
Et des honteux ne soillons point noz Vers :

Car quel besoing est il mettre en lumiere
Ce, qu’est Nature à cacher coustumiere ?
Ainsi fairez pour à tous agreer,
Et pour le Roy mesmement recreer
Au soing qu’il a de Guerre jà tissue,
Dont Dieu luy doint victorieuse issue :
Et pour le Pris, qui mieulx faire sçaura,
De verd Lierre une Couronne aura,
Et ung Disain de Muse Marotine,
Qui chantera sa louange condigne.

'
A deux Damoyselles
(Du Recueil)

Sus Lettre, il fault que tu desloges :
Par toy saulver je pretendz
La nouvelle Espouse Bazauges,
Aussi Trezay, qui pert son temps.



Mes Damoyselles
Bonnes, et belles,

Je vous envoye
Mon feu de joye :
Si j’avois mieulx,
Devant voz yeux
Il seroit mis.
A ses Amis
Bien, tant soit cher,
Ne fault cacher.
Or est besoing,

Quand on est loing,
De s’entrescrire.
Cela faict rire,
Et chasse esmoy.
Escrivez moy
Donc je vous prie :
Car l’Enfant crie,
Quand on luy fault.
S’il ne le vault,
Il le vauldra,
Et ne fauldra
D’estre à jamais
Tout vostre : mais
Dieu sçait combien
Il vouldroit bien
Vous supplier

Ne l’oublier.
Ailleurs, ne là
Rien que cela
Il ne demande.
Me recommande.


A vne Damoyfelle malade
(Du Recueil)

Ma Mignonne
Je vous donne
Le bon jour.
Le sejour
C’est prison :
Guerison
Recouvrez,
Puis ouvrez
Vostre porte,
Et qu’on sorte
Vistement :

Car Clement
Le vous mande.
Va friande
De ta bouche,
Qui se couche
En danger
Pour manger
Confitures :
Si tu dures
Trop malade,
Couleur fade
Tu prendras,
Et perdras
L’embonpoint.
Dieu te doint
Santé bonne
Ma Mignonne.

Pour la petite Princesse de Nauarre
A Madame Marguerite
(Du Recueil)

Voyant que la Royne ma Mere
Trouve à present la Ryme amere,
Ma Dame, m’est prins fantasie
De vous monstrer, qu’en Poesie
Sa Fille suis. Arriere Prose,

Puis que rimer maintenant j’ose.
Pour commencer donc à Rimer,
Vous pouvez (ma Dame) estimer,
Quel joye à la Fille advenoit
Sachant que la Mere venoit :
Et quelle joye est advenue
A toutes deux à sa venue.
Si vous n’en sçavez rien, j’espere,
Qu’au retour du Roy vostre Pere
Semblable joye sentirez,
Puis des nouvelles m’en direz.

Or selon que j’avoye envye,
Par eau jusques icy l’ay suyvie
Avecques mon bon Perroquet
Vestu de Vert, comme ung Bouquet
De Marjolaine. Et audict lieu
M’a suyvie mon Escurieu,
Lequel tout le long de l’année
Ne porte que robbe Tanée.
J’ay aussi pour faire le tiers

Amené Bure en ses Quartiers,
Qui monstre bien à son visage,
Que des trois n’est pas le plus sage.
Ce sont là des nouvelles nostres :
Mandez nous, s’il vous plaist, des vostres,
Et d’aultres nouvelles aussy :
Car nous en avons faulte icy.
Si de la Court aulcun revient,
Mandez nous (s’il vous en souvient)
En quel estat il la laissa.
Des nouvelles de pardeçà,
Loyre est belle, et bonne Riviere,
Qui de nous revoir est si fiere,
Qu’elle en est enflée, et grossie,
Et en bruyant nous remercie.

Si vous l’eussiez donc abordée,
Je croy, qu’elle fust desbordée :
Car plus fiere seroit de vous,
Qu’elle n’a pas esté de nous :
Mais Dieu ce bien ne m’a donné,
Que vostre chemin adonné
Se soit icy : et fault que sente
Parmy ceste joye presente
La tristesse de ne vous veoir.
Joye entiere on ne peult avoir,
Tandis que l’on est en ce Monde :
Mais affin que je ne me fonde
Trop en Raison, icy je mande
A vous, et à toute la Bande,
Qu’Estienne ce plaisant Mignon
De la dance du Compaignon
(Que pour vous il a compassée)
M’a jà fait Maistresse passée,
De fine force (par mon Ame)
De me dire, tourne ma Dame.

Si tost qu’ensemble nous serons,
Si Dieu plaist, nous la danserons.
Ce temps pendant soit loing, soit pres,
Croiez que je suis faicte expres
Pour vous porter obeissance,
Qui prendra tousjours accroissance,
A mesure que je croistray :
Et sur ce la fin je mettray
A l’Escript de peu de value,
Par qui humblement vous salue
Celle, qui est vostre sans cesse
Jane de Navarre Princesse.


A monsieur le General Preuost
(Du Recueil)

Je l’ay receu ton gracieux Envoy,
Trescher Seigneur, te promettant en foy
D’homme non fainct, que leu, et regardé
L’ay plusieurs fois, et si sera gardé
(Tout mon vivant) parmy toutes les choses,

Que j’ay au cueur par souvenir encloses,
Que je crains perdre, et dont j’ay cure, et soing.
Ce tien Escript (certes) sera tesmoing
A tousjours mais de l’amytié ouverte,
Laquelle m’as de si bon cueur offerte,
Que la reçoy : et par ceste presente
De mesme cueur la mienne te presente.
Bien est il vray, que la tienne amytié
Passe en pouvoir la mienne de moytié :
Mais de retour, je t’offre le service,
Qui ne fauldra de faire son office,
En, et par tout, où vouldras l’employer.
Et sur ce poinct voys ma Lettre ployer,
Pour me remettre aux choses ordonnées,
Que pour t’escrire avoys abandonées.