Le Loup et le Renard (Livre XII)

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Fables choisies, mises en versClaude BarbinLivre xii (p. 40-45).

FABLE IX.

Le Loup & le Renard.


D’Où vient que perſonne en la vie
N’eſt ſatisfait de ſon état ?
Tel voudroit bien être Soldat,
À qui le Soldat porte envie.


Certain Renard voulut, dit on,
Se faire Loup. Hé qui peut dire
Que pour le métier de Mouton
Jamais aucun Loup ne ſoupire ?

Ce qui m’étonne eſt qu’à huit ans
Un Prince en Fable ait mis la choſe,
Pendant que ſous mes cheveux blancs
Je fabrique à force de temps
Des Vers moins ſenſez que ſa Proſe.

Les traits dans ſa Fable ſemez,
Ne ſont en l’Ouvrage du Poëte
Ni tous, ni ſi bien exprimez.
Sa loüange en eſt plus complete.

De la chanter ſur la Muzette
C’eſt mon talent ; mais je m’attens
Que mon Heros dans peu de tems

Me fera prendre la trompette.

Je ne ſuis pas un grand Prophete,
Cependant je lis dans les Cieux,
Que bientôt ſes faits glorieux
Demanderont pluſieurs Homeres ;
Et ce tems-ci n’en produit gueres.
Laiſſant à part tous ces myſteres,
Eſſaïons de conter la Fable avec ſuccez.

Le Renard dit au Loup, Nôtre cher, pour tous mets
J’ai souvent un vieux Coq, ou de maigres Poulets ;
C’eſt une viande qui me laſſe.
Tu fais meilleure chere avec moins de hazard.
J’approche des maiſons, tu te tiens à l’écart.

Apprens-moi ton métier, Camarade, de grace :
Rens-moi le premier de ma race
Qui fourniſſe ſon croc de quelque Mouton gras.
Tu ne me mettras point au nombre des ingrats.
Je le veux, dit le Loup : Il m’eſt mort un mien frere,
Allons prendre ſa peau, tu t’en revêtiras.
Il vint, & le Loup dit : Voici comme il faut faire
Si tu veux écarter les Mâtins du Troupeau.
Le Renard aïant mis la peau
Repetoit les leçons que lui donnoit ſon maître.
D’abord il s’y prit mal, puis un peu mieux, puis bien,
Puis enfin il n’y manqua rien.

À peine il fut inſtruit autant qu’il pouvoit l’être,
Qu’un Troupeau s’approcha. Le nouveau Loup y court,
Et répand la terreur dans les lieux d’alentour.
Tel vêtu des armes d’Achille
Patrocle mit l’alarme au Camp & dans la Ville.
Meres, Brus & Vieillards au Temple couroient tous.
L’oſt au Peuple bêlant crut voir cinquante Loups.
Chien, Berger & Troupeau, tout fuit vers le Village,
Et laiſſe ſeulement une Brebis pour gage.
Le larron s’en ſaiſit. À quelque pas de là
Il entendit chanter un Coq du voiſinage.
Le Diſciple auſſi-tôt droit au Coq s’en alla,

Jettant bas ſa robe de claſſe,
Oubliant les Brebis, les leçons, le Regent,
Et courant d’un pas diligent.
Que ſert-il qu’on ſe contrefaſſe ?
Pretendre ainſi changer, eſt une illuſion :
L’on reprend ſa premiere trace
À la premiere occaſion.

De vôtre eſprit que nul autre n’égale,
Prince, ma Muſe tient tout entier ce projet.
Vous m’avez donné le ſujet,
Le dialogue & la morale.