Le Parti socialiste/Livre I/Chapitre 5

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CHAPITRE V


La liberté de la presse.


Le corollaire de l’inviolabilité de la personne humaine, c’est la souveraineté de la raison individuelle. De même que l’homme a le droit d’agir librement, il a le droit de penser librement, et c’est cette libre pensée qui, en dirigeant son action, le distingue de l’animal.

Mais l’homme n’est pas un être isolé ; c’est essentiellement un être sociable, et quand nous nous préoccupons de son existence politique, nous devons toujours le considérer comme un être social.

La liberté de penser a donc pour conséquence nécessaire la liberté de communiquer sa pensée, de l’exprimer par la parole ou par la plume, et de lui donner la plus grande publicité. Cette libre manifestation et ce libre échange des pensées individuelles, en formant le domaine commun de la raison et de la science et en provoquant la grande communion des intelligences, sont la condition même du progrès et de la civilisation. Ils sont la condition indispensable du développement intellectuel, sans lequel les hommes, isolés dans leur ignorance, resteraient au niveau de la brute. Ce sont les grands moteurs de l’activité sociale.

Tout obstacle apporté à la libre expression et à la libre publication de la pensée est un attentat plus odieux que celui même dirigé contre la liberté ou contre la vie d’un citoyen.

« Tuer un homme », disait Milton, revendiquant contre les attentats du despotisme la liberté de la pensée humaine, « c’est tuer une créature raisonnable ; mais étouffer un bon livre, c’est tuer la raison elle-même. »

C’est bien parce que les gouvernements despotiques sont fondés sur l’ignorance des masses populaires, et parce qu’ils sont intéressés pour le maintien de leur pouvoir à perpétuer cette ignorance, qu’ils ont toujours dirigé tous leurs efforts pour étouffer la liberté de la presse.

De plus, la liberté de la presse est la gardienne incorruptible et vigilante de la liberté politique. C’est une censure permanente qui dénonce tous les attentats et tous les abus du gouvernement.

Elle éclaire et tient en éveil l’opinion publique.

C’est elle qui a sonné le branle-bas du despotisme, en soulevant les peuples contre lui, et qui le pourchasse sans relâche et sans trêve dans les derniers retranchements où il essaye de se réfugier.

Aussi est-ce une guerre à mort qui est déclarée entre le despotisme et la liberté de la presse.

Mais, on ne saurait se lasser de le répéter, cette guerre, en même temps que la guerre du despotisme contre la liberté, est la guerre de la violence contre le droit et de la barbarie contre la civilisation.

Royer-Collard, qui après s’être associé aux mesures les plus odieuses contre la presse dans la première partie de sa vie, a dit, dans la seconde partie, les choses les plus remarquables sur la liberté de la presse, a très-bien signalé ce caractère essentiel de toutes les lois contre la presse :

« Ce n’est pas contre la licence qu’est dirigée la loi qu’on vous présente[1], mais contre la liberté ; ce n’est pas contre la liberté de la presse seulement, mais contre toute liberté naturelle, politique et civile, comme essentiellement nuisible et funeste.

« Dans la pensée intime de la loi, il y a eu de l’imprévoyance au grand jour de la création, à laisser l’homme s’échapper libre et intelligent au milieu de l’univers ; de là sont sortis le mal et l’erreur. Une plus haute sagesse vient réparer la faute de la Providence, restreindre sa libéralité imprudente, et rendre à l’humanité, sagement mutilée, le service de l’élever enfin à l’heureuse innocence des brutes…

« Avec la liberté étouffée doit s’éteindre l’intelligence, sa noble compagne. La vérité est un bien, mais l’erreur est un mal ; périssent donc ensemble l’erreur et la vérité. Comme la prison est le remède naturel de la liberté, l’ignorance sera le remède nécessaire de l’intelligence. L’ignorance est la vraie science de l’homme et de la société.

« La loi actuelle ne proscrit que la pensée, elle laisse la vie sauve : c’est pourquoi elle n’a pas besoin de faire marcher devant elle, comme les barbares, la dévastation, le massacre et l’incendie : il lui suffit de renverser les règles éternelles du droit… « L’entreprise est laborieuse et il ne sera pas facile de la couronner. A l’avenir, il ne s’imprimera pas une ligne en France, je le veux ; une frontière d’airain nous préservera de la contagion étrangère, à la bonne heure.

« Mais il y a longtemps que la discussion est ouverte dans le monde entre le bien et le mal, le vrai et le faux ; elle remplit d’innombrables volumes, lus et relus, le jour et la nuit, par une génération curieuse. Des bibliothèques les livres ont passé dans les esprits. C’est de là qu’il vous faut les chasser. Avez-vous pour cela un projet de loi ? Tant que nous n’aurons pas oublié ce que nous savons, nous serons mal disposés à l’abrutissement et à la servitude.

« Mais le mouvement des esprits ne vient pas seulement des livres. Né de la liberté des conditions, il vit du travail, de la richesse et du loisir ; le rassemblement des villes et la facilité des communications l’entretiennent. Pour asservir les hommes, il est nécessaire de disperser les hommes et de les appauvrir ; la misère est la sauvegarde de l’ignorance.

« Croyez-moi : — réduisez la population, renvoyez les hommes de l’industrie a la glèbe, brûlez les manufactures, comblez les canaux, labourez les grands chemins. Si vous ne faites pas tout cela, vous n’avez rien fait ; si la charrue ne passe pas sur la civilisation tout entière, ce qui en restera suffira pour tromper vos efforts. »

Ces magnifiques paroles de Royer-Collard s’appliquent avec une justesse saisissante au régime auquel la France a été soumise pendant dix-huit ans, et auquel elle vient à peine d’échapper. Aux termes du décret du 17 février 1852, aucun journal ne pouvait être publié qu’avec l’autorisation préalable du gouvernement, qui tenait les journaux autorisés sous un joug étroit, et pouvait les supprimer au moindre écart. Quand le ministère voulait empêcher la publication d’une nouvelle, ou quand il voulait empêcher la discussion d’une question, il envoyait aux journaux une injonction à laquelle ceux-ci devaient se soumettre, sous peine de se voir retirer leur autorisation. Les journaux et les livres étrangers ne pouvaient franchir la frontière qu’après avoir obtenu l’agrément du ministère.

Et cependant toutes ces précautions ont été vaines ; rien n’a pu empêcher la manifestation et le développement du grand mouvement qui a fini par rompre ces chaînes odieuses. Le courant de l’opinion publique a fini par emporter la digue que l’on avait voulu lui opposer.

Jusqu’à ces derniers temps, aussi longtemps qu’a subsisté la nécessité de l’autorisation préalable, on peut dire que la liberté de la presse n’existait en France à aucun degré.

Le principe essentiel de la liberté de la presse, c’est que tout citoyen peut parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.

Or, la liberté de la presse, ainsi nettement définie par la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, inscrite en tête de la Constitution de 1791, n’existe pas, tant que la publication des journaux est assujettie au dépôt d’un cautionnement s’élevant à la somme énorme de cinquante mille francs.

La liberté de la presse n’existe pas pour ceux qui n’ont pas cinquante mille francs à déposer au Trésor : elle n’existe pas pour les pauvres.

C’est là la véritable gêne qu’il importe de faire disparaître avant toutes les autres, car elle étouffe la liberté dans son germe.

Le cautionnement des journaux est en contradiction formelle avec le suffrage universel qui est le principe de notre droit politique.

Le cautionnement n’a pas du tout pour objet, comme on le croit vulgairement, d’assurer le payement des amendes : le véritable objet de son institution, c’est de maintenir le privilège politique des classes riches, qui aiment à s’intituler les classes gouvernantes.

Ce caractère était dénoncé par Lamennais, obligé de cesser la publication du Peuple constituant par suite du rétablissement du cautionnement en juillet 1848 : « On voulait a tout prix nous réduire au silence. On y a réussi par le cautionnement. Il faut aujourd’hui de l’or, beaucoup d’or pour jouir du droit de parler. Nous ne sommes pas assez riches. Silence aux pauvres. »

Silence aux pauvres : — Voilà quelle est la véritable signification des cautionnements imposés aux journaux, ainsi que, avant Lamennais, en 1818, le constatait Évariste Dumoulin dans la Minerve française :

« Vouloir assujettir les propriétaires ou éditeurs des journaux au dépôt d’un cautionnement, c’est vouloir créer en faveur de ceux qui ont de l’argent, au préjudice de ceux qui n’en ont pas, le privilège d’écrire et de publier leurs opinions. C’est le monopole sinon de la pensée, du moins du droit d’exprimer sa pensée. Les riches pourront parler, les pauvres devront se taire. »

C’était là effectivement, à leur origine, l’objet avoué des cautionnements institués par les lois de la Restauration ; et c’était une conséquence logique du cens électoral, du régime qui faisait dépendre la capacité politique des citoyens du degré de leur fortune.

« L’objet du cautionnement, » disait M. Guizot, commissaire du gouvernement en 1819, « n’est pas du tout, comme on l’a prétendu, de pourvoir au payement des amendes éventuelles. S’il en était ainsi, l’un des préopinants aurait eu raison de s’étonner qu’on ne demandât pas aussi aux journalistes des otages. Le cautionnement a pour objet de placer la direction et la responsabilité de la presse périodique dans une sphère élevée, entre les mains d’hommes qui puissent inspirer quelque confiance à la société. C’est là le véritable caractère du cautionnement. »

M. le comte Siméon disait pareillement en 1828 : — « Le cautionnement est une prescription du même genre que celle du cens requis pour l’électorat et l’éligibilité, duquel on déduit l’intérêt de l’électeur et de l’éligible à la conservation de la paix publique. »

Ces principes étaient encore confirmés par M. le duc de Broglie en 1830 : — « Le but du cautionnement n’est pas de garantir le payement des amendes ; ce n’est pas dans cette intention que le législateur a institué le cautionnement en 1819 et qu’il l’a confirmé en 1828. Le recouvrement des amendes est une branche du revenu public sur lequel il ne compte pas, et il verrait avec plaisir disparaître ces ressources. En conséquence, si le cautionnement n’avait eu d’autre but que le recouvrement des amendes, je ne craindrais pas de prendre sur moi, au nom de la Commission, d’en proposer la suppression absolue. Mais le but du cautionnement, c’est de garantir à la société que ceux qui fondent un journal lui présentent des conditions d’attachement à l’ordre public. Le principe du cautionnement est le même que celui du cens de trois cents francs pour les électeurs et de mille francs pour les éligibles. »

Voilà donc un point parfaitement acquis au début. Le cautionnement n’a pas du tout pour objet de garantir le recouvrement des amendes ; sans cela on serait également fondé à demander aux journalistes des otages pour garantir qu’ils feront les mois de prison auxquels ils peuvent être condamnés. Le cautionnement était pour les gouvernements qui l’ont institué et confirmé une


[2] garantie de même nature que celle du cens électoral : c’était une conséquence logique du régime du suffrage restreint.

Du jour où tout cens électoral a été aboli, tout cautionnement sur les journaux aurait dû être également supprimé. La suppression du cautionnement des journaux était une conséquence logique et inséparable de la proclamation du suffrage universel.

On ne saurait trop insister sur ce point.

S’il y avait en France, comme il doit y en avoir dans tous les pays libres, des institutions indépendantes protectrices de la liberté et du droit, les journalistes, lorsque le cautionnement fut rétabli par la loi du 11 août 1848, eussent pu se refuser à exécuter cette loi comme inconstitutionnelle, comme édictée en violation flagrante du principe du suffrage universel, qui formait la base essentielle du régime républicain inauguré le 24 février 1848. Et il n’est pas douteux que cette loi eût été annulée par une cour de justice indépendante, comme l’est, par exemple, la cour fédérale des États-Unis.

Mais nous avons si peu en France le sentiment de la liberté, que personne ne songe à supprimer le cautionnement et que pas même une proposition en ce sens n’a été déposée au Corps législatif. Les députés les plus radicaux se bornent à réclamer la suppression du timbre.


Le timbre sur les journaux se rattache à un autre ordre de considérations, mais qui achèvent de démontrer comment tous les efforts des gouvernements ennemis de la liberté tendent à perpétuer l’ignorance des masses, qui est la véritable base du despotisme.

Le timbre est un impôt sur la lecture qui a pour objet de maintenir les journaux hors de la portée du peuple, par l’élévation de leur prix.

Qui ne peut payer 15 centimes, en France, n’a pas le droit de lire les journaux, ni de s’instruire des questions politiques et économiques qui l’intéressent au plus haut point comme citoyen et comme travailleur.

Les pauvres gens n’ont la faculté du moins que de lire les journaux de romans et de faits divers, qui les dépravent et les abrutissent, ou les journaux officiels dont le gouvernement les gratifié par un privilège spécial.

Si cette question était une bonne fois posée sous sa véritable face et développée comme il convient, on ne pourrait certainement pas maintenir un état de choses qui est la honte de notre temps.

L’impôt du timbre est un obstacle permanent apporté à l’enseignement populaire, à la vulgarisation des idées[3] ; et l’exonération scandaleuse de cet impôt accordée aux feuilles qui prennent l’engagement de ne traiter aucune question sérieuse est une véritable prime accordée à ceux qui veulent contribuer à la démoralisation du peuple et spéculer sur son ignorance en l’entretenant.

En France, le pauvre, le prolétaire, n’a pas le droit de penser, il n’a pas le droit de développer son intelligence, il n’a pas le droit de se tenir au courant des grandes discussions de la politique et de l’économie sociale. La littérature élevée, la science économique, la philosophie sociale lui sont interdites.

On l’amuse avec les aventures de Rocambole, comme on amuse les enfants avec les contes de fées ; on fausse ainsi systématiquement son intelligence, quand on ne parvient pas à en paralyser le développement.

Et non-seulement la loi le tolère, mais encore la loi le veut, la loi l’exige ; elle condamne à la prison et à l’amende ceux qui tentent d’opposer à ces mauvaises et futiles lectures des lectures saines, sérieuses, élevées, utiles.

Le timbre est bien un impôt sur la lecture du peuple. Ce n’est que par une équivoque que l’on a voulu prétendre qu’il était un impôt sur l’industrie du journalisme ou sur les annonces. Non-seulement en effet les journaux non politiques en sont exempts, mais encore il frappe les brochures politiques qui ne contiennent pas d’annonces.

C’est qu’il ne faut pas que l’on puisse fabriquer des livres à bon marché pour le peuple, si ces livres traitent des questions politiques et sociales, qui l’intéressent au plus suprême degré, parce que son affranchissement en dépend.

La science n’est pas faite pour lui, parce que la science élève et affranchit les hommes, et que le peuple doit rester serf. Comme on n’ose pas la lui interdire formellement, on emploie toutes les voies détournées pour la tenir hors de sa portée. Et c’est pour cela qu’a été institué l’impôt du timbre.

Mais cela ne suffit pas encore. Les brevets de libraires opposent un obstacle insurmontable à la propagation des livres.

Le commerce de la librairie n’est pas libre ; il n’y a qu’un petit nombre de libraires privilégiés, et il est défendu à tous les autres commerçants de vendre des livres. Et on poursuivrait pour colportage illicite les citoyens dévoués à la cause de l’enseignement et de l’éducation du peuple, qui entreprendraient de propager les bons livres, même en les distribuant gratuitement.

Aussi le livre ne pénètre-t-il pas dans les campagnes ; on ne peut se le procurer qu’à la ville, et si les autres marchands ne peuvent vendre des livres, les libraires, eux, peuvent vendre toute autre chose qui leur convient, d’où il résulte que le plus grand nombre vend toute autre chose que des livres, et qu’il est bien des villes où il est à peu près impossible de se procurer aucuns livres autres que des livres de prières.

On peut dire que le commerce de la librairie n’existe pas en France, si ce n’est dans les grands centres, et, en l’absence de toute concurrence possible, il faut désespérer de lui donner l’activité qui lui manque. C’est là le plus grand obstacle, l’obstacle invincible à la divulgation de l’enseignement et à l’affranchissement moral du peuple. C’est pour cela que la France est, quoi qu’on en dise, au point de vue du développement intellectuel, si inférieure aux États-Unis, à l’Allemagne, à l’Angleterre, à la Belgique, à la Suisse, en un mot à tous les pays libres.

Tant que l’on maintiendra l’impôt du timbre et les brevets de libraires, le développement intellectuel de notre pays restera paralysé, parce qu’il sera comprimé dans son essor.


Il reste un dernier point, bien important lui aussi, c’est d’établir quels sont les délits qui peuvent être commis par la voie de la presse, et quelle répression doit les atteindre.

Y a-t-il des délits de presse, c’est-à-dire y a-t-il des délits d’opinion ? Grave et difficile question.

Il faudrait du moins et avant tout définir ces délits. Or cette définition est impossible. Par conséquent l’appréciation de ces délits est purement arbitraire. C’est ce qui suggérait à Robespierre cette observation profonde, confirmée par l’expérience de toutes les lois sur la presse successivement tentées depuis quatre-vingts ans : « Toute loi faite sous le prétexte de la liberté de la presse produit presque toujours l’effet infaillible d’anéantir cette liberté elle-même. »

Mais jusqu’au jour où sera reconnue cette grande vérité, qu’il n’y a pas, qu’il ne peut pas y avoir de délits d’opinion, à qui confiera-t-on l’exercice de ce redoutable arbitraire ?

Il est indispensable dans tous les cas de le confier à des juges tout à fait indépendants du gouvernement, à des juges intéressés à maintenir cette liberté précieuse, en même temps qu’à empêcher la licence, ou plutôt le désordre auquel cette licence pourrait donner lieu.

C’est ce qu’avaient compris les Constituants de 1789, éclairés par l’expérience de l’Angleterre, qui a dû au maintien persistant de la liberté de la presse le développement de la liberté politique[4] , — en plaçant la véritable garantie de cette liberté précieuse dans l’institution du jury qui devait, suivant eux en rester inséparable.

« C’est là, disait Thouret au nom du comité de constitution, que réside principalement et substantiellement la véritable garantie à donner à la liberté de la presse. Il ne faut point que ce soient les pouvoirs constitués qui soient les maîtres de prononcer sur le fait du délit ; il faut que ce soit la nation, il faut que ce soit le peuple, intéressé à conserver la liberté de la presse ; il faut que ce soient des jurés, qui sont une émanation du peuple et qui le représentent. »

Nous reviendrons sur ce point dans le chapitre subséquent, consacré au pouvoir judiciaire, dans l’organisation duquel doit résider la véritable garantie de la liberté individuelle, de la liberté de la presse et de toutes les libertés.

Mais ce qu’il importe de bien établir, c’est que la liberté de la presse n’existera pas en France, ni de droit ni de fait, tant que subsistera le cautionnement des journaux et tant que subsistera le timbre des écrits politiques et le privilége des libraires.






  1. Ceci était dit à propos de la loi de 1827, célèbre sous la désignation de loi de justice et d’amour, nom que lui donna l’opinion publique en représailles de l’éloge burlesque qu’on en avait fait. Cette loi n’était point plus mauvaise et même à certains égards elle était meilleure que plusieurs de celles sur la même matière qui lui ont succédé, pour ne citer que les lois de septembre et le décret du 17 février 1852.
  2. « Pas de cautionnement pour la presse, » écrivait récemment avec son bon sens incisif M. Alphonse Karr, « ou faites déposer un cautionnement à tous les citoyens, chacun pouvant, dans sa profession ou dans les accidents de la vie, causer des dommages qu’il faudra réparer, ne fût-ce que de casser des vitres ! »
  3. Nous trouvons l’indication suivante dans un article publié récemment dans le journal le Français : « Avant la loi du 25 mai 1848 abolissant le timbre, le plus répandu des journaux belges ne comptait pas 4000 abonnés. Le tirage de toutes les feuilles réunies ne comptait pas 30 000 exemplaire. Aussitôt le timbre supprimé, les journaux diminuèrent de moitié le prix des abonnements et virent ainsi tripler le nombre de leurs souscripteurs. » Du reste, l’intention d’apporter un obstacle au développement des journaux politiques en les frappant d’un droit de timbre a été formellement déclarée par le décret du 28 mars 1852 qui affranchit de ce droit les journaux purement littéraires et scientifiques : — « Considérant, dit ce décret, que si des conditions restrictives ont dû être imposées a la presse politique, il convient au contraire de favoriser le développement des publications consacrées aux sciences et aux arts ; — Décrète : — Sont exempts du droit de timbre, etc. »
  4. Le célèbre auteur anonyme des Lettres de Junius dit, dans la Dédicace à la nation anglaise placée en tête du recueil de ses lettres : « Ayez toujours gravé dans vos esprits et inculquez à vos enfants ce principe, que la liberté de la presse est le palladium de tous les droits civils, politiques et religieux d’un Anglais. » En Angleterre des lois draconiennes sont suspendues sur la presse, mais la liberté est protégée par le jury, qui est véritable garantie, plus efficace, et plus sûre que toutes les lois.