Le Flâneur des deux rives/Un musée napoléonien inconnu

La bibliothèque libre.
Éditions de la Sirène (p. 101-105).


UN MUSÉE NAPOLÉONIEN INCONNU


Si vous passez rue de Poissy, arrêtez-vous au 14 et essayez de visiter le petit musée napoléonien qui s’y trouve.

Avant la guerre, ce musée avait son organe, le Journal du Musée.

Je ne sais s’il y eut en France et même dans le monde entier de plus curieuse gazette que le Journal du Musée. Bimensuelle, 1er et le 15 de chaque mois. Direction : 14, rue de Poissy. Abonnement : 3 fr. par an. Imprimé en violet au polycopiste, il paraissait sur deux pages à trois colonnes. Cette feuille était publiée par un enfant de dix ans pour servir d’organe de publicité au petit musée qu’il a fondé à la même adresse et qui est consacré à Napoléon.

Ce musée napoléonien est peu connu. Il contient des choses intéressantes et précieuses réunies par ce gamin. Des libraires, des antiquaires, des amateurs, séduits par l’initiative de cet enfant, augmentent par des dons les richesses du musée imprévu. Les abonnés étaient nombreux, m’a-t-on dit, et le journal paraissait en général très régulièrement. Il se vendait à raison de dix centimes le numéro.

J’ai sous les yeux un exemplaire de ce journal singulier. Pour article de tête, la Suite d’une Vie de Napoléon, par G. Ducoudray, s’étend sur une colonne et demie. Après quoi, la rubrique le Musée contient d’importants renseignements.

« Le musée est rouvert. Personne ne le reconnaîtrait. De grands changements se sont produits. Nombreux dons enrichissant le musée parmi lesquels ceux de MM. Thiébaut et Mattei. »

Un conte d’Alphonse Daudet en feuilleton anime d’une façon fort littéraire le Journal du Musée et ce qui reste de place est consacré à l’esprit et à la fantaisie. Voici quelques devinettes.


Quel café fréquent (sic) les spéculateurs ?
Quel café fréquent les gens propres ?
Quel café fréquent les horlogers ?
Qui passe la rivière sans se mouiller ?
Combien de côtés a un pâté carré ?


Voici une épigramme :


Monsieur Binet n’a pas, bien que dans l’opulence,
Le confort, le bien-être aujourd’hui si goûtés.
Quant à moi, si j’avais ce qu’a Binet d’aisance
J’aurais certainement plus de commodités.


Je ne crois pas que l’enfant de dix ans en fût l’auteur. De toute façon elle donnait au Journal du Musée un caractère gaulois qui tranchait nettement sur la pruderie contemporaine. La dernière colonne est occupée par les Réponses aux questions contenues dans le numéro précédent, qui sont suivies par la Réponse au Rébus : « Aide-toi le ciel t’aidera. » Trois personnes seulement ont deviné ce rébus : MM. Grund, Henri Guérard et Mattei.

Un avertissement final nous fait savoir que : « Par suite d’un accident survenu au tirage, le no est paru avec 15 jours de retard. Nous nous en excusons auprès de nos lecteurs. »

Aucun nom de gérant, aucune mention d’imprimeur ne légalise la publication de ce petit journal dont une des principales singularités, l’âge de son directeur et rédacteur en chef, est appelée à disparaître tandis que, pour nous comme pour lui, s’écouleront les années.

J’ai connu d’autres enfants qui s’amusaient à publier des journaux. Mais c’étaient toujours des journaux manuscrits à un exemplaire qu’on se passait de main en main au collège. Je me souviens notamment de l’un de ces pamphlets calligraphié en encres de couleurs variées : noir, violet, vert, bleu, jaune, rouge. Il devait paraître toutes les semaines et l’abonnement se payait en friandises : réglisse, cassonades, boîtes de coco, etc. ; mais il n’y eut point de second numéro.

Une petite fille, qui est aujourd’hui presque une jeune fille, s’était associée, lorsqu’elle avait dix ans, avec un petit garçon de sept ans dans le but de publier un journal. Elle recueillit des abonnements pour la somme de trente francs, sur lesquels elle donna cinq francs au petit garçon et avec le reste s’acheta du chocolat. Car ce qui lui paraissait la réussite anticipée de ses espérances avait donné une entière satisfaction à son besoin d’activité ; c’est ainsi qu’un succès prématuré est presque toujours une cause de décadence pour un poète, un artiste quel qu’il soit.