Le Portrait de Monsieur W. H. (recueil)/Le Disciple

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Poèmes en prose
Traduction par Albert Savine.
Le Portrait de Monsieur W. H. (p. 219-220).


III

LE DISCIPLE


Quand Narcisse mourut, la mare de ses délices se changea d’une coupe d’eaux douces en une coupe de larmes salées et les Oréades vinrent, en pleurant, à travers le bois, chanter près de la mare et la consoler.

Et quand elles virent que la mare s’était, de coupe d’eaux douces, transformée en coupe de larmes salées, elles relâchèrent les boucles vertes de leurs cheveux et crièrent à la mare.

Elles disaient :

— Nous ne nous étonnons pas que vous pleuriez aussi sur Narcisse qui était si beau.

— Mais Narcisse était-il si beau ? dit la mare.

— Qui pouvait mieux le savoir que vous ? répondirent les Oréades. Il nous a négligées, mais vous il vous a courtisée, et il s’est courbé sur vos bords, et il a laissé reposer ses yeux sur vous et c’est dans le miroir de vos eaux qu’il voulait mirer sa beauté.

Et la mare répondit :

— J’aimais Narcisse parce que, lorsqu’il était courbé sur mes bords et laissait reposer ses yeux sur moi, dans le miroir de ses yeux je voyais se mirer ma propre beauté.