Poésies de Schiller/Le Triomphe de l’amour

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Poésies de Schiller
Traduction par Xavier Marmier.
Poésies de SchillerCharpentier (p. 232-236).

LE TRIOMPHE DE L’AMOUR.

C’est par l’amour que les Dieux sont heureux ; c’est par l’amour que les hommes ressemblent aux Dieux : l’amour rend le ciel plus beau et fait de la terre un séjour céleste.

Un jour, disent les poëtes, le monde fut formé derrière Pyrrha de quartiers de rocs, et les pierres se changèrent en hommes ; leurs cœurs étaient de roc et de pierre, la lumière du ciel n’éclairait point la nuit de leur âme.

Le doux Amour ne leur apportait point de guirlandes de roses, les tendres Muses ne les réjouissaient pas par l’harmonie de leurs chants.

Il n’y avait point d’amant pour tresser des couronnes de fleurs ; les printemps s’enfuyaient dans l’Élysée. On ne saluait point l’Aurore quand elle sortait du sein des mers, on ne saluait point le Soleil quand il se plongeait dans le sein des ondes.

Ces pauvres êtres erraient sous le poids d’un joug de fer, à la lueur pâle de la lune, et nulle douleur secrète ne s’élevait dans ses désirs vers les astres pour invoquer les Dieux.


Mais, voici que du milieu des flots d’azur apparaît, sur le rivage joyeux, la douce fille du Ciel, portée par les Naïades.

Une jeunesse nouvelle se répand, comme le crépuscule de l’aurore, à travers le monde entier, dans les airs, dans le ciel, sur les vagues et sur la terre.

La lumière du jour sourit dans les ombres des forêts, et des fleurs balsamiques s’épanouissent au pied des arbres.

Déjà le rossignol soupire le premier chant d’amour, et la source harmonieuse répète ce même chant.

Heureux Pygmalion ! ton marbre s’émeut, s’anime. Dieu d’amour, Dieu vainqueur, embrase tes enfants !


C’est par l’amour que les Dieux sont heureux ; c’est par l’amour que les hommes ressemblent aux Dieux : l’amour rend le ciel plus beau et fait de la terre un séjour céleste.

Au milieu des festins où coule le nectar, les jours des Dieux s’écoulent comme un plaisir éternel, comme un rêve voluptueux.

Assis sur son trône élevé, Jupiter balance la foudre ; l’Olympe tremble effrayé ; le maître souverain secoue la tête d’un air menaçant, mais il abandonne son trône aux Dieux, descend parmi les fils de la terre, soupire, comme un pâtre d’Arcadie, sous le feuillage, laisse son tonnerre immobile à ses pieds, et le destructeur des Géants s’endort sous les baisers de Léda.

À travers les larges espaces du ciel, Phébus conduit, avec des rênes d’or, les chevaux du soleil ; de ses traits il renverse des peuplades entières : mais il abandonne ses traits, ses chevaux brillants, et les oublie avec bonheur dans les charmes de l’amour et de l’harmonie.

Devant l’épouse de Jupiter s’inclinent les astres ; devant son char pompeux brillent les paons superbes, et ses cheveux parfumés d’ambroisie portent la couronne suprême.

Belle Déesse, l’Amour aussi va s’approcher de ta majesté, et la reine des Dieux est forcée de descendre de ces sphères élevées pour demander la ceinture des Grâces à celle qui enchaîne les cœurs.


C’est par l’amour que les Dieux sont heureux ; c’est par l’amour que les hommes ressemblent aux Dieux : l’amour rend le ciel plus beau et fait de la terre un séjour céleste.

L’amour éclaire l’empire des ténèbres ; l’enfer est soumis à la magie puissante de l’amour : le regard de Pluton s’adoucit au sourire de la fille de Cérès. L’amour éclaire l’empire des ténèbres.

Tes chants, Orphée, retentissaient harmonieusement dans les enfers, ils subjuguèrent le terrible gardien des rives sombres. Minos, les yeux humectés de larmes, rendit des sentences moins rigoureuses ; les serpents furieux baisèrent avec tendresse les joues de Mégère, et le bruit des fouets fut suspendu. Le vautour de Tithion s’enfuit, chassé par la lyre d’Orphée : le Léthé et le Cocyte s’arrêtèrent sur leur rivage pour entendre tes chants, ô poëte, car tu chantais l’amour.


C’est par l’amour que les Dieux sont heureux ; c’est par l’amour que les hommes ressemblent aux Dieux : l’amour rend le ciel plus beau et fait de la terre un séjour céleste.

À travers l’éternelle nature, les traces de l’amour sont semées de fleurs, et partout flottent ses ailes d’or. Si l’œil d’Aphrodite ne m’apparaissait pas dans les rayons de la lune, si l’amour ne me souriait pas dans les rayons du soleil, dans l’océan des astres, les astres, le soleil et la lune n’animeraient point mon âme. C’est l’amour, l’amour seul qui se reflète dans la nature comme dans un miroir.


Le ruisseau argentin parle d’amour ; c’est l’amour qui lui enseigne à couler plus doucement : l’âme entend la voix de l’amour dans les soupirs mélodieux du rossignol. L’amour ! l’amour se fait entendre dans toutes les voix de la nature.

Sagesse aux regards clairvoyants, retire-toi, cède à l’amour. Tu n’as jamais fléchi le genou devant les conquérants ni les princes, fléchis-le devant l’amour !

Qui s’éleva d’un pas hardi par le chemin des astres jusqu’au séjour des Dieux ? qui ouvrit le sanctuaire et nous montra l’Élysée à travers les crevasses du tombeau ? N’est-ce pas l’amour qui nous enseigne que nous pouvons être immortels ? Les esprits chercheraient-ils sans lui le maître universel ? C’est l’amour, l’amour seul qui conduit les esprits vers le père de la nature.

C’est par l’amour que les Dieux sont heureux ; c’est par l’amour que les hommes ressemblent aux Dieux : l’amour rend le ciel plus beau et fait de la terre un séjour céleste.