Les Amours de Diane

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Les Amours de Diane
1573
(1600, dernière édition)




IIII.


Le jour que je fu né l’impitoyable archer
Amour, à qui le Ciel rend humble obeissance,
Se trouva sur le poinct de ma triste naissance,
Tenant son arc bandé tout prest à décocher.

Aussi tost qu’il me veit, il se mist à lácher
Un trait envenimé de toute sa puissance :
Et m’attaignit au cœur de telle violance,
Qu’il eust peu de ce coup percer tout un rocher.

M’ayant ainsi blessé, tout joyeux il s’adresse
À la Crainte, aux Regrets, au Dueil, à la Tristesse,
Qui m’assisterent tous à ce malheureux poinct.

Voila (dit-il) pour vous, je vous le recommande,
Suivez-le tout par tout, ne l’abandonnez point,
Et faites que tousjours il soit de vostre bande.


V.


Voicy du gay Printemps l’heureux advenement,
Qui fait que l’Hiver morne à regret se retire :
Desja la petite herbe au gré du doux Zephyre
Navré de son amour branle tout doucement.

Les forests ont repris leur verd accoutrement,
Le Ciel rit, l’air est chaud, le vent mollet soupire,
Le Rossignol se plaint, & des accords qu’il tire,
Fait languir les esprits d’un doux ravissement.

Le Dieu Mars & l’Amour sont parmi la campagne :
L’un au sang des humains, l’autre en leurs pleurs se bagne,
L’un tient le coutelas, l’autre porte les dars.

Suive Mars qui voudra mourant entre les armes,
Je veux suivre l’Amour, & seront mes allarmes,
Les courroux, les soupirs, les pleurs & les regars.



VI.


Ô grand démon volant, arrête la meurtriere
Qui fuit devant mes pas, car pour moy je ne puis,
Ma course est trop tardive : & plus je la poursuis,
Et plus elle s’avance, en me laissant derriere.

Ô Dieu fay l’un des deux : consens à ma priere,
Ou ne me laisse plus en l’estat que je suis :
Rens moy comme j’estois, sans Dame & sans ennuis,
Et delivre ma vie en ses yeux prisonniere.

Si tu es juste, Amour, tu me dois délier,
Ou par un doux effort ceste dure plier :
Mais las que mon attente est folle & miserable !

J’importune un tyran qui de nos maux se plaist,
Qui s’abreuve de pleurs, qui d’ennuis se repaist.
Et plus il est prié, moins il est pitoyable.


VII.


Ô lict, s’il est ainsi que tu sois inventé
Pour prendre un doux repos quand la nuit est venue,
D’où vient que dedans toy ma douleur continue,
Et que je sens par toy mon tourment augmenté ?

Je ne fay que tourner d’un & d’autre costé,
Je choisi tous les coings, je cherche & me remue :
Et mon cœur qui ressemble à la marine esmue,
D’ennuis & de pensers est tousjours agité.

J’assemble bien souvent mes paupieres lassees,
J’invoque le Sommeil pour guarir mes pensees,
Mais il fuit de mes yeux & n’y veût demeurer.

D’un seul bien, ô mon Lict, mes langueurs tu consoles,
Je m’ouvre tout à toy, cœur, pensers, & paroles,
Et je n’ose autre part seulement respirer.



VIII.


Si la foy plus certaine en une ame non feinte,
Un desir temeraire, un doux languissement,
Une erreur variable, & sentir vivement,
Avec peur d’en guarir, une profonde atteinte.

Si voir une pensee au front toute depeinte,
Une voix empeschee, un morne estonnement,
De honte ou de frayeur naissant soudainement,
Une palle couleur de lis & d’amour teinte :

Bref, si se mespriser pour une autre adorer,
Si verser mille pleurs, si tousjours soupirer,
Faisant de sa douleur nourriture et bruvage.

Si, loin estre de flamme, & de pres tout transi,
Sont cause que je meurs par defaut de merci,
L’offense en est sur vous, & sur moy le dommage.


IX.


Dés le jour que mon ame, amoureuse insensee,
Se rendant à vos yeux les fist Roys de mon cœur,
Il n’y a cruauté de barbare vaincueur,
Qu’Amour n’ait dedans moy fierement exercee.

Las ! je tire mon feu d’une roche glacee,
Qui n’a ny sentiment, ny pitié, ny rigueur :
Elle ignore sa force & ma triste langueur,
Et du mal qu’elle fait n’a soucy ny pensee.

Elle est toute de marbre, aucun trait ne la poingt,
Elle verse la flamme & ne s’echauffe point,
Et n’ayant point d’amour elle en peuple la terre.

Ô Beauté, dont les traits sont si victorieux,
Apprenez par ma mort les efforts de vos yeux,
Et voyez desormais à qui vous faites guerre !



X.


Je ſuis chargé d’vn mal qui ſans fin me trauaille,
Quelque part que ie tourne il me ſuit obſtiné :
Tout conſeil, tout ſecours ſans profit m’eſt donné :
Car touſiours plus au vif ſa rigueur me tenaille.

Le lict à mes penſers eſt vn champ de bataille,
Si ie ſaute du lict ſ’en ſuis plus mal mené :
Si ie ſors, le tyran, qui me tient enchaiſné,
À toutes les fureurs pour conduite me baille.

Icy l’ardent deſir m’anime à bien aimer,
Plus pres le deſeſpoir me veut faire abyſmer :
Ie ſuis en meſme temps tout de flamme & de glace.

Sans fin meſmes diſcours ie refais & desfais,
Ô miſerable eſprit ! quel Amour, quelle Paix
D’un chaos ſi confus debrouillera la maſſe ?


XI.


Du bel œil de Diane eſt ma flamme empruntee,
En ſes nœuds blons-dorez mon cœur eſt arrêté,
Sa main victorieuſe a pris ma liberté,
Et ſa douce parole a mon ame enchantee :

Son œil rend la ſplendeur des aſtres ſurmontee,
Ses cheueux du soleil terniſſent la beauté,
Sa main paſſe l’iuoyre, & la diuinité
De ſes ſages diſcours à bon droit eſt vantee.

Son bel œil me rauit, ſon poil doré me tient,
La rigueur de ſa main mes douleurs entretient,
Et par ſon doux parler ie ſens croistre ma flame.

Voila quelle eſt ma vie, & n’ay plus de repos
Depuis l’heure qu’Amour m’engraua dedans l’ame
Son œil, ſon poil, ſa main, & ſes diuins propos.


XII.


Vallon, ce Dieu tyran, qui me fait endurer
Tant de viuantes morts qu’immortel ie ſupporte,
Nous a tous deux rãgez preſque en la meſme ſorte,
Et preſque vn meſme mal nous contraint ſoupirer.

Aimant comme tu fais, tu ne dois eſperer
Qu’aucun allegement tes ennuis reconforte :
Aimant comme ie fays, mon eſperance eſt morte
Car ce n’eſt aux mortels d’y penſer aſpirer.

Tous deux nous endurons mille & mille deſtreſſes,
Tous deux nous adorons en eſprit nos maiſtreſſes,
N’oſans leur decouurir nos ſoucis rigoureux.

Conſole toy, Vallon, comme ie me conſole :
Encor eſt-ce vn confort à l’homme malheureux,
D’auoir vn compagnon au malheur qui l’affole.


XIII.

Durant les grand’s chaleurs i’ay veu cent mille fois
Qu’en voyant vn eclair flamboyer en la nue,
Soudain comme tranſie & morte deuenue
Tu perdois tout à coup la parole, & la vois :

De pouls ny de couleur tant ſoit peu tu n’auois.
Et bien que de l’effroy tu fuſſes reuenuë,
Si n’oſois-tu pourtant dreſſer en haut la veuë,
Voire vn long temps apres parler tu ne pouuois.

Donc ſi quand vn propos deuant toy ie commence,
Tu me vois en tremblant changer de contenance,
Demeurer ſans eſprit, palle & tout hors de moy,

Ne t’en etonne point, belle & cruelle Dame,
C’eſt lors que les eclairs de tes beaux yeux ie voy,
Qui m’eblouiſſent tout de leur luiſante flame.


XIIII.

Las ! qui languit iamais en ſi cruel martyre,
En ſi penibles nuicts, en ſi malheureux iours ?
Qui s’égara iamais dans ſi confus deſtours
Qui iamais recongneut ſi rigoureux Empire ?

Ie souffre vn mal preſent, i’en doute encor vn pire :
Ie voy renfort de guerre, & n’attens nul ſecours :
Mes maus sõt grãs et forts, mes biẽs foibles et cours
Et plus ie vais auant, plus ma douleur ſ'empire.

À toute heure en tous lieux, de tout ie me déplais,
La nuict eſt mon ſoleil, le diſcord eſt ma paix,
Ie cours droit au naufrage, & fuy ce qu’il faut ſuiure :

Ie me fâche en fâchãt les hõmes & les Dieux,
Ie ſuis las de moymeſme & me ſuis odieux,
Bref ie ne puis mourir & ſi ie ne puis viure.


XV.

Vn iour l’aueugle Amour, Diane, & ma Maiſtreſſe,
Ne pouuans ſ'accorder de leur dexterité,
S’eſſayerent de l’arc à vn but limité,
Et mirent pour le prix leur plus belle richeſſe.

Amour gaigea ſon arc, & la chaſte Deeſſe
Qui commande aux foreſts, ſa diuine beauté :
Ma Maiſtreſſe gaigea ſa fiere cruauté,
Qui me fait conſommer en mortelle triſteſſe.

Las ! Madame gaigna, remportant pour guerdon
La beauté de Diane, & l’arc de Cupidon,
Et la dure impitié dont ſon ame eſt couuerte.

Pour eſſayer ſes traits elle a percé mon cueur,
Sa beauté m’eblouit, ie meurs par ſa rigueur :
Ainſi ſur moy chetif tombe toute la perte.


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