Le Bruit des Arbres battus d’un vent impétueux

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Le Bruit des Arbres battus d’un vent impétueux
Traduction par Jean-Baptiste Morvan de Bellegarde.
chez les Heritiers de Rothe et Proft (p. 130-131).

FABLE XXV.

Le bruit des Arbres battus d’un vent impétueux.

Le bruit des arbres battus d’un vent impétueux épouvanta tellement les Lièvres, qu’ils ſe mirent tous à fuir avec viteſſe, ſans ſçavoir où ils alloient dans leur fuite. Ils trouverent un Marais qui les empécha de paſſer outre. Les Grenouilles ſaiſies de crainte s’y précipiterent incontinent pour ſe cacher. Au moment que la peur allait faire jetter les Lièvres dans l’Etang, l’un des plus vieux de la troupe les arréta, en leur repréſentant qu’ils avoient pris l’allarme mal-à-propos, à cauſe du bruit du vent & des feuilles. Nous ne ſommes pas les ſeuls qui craignions, continua-t-il, puisque nous avons fait peur aux Grenouilles.


SENS MORAL.

Les lâches ſe laiſſent ſouvent emporter à la peur ; quoiqu’ils n’aient rien à craindre. La ridicule crainte des lièvres, qui réſolurent de ſe précipiter dans un Etang, parce que l’agitation des feuilles les avoit épouvantés, eſt une image naturelle de ce qui ſe paſſe dans le cœur des lâches, qui ſe laiſſent ſouvent troubler par des terreurs paniques ſans aucun ſujet, & qui tombent dans des maux réels, pour en éviter d’imaginaires. Eſope fait parler le plus ancien, & le plus ſage des Lièvres à ſes Compagnons, pour leur repréſenter qu’ils avoient tort de s’abandonner ſi légérement à la crainte, ſans examiner s’ils devoient fuir comme ils faiſoient avec tant de précipitation, quoiqu’ils ne fuſſent pourſuivis d’aucun ennemi, il leur dit encore, pour les conſoler dans leur infortune, qu’ils n’étoient pas les plus malheureux, ni les plus timides des animaux, puiſque les Grenouilles fuyoient devant eux, & qu’elles s’étoient précipitées dans leur Marais à l’approche des Lièvres. Cet exemple doit apprendre à ceux qui murmurent de leurs peines, qu’il y en a encore de plus infortunés, & que quelques maux que l’on endure, il y en a encore qui en ſouffrent de plus cruels. Ainſi en quelque état qu’on ſe trouve, on a plus de ſujet de s’applaudir que de murmurer, en comparant ſa condition avec celle des autres.

Que notre cœur eſt foible ! Il ne faut pour l’abbattre,
Que d’un foible revers ſentir les premiers coups,
Mille autres ont des maux plus fâcheux à combattre.
Regardons-les, ils ſont plus à plaindre que nous.