Le Mirage perpétuel/LA MUSIQUE/Andante

La bibliothèque libre.
Librairie Paul Ollendorff (p. 75-78).


ANDANTE



Le crin des longs archets mord aussi notre cœur,
Bethove, et le sanglot de ta longue souffrance
Emplit notre âme encor d’ineffable langueur,
Et se prolonge en de profondes résonnances.

Du chaos de l’orchestre où chantent tant de voix
Vers un ciel nuancé de couleurs indécises
Se déroule d’abord comme spirales grises
La tristesse légère et fine des hautbois.


Comme le bruit lointain d’une source sonore
Du haut des harpes d’or les notes jaillissant
Font le bruit cristallin des anciennes mandores
Ou des luths que les dieux s’en allaient caressant.

La sveltesse du thème attristé, le murmure
Des flûtes chuchotant des aveux ingénus,
Tout se mêle et voici qu’on ne distingue plus
Qu’un tumulte croissant d’angoisse et d’aventure ;

Les désirs, les remords, les chants voluptueux
Fusent confusément comme dans un bruit d’aile
Et le grave regret des lents violoncelles
Pénètre doucement l’andante douloureux.

Un chant clair cependant grandit dans l’ombre et monte
Ainsi qu’un long jet d’eau par dessus les bassins,
Le violon respire, enfle la voix, surmonte
L’incertaine rumeur des instruments voisins,

Et comme en paraissant un jeune dieu s’impose,
S’insinue en nos cœurs le jeune virtuose :

Par lui nous défaillons comme sous un baiser
Qui nous épuiserait, et ses longues tenues
Font tressaillir parmi nos âmes suspendues
De minces fibres d’or effilé si ténues
Qu’on les dirait toujours prêtes à se briser.

Quand il frémit, on croit qu’une main féminine
Se joue en nos cheveux avec des doigts légers,
Et l’on ferme les yeux à demi pour garder
L’austère expression d’une extase divine ;

Mon visage inondé de pleurs silencieux
Se penche en savourant son cantique suave,
Je me sens la pâleur délicieuse et grave
D’un amoureux fervent écoutant des aveux.


Je suis comme un enfant dans ses langes natales,
Mon sang tumultueux s’apaise, je souris
Au rêve intérieur de mes songes fleuris
Et m’abandonne au gré des ondes musicales…

Soudain de lents hautbois reprennent tour à tour
Sur un mode mineur leurs plaintes trop subtiles,
Et comme exaspéré de tendresse inutile
Le bois des violons se déchire d’amour.

Ah ! cris aigus des chanterelles douloureuses !
Dernier sanglot, semblable au spasme, rire amer,
Cordes, vous souffrez donc comme mes propres nerfs
Que vous hurlez ainsi dans les heures affreuses !…

Qu’on laisse maintenant planer de grands accords,
De blancs accords pareils à des envols de cygnes,
Je sens déjà flotter une douceur insigne
Et le calme descendre en moi comme la Mort.