Lavement des pieds - Jean Chrysostome

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Œuvres complètes
Traduction par M. Jeannin.
Texte établi par M. Jeannin, L. Guérin & Cie (8p. 449-457).

HOMÉLIE LXX.[modifier]

AVANT LA FÊTE DE PÂQUES, JÉSUS, SACHANT QUE SON HEURE ÉTAIT VENUE DE PASSER DE CE MONDE A SON PÈRE, COMME IL AVAIT AIMÉ LES SIENS QUI ÉTAIENT DANS LE MONDE, IL LES AIMA JUSQU’À LA FIN. (CHAP. 13, VERS. 1, JUSQU’AU VERS. 12)

ANALYSE.[modifier]

  • 1. Bonté de Jésus-Christ envers ses ennemis et envers tous les hommes.
  • 2. Saint Chrysostome a cru que Jésus-Christ lava les pieds de Judas les premiers. — Le lavement des pieds était une admirable leçon d’humilité donnée par le Seigneur à ses apôtres.
  • 3. Avoir soin des veuves et des orphelins.

1. « Soyez mes imitateurs », dit saint Paul, « comme je le suis moi-même de Jésus-Christ ». (1Cor. 11,1) Car il a pris une chair de notre nature afin de nous enseigner la vertu par la chair, « semblable », dit l’apôtre, « à la chair de péché ; et par le péché même, il a condamné le péché dans la chair ». (Rom. 8,3) Et Jésus-Christ dit lui-même : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur ». (Mt. 11, 29) Il nous l’a appris non seulement par ses paroles, mais encore par ses exemples. Les Juifs l’appelaient samaritain, possédé du démon, séducteur, et lui jetaient des pierres. Tantôt les pharisiens ont envoyé des archers pour le prendre, tantôt ils lui ont fait tendre des pièges par d’autres ; souvent ils l’ont eux-mêmes outragé, quoique néanmoins ils n’eussent aucun reproche à lui faire, et qu’au contraire il leur fit fréquemment du bien. Et cependant, après tant d’insultes et d’outrages, il ne cesse point de les assister par ses paroles et par ses œuvres. Un valet le frappe, et il répond : « Si j’ai mal parlé, faites voir le mal que j’ai dit ; mais si j’ai bien t parlé, pourquoi me frappez-vous ? » (Jn. 18,23)

Mais c’est à ses ennemis, c’est à ceux qui lui dressaient des embûches que Jésus a parlé de la sorte ; voyons maintenant comment il en use à l’égard de ses disciples, ou plutôt ce qu’il fait pour un traître. Judas, le plus indigne et le plus détestable de tous les hommes, est reçu au nombre des disciples, mange à la table de son Maître, voit les miracles qu’il opère, en reçoit mille bienfaits, et il commet l’action la plus noire et la plus horrible qu’on puisse imaginer. Il ne lui jette pas de pierres, il ne lui dit point d’injures, mais il le trahit ; voyez cependant avec quelle douceur, avec quelle bonté Jésus-Christ le reçoit ; il lave ses pieds pour le détourner d’une si grande perfidie par ce bon office. Toutefois, s’il l’eût voulu, il pouvait le faire sécher de même que le figuier (Mt. 21,19) ; il pouvait le fendre en deux, de même qu’il fendit les pierres et déchira le voile du temple. (Id. 28,51) Mais le Sauveur ne voulut point user de violence, il ne voulut pas le tirer par force du dessein qu’il avait conçu de le trahir ; voilà pourquoi il lava les pieds de ce malheureux, de ce misérable, que cela ne fit pourtant point rentrer en lui-même.

« Avant la fête de Pâques », dit l’évangéliste, « Jésus sachant que son heure était venue ». Ce ne fut pas seulement alors que Jésus le sut, entendez que c’est alors qu’il fit ce qui va suivre, mais il était instruit depuis longtemps. « De passer ». L’évangéliste appelle la mort de Jésus-Christ un passage. Cette expression est magnifique. Faites-vous attention, mes frères, que le divin Sauveur étant sur le point de se séparer de ses disciples, leur donne des marques d’un plus grand et plus violent amour ? Ces paroles : « Comme il avait aimé les siens, il les aima jusqu’à la fin », signifient : il n’a rien omis de ce que doit faire celui qui aime ardemment. Pourquoi dès le commencement Jésus-Christ n’a-t-il pas témoigné à ses disciples cet ardent amour ? Il leur en donne de plus grands témoignages à la fin de sa vie, pour augmenter leur charité et leur inspirer plus de fermeté et de courage à souffrir les maux qui leur devaient arriver. Au reste, saint Jean dit : « Les siens », par rapport à leur union et leur attachement à Jésus-Christ, car il donne aussi le même nom aux autres hommes par rapport à la création, comme quand il dit : « Les siens ne l’ont point reçu ». (Jn. 1,11)

Pourquoi ces mots : « Qui étaient dans le monde ? » Parce qu’il y avait aussi des siens qui étaient morts, Abraham, Isaac, et plusieurs autres qui n’étaient point dans le monde. Ne remarquez-vous pas que Jésus-Christ est Dieu de l’Ancien et du Nouveau Testament ? Que signifie cette parole : « Il les aima jusqu’à la fin ? » C’est-à-dire, il a persévéré à les aimer, et l’évangéliste dit que c’est là un témoignage d’un grand amour. (Jn. 10, 15) Ailleurs il en produit un autre, à savoir, que Jésus-Christ a donné sa vie pour ses amis, mais cela n’était point encore arrivé. Pourquoi donne-t-il maintenant à ses disciples ces marques de son ardent amour ? Parce que de pareils témoignages dans un temps où il était si illustre et dans une si haute réputation, étaient plus touchants et beaucoup plus admirables, et aussi parce que se séparant d’eux, il a voulu leur laisser un plus grand sujet de consolation. Cette séparation ne pouvait manquer de jeter les disciples dans une profonde tristesse, le Sauveur a la bonté de leur donner une consolation proportionnée.

« Et après le souper, le diable ayant déjà mis dans le cœur de Judas le dessein de le trahir (2) ». L’évangéliste rapporte cette circonstance, tout étonné que son Maître lave les pieds de celui qui a résolu de le trahir. Il fait connaître l’extrême méchanceté de ce perfide, que ne purent retenir ni un repas pris en commun, ce qui est la chose du monde la plus capable de changer un cœur et d’étouffer tous les mauvais sentiments, ni la douceur d’un Maître qui se possède si bien.

« Jésus, qui savait que son Père lui avait mis toutes choses entre les mains, qu’il était sorti de Dieu, et qu’il s’en retournait à Dieu (3) ». C’est encore avec admiration que saint Jean mentionne ceci. Quoi ! Jésus est si grand et d’une nature si relevée et si excellente, qu’il est sorti de Dieu, qu’il retourne à Dieu, et qu’il commande à toutes choses ; et néanmoins il lave les pieds d’un traître, et néanmoins il s’abaisse à une action si humiliante et si disproportionnée à sa dignité !

Quand l’évangéliste dit que le Père a mis toutes choses entre les mains de Jésus, je pense qu’il a en vue le salut des fidèles ; car lorsque Jésus-Christ dit : « Mon Père m’a mis toutes choses entre les mains » (Mat. 2,27), il parle de cette sorte de don ; comme aussi quand il dit ailleurs : « Ils étaient à vous, et vous me les avez donnés » (Jn. 17,6) ; et derechef : « Personne ne peut venir à moi, si mon Père ne l’attire » (Jn. 6,44) ; et : « S’il ne lui a été donné du ciel ». (Jn. 3,27) Voilà ce qu’il veut dire, ou encore qu’il ne doit rien perdre pour cela de son élévation, lui qui est sorti de Dieu, qui retourne à Dieu (Sag. 1), et qui tient tout sous son pouvoir.

Lorsque vous entendez ce mot : « remettre », ne vous figurez rien d’humain : l’évangéliste ne fait qu’indiquer par là l’honneur que Jésus-Christ rend à son Père, et son union avec lui. Comme son Père lui remet, de même aussi il remet à son Père : saint Paul le déclare en disant : « Lorsqu’il aura remis son royaume à son Dieu et au Père », (1Co. 15,21) Le Sauveur parle donc ici d’une manière humaine ; il fait connaître à ses disciples qu’il a pour eux une charité ineffable, qu’il a soin d’eux comme d’un héritage qui lui appartient, et il leur apprend que l’humilité, qu’il dit être aussi le commencement et la fin de la vertu, est la source de tous les biens. Et ce n’est pas en vain que l’évangéliste a mis ces mots : « Il est sorti de Dieu, et il retourne à Dieu » ; c’est pour nous apprendre que Jésus-Christ n’a rien fait qui ne fût digne de celui qui est sorti de Dieu et qui y retourne ; et qu’il a foulé aux pieds le faste et toutes les vanités de ce monde.

2. « Et s’étant levé de table, et ayant quitté ses vêtements (4) ». Remarquez, mes frères, jusqu’où va l’humilité du divin Sauveur : il ne la borne point à laver les pieds de ses disciples, mais il l’étend aussi à bien d’autres choses ; car, c’est après s’être assis, après que tous s’étaient assis, qu’il se leva de table. Ensuite, non seulement il lava leurs pieds, mais il quitta ses vêtements. Et il ne se contenta pas de cela, mais il mit un linge autour de lui, et ce ne fut pas encore assez pour lui ; il remplit lui-même le bassin d’eau, et ne le donna point à un autre à remplir. Il fait tout lui-même ; en quoi il montre et nous apprend que, quand nous faisons ces petites choses en manière de bonnes œuvres, nous ne les devons point faire négligemment ni par manière d’acquit, mais avec beaucoup de zèle.

Il me semble que Jésus-Christ lava premièrement les pieds de Judas, d’après ce que dit l’évangéliste : « Jésus commença à laver les pieds de ses disciples (5) », et sur ce qu’il ajoute : « Il vint à Simon Pierre ; qui lui dit : « Quoi ! vous me laveriez les pieds (6) ? » Avec ces mêmes mains, dit-il, avec lesquelles vous avez ouvert les yeux des aveugles, vous avez guéri les lépreux, vous avez ressuscité les morts ? Ces paroles ont un grand, sens et une grande force. C’est pourquoi il n’a eu besoin que de ce mot : Vous, qui seul exprime et signifie tout.

On peut ici justement demander pourquoi nul n’a fait de difficultés, si ce n’est Pierre seul, quand cette résistance n’eût pas été un médiocre témoignage d’amour et de respect quelle en est donc la raison ? Il me semble que le Sauveur commença par laver les pieds du traître, avant de venir à Pierre, et que les autres après furent avertis. Car par ces paroles : « Il vint donc à Pierre », il est visible que Jésus ne lava les pieds d’aucun autre avant ceux de Judas. Mais l’évangéliste n’est pas un violent accusateur ; il se borne à une insinuation, en disant : « Il commença ». Quoique Pierre fût le premier, il y a toute apparence que le traître, qui était hardi et effronté, s’assit avant son chef. Et, en effet, son insolence s’était déjà fait connaître par d’autres traits, comme lorsqu’il mit la main au plat avec son Maître (Mt. 26,23), et lorsqu’ayant été repris de ses vices, il n’en fut point touché de componction : bien différent de Pierre, qu’une seule réprimande que lui avait faite son Maître longtemps auparavant, pour lui avoir indiscrètement parlé, quoique par un excès d’amour, retint et intimida si fort, qu’ayant quelque chose à lui demander dans la suite, il n’osa lui-même l’interroger, et dans sa crainte s’adressa à un autre. Mais le traître Judas fut souvent réprimandé, et il ne le sentit, et il ne s’en aperçut même pas.

« Jésus étant donc venu à Pierre, Pierre lui dit : Quoi ! Seigneur, vous me laveriez les pieds ? Jésus lui répondit : Vous ne savez pas maintenant ce que je fais, mais vous le saurez ensuite (6, 7) », c’est-à-dire, vous ne connaissez pas le fruit, l’utilité, l’abondante instruction qui revient de cet exemple, ni à quelle humilité il peut porter les hommes. Que répondit Pierre ? Il résiste, il s’oppose encore, et il dit. « Vous ne me laverez jamais les pieds (8) ». Pierre, que faites-vous ? Vous ne vous souvenez pas de ce que vous a déjà répondu votre Maître, lorsque vous lui avez dit : « Épargnez-vous à vous-même tous ces maux[1] ? » (Mt. 16,22) N’avez-vous pas ouï qu’il vous a répondu : « Retirez-vous de moi, Satan ? » (Id. 23) Vous ne vous corrigez pas, et vous vous laissez encore aller à votre humeur vive et bouillante ? Oui, dit-il, car ce que je vois m’étonne et me surprend prodigieusement. Mais Jésus-Christ reprend encore Pierre, et, pour cela, il se sert justement du violent amour qui lui suggérait cette résistance. Comme donc la première fois il lui fit une forte réprimande et lui dit : « Vous m’êtes un sujet de scandale » (Mt. Id) ; de même à présent il lui parle en ces termes « Si je ne vous lave, vous n’aurez point de part avec moi ». Que répond donc cet homme vif et bouillant ? « Seigneur, non seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête (9) ». Il est prompt, il est vif dans sa résistance, il est encore plus vif et plus prompt dans sa soumission. Mais l’un et l’autre part de son amour.

Mais pourquoi Jésus-Christ ne lui a-t-il pas expliqué la raison qu’il avait de laver ainsi les pieds, et lui a-t-il fait des menaces ? Parce qu’autrement Pierre n’aurait point obéi. Si Jésus-Christ avait dit : Laissez-moi faire, je vous apprendrai par cette action à être humble, Pierre aurait mille fois protesté qu’il serait humble, pour empêcher le Seigneur de s’humilier à ce point. Mais maintenant, que dit Jésus-Christ ? Il le menace de ce que Pierre craignait le plus : savoir, d’être séparé de son Maître. C’est lui qui lui demandait souvent où il irait, et lui disait pour cette raison : « Je donnerai ma vie pour vous ». Si, ayant entendu dire à son Maître : « Vous ne savez pas maintenant ce que je fais, mais vous le saurez ensuite », il ne cessa pas de résister ; bien moins aurait-il cédé, s’il avait déjà su de quoi il s’agissait. Voilà pourquoi Jésus lui dit : « Vous le saurez ensuite » ; sachant bien que si Pierre avait connu son intention, il aurait encore résisté davantage. Et Pierre ne dit point : Apprenez-le-moi maintenant, afin que je vous laisse faire ; mais, ce qui marquait plus de vivacité, il n’eut même pas la patience de l’apprendre, et continua à résister. Non, dit-il, « vous ne me laverez point les pieds ». Mais lorsque Jésus l’eut menacé de n’avoir point de part avec lui, il se rendit et obéit sur-le-champ.

Maintenant, que signifie cette parole : « Vous le saurez ensuite ? » En quel temps ? Lorsque vous chasserez les démons en mon nom, lorsque vous me verrez m’élever dans le ciel, lorsque vous aurez appris du Saint-Esprit que je suis assis à la droite de mon Père : vous saurez alors ce que je fais maintenant. Que répondit donc Jésus-Christ ? Comme Pierre avait dit. « Non-seulement les pieds, mais aussi les « mains et la tête », le Sauveur lui dit : « Celui qui a déjà été lavé n’a plus besoin que de se laver les pieds, et il est pur dans tout le reste (10) ». Et pour vous aussi, vous êtes purs, « mais non pas tous. Car il savait qui était celui qui le devait trahir (11) ». S’ils sont purs, pourquoi lavez-vous leurs pieds ? C’est pour vous apprendre à vous abaisser et à vous humilier. Voilà pourquoi le Sauveur a lavé seulement celui des membres qui paraît le plus vil de tous.

Et que signifient ces paroles : « Celui qui a été lavé ? » C’est-à-dire : Celui qui est pur. Mais les disciples étaient-ils purs, eux qui n’étaient point encore délivrés de leurs péchés, qui n’avaient pas encore reçu le Saint-Esprit ? Étaient-ils purs, lorsque le péché dominait encore dans le monde, lorsque l’arrêt de notre condamnation subsistait, lorsque la victime n’avait point encore été offerte ? Comment donc Jésus-Christ les dit-il purs ? Il les dit purs : mais afin que vous ne croyiez pas que, pour être purs, ils fussent entièrement affranchis du péché, il a ajouté. « Vous êtes déjà purs à cause des instructions que je vous ai données » (Jn. 15,3) ; c’est-à-dire, vous êtes purs, en ce sens que vous avez reçu ma parole : vous avez déjà reçu la lumière : déjà vous êtes délivrés des erreurs et des superstitions juives. Le prophète dit : « Lavez-vous, purifiez-vous, chassez la malice de vos cœurs ». (Isa. 1,16) C’est pourquoi, celui qui a fait ces choses, est lavé et pur. Les disciples ayant donc renoncé à toutes sortes de malices, et vivant avec leur Maître dans une grande pureté d’esprit et de cœur, Jésus-Christ les dit purs, selon la parole du prophète : Celui qui a été lavé est déjà pur. Car le Sauveur n’a point en vue ici la pureté légale qui s’acquiert par l’eau et les cérémonies judaïques : il parle de la pureté de conscience.

3. Soyons donc purs nous-mêmes aussi : apprenons à faire le bien. Et qu’est-ce que faire le bien ? « Faites justice à l’orphelin, défendez la veuve » ; et, après cela : « Venez, et disputons[2], dit le Seigneur ». L’Écriture fait souvent mention des veuves et des orphelins : mais nous n’y avons nul égard. Pensez pourtant à la récompense promise. « Quand vos péchés », dit le Seigneur, « seraient comme l’écarlate, je les rendrai blancs comme la neige ; et quand ils seraient rouges comme le vermillon, je les rendrai blancs comme la neige la plus blanche ». Une veuve n’a personne pour la défendre et la protéger ; voilà pourquoi le Seigneur en prend un grand soin. Une veuve est une femme qui, pouvant se remarier, souffre, par crainte de Dieu, les peines et les afflictions de la viduité. Tendons-leur donc la main, nous tous, et hommes et femmes, de peur que nous ne soyons un jour dans la même peine. Que si nous devons y tomber, assurons-nous par là à nous-mêmes la charité d’autrui.

Les larmes des veuves n’ont pas peu de force et de vertu, elles peuvent ouvrir le ciel même. Gardons-nous bien de les insulter, d’augmenter leurs peines et leurs calamités : mais au contraire assistons-les de toutes manières. Si nous le faisons, nous nous procurerons un asile bien sûr, et dans ce monde et dans l’autre. Ce n’est pas ici-bas seulement que ces femmes nous seront d’un grand secours, c’est encore en l’autre vie ; puisque le bien que nous leur aurons fait retranchera et effacera la plus grande partie de nos péchés, et nous fera comparaître avec confiance devant le tribunal de Jésus-Christ. Puissions-nous jouir tous de ce bonheur, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient la gloire dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

HOMÉLIE LXXI.[modifier]


ET JÉSUS REPRIT SES VÊTEMENTS : ET S’ÉTANT REMIS À TABLE, IL LEUR DIT : SAVEZ-VOUS CE QUE JE VIENS DE VOUS FAIRE ? (VERS. 12, JUSQU’AU VERSET 19)

ANALYSE.[modifier]

  • 1. Endurcissement de Judas. – La conduite de Jésus-Christ à l’égard de ses disciples doit faire réfléchir les maîtres qui sont durs envers leurs serviteurs.
  • 2. L’Orateur insiste sur la leçon d’humilité donnée au monde par le Maître du monde.
  • 3. Ce n’est pas celui qui reçoit l’injure qui est malheureux et à plaindre, mais celui qui la fait. – Récompenses qu’auront et celui qui ne s’est point vengé, le pouvant, et celui qui ne le pouvant pas, a retenu sa colère et sa langue. – Celui qui ne se venge point devient semblable à Dieu. – Plus les exemples sont anciens, plus ils sont propres à persuader.: pourquoi. – Noé parfait en son temps. – Joseph, Mule, modèles de douceur et de patience. – Histoire de Joseph. – Pardonner, afin, que Dieu nous pardonne.


1. Tomber dans l’abîme des péchés, c’est, mes très-chers frères, c’est sûrement un terrible malheur[3]. Il est bien difficile alors que le cœur change et se convertisse. Voilà pourquoi il faut, dès le commencement, faire tous ses efforts pour ne pas se laisser tomber dans les pièges du péché[4]. Il est plus aisé de n’y pas tomber que d’en sortir, lorsqu’une fois on est tombé. Voyez Judas : une fois qu’il fut jeté, tous les secours que lui a offerts son Maître sont devenus inutiles et il ne s’est point relevé. Jésus a dit devant lui : « Un de vous autres est un démon » (Jn. 6,71) ; il a dit : « Je ne dis pas ceci de vous tous » (Id. 13,18) ; il a dit : « Je connais ceux que « j’ai choisis ». (Id) Et Judas n’y a point fait attention. Après donc qu’il leur eût lavé les pieds, il reprit ses vêtements, et s’étant remis à table, il leur dit : « Savez-vous ce que je viens de faire ? » Le Sauveur ne parle plus à Pierre seul, mais à tous. « Vous m’appelez votre Maître et votre Seigneur, et vous avez rai« son, car je le suis (13). Vous m’appelez ». Jésus-Christ approuve le sentiment qu’ils ont de lui. Ensuite, de peur qu’ils ne croient que c’est par complaisance pour eux qu’il l’approuve, il ajoute : « Car je le suis ». En citant ainsi leurs paroles, il ôte à l’affirmation ce qu’elle pouvait avoir de choquant, car leur emprunter leurs expressions et se borner à les confirmer, cette conduite n’était pas propre à inspirer de mauvaises pensées ; « car je le suis », dit-il. Ne voyez-vous pas, mes frères, que Jésus-Christ parle plus ouvertement de soi, lorsqu’il s’entretient seul avec ses disciples ? Comme donc il dit : « N’appelez personne sur la terre votre maître, parce que vous n’avez qu’un seul Maître » (Mt. 22,8) ; il dit de même : « N’appelez aussi personne sur la terre votre père ». Au reste, cette parole : un seul maître et un seul père, n’est pas seulement dite du Père, mais encore du Fils ; si Jésus-Christ ne parlait pas de soi, comment aurait-il dit : « Afin que vous soyez enfants de la lumière ? » (Jn. 12,36) Et encore, s’il appelait Maître le Père seul, comment parlerait-il en ces termes : « Car je le suis ? » Comment dirait-il : « Le Christ[5] est votre seul docteur, votre seul Maître ? »
« Si donc », dit-il, « je vous ai lavé les pieds, moi qui suis votre Seigneur et votre Maître, vous devez aussi vous laver les pieds les uns aux autres. Je vous ai donné l’exemple, afin que, pensant à ce que je vous ai fait, vous fassiez aussi de même (14) ». Mais ce n’est point là une même chose, il est le Maître et le Seigneur, et vous, vous êtes tous des serviteurs les uns des autres. Que veut donc dire ce mot : « De même ? » Avec le même soin et la même affection. Voilà pourquoi le Sauveur nous donne de grands exemples, afin que nous fassions du moins les petites choses. Les exemples que donnent les maîtres aux enfants qu’ils instruisent sont de même, écrits dans les plus beaux caractères, afin qu’ils tâchent de les imiter, quoiqu’imparfaitement.
Où sont-ils maintenant ceux qui ne font aucun cas de leurs frères en servitude ? Où sont-ils ceux qui veulent être honorés ? Jésus-Christ a lavé les pieds d’un traître, d’un sacrilège et d’un larron, lors même qu’il allait le trahir ; il le fait asseoir et manger à sa table, lorsqu’il n’y avait nulle espérance d’amendement et de repentir, et vous, vous avez de hauts sentiments de vous-mêmes et vous vous enflez d’orgueil ? Lavons-nous les pieds les uns aux autres, dit le Sauveur, lavons même ceux de nos serviteurs. Et qu’y a-t-il de si grand à laver même les pieds de nos serviteurs ? Parmi nous toute la différence entre le libre et l’esclave n’est que de nom, mais à l’égard de Jésus-Christ, elle est réelle et véritable. Il est le Seigneur par nature, et nous, par nature, nous sommes des serviteurs et des esclaves, et cependant celui qui est le vrai Seigneur n’a pas dédaigné de faire une action si basse et si humiliante. Mais aujourd’hui il faut se tenir pour content si nous traitons des hommes libres comme des serviteurs et des esclaves achetés au marché.
Que répondrons-nous un jour, nous qui, ayant devant les yeux de si grands exemples de modération et de patience, ne les imitons pas, nous qui en sommes totalement éloignés, nous qui sommes si hauts et si enflés d’orgueil, qui ne rendons pas aux autres ce que nous leur devons ? Dieu nous a faits débiteurs les uns des autres, il a commencé par payer le premier nos grandes dettes, et il ne nous a laissé que la charge d’acquitter les plus petites. En effet, quand il nous a lavé les pieds, il était notre Seigneur ; mais nous, si nous faisons de même, c’est à nos compagnons que nous le faisons. Jésus-Christ nous le fait clairement entendre en disant : « Si donc je vous ai lavé les pieds ; moi qui suis votre Seigneur et votre Maître ». Et encore : « Vous fassiez aussi de même ». On devait s’attendre à ce que le Seigneur dît : À combien plus forte raison devez-vous en faire de même, vous qui n’êtes que des serviteurs ; mais il laisse le soin de tirer la conclusion à la conscience de ceux qui l’écoutent. Mais pourquoi le Sauveur lava-t-il alors les pieds de ses disciples ? Parce qu’ils devaient recevoir des honneurs, les uns plus grands, les autres moins considérables.
2. Afin donc que les disciples ne s’élèvent pas au-dessus des autres, et qu’ils ne disent pas comme auparavant : « Qui est le plus grand ? » (Mt. 18,1), et aussi qu’ils ne conçoivent pas d’indignation les uns contre les autres (Mt. 20,24), Jésus-Christ réprime toutes ces pensées d’orgueil, en disant : Quelque grand que vous soyez, vous ne devez pas vous élever au-dessus de votre frère. Le Sauveur n’a point dit, ce qui était et plus grand et plus fort : Si j’ai lavé les pieds d’un traître, est-ce quelque chose de si admirable que vous laviez les pieds de vos compagnons ? Mais, comme il venait de laver réellement les pieds d’un traître, il laisse cela au jugement de ceux qui en avaient été les témoins. C’est aussi pour cette raison qu’il a dit : « Celui qui fera et enseignera, sera grand dans le royaume des cieux ». (Mt. 5,19) Car c’est véritablement enseigner, que d’enseigner par les œuvres. En effet, quel faste, ce que venait de faire le Seigneur, n’aurait-il pas abattu, quelle ostentation cet acte n’aurait-il pas étouffée ?
Celui qui est assis sur les chérubins lave les pieds d’un traître ; et vous, d homme, vous qui n’êtes que cendre, que terre, que poussière, vous vous élevez d’orgueil, et vous avez une haute opinion de vous-même ? Que si vous voulez vous élever, venez, je vous montrerai le chemin ; car vous ne le connaissez pas. S’attacher aux choses présentes comme à de grandes choses, c’est avoir l’esprit petit et l’âme basse Comme les petits enfants n’ont de désirs et d’ardeur que pour des bagatelles, pour des boules, des toupies, des osselets, et qu’ils ne sont même pas capables de penser à rien de sérieux ; à rien de grand ; de même celui qui s’adonne à la vraie, philosophie ne fera nul cas des choses présentes. Il ne désirera donc pas de les acquérir, ou que d’autres les lui donnent. Mais l’homme qui ne s’applique pas à cette étude, s’attachera d’affection et de cœur à des toiles d’araignées, à des ombres, à des songes, et aux choses les plus viles et les plus abjectes.
« En vérité, en vérité, je vous le dis : Le serviteur n’est pas plus grand que le maître et l’envoyé n’est pas plus grand que celui a qui l’a envoyé (16). Si vous savez ces choses, q vous serez heureux, pourvu que vous les pratiquiez (17). Je ne dis pas ceci de vous tous : mais il faut que, cette parole de l’Écriture soit accomplie : Celui qui mange, du pain avec moi ; lèvera le pied contre moi (18) ». Jésus-Christ répète encore ici ce qu’il a dit auparavant : Si le serviteur, dit-il, n’est pas plus grand que son maître, si l’envoyé n’est pas plus grand que celui qui l’a envoyé, et si j’ai fait cette action, si j’ai lavé vos pieds, à plus forte raison il faut que vous fassiez de même. Ensuite, de peur que quelqu’un ne repartît : Pourquoi parlez-vous de la sorte maintenant, nous n’en voyons pas la raison ? il a ajouté : Je ne vous dis pas ceci, comme si vous ne le saviez pas ; mais c’est afin que vous montriez par vos œuvres que vous le savez. Véritablement tous savent, mais tous ne font pas. Voilà pourquoi le Sauveur dit : « Vous serez heureux, pourvu que vous pratiquiez ces choses ». Encore que vous les sachiez, je vous les répète très-souvent, pour vous porter à les mettre en pratique. Les Juifs les savent aussi, mais ils ne sont pas heureux, parce que ce qu’ils savent, ils ne le font pas.
« Je ne dis pas ceci, de vous tous ». Ah ! quelle patience ! Le Sauveur ne fait point encore des reproches à ce traître, mais il couvre son crime, pour lui donner le temps de faire pénitence ! Et il le reprend, sans néanmoins paraître le reprendre, en disant : « Celui qui mange du pain avec moi, lèvera le pied contre moi ». Il me semble que Jésus-Christ a dit : « Le serviteur n’est pas plus grand que son maître », afin que si un serviteur, ou quelque autre, vile personne, outrage et offense quelqu’un, celui-ci ne se trouble point, considérant ce qu’a fait Judas : Judas, qui, ayant reçu de si grands biens de son Maître, le paie de tant d’ingratitude ! Voilà pourquoi Jésus-Christ a ajouté : « Celui qui mange du pain avec moi ». Et passant sur tous les autres bienfaits, il ne lui reproche que ce qui pouvait l’arrêter et le couvrir de confusion. Celui que je nourrissais, celui qui mangeait à ma table, dit-il, c’est celui-là même qui me trahit. En un mot, le Sauveur disait ces choses afin d’apprendre à ses disciples à faire du bien à ceux qui leur feraient du mal, ceux-ci demeurassent-ils incorrigibles.
Au reste, après avoir dit : « Je ne dis pas ceci de vous tous » ; pour ne les pas jeter tous dans la crainte et dans l’effroi, Jésus-Christ sépare enfin Judas des autres, et le désigne par ces paroles : « Celui qui mange du pain avec moi ». Car ces mots : « Je ne dis pas ceci de vous tous », ne désignaient absolument personne en particulier ; c’est pourquoi il a ajouté : « Celui qui mange du pain avec moi », déclarant à ce malheureux que sa trahison lui était parfaitement connue : et rien n’était plus capable de le détourner de son dessein. Le divin Sauveur n’a point dit Judas me trahit, mais : « Il a levé le pied contre moi », pour faire connaître sa fourberie et les pièges qu’il lui tendait secrètement.
3. Enfin, mes frères, ces choses sont écrites pour notre instruction, afin que nous ne nous mettions point en colère contre ceux qui nous font une injure, et que nous nous bornions à les reprendre et à les plaindre. Car ce ne sont pas ceux qui sont offensés, mais ceux qui offensent, qui sont dignes de larmes. Un ravisseur du bien d’autrui, un calomniateur, et tous ceux qui font du mal, se font un très-grand tort à eux-mêmes. Mais à nous, ils nous procurent de très-grands biens, si nous ne nous vengeons point. Par exemple, un voleur vous a ravi votre bien, vous en avez rendu grâces à Dieu, et vous lui avez rapporté toute la gloire de votre patience : par cette action de grâces, vous avez mérité une infinité de récompenses, de même que ce malheureux s’est préparé un feu immense et éternel.
Mais si quelqu’un dit : Où est mon mérite ? Je n’ai pu me venger par faiblesse et par impuissance, je lui répondrai : Vous auriez pu vous fâcher, vous mettre en colère : il est en notre pouvoir de maudire celui qui nous a offensé, celui qui nous a fait du mal ; il est en notre pouvoir de lancer mille imprécations contre lui, d’en parler mal, et de le perdre de réputation. Vous n’en avez rien fait, vous avez su vous posséder, vous aurez la récompense que mérite celui qui ne s’est point vengé : car il est constant que, eussiez-vous pu le faire, vous ne l’auriez point fait. Un homme qui se sent offensé, se fait des armes de tout ce qui se présente ; s’il ne souffre pas patiemment l’injure qu’on lui a faite, il s’en venge par des malédictions, par des paroles injurieuses et outrageantes, par des embûches. Si donc vous ne vous abstenez pas seulement de toutes ces choses, mais encore si vous priez Dieu pour celui qui vous a offensé, par cette conduite vous devenez semblable à Dieu, qui vous dit : « Priez pour ceux qui vous persécutent, afin que vous soyez semblables à votre Père qui est dans les cieux ». (Mt. 5,44-45)
Ne voyez-vous pas, mes frères, quel gain, quel profit nous retirons des injures ? Rien ne plaît tant à Dieu que de ne point rendre le mal pour le mal, que dis-je, le mal pour le mal[6]? Il nous est ordonné de faire tout le contraire, d’obliger ceux qui nous offensent, de prier pour eux. Voilà pourquoi Jésus-Christ comblait de bienfaits celui qui le devait trahir, il lui lavait les pieds, il lui faisait des reproches en secret, il le réprimandait avec modération et avec douceur, il l’honorait de ses services, de sa table, de son baiser. Et néanmoins Judas n’en est pas devenu meilleur ; Jésus-Christ n’a pourtant pas cessé de faire ce qui était en lui. Mais, je le vois, mes frères : vous présenter l’exemple du Maître, c’est vous proposer un trop grand modèle : passons à l’exemple des serviteurs, tirons-en notre instruction ; et ce qui aura plus de force, servons-nous ici de l’Ancien Testament, de telle sorte que vous voyiez bien que la rancune est un crime sans excuse. Voulez-vous que je vous propose Moïse pour modèle, ou que je remonte encore plus haut ? Plus les exemples sont anciens, et plus ils nous accablent. Pourquoi ? Parce qu’alors il était plus difficile de pratiquer la vertu. Les hommes alors n’avaient point de lois écrites, ils n’avaient pas les exemples des anciens, mais la nature humaine, nue et sans armes, combattait par elle-même, par ses propres forces ; elle était obligée de naviguer sans lest sur la vaste mer de ce monde. Voilà pourquoi l’Écriture, faisant l’éloge de Noé, ne dit pas simple ment qu’il était parfait, mais elle ajoute : « Au a milieu des hommes qui vivaient alors ». (Gen. 6,9) Par là, elle fait voir que c’était dans un temps où il y avait bien des obstacles à surmonter ; d’autres, dans la suite, se sont signalés ; Noé pourtant sera honoré à l’égal des plus grands, vu le temps où il était parfait.
Qui donc avant Moïse a été doux et patient ? Le bienheureux Joseph, ce brave et généreux athlète, qui ayant brillé par sa chasteté, ne se signala pas moins par sa patience. Joseph fut vendu par ses frères, à qui il n’avait fait aucun mal ; ou plutôt il avait été pour eux le serviteur le plus empressé, et ils l’outragèrent par un blâme injurieux ; mais Joseph ne se vengea point, quoiqu’il eût toute l’affection de son père : et il fut leur porter du pain dans le désert ; ne les trouvant pas, il ne s’impatienta point, il ne s’en retourna pas. S’il eût voulu se venger, l’occasion était belle : mais au con traire, il eut toujours un cœur de frère pour ces bêtes féroces, pour ces âmes barbares et inhumaines. Puis, jeté dans une prison, lorsqu’on lui en demanda le sujet, il ne dit aucun mal de ses frères, mais seulement : je n’ai rien fait ; et « j’ai été enlevé par fraude de la terre des Hébreux ». (Gen. 40,15) Et dans la suite, aussitôt qu’il fut élevé en dignité et en puissance, il leur donna du pain, les tira de leur misère, les arracha à une infinité de maux : car si nous veillons, si nous sommes attentifs sur nous-mêmes, la méchanceté du prochain n’est point capable de nous détourner de la vertu. Mais ses frères en avaient usé à son égard d’une manière bien différente : ils l’avaient dépouillé de sa robe, ils avaient voulu le faire mourir, et ils lui avaient reproché le songe qu’il leur avait raconté ; et encore qu’il leur eût apporté de quoi manger, ils cherchaient à lui ôter la vie ou la liberté. (Gen. 37) Ils mangeaient et laissaient mourir de faim leur frère, qu’ils avaient dépouillé et jeté dans une citerne : est-il rien de plus barbare et de plus inhumain ? N’étaient-ils pas plus cruels que des assassins ? Ils le tirèrent ensuite de la citerne, mais ce fut pour l’exposer à mille morts, en le vendant à des hommes barbares et féroces, qui devaient l’emmener chez un peuple barbare.
Élevé sur le trône, Joseph, non seulement ne se vengea point de ses frères, mais encore il excusa leur crime, autant qu’il le pouvait, attribuant tout ce qu’ils avaient fait, non à leur méchanceté, mais à un ordre particulier de la divine Providence. Et s’il fit quelque chose contre eux, ce ne fut point par un dessein de vengeance, mais par feinte, pour les sonder et découvrir leurs sentiments pour son frère Benjamin. Et dès qu’il a reconnu qu’ils le défendent et le protégent, son cœur ne pouvant plus se déguiser, les larmes lui coulent aussitôt des yeux, il embrasse ses frères, comme s’il en eût reçu de grands bienfaits, lui à qui ils avaient voulu jadis ôter la vie : et il les fait tous venir dans l’Égypte, où il les comble de toutes sortes de biens.
Quelle excuse aurons-nous donc un jour, nous qui, vivant après la loi, après la grâce, après de si grandes et si nouvelles leçons de vertu, n’aurons pas même imité celui qui a vécu avant la loi et avant la grâce ? Qui nous délivrera du supplice ? Car rien n’est pire ni plus dangereux que le souvenir des injures. Celui qui devait dix mille talents en est une preuve manifeste : on lui avait d’abord remis sa dette ; mais après, on le força de la payer. (Mt. 18,24) Dieu lui avait remis sa dette par compassion et par miséricorde ; mais sa propre méchanceté, mais sa dureté envers son compagnon, furent cause que le Seigneur lui fit tout payer. Considérons ces choses, mes frères, et pardonnons à notre prochain ses fautes et ses offenses, ou plutôt répondons à ces offenses par des bienfaits, afin que nous puissions obtenir la miséricorde de Dieu, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui la gloire et l’empire appartiennent dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

HOMÉLIE LXXII.[modifier]


EN VÉRITÉ, EN VÉRITÉ ; JE VOUS LE DIS : QUICONQUE REÇOIT CELUI QUE J’AURAI ENVOYÉ, ME REÇOIT MOI-MÊME : ET QUI ME REÇOIT, REÇOIT CELUI QUI M’A ENVOYÉ. (VERS. 20, JUSQU’AU VERS. 35)

ANALYSE.[modifier]

  • 1. Pourquoi, tous les disciples étant dans la crainte, Jean était couché sur le sein de Jésus.
  • 2. Insensibilité de Judas. – Pourquoi Jésus-Christ avait une bourse.
  • 3. Discours après la Cène. – Ce ne sont pas les miracles, mais c’est la charité qui fait et qui montre les disciples de Jésus-Christ. – Reproches que faisaient les gentils aux chrétiens, et sur les miracles ; et sur la charité. – En quoi les apôtres ont fait paraître leur charité. – Les gentils observent les vices et les fautes des chrétiens, pour se fortifier dans leurs sentiments et se défendre d’embrasser la religion chrétienne.


1. Dieu octroie de grandes récompenses à ceux qui protègent ses serviteurs et qui leur font du bien ; et le profit que nous retirons d’une telle conduite est immédiat. Car Jésus-Christ dit : « Celui qui vous reçoit, me reçoit ; et qui me reçoit, reçoit celui qui m’a envoyé ». Recevoir Jésus-Christ, recevoir son Père, qu’y a-t-il de comparable à ce bonheur ? Mais quel rapport ont ces paroles avec celles

  1. Dans la traduction de ce passage je suis la force du terme grec.
  2. « Disputons ». Saint Chrysostome, saint Cyprien, et quelques autres Pères lisent de même : Disputemus, disputons, plaidons, c’est-à-dire : « Voyons qui de nous aura tort ». L’hébreu et les Septante lisent : « Accusons-nous l’un l’autre ». Notre Vulgate dit : « Accusez-moi » : c’est-à-dire, accusez-moi d’injustice, si je vous punis, lorsque vous vivrez dans la justice et dans l’innocence.
  3. Lorsque le méchant est parvenu au plus profond des péchés, dit la sage, il méprise tout, mais l’ignominie et l’opprobre le suivent. (Prov. 18)
  4. Car celui qui néglige les petites choses, tombe peu à peu. (Sir. 19,1) Une âme attachée à Jésus-Christ, dit saint Jérôme, est attentive et aux plus grandes et aux plus petites choses, sachant qu’il lui faudra rendre compte même d’une parole oiseuse. Ad Heliodor.
  5. Le Christ : on lit ce mot dans le Nouveau Testament grec, dans mon Auteur et dans quelques manuscrits.
  6. Ne vous laissez point vaincre par le mal, dit l’Apôtre, mais travailla à vaincre le mal par le bien. (Rom. 41,21)