Le Portrait de Monsieur W. H. (recueil)/Le Faiseur de bien

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Poèmes en prose
Traduction par Albert Savine.
Le Portrait de Monsieur W. H. (p. 215-218).


II

LE FAISEUR DE BIEN


C’était la nuit et Il était seul.

Et Il vit de loin les murailles d’une cité considérable et Il s’approcha de la cité.

Et quand Il en fut tout près, Il entendit dans la ville le trépignement du plaisir, le rire de l’allégresse et le fracas retentissant de nombreux luths. Et Il frappa à la porte et un des gardiens des portes lui ouvrit.

Et Il contempla une maison construite de marbre et qui avait de belles colonnades de marbre à sa façade, les colonnades étaient tapissées de guirlandes et au dehors, et au dedans il y avait des torches de cèdre.

Et Il pénétra dans la maison.

Et quand Il eut traversé le hall de calcédoine et le hall de jaspe et atteint la grande salle du festin, Il vit, couché sur un lit de pourpre marine un homme dont les cheveux étaient couronnés de roses rouges et dont les lèvres étaient rouges de vin.

Et Il alla à lui et le toucha sur l’épaule et lui dit :

— Pourquoi vivez-vous ainsi ?

Et le jeune homme se retourna, et Le reconnut et Lui répondit.

Il Lui dit :

— Un jour, je n’étais qu’un lépreux et vous m’avez guéri. Comment vivrais-je autrement ?

Et, un peu plus loin, Il vit une femme dont le visage était fardé et le costume de couleurs voyantes et dont les pieds étaient chaussés de perles. Et près d’elle vint, avec l’allure lente d’un chasseur, un jeune homme qui portait un manteau de deux couleurs.

Or, la face de la femme était comme le beau visage d’une idole et les yeux du jeune homme brillaient de convoitise.

Et Il le suivit rapidement.

Il toucha la main du jeune homme et lui dit :

— Pourquoi regardez-vous cette femme de cette façon ?

Et le jeune homme se retourna et Le reconnut et dit :

— Un jour que j’étais aveugle, vous m’avez donné la vue. Qui regarderai-je d’autre ?

Et Il courut en avant et toucha le vêtement de couleurs voyantes de la femme et lui dit :

— Il n’y a pas ici d’autre route à prendre que celle du péché…

Et la femme se retourna et Le reconnut. Et elle rit et elle dit :

— Vous m’avez pardonné mes péchés et cette route est une route agréable.

Et Il sortit de la ville.

Et quand Il sortait de la ville, Il vit assis sur le côté de la route un jeune homme qui pleurait.

Et Il vint à lui et toucha les longues boucles de ses cheveux et lui dit :

— Pourquoi pleurez-vous ?

Et le jeune homme releva la tête pour le regarder et Le reconnut et Lui répondit :

— Un jour que j’étais mort, vous m’avez fait me lever d’entre les morts. Comment ferais-je autre chose que pleurer ?