Le Miroir des jours/Douce tromperie

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Le Miroir des joursMontréal (p. 117-118).


DOUCE TROMPERIE


 
Je ne suis pas si fou, ma chère enfant, de croire
Aux rêves que je fais et qui, dans ma mémoire,
Comme sur un papier vieilli des mots tracés,
Ont paru clairement et sont presque effacés.
Aussi, sans nul regret comme sans amertume,
J’en ébauche souvent le croquis à la plume.
Nés du désir, ils sont passagers comme lui,
Et c’est parce qu’une heure en mon âme ils ont lui,
Parce que chaque jour je pourrai les reprendre,
Que de leur doux plaisir je ne puis me défendre.

J’en jouis à l’instant bref où je les conçois,
Et ce moment me vaut des semaines, des mois
D’espoirs et de projets tous irréalisables, ―
Mais je n’y crois pas plus qu’aux fictions des fables.
Ainsi, ma chère amie, évoquant vos beaux yeux,
Quand mon rêve vous dit des mots ambitieux
Et dont la passion vous fait frissonner toute,
Je sais que je me leurre et que moi seul m’écoute…

Que vous importe, à vous qui n’en apprenez rien,
Si ce mensonge-là, chère, me fait du bien ?