Le Mirage perpétuel/L’AMOUR/La Hantise des Yeux

La bibliothèque libre.
Librairie Paul Ollendorff (p. 99-104).


LA HANTISE DES YEUX



I


Vos pupilles de bleu et de noir constellées
Évoquent la splendeur d’un jardin ancestral
Où se pavanerait l’orgueil d’un paon royal
Éployant au soleil ses plumes ocellées.

Vos yeux sont beaux comme des bagues ciselées
Où brillerait un gros saphir oriental,
Ils ont parfois l’éclat sombre et dur du métal,
Parfois l’acuité des flèches envolées.


Je devine en ce bleu et ce noir confondus
La douceur que prendraient vos regards éperdus,
Et dans le cerne brun de vos larges prunelles

Je sens tout un passé tendre et voluptueux
Qu’un souvenir ému ferait revivre en elles
Et qu’avec un baiser je revivrais en eux !


II


Le trouble de vos yeux assombris et le charme
D’un sourire éclairant un peu votre pâleur,
Votre bouche pareille aux lèvres d’une fleur
Où les mots quelquefois tremblent comme des larmes,

Votre main longue et fine aux doigts chargés de bagues,
Votre corps se ployant aux cadences du pas,
La courbe de vos reins souples, vos yeux si las
M’ont transpercé le cœur plus qu’un éclair de dague.


Rien que pour avoir vu dans le soir transparent
Votre apparition vaporeuse et l’enfant
Dont les yeux étonnés m’observaient sans comprendre,

Mon cœur est demeuré méditatif et tendre
Comme si mon bonheur au détour du chemin
S’enfuyait avec vous sur l’aile du Destin !


III


Prunelles surnageant en un lac spacieux
Où des brindilles d’or simulent les étoiles,
Comme ils sont beaux les yeux qui brillent sous des voiles,
Et comme ils sont charmants tes cils capricieux !

Grappes de raisins blancs piqués de raisins bleus,
Comme ils sont beaux tes seins tout gonflés de luxure,
Et comme elle est splendide aussi ta chevelure
Où je vais me blottir comme un oiseau frileux !


Tes lèvres sont un fruit humide de rosée,
Ta langue est un esprit subtil, et ma pensée
S’attarde au souvenir fauve de la toison,

D’où, certains soirs, ainsi que d’une cassolette
Parmi les longs désirs et les ardeurs secrètes
Monte le cher parfum de notre pâmoison.