La Vallée de la peur/II/4

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Traduction par Louis Labat.
Édition Pierre Lafitte (p. 188-204).

IV

LA VALLÉE DE LA PEUR.


En se réveillant, le lendemain matin, Mac Murdo avait de bonnes raisons de se rappeler son initiation à la loge. Il souffrait d’une violente migraine, conséquence d’un excès de boisson, et son bras, à l’endroit où l’on avait imprimé la marque, était brûlant et gonflé. Grâce aux revenus que lui assurait sa petite industrie, il pouvait se permettre de ne travailler qu’à ses heures, Il passa toute la matinée dans sa chambre, et commença par écrire longuement à un ami. Ensuite, il lut le Herald. Une information de la dernière heure portait comme titre : « Attentat criminel dans nos bureaux. – Notre directeur gravement blessé. » C’était la relation de faits qu’il connaissait mieux que le rédacteur lui-même. Elle concluait en ces termes :

« L’affaire est entre les mains de la police, mais on ne peut guère attendre de l’enquête un meilleur résultat que dans le passé. Certains des malfaiteurs ont été reconnus, peut-être établira-t-on leur culpabilité. Inutile de dire que l’attentat est dû à l’infâme société qui depuis si longtemps nous tient en servage, et contre qui le Herald a pris si fermement position. Les nombreux amis de M. Stranger se réjouiront d’apprendre que, malgré les violences sauvages dont il a été victime, et bien qu’il porte de très sérieuses blessures à la tête, on n’a pas de craintes pour sa vie. »

Le Herald ajoutait qu’un détachement de la police des mines, armé de fusils Winchester, avait été réquisitionné pour la défense de ses bureaux.

Mac Murdo avait déposé le journal ; il allumait sa pipe d’une main que faisait trembler la fatigue, quand un coup retentit à sa porte, et sa logeuse lui remit une lettre qu’un gamin venait d’apporter. La lettre n’avait pas de signature. Elle était ainsi conçue :

« Je voudrais vous parler, mais, de préférence, hors de chez vous. Vous me trouverez près du mât de pavillon, à Miller Hill. En y venant, vous apprendrez quelque chose qu’il est important pour vous de savoir, et pour moi de vous dire. »

Mac Murdo lut et relut ces lignes avec surprise, car il n’en pouvait concevoir la signification et il n’en soupçonnait pas l’auteur. Elles eussent été tracées d’une main féminine qu’il y aurait vu le début d’une de ces aventures comme il en avait eu dans sa vie. Mais l’écriture était d’un homme, et, qui plus est, d’un homme bien élevé. Après quelque hésitation, il décida d’y donner suite.

Miller Hill est un jardin public mal tenu, au centre de la ville, très fréquenté en été, mais désolé en hiver. De sa hauteur on découvre la ville, éparpillée, hideuse, et la vallée serpentante, avec ses mines et ses fabriques, noires sur ses flans neigeux, avec les bois encapuchonnés de blanc qui la bordent. Un sentier tortueux entre deux haies d’arbustes verts mena Mac Murdo jusqu’au restaurant, alors désert, qui était, à la belle saison, le rendez-vous des parties joyeuses. Près du restaurant, il y avait un mât de pavillon, et, contre le mât, un homme, le chapeau rabattu sur les yeux, le col relevé. Quand il se tourna vers Mac Murdo, celui-ci reconnut frère Morris qui, la nuit d’avant, avait encouru la colère du Maître.

Les deux hommes en se rapprochant, échangèrent le signe de la loge.

« Je désirais avoir avec vous deux minutes d’entretien, monsieur Mac Murdo, fit le vieillard, parlant avec une hésitation qui montrait combien il se sentait sur un terrain difficile. C’est aimable à vous d’être venu.

— Pourquoi n’avoir pas signé votre lettre ?

— On doit se garder, monsieur. Par le temps qui court, on ne sait jamais comment les choses s’ébruitent, ni à qui l’on peut ou non se fier.

— Pourtant, on peut se fier aux frères de la loge ?

— Non, non, pas toujours ! répondit Morris. On ne dit rien, on ne pense rien, sans que tout en revienne à Mac Ginty.

— Voyons, dit Mac Murdo, sévèrement, vous savez que, pas plus tard que la nuit dernière, j’ai juré fidélité à notre Maître. Voudriez-vous me faire manquer à mon serment ?

— Si vous le prenez ainsi, répliqua Morris avec tristesse, je regrette que vous vous soyez donné la peine de venir. Tout va mal quand deux citoyens libres ne peuvent plus échanger leurs idées. »

Mac Murdo, ayant regardé attentivement son interlocuteur, se départit un peu de son attitude.

« Je parlais pour moi, fit-il. Je suis ici un nouveau venu, étranger à ce qui s’y passe. Ce n’est pas à moi d’ouvrir la bouche, monsieur Morris ; mais si vous croyez avoir quelque chose à me dire, je vous écoute.

— Pour aller le rapporter au patron !

— En vérité, s’écria Mac Murdo, vous me faites injure. J’entends être loyal envers la loge, et vous le déclare tout net ; mais je ne me considérerais pas moins comme un piètre individu si j’allais vous trahir après avoir reçu de vous une confidence. Cela, n’ira pas plus loin que moi, bien que, d’ailleurs, je vous prévienne que vous n’avez à compter ni sur mon aide ni sur ma sympathie.

— Je n’ai eu garde d’y compter, répondit Morris. En parlant comme je le fais, je remets peut-être ma vie entre vos mains ; mais si mauvais que vous soyez, – et il m’a semblé, hier soir, que vous preniez le tour de devenir aussi mauvais que le pire, – vous n’êtes encore ici qu’un novice et ne pouvez pas avoir la conscience endurcie de ces hommes. C’est pourquoi j’ai eu l’idée de causer avec vous.

— Soit ! De quoi s’agit-il ?

— Maudit soyez-vous si vous me livrez !

— Je ne vous livrerai pas.

— Alors, je vous demanderai si, quand vous êtes entré dans la Société des Hommes Libres, à Chicago, et quand vous avez fait vœu de charité et de fidélité, il vous est venu à l’esprit que vous vous engagiez peut-être dans la voie du crime ?

— Voilà un grand mot vite lâché, dit Mac Murdo.

— Vite lâché ! protesta Morris, d’une voix vibrante. Et quel autre emploieriez-vous si vous en saviez davantage ? N’était-ce pas un crime, la nuit dernière, que de battre jusqu’au sang un homme assez âgé pour être votre père ? Si ce n’est pas un crime, comment appelez-vous cela ?

— Certains vous diraient que c’est la guerre, répliqua Mac Murdo, la guerre de deux classes : chacune se sert de toutes ses armes et frappe aussi fort qu’elle peut.

— Eh bien, songiez-vous à une pareille chose quand, à Chicago, vous entriez chez les Hommes Libres ?

— Non, je l’avoue.

— Moi non plus, quand j’entrai chez eux à Philadelphie. Ils formaient un cercle de bienfaisance, où l’on se réunissait en camarades. J’entendis alors parler de Vermissa. Heure funeste où ce nom frappa pour la première fois mes oreilles ! Je vins ici dans l’espoir d’améliorer ma situation. Seigneur ! quand j’y pense ! Ma femme et mes trois enfants m’accompagnèrent. Je montai, sur la place du Marché, un commerce de nouveautés qui prospéra. On n’avait pas tardé à savoir que j’étais un Homme Libre. Je dus m’affilier à la loge locale, tout comme vous l’autre nuit. Ou m’imprima sur l’avant-bras la marque d’infamie, et, dans l’âme, un stigmate plus honteux encore. Je m’aperçus que j’étais sous les ordres d’un vil coquin, et pris dans le lacet du crime. Que faire ? Prononçais-je une parole de modération, on y voyait, comme la nuit dernière, une trahison. Pas moyen de fuir : tout ce que je possède, je l’ai mis dans mon commerce. Si je quitte la société, on me tuera ; et que deviendront ma femme, mes enfants ? Ah ! c’est terrible, voyez-vous, terrible ! »

Morris plongea sa tête dans ses mains, et des sanglots convulsifs le secouèrent.

« J’avais, reprit-il, une conscience, une religion ; mais on a fait de moi un criminel. On me désigna pour une expédition. Je savais ce qu’il adviendrait de moi si je reculais. Peut-être suis-je un lâche… Peut-être la pensée de ma pauvre petite femme et de mes enfants me décida-t-elle… Je marchai. C’est un souvenir qui me hantera toujours. Nous gagnâmes, à vingt-cinq milles d’ici, une maison solitaire, sur les hauteurs. Je fus, comme vous hier, chargé de garder la porte. On n’avait pas confiance en moi pour une mission plus active. Les autres entrèrent. En ressortant, ils avaient les mains rouges jusqu’aux poignets. Au moment où nous repartîmes, un enfant poussait de grands cris dans la maison derrière nous. C’était un enfant de cinq ans qui avait vu assassiner son père. Je faillis m’évanouir d’horreur. Et pourtant, je devais faire le fier, sourire, si je ne voulais point qu’à leur prochaine expédition les meurtriers sortissent de chez moi avec les mains ensanglantées, pendant que mon petit Fred gémirait sur mon cadavre. Mais quoi ! j’étais tout de même un criminel, complice d’autres criminels, perdu dans ce monde et dans l’autre. J’appartiens à la foi catholique ; mais le prêtre refusa de m’entendre quand il sut que je faisais partie de la bande des Écumeurs. Je suis un excommunié. Voilà. Vous êtes en train de descendre la pente que j’ai descendue ; eh bien, je vous le demande, où vous arrêterez-vous ? Êtes-vous prêt à devenir un assassin ? Y a-t-il rien qui puisse vous retenir encore ?

— Que pensez-vous faire ? dit Mac Murdo, brusquement. Nous dénoncer ?

— À Dieu ne plaise ! Il m’en coûterait la vie !

— C’est bon. J’estime d’ailleurs que vous êtes un homme faible et que vous exagérez.

— J’exagère ? Attendez donc d’avoir vécu ici un peu plus longtemps ; Regardez cette vallée. Voyez ces centaines de cheminées dont les fumées l’obscurcissent. Je vous dis que la vapeur du sang y pèse encore plus lourd et plus bas sur les têtes. C’est la Vallée de la Peur, la Vallée de la Mort. L’épouvante y habite les cœurs depuis le crépuscule du soir jusqu’à l’aube. Patience, jeune homme, vous avez beaucoup à apprendre.

— Soit ! quand j’aurai appris, nous recauserons, fit négligemment Mac Murdo. Ce que je vois de plus clair, pour l’instant, c’est que vous n’êtes pas ici à votre place. Plus tôt vous liquiderez votre commerce, dussiez-vous n’en tirer que dix pour cent, mieux cela vaudra pour vous. Je n’abuserai pas de ce que vous m’avez dit ; mais si je pensais que vous fussiez un mouchard…

— Non, non ! s’écria Morris, d’une voix pitoyable.

— Alors, restons-en là. J’ai enregistré vos paroles : peut-être, un jour, m’en souviendrai-je. Sans doute vous avez cru agir dans mon intérêt en me tenant ce langage. Et maintenant, je rentre chez moi.

— Un dernier mot, dit Morris. On peut nous avoir vus ensemble. On peut savoir que nous avons causé.

— En effet.

— Je vous offre un emploi chez moi.

— Je le refuse. Que nous nous soyons rencontrés, c’est votre affaire et la mienne. Au revoir, frère Morris. Puissiez-vous être plus heureux à l’avenir ! »

L’après-midi du même jour, Mac Murdo était assis devant le poêle de sa chambre, et il fumait, perdu dans ses pensées, quand, la porte s’étant ouverte, il vit s’encadrer dans le chambranle l’énorme silhouette du patron Mac Ginty. Les deux hommes s’étant salués du signe de reconnaissance, le Maître s’assit en face du jeune homme et darda sur lui un regard que Mac Murdo soutint sans broncher.

« Frère Mac Murdo, dit-il enfin, je ne fais guère de visites : je ne suis que trop occupé à recevoir celles qu’on me fait. Mais il y a un point que je voudrais traiter avec vous, et j’ai eu l’idée de venir vous surprendre.

— J’en suis fier, conseiller, répondit cordialement Mac Murdo, en allant chercher dans son armoire une bouteille de whisky ; c’est un honneur auquel je n’aurais pu m’attendre.

— Comment va votre bras ? »

Mac Murdo fit la grimace. »

« Ma foi, il ne se laisse pas oublier, dit-il. Mais c’est, après tout, une bien petite peine.

— Oui, dit l’autre, bien petite pour un homme loyal, endurant, et capable de servir la loge. De quoi causiez-vous donc ce matin, avec frère Morris, à Miller Hill ? »

La question venait à l’improviste ; heureusement, Mac Murdo avait sa réponse toute prête. Il partit de rire :

« Morris ne se doute pas que j’ai les moyens de gagner ma vie à domicile. Et je me garderai de l’en informer, car pour des gens comme moi il a trop de conscience. C’est d’ailleurs un fort brave homme. Il me supposait sans ressources et pensait m’obliger en m’offrant une place dans son magasin.

— Tout simplement ?

— Tout simplement.

— Et vous avez refusé la place ?

— Bien sûr. Est-ce que je ne gagne pas dix fois autant dans ma chambre en quatre heures de travail ?

— Sans doute. Au surplus, si j’étais vous, je ne fréquenterais guère ce Morris.

— Pourquoi ?

— Parce que. Cette raison doit vous suffire. Beaucoup s’en contenteraient,

— Beaucoup, c’est possible, mais pas moi, conseiller, répondit hardiment Mac Murdo ; soit dit pour votre gouverne, si vous vous targuez de juger les hommes ! »

Le géant basané le regarda, et sa patte velue se contracta sur son verre, comme pour le lui lancer à la tête. Puis il eut un accès d’hilarité, aussi bruyant que peu sincère.

« Vous êtes, fit-il, un drôle de type. S’il vous faut des raisons, je vais vous en donner. Morris ne vous a-t-il rien dit contre la loge ?

— Non.

— Ni contre moi ?

— Non.

— Preuve que vous ne lui inspirez pas confiance. Mais c’est un frère peu loyal. Nous le savons, nous le surveillons, nous n’attendons que le moment de le rappeler à l’ordre. Je crois que ce moment approche. Pas besoin de brebis galeuse dans notre troupeau. Et quant à vous, si vous fréquentiez un homme peu loyal, comment votre loyauté ne nous serait-elle pas suspecte ?

— Il n’y a pas à craindre que je fréquente cet homme, car je n’ai pour lui qu’une médiocre sympathie. Mais tout autre que vous ne s’aviserait pas deux fois de mettre ma loyauté en doute.

— Bien, bien ! je ne voulais que vous prévenir à temps : c’est fait. »

Et Mac Ginty vida son verre.

« Je serais curieux de savoir, reprit alors Mac Murdo, comment vous avez eu vent de ma conversation avec Morris ?

Mac Ginty se mit à rire.

« J’ai, dit-il, à me tenir au courant de tout ce qui se passe dans la ville. Là-dessus comptez sur moi. Mais il faut que je m’en aille, et, pour conclure, je… »

Il n’eut pas le temps d’achever sa phrase : la porte s’ouvrit à grand bruit, et sur le seuil apparurent trois visages sourcilleux, que surmontait le casque à pointe de la police. Mac Murdo, se dressant d’un jet, sortit à moitié le pistolet de sa ceinture, et s’arrêta net à la vue de trois Winchester braqués au niveau de sa tête. Un homme s’avança, qui tenait un revolver à six coups. C’était le capitaine Marwin, naguère inspecteur à Chicago, passé dans la police des mines. Il hocha la tête en adressant à Mac Murdo un vague sourire.

« Je le pensais bien, dit-il, que vous vous attireriez des désagréments, monsieur Mac Murdo, de Chicago. Cette fois, pas moyen d’échapper, il me semble ? Allons, prenez votre chapeau, et suivez-nous. »

Mac Ginty s’interposa :

« Capitaine Marwin, ceci pourrait vous coûter cher. Où prenez-vous le droit de violer ce domicile et de molester deux honnêtes gens respectueux de la loi ?

— Vous êtes en dehors de cette affaire, conseiller Mac Ginty, répondit le capitaine. Ce n’est pas vous que nous cherchons, mais cet homme. Et vous ne devez pas nous entraver, mais nous aider, dans l’accomplissement de notre devoir.

— Mac Murdo est de mes amis, je réponds de sa conduite.

— Au dire de tout le monde, qui sait si vous n’aurez pas à répondre un jour de la vôtre ? Ce Mac Murdo, avant de venir ici, était un malfaiteur ; il l’est encore. Agents, ne le quittez pas des yeux pendant que je le désarme.

— Voici mon pistolet, dit Mac Murdo, froidement. Vous n’auriez peut-être pas ainsi raison de moi, capitaine Marwin, si nous étions seuls, face à face. »

Mac Ginty renouvela ses protestations :

« Où est votre mandat ? dit-il. Parbleu ! autant vivre en Russie qu’à Vermissa du moment que la police y est faite par des individus de votre acabit ! Vous aurez de mes nouvelles, je vous le promets.

— De quoi m’accuse-t-on ? demanda Mac Murdo.

— D’avoir participé à l’agression dirigée contre le vieux Stranger, dans les bureaux du Herald. Il s’en faut de peu que ce ne soit une accusation de meurtre.

— Eh bien, si vous n’avez contre lui que cette charge, dit Mac Ginty, vous feriez aussi bien d’y renoncer : vous vous épargneriez un mécompte. Cet homme est resté jusqu’à minuit dans mon établissement, à jouer au poker. J’ai une douzaine de témoins pour en fournir la preuve.

— Vous vous arrangerez demain avec la justice. En attendant, suivez-nous, Mac Murdo. Et tenez-vous tranquille, ou gare aux coups de crosse ! Allons, rangez-vous, monsieur Mac Ginty ; je vous avertis que, dans l’exercice de mes fonctions, je n’admets pas de résistance. »

La détermination du capitaine était si évidente que Mac Murdo et le Maître se résignèrent. Ce dernier réussit d’ailleurs à échanger quelques mots tout bas avec le prisonnier avant qu’on l’emmenât.

« Où avez-vous les…? » murmura-t-il.

Il voulait dire les moules à fausse monnaie ; et son pouce dessinait un geste suffisamment explicite.

« En sûreté, répondit Mac Murdo, qui avait aménagé une cachette sous son plancher.

— Au revoir ! lui dit alors tout haut Mac Ginty, en lui serrant les mains. Je vais de ce pas trouver Reilly, l’avocat. Je me charge de votre défense, et je vous garantis qu’on vous relâchera vite.

— C’est ce qu’il ne faudrait point parier, répliqua Marwin. Gardez bien le prisonnier, vous autres. Et tirez sur lui à la première tentative de fuite. Avant de partir, je vais fouiller la maison. »

Marwin procéda effectivement à une perquisition, mais, sans doute, ne trouva pas trace des moules. Puis il repartit avec ses hommes, emmenant Mac Murdo. La nuit était venue ; une tempête de neige rendait les rues à peu près désertes ; cependant, quelques passants suivirent le petit groupe ; et, l’invisibilité leur donnant du courage, ils vomissaient des imprécations contre le prisonnier.

« Qu’on lynche l’Écumeur ! criaient-ils, qu’on le lynche ! »

Au milieu des brocards et des rires, on poussa Mac Murdo dans le dépôt. L’inspecteur de service lui fit subir un interrogatoire de forme, puis on le mit dans la cellule commune. Il y retrouva Baldwin et ses compagnons de la veille, tous arrêtés dans la journée, et qui devaient comparaître le lendemain matin.

Mais il n’y avait pas jusqu’à cette forteresse de la loi où ne s’étendît le bras des Hommes Libres. Dans la soirée, un des gardiens, ayant apporté de la paille pour le couchage, en retira deux bouteilles de whisky, des verres et des cartes. Les détenus passèrent une nuit joyeuse, que ne traversa pas la moindre inquiétude du lendemain.

L’événement montra qu’ils avaient raison d’être tranquilles. Les témoignages ne permirent pas au magistrat de porter l’affaire plus haut. D’une part, en effet, les compositeurs et imprimeurs du Herald durent reconnaître que, tout en croyant les accusés coupables, ils n’osaient certifier sous serment l’identité des agresseurs, qu’ils n’avaient pu bien voir, la lumière étant mauvaise et l’émotion générale ; interrogés par l’habile attorney que Mac Ginty avait engagé pour la circonstance, ils furent encore plus nébuleux. Le blessé, lui, avait déjà déclaré que, surpris par la soudaineté de l’attaque, il n’avait rien remarqué, sinon que le premier des individus qui l’avaient frappé portait une moustache ; et que d’ailleurs, il ne doutait pas d’avoir eu affaire aux Écumeurs, car c’étaient les seuls ennemis qu’il se connût, et ses articles lui avaient depuis longtemps valu des menaces. D’autre part, il fut clairement établi, par les témoignages concordants et catégoriques d’une demi-douzaine de citoyens, y compris le conseiller Mac Ginty, que les accusés avaient passé la soirée à la Maison de l’Union, où ils avaient joué aux cartes jusqu’à une heure beaucoup plus tardive que celle de l’attentat. Dans ces conditions, non seulement on proclama leur innocence, mais peu s’en fallut qu’on n’exprimât le regret de les avoir dérangés et qu’on ne blâmât le capitaine Marwin et la police d’un excès de zèle.

Le verdict souleva les applaudissements d’un public au milieu duquel Mac Murdo apercevait maintes figures familières. Des frères de la loge s’agitaient en lui souriant. Néanmoins, parmi les assistants, il y en eut qui pincèrent les lèvres et firent les gros yeux au moment où les accusés sortirent librement de la salle. En les voyant passer devant lui, un petit homme à barbe noire, qui semblait un gaillard intrépide, formula ainsi sa pensée et celle de ses camarades :

« Tas de bandits ! nous finirons bien, pourtant, par vous avoir ! »