Le Jubilé (1776)

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Imprimerie de C. Coque (p. 1-4).




LE JUBILÉ.


Ode


PAR N. L. GILBERT,


PUBLIÉE POUR LA PREMIÈRE FOIS À L’OCCASION DU JUBILÉ DE 1776.






J’ai vu l’impiété, de forfaits surchargée,
Triomphante, et partout en sagesse érigée,
Sur nos autels déserts marcher impunément :
Ses soldats, du Très-Haut vainqueurs imaginaires,
Par ces blasphèmes téméraires,
Annonçoient aux mortels leur gloire d’un moment :

« Nous t’avons sans retour convaincu d’imposture,
» Ô Christ ! toi qui disois : Ma loi solide et pure
» Doit survivre au soleil allumé par mes mains ;
» Le soleil luit encore, et dément ta parole ;
» Où règne ta loi frivole,
» Fantôme, autrefois Dieu des crédules humains ? »


Ainsi parloit hier un peuple de faux sages.
Si ce Roi des soleils, sensible à leurs outrages,
Eût dit dans sa pensée : Ingrats, vous périrez ;
Le tonnerre, attentif à son ordre suprême,
Se fût éveillé de soi-même,
Et les eût parmi nous choisis et dévorés.

Mais tu l’as commandé, la foudre est assoupie ;
Grand Dieu ! tu veux confondre et non perdre l’impie.
« Fais triompher ma loi ; renais, temps précieux,
» Ô temps où de la grâce ouvrant la source immense,
» Durant deux saisons de clémence,
» Mon Église élargit l’étroit sentier des cieux. »

Eh bien ! sages d’un jour, ces temps viennent d’éclore ;
Demandez au Seigneur où sa loi règne encore :
La loi du Tout-Puissant fleurit dans nos cités ;
Elle charme vos fils, elle enchaîne vos femmes :
Elle vit même dans vos âmes,
Dont l’orgueil déicide étouffoit les clartés.

Ouvrez les yeux, pleurez vos triomphes stériles ;
Ô Babylone impure ! ô reine de nos villes,
Long-temps d’un peuple athée exécrable séjour !
Dis-nous, n’es-tu donc plus cette cité hautaine
Où l’impiété souveraine
Avoit placé son trône et rassemblé sa cour.


Sitôt qu’aux champs de l’air l’œil du jour étincelle,
Sur les pas de la Croix qui marche devant elle,
Toute une nation, les enfans, les vieillards,
Les vierges, les époux, les serviteurs, les maîtres
Conduits en ordre par nos prêtres,
Du nom de l’Éternel remplissent tes remparts.

Mais que vois-je ? où vont-ils ces fils de la victoire,
Ces guerriers mutilés, chargés d’ans et de gloire,
Restes d’hommes, jadis l’effroi de nos rivaux ?
Pourquoi ce front baissé, ces bras dépouillés d’armes ?
Pourquoi ces prières, ces larmes,
Et ces chefs pénitens qui suivent leurs drapeaux ?

Ô ferveur ! ô d’un Dieu triomphe mémorable !
Pleins de la même foi que ce peuple innombrable,
Dans cet humble appareil implorant ta pitié,
Seigneur, ils vont t’offrir, pour calmer les vengeances,
Et leurs lauriers et les souffrances
D’un corps dont le tombeau possède la moitié.

Ciel ! quel vaste concours ! agrandissez-vous, temples ;
Peuples, prosternez-vous ! Soleil, qui les contemples,
Éclairas-tu jamais des spectacles plus saints ?
Torrens des airs, craignez d’interrompre ces fêtes !
Taisez-vous, foudres et tempêtes !
Jours de paix, levez-vous toujours clairs et sereins !


Tu peux enfin cesser tes plaintes maternelles,
Sion ! quitte ce deuil ; vois tes enfans rebelles,
Dans ces temps de pardon, revoler dans tes bras.
Tout marche, tout fléchit sous ta loi fortunée ;
Et l’impiété détrônée
Cherche où fut son empire, et ne le trouve pas.