Le Cerf malade

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Fables choisies, mises en versClaude BarbinLivre xii (p. 28-30).

FABLE VI.

Le Cerf malade.

En païs pleins de Cerfs un Cerf tomba malade.
Incontinent maint Camarade
Accourt à ſon grabat le voir, le ſecourir,
Le conſoler du moins ; Multitude importune.

Eh ! Meſſieurs, laiſſez-moi mourir.
Permettez qu’en forme commune
La parque m’expedie, & finiſſez vos pleurs.
Point du tout : les Conſolateurs
De ce triſte devoir tout au long s’acquitterent :
Quand il plut à Dieu s’en allerent.
Ce ne fut pas ſans boire un coup,
C’eſt-à-dire ſans prendre un droit de pâturage.
Tout ſe mit à brouter les bois du voiſinage.
La pitance du Cerf en déchut de beaucoup.
Il ne trouva plus rien à frire.
D’un mal il tomba dans un pire,
Et ſe vid reduit à la fin
À jeûner & mourir de faim.

Il en coûte à qui vous reclame,
Medecins du corps & de l’ame.
Ô temps, ô mœurs ! J’ai beau crier,
Tout le monde ſe fait païer.