Odes et Ballades/Le Pas d’armes du roi Jean

La bibliothèque libre.
Odes et BalladesOllendorf24 (p. 343-351).


BALLADE DOUZIÈME.

LE PAS D’ARMES DU ROI JEAN.


Plus de six cents lances y furent brisées ; on se battit à pied et à cheval, à la barrière, à coups d’épée et de pique, où partout les tenants et les assaillants ne firent rien qui ne répondît à la haute estime qu’ils s’étaient déjà acquise ; ce qui fit éclater ces tournois doublement. Enfin, au dernier, un gentilhomme nommé de Fontaines, beau-frère de Chandiou, grand prévôt des maréchaux, fut blessé à mort ; et au second encore, Saint-Aubin, autre gentilhomme, fut tué d’un coup de lance.
Ancienne chronique.


Çà, qu’on selle,
Écuyer,
Mon fidèle
Destrier.
Mon cœur ploie
Sous la joie,
Quand je broie
L’étrier.

Par saint-Gille,
Viens-nous-en,
Mon agile
Alezan ;
Viens, écoute,
Par la route,
Voir la joute
Du roi Jean.


Qu’un gros carme
Chartrier
Ait pour arme
L’encrier ;
Qu’une fille,
Sous la grille,
S’égosille
À prier ;

Nous qui sommes,
De par Dieu,
Gentilshommes
De haut lieu,
Il faut faire
Bruit sur terre,
Et la guerre
N’est qu’un jeu.

Ma vieille âme
Enrageait ;
Car ma lame,
Que rongeait
Cette rouille
Qui la souille,
En quenouille
Se changeait.

Cette ville,
Aux longs cris,
Qui profile
Son front gris,
Des toits frêles,
Cent tourelles,
Clochers grêles,
C’est Paris !


Quelle foule,
Par mon sceau !
Qui s’écoule
En ruisseau,
Et se rue,
Incongrue,
Par la rue
Saint-Marceau.

Notre-Dame !
Que c’est beau !
Sur mon âme
De corbeau,
Voudrais être
Clerc ou prêtre
Pour y mettre
Mon tombeau !

Les quadrilles,
Les chansons
Mêlent filles
Aux garçons.
Quelles fêtes !
Que de têtes
Sur les faîtes
Des maisons !

Un maroufle,
Mis à neuf,
Joue et souffle
Comme un bœuf
Une marche
De Luzarche
Sur chaque arche
Du Pont-Neuf.


Le vieux Louvre !
Large et lourd,
Il ne s’ouvre
Qu’au grand jour,
Emprisonne
La couronne,
Et bourdonne
Dans sa tour.

Los aux dames !
Au roi los !
Vois les flammes
Du champ clos,
Où la foule,
Qui s’écroule,
Hurle et roule
À grands flots.

Sans attendre,
Çà, piquons !
L’œil bien tendre,
Attaquons
De nos selles
Les donzelles,
Roses, belles,
Aux balcons.

Saulx-Tavane
Le ribaud
Se pavane,
Et Chabot
Qui ferraille,
Bossu, raille
Mons Fontraille
Le pied-bot.


Là-bas, Serge
Qui fit vœu
D’aller vierge
Au saint lieu ;
Là, Lothaire,
Duc sans terre ;
Sauveterre,
Diable et dieu.

Le vidame
De Conflans
Suit sa dame
À pas lents,
Et plus d’une
S’importune
De la brune
Aux bras blancs.

Là-haut brille,
Sur ce mur,
Yseult, fille
Au front pur ;
Là-bas, seules,
Force aïeules
Portant gueules
Sur azur.

Dans la lice,
Vois encor
Berthe, Alice,
Léonor,
Dame Irène,
Ta marraine,
Et la reine
Toute en or.


Dame Irène
Parle ainsi :
« Quoi ! la reine
Triste ici ! »
Son altesse
Dit : « Comtesse,
J’ai tristesse
Et souci. »

On commence.
Le beffroi !
Coups de lance,
Cris d’effroi !
On se forge,
On s’égorge,
Par saint-George !
Par le roi !

La cohue,
Flot de fer,
Frappe, hue,
Remplit l’air.
Et, profonde,
Tourne et gronde,
Comme une onde
Sur la mer.

Dans la plaine
Un éclair
Se promène
Vaste et clair ;
Quels mélanges !
Sang et franges !
Plaisirs d’anges !
Bruit d’enfer !


Sus, ma bête,
De façon
Que je fête
Ce grison !
Je te baille
Pour ripaille
Plus de paille,
Plus de son,

Qu’un gros frère,
Gai, friand,
Ne peut faire,
Mendiant
Par les places
Où tu passes,
De grimaces
En priant !

Dans l’orage,
Lys courbé,
Un beau page
Est tombé.
Il se pâme,
Il rend l’âme ;
Il réclame
Un abbé.

La fanfare
Aux sons d’or,
Qui t’effare,
Sonne encor
Pour sa chute ;
Triste lutte
De la flûte
Et du cor !


Moines, vierges,
Porteront
De grands cierges
Sur son front ;
Et, dans l’ombre
Du lieu sombre,
Deux yeux d’ombre
Pleureront.

Car madame
Isabeau
Suit son âme
Au tombeau.
Que d’alarmes !
Que de larmes !…
Un pas d’armes,
C’est très beau !

Çà, mon frère,
Viens, rentrons
Dans notre aire
De barons.
Va plus vite,
Car au gîte
Qui t’invite,
Trouverons,

Toi, l’avoine
Du matin,
Moi, le moine
Augustin,
Ce saint homme
Suivant Rome,
Qui m’assomme
De latin,


Et rédige
En romain
Tout prodige
De ma main,
Qu’à ma charge
Il émarge
Sur un large
Parchemin.

Un vrai sire
Châtelain
Laisse écrire
Le vilain ;
Sa main digne,
Quand il signe,
Égratigne
Le vélin.


24-26 juin 1828