Le Singe, et le Chat

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Fables choisies, mises en versDenys Thierry et Claude BarbinQuatrième partie : livres ix, x, xi (p. 70-72).

XVII.

Le Singe, & le Chat.



Bertrand avec Raton, l’un Singe, & l’autre Chat,
Commenſaux d’un logis, avoient un commun Maiſtre.
D’animaux mal-faiſans c’eſtoit un tres-bon plat ;

Ils n’y craignoient tous deux aucun, quel qu’il puſt eſtre.
Trouvoit-on quelque choſe au logis de gaſté ?
L’on ne s’en prenoit point aux gens du voiſinage.
Bertrand déroboit tout ; Raton de ſon coſté
Eſtoit moins attentif aux ſouris qu’au fromage.
Un jour au coin du feu nos deux maiſtres fripons
Regardoient roſtir des marons ;
Les eſcroquer étoit une très bõne affaire :
Nos galands y voyoient double profit à faire,
Leur bien premierement, & puis le mal d’autruy.
Bertrand dit à Raton : Frere, il faut aujourd’huy

Que tu faſſes un coup de maiſtre.
Tire-moy ces marons ; Si Dieu m’avoit fait naiſtre
Propre à tirer marons du feu,
Certes marons verroient beau-jeu.
Auſſi-toſt fait, que dit : Raton avec ſa pate
D’une maniere delicate
Écarte un peu la cendre, & retire les doigts ;
Puis les reporte à pluſieurs fois ;
Tire un maron, puis deux, & puis trois en excroque,
Et cependant Bertrand les croque.
Une ſervante vient : adieu mes gens : Raton
N’eſtoit pas content, ce dit-on.
Auſſi ne le ſont pas la pluſpart de ces Princes
Qui flatez d’un pareil employ
Vont s’échauder en des Provinces,
Pour le profit de quelque Roy.