Le Dialogue (Hurtaud)/163

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Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 306-309).


CHAPITRE X

(163)

De l’excellence de l’obéissance et des biens qu’elle procure à qui la pratique en toute vérité.

Voici donc le vrai moyen qu’emploie le véritable obéissant, et auquel il s’attache plus étroitement chaque jour, pour accroître en lui la vertu d’obéissance, à la lumière de la foi. C’est d’aller, par ses désirs, au-devant des affronts, des mépris, des lourds fardeaux qui lui sont imposés par le supérieur, pour ne pas laisser se rouiller en lui l’obéissance et sa sœur la patience, afin de les trouver toutes prêtes dans le moment où il en a besoin pour agir. Pour ne pas éprouver de répulsion devant la tâche commandée, sans cesse il se tient en appétit de soumission ; continuellement et sans relâche, comme une musique intérieure, chante son désir. L’obéissance est une épouse pleine de zèle, qui ne veut jamais demeurer oisive.

Aimable obéissance ! Délicieuse obéissance ! Suave obéissance ! Obéissance radieuse, qui dissipe les ténèbres de l’amour-propre ! Obéissance vivifiante, qui donne la vie de la grâce à l’âme qui t’a élue pour épouse ; qui la délivre de cette volonté propre qui introduit en elle la division et la mort ! Tu es généreuse, puisque toute créature raisonnable peut faire de toi sa servante. Tu es tendre et compatissante. Avec bonté, avec mansuétude, tu acceptes tous les fardeaux, parce que tu as pour compagnes la force et la vraie patience ! Ton front est ceint de la couronne de la persévérance. Rien ne t’abat, ni les importunités du supérieur, ni les grandes charges qu’il t’impose sans discrétion la lumière de la foi t’apprend à tout supporter. Tu es tellement liée avec l’humilité, qu’aucune créature ne peut t’arracher aux mains du saint désir, dans l’âme qui te possède.

Que dire, très chère et bien-aimée fille, de l’excellence de cette vertu ? Disons qu’elle est un bien sans mélange. Elle demeure cachée dans, la barque, à l’abri de tous les vents contraires. Grâce à elle, l’âme accomplit sa traversée, par les bras de la religion et des supérieurs, et non par les siens ; car le vrai obéissant n’a pas de compte à me rendre de lui-même ; seul son prélat est responsable devant moi.

Enflamme-toi, fille bien-aimée, pour cette glorieuse vertu ! Veux-tu me remercier des bienfaits que tu as reçus de moi, Père éternel ? Sois obéissante ! C’est l’obéissance qui te prouvera que tu n’es pas ingrate, parce qu’elle procède de la charité c’est l’obéissance qui te prouvera que tu n’es pas ignorante, parce qu’elle procède de la connaissance de ma Vérité. Elle est un trésor, que vous a fait connaître mon Verbe qui vous enseigna la voie de l’obéissance, comme votre règle et votre modèle en se faisant obéissant jusqu’à la mort ignominieuse de la croix. Son obéissance est la clef qui a ouvert le ciel, et c’est sur son obéissance qu’est fondée l’obéissance soit commune, soit particulière, comme je te l’ai exposé au commencement de ce traité. Cette obéissance donne à l’âme une lumière qui lui découvre qu’elle est fidèle : fidèle à moi, fidèle à la religion et à ses supérieurs. Dans cette lumière de la très sainte foi, l’âme s’est oubliée elle-même, elle ne se cherche pas pour elle-même ; car, par l’obéissance acquise à la lumière de la foi, elle a prouvé que, dans sa volonté, elle est morte à ce sens propre, dont l’instinct est de se mêler des affaires d’autrui au lieu de s’occuper des siennes. N’est-ce pas, en effet, ce que fait le désobéissant, qui s’applique à scruter la volonté de celui qui lui donne un ordre, pour la juger d’après ses basses pensées et ses vues obscures, au lieu de s’employer à examiner sa propre volonté perverse, qui est pour lui un principe de mort.

Le véritable obéissant, au contraire, juge toujours en bien, à la lumière de la foi, la volonté de son prélat. Aussi ne cherche-t-il jamais sa volonté propre, toujours il incline la tête, et son âme est plus embaumée du parfum de sa parfaite obéissance. Plus l’âme progresse dans la lumière de la très sainte foi, plus aussi, dans l’âme, grandit cette vertu d’obéissance. Car c’est à cette lumière de la foi que l’âme se connaît et me connaît, c’est par elle qu’elle m’aime, plus elle est humble, plus aussi elle est obéissante. L’obéissance, dès lors, et sa sœur la la patience, sont donc le signe que l’âme est vraiment revêtue de cette robe nuptiale de la charité, nécessaire pour entrer dans la vie éternelle.

L’obéissance ouvre le ciel, mais elle demeure à la porte. C’est la charité qui a fourni elle-même cette clef, qui entre, portant avec elle le mérite de l’obéissance. De toutes les vertus, comme je te l’ai dit, la charité est la seule qui ait accès dans la vie qui ne passe pas. Mais la fonction propre de l’obéissance, c’est d’être la clef qui ouvre. C’est par la désobéissance du premier homme que le ciel fut fermé, et c’est l’obéissance de l’humble et immaculé et fidèle Agneau, mon Fils unique, qui rouvrit la vie éternelle, fermée depuis si longtemps.