Le Chat et les deux Moineaux

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Fables choisies, mises en versClaude BarbinLivre xii (p. 10-13).

FABLE II.

Le Chat & les deux Moineaux.

À Monſeigneur le Duc de
Bourgogne.


Un Chat contemporain d’un fort jeune Moineau
Fut logé prés de lui dés l’âge du berceau.
La Cage & le Panier avoient mêmes Pénates.

Le Chat étoit ſouvent agacé par l’Oiſeau ;
L’un s’eſcrimoit du bec, l’autre joüoit des pates.
Ce dernier toutefois épargnoit ſon ami.
Ne le corrigeant qu’à demi
Il ſe fût fait un grand ſcrupule
D’armer de pointes ſa ferule.
Le Paſſereau moins circonſpect
Lui donnoit force coups de bec ;
En ſage & diſcrette perſonne
Maître Chat excuſoit ces jeux.
Entre amis il ne faut jamais qu’on s’abandonne
Aux traits d’un couroux ſerieux.
Comme ils ſe connoiſſoient tous deux dés leur bas âge,
Une longue habitude en paix les maintenoit ;
Jamais en vrai combat le jeu ne ſe tournoit.

Quand un Moineau du voiſinage
S’en vint les viſiter, & ſe fit compagnon
Du petulant Pierrot, & du ſage Raton.
Entre les deux Oiſeaux il arriva querelle ;
Et Raton de prendre parti.
Cet inconnu, dit-il, nous la vient donner belle
D’inſulter ainſi nôtre ami ;
Le Moineau du voiſin viendra manger le nôtre ?
Non, de par tous les Chats. Entrant lors au combat,
Il croque l’eſtranger : Vraiment, dit maître Chat,
Les Moineaux ont un goût exquis & délicat.
Cette reflexion fit auſſi croquer l’autre.
Quelle Morale puis-je inferer de ce fait ?
Sans cela toute Fable eſt un œuvre imparfait.

J’en croi voir quelques traits ; mais leur ombre m’abuſe,
Prince, vous les aurez incontinent trouvez :
Ce ſont des jeux pour vous, & non point pour ma Muſe ;
Elle & ſes Sœurs n’ont pas l’eſprit que vous avez.