Les Aimants - Travaux de M. Jamin

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LES AIMANTS
TRAVAUX DE M. JAMIN.

L’action exercée par la pierre d’aimant sur la limaille de fer, action qui se manifeste par l’adhérence de celle-ci, est un phénomène qui, depuis qu’il est connu, a appelé l’attention des observateurs qui ont cherché à étudier les lois auxquelles elle obéit. Mais cette action même, est restée sans application jusqu’à l’époque actuelle. C’est une autre propriété des corps aimantés, celle de se diriger suivant une ligne déterminée en chaque point du globe, qui les fait employer dans les boussoles : nous ne citerons que pour mémoire les électro-aimants employés dans les télégraphes et les moteurs électriques, et qui se rattachent aux phénomènes produits par les courants plutôt qu’au magnétisme, puisque l’on sépare encore les effets produits par ces deux agents malgré l’assimilation qu’en a faite Ampère.

Mais si les attractions dues aux barreaux aimantés sont restées à l’état d’expériences de cours et n’ont point donné lieu à des applications pratiques, ce n’est pas à dire que ces barreaux ne soient fréquemment employés ; seulement c’est une tout autre propriété que l’on met en jeu, celle de développer des courants d’induction dans des circuits métalliques voisins : ces courants peuvent servir à faire marcher des télégraphes, à décomposer des dissolutions métalliques, à produire tous les effets des courants des piles ; mais c’est surtout à obtenir la lumière électrique qu’ils servent ; nous rappellerons, à cet égard, les belles machines de la compagnie l’Alliance qui sont appliquées, entre autres, aux phares de la Hève. Il est facile de concevoir que les effets produits sont d’autant plus intenses que les aimants employés sont plus forts.

Cette question des courants d’induction produits par des aimants n’est pas celle dont nous voulons nous occuper aujourd’hui : nous voulions montrer seulement l’intérêt qui s’attache à la production d’aimants énergiques.

Jusqu’à ces derniers temps, la fabrication des aimants semblait abandonnée à la routine, et les divers pays de l’Europe se trouvaient tributaires de la ville de Harlem, où l’on s’adressait invariablement lorsque l’on voulait avoir un aimant puissant. Malgré les belles recherches de Coulomb, de Biot… rien ne déterminait les conditions dans lesquelles on devait se placer pour la forme à donner à l’aimant, les dimensions qu’il devait avoir, en vue d’une puissance déterminée ; on savait seulement qu’un bon aimant portait environ dix fois son poids. Quant au mode d’aimantation, c’était une question de tour de main.

Depuis quelque temps les travaux sur le magnétisme sont revenus à l’ordre du jour et plusieurs mémoires ont été adressés à l’Académie des sciences sur ce sujet : parmi ces recherches, il importe de citer spécialement celles de M. Jamin, qui l’ont conduit à la production d’aimants puissants.

Ce savant, dont le nom est également connu du public parisien comme celui d’un habile professeur, avait établi un appareil destiné à rechercher le mode de distribution du magnétisme : il évaluait l’intensité du magnétisme en un point d’un barreau, en mesurant la force nécessaire pour en arracher une petite sphère de fer doux. Armé de ce moyen d’investigation, M. Jamin étendit les recherches auxquelles il s’était d’abord borné ; il voulut se rendre compte de ce qui se passe lorsqu’on approche un fer doux d’un aimant. En variant les conditions d’expériences, guidé d’ailleurs par des idées théoriques, M. Jamin arriva à mettre en évidence l’existence de ce qu’il appelle la condensation magnétique : cette action, dans le détail de laquelle nous ne voulons pas entrer, serait analogue à celle que l’on observe dans la bouteille de Leyde pour l’électricité et permet d’augmenter dans des limites assez étendues la quantité de magnétisme développé sur un aimant.

D’autre part, M. Jamin étudiait les différences dans la force magnétique que l’on peut communiquer à un poids donné de fer suivant la forme sous laquelle on le prépare : il put ainsi se rendre compte de l’avantage qu’il y a à composer un barreau aimanté de plusieurs lames minces superposées. La nature de l’acier, son degré de trempe, influent sur la force d’un aimant ; mais jusqu’à présent on ne savait rien de positif sur les conditions dans lesquelles on devait se placer. Les travaux que nous analysons sommairement ont mis en évidence ce fait remarquable que le degré de trempe, de revenu ou de recuit que l’on doit chercher à atteindre n’est pas uniforme et qu’il dépend de l’espèce d’acier employé : ainsi sont expliqués les incertitudes des constructeurs, les insuccès des uns et les réussites des autres. On saura actuellement, par la nature du barreau employé, le degré de trempe le plus convenable.

On peut se rendre compte, par ce qui précède, de l’intérêt qui s’attache aux recherches de M. Jamin. Nous terminerons en disant que tous les détails de la fabrication des aimants furent travaillés avec soin et que M. Jamin put présenter dernièrement à l’Académie des sciences un aimant, construit d’après les indications fournies par ses travaux et qu’il estime être le plus fort qui ait été construit jusqu’à ce jour : cet aimant est capable de supporter un poids de 500 kilogrammes et lui-même ne pèse que 50 kilogrammes.

Sera-t-il possible d’obtenir des barreaux aimantés d’une plus grande puissance ? Nous l’ignorons et nous ne voyons pas, dans les conditions actuelles, quelle en serait l’utilité, au moins l’utilité directe et immédiate : il nous paraît au contraire fort intéressant de savoir que désormais, par suite des travaux de M. Jamin, on pourra construire rationnellement des aimants produisant le maximum d’effet dont ils sont susceptibles, et que les machines d’induction seront plus énergiques sous un même poids, ou plus légères pour une même énergie.

Il faut espérer que le savant membre de l’Institut continuera ses recherches et qu’il dépassera le but qu’il a atteint, car si nous ne voyons pas l’utilité immédiate de la production de très forts aimants, nous savons que les recherches théoriques qui semblaient d’abord les plus abstraites, non-seulement ont souvent provoqué des nouvelles découvertes théoriques, mais ont aussi été le point de départ d’applications pratiques dont quelques-unes ont eu une influence considérable sur le développement de la civilisation. Qui peut prévoir toutes les conséquences que l’on pourrait déduire de la production d’aimants d’une énergie illimitée !