Le Péril jaune

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V Giard & E Brière (p. --8).

LE PÉRIL JAUNE

PAR
J. NOVICOW
Membre de l’Institut International de Sociologie.

Extrait de la Revue Internationale de Sociologie.

PARIS
V. GIARD & E. BRIÈRE
libraires-éditeurs
16, Rue Soufflot, 16

1897



Le péril jaune[1].


« Partout où l’ouvrier chinois ou même nègre est en concurrence avec l’ouvrier blanc, dit M. E. Faguet[2], celui-ci est vaincu ». Nous avons assez vu cela dans l’Outre-Mer de Bourget, où le terrible problème des races est si nettement posé ! « L’ouvrier à cinq sous est naturellement vainqueur de l’ouvrier à cinq francs ».

Le « péril jaune » est signalé de toutes parts. Les Chinois sont quatre cents millions. Théoriquement ils peuvent mettre trente millions d’hommes sur pied de guerre. Un beau matin, ils devaient envahir l’Europe, massacrer ses habitants et mettre fin à la civilisation occidentale. Cela paraissait un dogme inattaquable. Mais on s’est aperçu dans ces derniers temps que les Chinois éprouvent une horreur insurmontable contre le service militaire. Depuis qu’ils se sont laissés battre par les Japonais, dix fois moins nombreux, les pessimistes ont fait volte face. Le « péril jaune » n’est plus à craindre sous forme d’invasion militaire, du moins pour une période qui peut entrer dans nos préoccupations, le « péril jaune » vient surtout de l’ouvrier chinois qui se contente de cinq sous.

« L’habileté de l’ouvrier oriental, sa sobriété extrême, ne font de doute pour personne, dit M. H. Normant[3]. Entre deux ouvriers également habiles, celui qui est le plus sobre est déjà assuré de la supériorité ; il en sera bien plus certain encore s’il se contente d’un salaire très inférieur à celui de son concurrent. Or c’est le cas de l’ouvrier jaune par rapport à l’ouvrier blanc. Celui-ci est vaincu d’avance. L’ouvrier jaune tient l’ouvrier blanc à sa merci ». Les Chinois, les Hindous, les nègres se contentant d’un faible salaire, fabriqueront bientôt tous les produits à meilleur marché que les blancs ; alors personne ne voudra plus acheter les articles des blancs. N’ayant plus de travail, ceux-ci seront réduits à mourir de faim. L’Europe deviendra une solitude et notre civilisation périra.

Il y a dans ces raisonnements une série d’erreurs qu’il est bon d’examiner une à une.

Où a-t-on pris d’abord que les races inférieures se contentent d’un petit salaire ? Or tout l’édifice de l’argumentation pessimiste est basé sur cette affirmation. Le Chinois se contente de quelques sapèques et vit d’une poignée de riz. Il est sobre ; donc ses produits seront moins chers que les nôtres, donc il nous écrasera.

L’affirmation que les races inférieures se contentent d’un bas salaire quand elles peuvent obtenir un salaire élevé ne supporte pas l’examen un seul instant.

Au Transvaal les ouvriers cafres ont des salaires de 75 francs par mois, plus la nourriture, qui revient à 85 francs. Cela leur fait donc 5 fr. 35 par jour. Les Chinois en Californie gagnent 5 francs par jour[4].

Nous le demandons, pourquoi, dans ces deux cas, les représentants de ces races inférieures ne se « contentent-ils » pas de 25 centimes ? Cela vient de la plus élémentaire des raisons. Les Chinois, comme toutes les créatures vivantes, fuient la douleur et recherchent le plaisir. Il n’y a pas de lois biologiques différentes pour les Européens et pour les « vils » Chinois. Les lois de la nature et les lois sociales sont les mêmes pour toutes les races. Dès qu’un individu a la possibilité de gagner 5 francs, il ne se « contente » plus de gagner cinq sous. L’ouvrier chinois en Californie demande 5 francs par jour sans aucune hésitation et, s’il pouvait en obtenir dix, il les réclamerait immédiatement. Le taux des salaires dépend de facteurs économiques, non de facteurs biologiques. La couleur de la peau et l’angle facial n’ont rien à voir en cette affaire. Un noble Aryen peut avoir des salaires très bas (beaucoup d’ouvriers européens envieraient les salaires des Cafres du Transvaal), un « vil » Touranien des salaires très hauts. D’autre part il ne suffit pas d’être de même race pour avoir les mêmes salaires. Actuellement un charpentier, à Coolgardie, gagne 16 francs par jour et à Odessa seulement 4. Tous les deux sont des blancs cependant.

Si le Chinois se contente de quelques sapèques dans son pays, c’est qu’il ne peut pas faire autrement. Mais dans son pays, dès qu’il peut obtenir davantage, il ne s’en contente plus. Les bases fondamentales des sociétés hindoues et chinoises sont les mêmes que les nôtres. On y observe, comme chez nous, la plus grande variété des fortunes. En Chine, aux Indes, comme en Europe, il y a des millionnaires et des mendiants. En Chine, comme en Europe, les hommes travaillent jour et nuit pour acquérir des richesses. Quelques-uns réussissent et amassent de grandes fortunes, d’autres ne réussissent pas, restent dans la médiocrité ou même dans la misère. Mais la poussée de bas en haut, l’ascension perpétuelle de la pauvreté à l’opulence s’observe en Asie comme en Europe. C’est la trame journalière de la vie sociale. À chaque instant, en Chine comme chez nous, certains individus montent les échelons du bien-être, d’autres les descendent.

Eh bien, quand on affirme que notre race est condamnée à périr parce que les ouvriers chinois se contentent d’une poignée de riz, on méconnaît les fénomènes sociaus les plus universels. Dès qu’un Asiatique peut gagner de l’argent, il ne se contente plus d’une poignée de riz. Combien les pessimistes ne nous rebattent-ils pas les oreilles de la « sobriété » des Chinois, qui doit être l’écueil contre lequel se brisera notre civilisation ! Eh bien, ils tombent mal. Précisément le Chinois est l’homme le moins sobre de la terre. Nulle part la cuisine n’a reçu autant de raffinement que dans le Céleste Empire. Des repas de 140 plats y sont fréquents. Les Chinois dépensent des sommes considérables pour se procurer les mets les plus rares. Les pessimistes, un peu brouillés d’ailleurs avec la géographie, oublient que toute la Chine ne se trouve pas dans la zone chaude, où une nourriture très abondante est moins nécessaire. Les Hindous, vivant sous un ciel de feu, sont naturellement assez sobres. Mais on peut manger peu et bien. Chez les riches habitants de Calcutta et de Bénarès, la table est servie de mets forts variés. On se donne aussi dans l’Inde le plaisir de la bonne chère.

Si donc le plus grand danger de notre civilisation vient de ce que les Asiatiques se contenteront, soi-disant, toujours d’une poignée de riz, nous pouvons dormir tranquilles.

Ce qui a contribué à créer la légende de la sobriété chinoise, c’est que les émigrants de l’Empire du Milieu font de grandes économies dans le pays où ils vont travailler temporairement. C’est aussi le cas des Italiens. Mais si les Célestes se contentent d’une poignée de riz pendant quelques années, c’est pour mieux vivre, plus tard, quand ils seront rentrés dans leur pays.

Le Chinois ne peut faire que trois usages des bénéfices réalisés dans nos pays. D’abord il peut les consommer immédiatement. En ce cas, en ayant un salaire de 5 francs, il vivra sur un pied de 5 francs et non sur celui de 25 centimes. Il ne se contentera donc pas d’une poignée de riz. Il fera marcher le commerce. En second lieu le Chinois peut économiser et faire valoir ses capitaus. Alors lui ou d’autres personnes achèteront des instruments de travail, ensemenceront des champs restés en friche, bref accroîtront la prospérité du pays. Car faire valoir des capitaus signifie les appliquer à une production quelconque. Enfin le Chinois peut mettre ses économies dans un bas de laine, comme faisaient autrefois les paysans européens. Mais il viendra forcément un jour où son fils ou son petit-fils les retireront du bas, les uns pour augmenter leurs jouissances actuelles, les autres pour les faire valoir. Ces capitaus rentreront alors dans la circulation. Il n’y aura de perdues que les monnaies enfouies dans le sol et oubliées. Mais ce cas est bien rare ; les chercheurs de trésors en sont généralement pour leur peine.

Peu importe l’endroit où le Chinois consomme ses économies ; que ce soit l’Amérique ou le Céleste-Empire, ces capitaus rentrent dans la circulation universelle et produisent leur effet indirect dans le pays dont ils sont sortis.

Il ne faut pas oublier de plus que, si l’ouvrier hindou reçoit un salaire inférieur, il produit aussi un travail inférieur. « On estime qu’une même filature de 30,000 broches exigerait 750 ouvriers à Bombay et seulement 120 dans le Lancashire »[5]. Quelques industriels anglais font venir des ouvriers américains. Ils les payent plus cher, mais, comme ils font de la meilleure besogne, les produits reviennent à meilleur marché. Ce fait est habituel dans l’industrie moderne. Aux Indes même, quand les ouvriers deviennent plus habiles, ils reçoivent des salaires supérieurs, allant jusqu’à 2 francs et 2 fr. 40. On le voit, c’est dix fois plus que les fameux cinq sous.

De nos jours, dans l’industrie, on essaie, dès que c’est possible, de substituer le travail à la tâche au travail à la journée. Cela étant, des Hindous et des Chinois peuvent gagner des journées supérieures à celle de l’Européen en travaillant avec plus d’application. Or, à partir du moment où les Asiatiques gagneront plus que les Européens, comment pourra-t-on affirmer que les jaunes écraseront les blancs par les bas salaires ?

Mais il y a une dernière considération supérieure à toutes les autres. Tous les jours le prix des produits dépend de plus en plus des perfectionnements de l’outillage et de moins en moins du taux des salaires.

Un exemple bien souvent cité. Avec un métier circulaire une ouvrière peut faire 480,000 mailles par minute. À la main, la plus habile n’en peut faire que 80. Supposons que l’ouvrière, maniant ce métier, reçoit 10 francs par jour (nous exagérons à dessein) et supposons que les autres frais de l’usine (force motrice, réparation des machines, frais d’administration, etc.) montent encore à 30 francs par ouvrière et par jour. Dans ces conditions, pour faire concurrence au métier, l’ouvrière, travaillant à la main, devrait se contenter d’un salaire inférieur à 7 dixièmes de centimes. Si extraordinairement sobre qu’on la suppose, il faut avouer que, même aux Indes, elle trouverait difficilement à se nourrir pour ce prix là.

Les machines fabriquant le papier de journal « marchent à la vitesse de 70 mètres par minute, dit M. le vicomte d’Avenel[6]. Une heure suffit pour obtenir ces énormes rouleaux dont la longueur atteint jusqu’à 5,000 mètres que les presses rotatives de Marinoni se chargeront de noircir. L’opération s’accomplit toute seule. Un unique ouvrier y assiste, accoudé contre un bâti ; il se penche parfois sur un cylindre, examine le papier, serre un écrou, verse un peu d’huile, puis rentre dans son immobilité, type expressif du travail moderne ». Ainsi un seul ouvrier peut faire, dans une journée, une bande de cinquante kilomètres de papier, presque sans se donner aucune peine[7]. C’est beau ! Et cependant on est allé encore plus loin ; on a supprimé même cet unique ouvrier. Un ingénieur américain, M. Charles S. Cooper, a perfectionné le métier à tisser d’une façon extrêmement remarquable. Laissons parler M. Daniel Bellet[8]. « Dès qu’un fil de la chaîne se casse, ou dès que le fil s’échappe de la navette, ou enfin qu’un dérangement quelconque se produit, qui ne pourrait être dans les métiers actuels constaté que grâce à l’attention de l’ouvrier, le métier s’arrête automatiquement… Cela permet au nouveau métier de travailler seul pendant un certain temps (l’unique danger que l’on court en agissant ainsi est qu’il s’arrête si quelque chose vient à se déranger). Aussi on laisse fonctionner le nouveau métier pendant le déjeuner, puis pendant toute la nuit. En rentrant le matin on trouve une sérieuse quantité de tissu fait. Cela augmente la production dans une proportion énorme. » Voilà bien ce qu’Aristote demandait pour supprimer l’esclavage : « les navettes marchant toutes seules ». Encore une fois, comment l’ouvrier hindou ou chinois, si sobre qu’on le suppose, pourra-t-il lutter contre cette machine ? Avec le métier Cooper un ouvrier fait 752 mètres de tissu par jour.

Il en est de toutes les industries comme de celles du papier et du tissage. Le bon marché du produit provient de la substitution de la machine au travail humain. Dans l’Inde et la Chine, où les ouvriers se paient si peu, on trouve avantage à établir de grandes filatures mécaniques ; donc, même dans les pays de salaires dérisoires, la machine bat l’homme.

Pour produire à meilleur compte que nous, les Asiatiques devraient avoir un outillage industriel plus perfectionné que le nôtre. Pour posséder des machines supérieures à celles de l’Occident, ils devraient inventer des procédés plus avancés. Ce n’est pas impossible, à coup sûr, mais cela demandera beaucoup de temps. Tout se tient dans la vie sociale. L’invention provient, dans une certaine mesure, du développement de l’esprit scientifique. Cet esprit scientifique, à son tour, est la résultante de milliers de facteurs forts complexes. Pour faire que la société hindoue et chinoise arrive à l’état mental des Américains du Nord (état particulièrement propice à l’esprit d’invention), il faudra d’innombrables efforts pendant des siècles. Mais, dira-t-on, les Asiatiques nous achèteront notre outillage. Parfaitement ; mais dans ce cas ils auront ce que nous avons et pas mieux, donc ils seront nos égaus et pas nos maîtres. Nous pourrons leur faire concurrence sur un pied d’égalité. Il faut que les pessimistes nous expliquent pourquoi ce seront eus qui devront nous écraser et pas nous qui les écraserons. Notez de plus que dans les perfectionnements de l’outillage, l’esprit d’invention est tout. Tant que nous serons plus inventifs, nous l’emporterons toujours sur nos rivaus asiatiques. Des machines plus parfaites et plus ingénieuses donneront constamment des produits moins chers que des machines démodées et archaïques.

Les Chinois et les Hindous pourraient arrêter nos manufactures le jour où ils seraient en état d’approvisionner non seulement leurs propres marchés mais encore les nôtres. Comme nous l’avons déjà montré ailleurs,[9] « l’industrie cotonnière anglaise emploie actuellement 53 millions de broches. Il faudrait que nos concurrents asiatiques possédassent un outillage au moins égal pour nous battre. Mais où prendront-ils les capitaux nécessaires pour l’établir ? Justement, si les salaires sont si bas aux Indes et en Chine, c’est parce que l’esprit d’initiative et les capitaus manquent dans ces pays. En Chine les nouvelles entreprises sont rares. Le Céleste-Empire possède les plus beaux gisements de charbon du monde ; à peine en a-t-on commencé l’exploitation. Les Chinois n’ayant pas de nouvelles carrières encombrent les anciennes ; l’offre du travail est plus abondante que la demande et les salaires sont bas. Imaginez les capitaus aussi abondants en Chine qu’en Europe[10]. Ils auraient cherché des placements, ils auraient suscité des entreprises nouvelles. Mais tant que les Asiatiques manqueront de capitaus, ils n’auront pas la possibilité d’installer leur outillage industriel sur le même pied que le nôtre.

La plupart des grandes filatures établies aux Indes l’ont été par des Anglais. Le Japon seul a quelques filatures fondées par des capitalistes indigènes (et encore on dit qu’ils reçoivent des subsides du gouvernement). Aussi longtemps que l’Europe commanditera l’industrie asiatique, elle n’a rien à craindre de l’Asie, puisqu’en définitive une grande part des profits lui reviendra. Maintenant, quand toutes les entreprises appartiendront aux Asiatiques, c’est que les capitaus seront devenus abondants en Asie ; alors les salaires y hausseront inévitablement.

Le globe entier est devenu un seul marché. Les prix des denrées tendent de plus en plus à s’égaliser dans tous les pays. La même tendance existe pour les salaires. Seulement, comme on ne transporte pas les hommes aussi facilement et à aussi bon compte que les marchandises, l’équilibre des salaires est encore loin d’être aussi avancé que celui des denrées. Mais nous nous y acheminons inévitablement par des chemins fort nombreus. D’abord les améliorations techniques. Tous les jours les bateaux à vapeur et les locomotives étant perfectionnés, les prix des voyages baissent. D’autre part l’instruction se répand ; les hommes commencent à mieux connaître le globe. Les pays lointains effraient moins. Les préjugés diminuent et rendent les départs plus faciles. Un grand nombre d’Hindous croient encore perdre leur caste, en se rendant par mer en Angleterre. Aussi ils évitent de faire ce voyage. Quand moins d’Hindous auront ces préjugés absurdes, ils se déplaceront plus facilement. Les Chinois sont plongés aujourd’hui dans une profonde ignorance. Ils pullulent dans leur pays. Ils ne savent pas combien de terres incultes et désertes pourraient être fécondées par leur travail. Mais ils l’apprennent de plus en plus. Le temps n’est pas loin où l’émigration asiatique égalera et dépassera l’émigration européenne. Tout montre que la mobilité de l’homme ira en augmentant. Quand les entraves politiques seront supprimées, une différence de 20 à 30 pour 100 dans les taus des salaires produira des invasions de travailleurs, comme la même différence produit aujourd’hui une invasion de marchandises. Nous marchons vers l’équilibre économique. C’est inéluctable, parce que conforme aux lois de la nature. La différence, existant aujourd’hui entre les salaires de l’Asie et ceux de l’Europe, ne sera pas éternelle. Un jour viendra où l’Asiatique aura le même salaire que l’Européen. Par conséquent l’écrasement de l’Européen par les bas salaires de l’Asiatique deviendra alors impossible. Admettons cependant les données des pessimistes. Supposons que les salaires des Asiatiques seront toujours[11] plus bas que ceux des Européens ; quel mal cela pourra-t-il faire à ces derniers ? Les bas salaires produisent, en définitive, le même résultat que les machines plus perfectionnées. Une broche fait 10,000 tours à la minute : elle donne un kilo de fil à l’heure, par hypothèse : on invente une nouvelle disposition, grâce à laquelle la broche fait 20,000 tours et 2 kilos à l’heure, personne n’y voit de mal. Au contraire, on comprend que la félicité humaine est en raison directe de la productivité de machines. Or si un Chinois demande 5 fr. pour labourer un hectare, quand un Européen en demande 10, cela équivaut, au point de vue des fénomènes économiques, à la découverte d’une charrue à vapeur nouvelle, travaillant deux fois plus vite que l’ancienne. Le perfectionnement de l’outillage étant considéré comme un bien, parce qu’il produit le bon marché, pourquoi le bas salaire des Chinois, amenant le même résultat, peut-il être considéré comme un mal ? Mais on dit que le Chinois évince l’ouvrier européen. La machine n’a-t-elle pas le même résultat ? Or l’expérience des nations industrielles montre d’une façon irréfutable que leur prospérité est en raison directe du perfectionnement de l’outillage, donc le bon marché du salaire asiatique, ayant le même résultat, est aussi un bien et non un mal. En dernière analyse, le bon marché du salaire asiatique a pour résultat une diminution du prix des produits. Or tous les hommes, dans la pratique journalière, affirment à l’unisson que le bon marché est un bien et la cherté un mal. Les doctrinaires et les pessimistes seuls ne sont pas de cet avis.

  1. Cet article est imprimé avec les modifications ortografiques exposées dans le no de février 1897 de la Revue Internationale de Sociologie.
  2. Journal des Débats du 25 juillet 1895, feuilleton intitulé le Prochain Moyen-Age.
  3. Cité, par M. P. d’Estournelle de Constant, dans un article de la Revue des Deux-Mondes, du 1er avril 1896, p. 666.
  4. Pour le Transvaal, voir le Journal des Débats du 5 avril 1896 ; pour la Californie, le Journal des Économistes d’août 1893, p. 984.
  5. Revue des Deux-Mondes du 15 avril 1895, p. 120.
  6. Revue des Deux-Mondes, du 1er décembre 1895, p. 548.
  7. Le papier du Figaro coûte un centime et quart. S’il fallait le fabriquer à la main, par les procédés usités au Moyen-Âge, il coûterait 2 fr. 10. Encore ici, en faisant le même calcul que pour la machine à tricoter, on voit que, pour lutter contre les nouveaux métiers, un ouvrier, travaillant par les procédés anciens, devrait se contenter d’un salaire de 2 millièmes de centime.
  8. Journal des Économistes, du 15 décembre 1895, p. 379.
  9. Voir nos Gaspillages des sociétés modernes, Paris, Alcan, 1894, p. 78.
  10. Et il faut ajouter aussi mobiles. Les épargnes peuvent être considérables en Chine. Mais si elles s’enferment dans des cachettes sous forme de lingots d’argent, elles sont comme si elles n’étaient pas.
  11. Le lecteur sent sans doute combien ce mot sonne faus. Il n’y a rien d’éternel dans la nature.