Les Brigands (Offenbach)

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Théâtre de Meilhac et HalévyCalmann-Lévy, Éditeurstome 7 (p. 145-267).
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OPÉRA BOUFFE EN TROIS ACTES


Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Variétés, le 10 décembre 1869.


Musique de Jacques Offenbach.




PERSONNAGES.


FALSACAPPA, chef de brigands M. DUPUIS.
FRAGOLETTO, jeune fermier Mlle ZULMA BOUFFAR.
PIETRO, son confident et sous-chef MM. KOPP.
ANTONIO, caissier du duc de Mantoue Léonce
LE COMTE DE GLORIA-CASSIS, chambellan de la princesse de Grenade GOURDON.
LE BARON DE CAMPOTASSO, premier écuyer du duc de Mantoue CH. BLONDELET.
LE DUC DE MANTOUE LANJALLAY.
LE CHEF DES CARABINIERS DU DUC DE MANTOUE BARON.
CARMAGNOLA, brigand GOBIN.
PIPO, aubergiste BOULANGÉ
ADOLPHE DE VALLADOLID, premier page de la princesse de Grenade COOPER.
BARBAVANO, brigand DANIEL BAC.
DOMINO, brigand BORDIER.
LE PRÉCEPTEUR DE LA PRINCESSE DE GRENADE VIDEIN.
UN COURRIER / UN HUISSIER. MILLAUX.
FIORELLA, fille de Falsacappa Mlles AIMÉES.
LA PRINCESSE DE GRENADE LUCCIANI.
ZERLINA, paysanne JULIA H.
FIAMMETTA, paysanne BESSY.
LA DUCHESSE ALICE REGNAULT.
LA MARQUISE GRAVIER.
BIANCA, paysanne OPPENHEIM.
CICINELLA, paysanne DROUARD.
PIPETTA, fille de Pipo GÉNAT.
PIPA, femme de Pipo LÉONIE.


Brigands, Carabiniers, Paysannes, Marmitons, Pages de la cour de Mantoue, Seigneurs et Dames de la cour de Grenade, Pages de la princesse de Grenade, Seigneurs et Dames de la Cour de Mantoue.



ACTE PREMIER

Un site d’une sauvagerie étrange, — paysage à la Salvator Rosa. — D’énormes rochers. — Au fond, une montagne, avec un sentier qui part du milieu du théâtre, monte à droite, puis à gauche, à une très grande hauteur ; ce sentier est praticable jusqu’en haut. — À droite, au premier plan, l’entrée d’une caverne ; du même côté, sur le devant, un escabeau. — Quelques arbres sur la montagne.



Scène PREMIÈRE

BARBAVANO, DOMINO, et d’autres Brigands, puis CARMAGNOLA, puis FALSACAPPA, ZERLINA, FIAMMETTA, BIANCA, CICINELLA, et d’autres Paysannes.

Au lever du rideau, quelques brigands sont sur la montagne. On entend trois fois le son du cor. Il fait petit jour.

DOMINO, en sentinelle au bas de la montagne.
Le cor dans la montagne a retenti trois fois :
Alerte ! mes amis, accourez à ma voix !

Entrent cinq ou six brigands, de droite et de gauche.

BARBAVANO, passant à droite.
Qui vive ?
VOIX, au dehors.
Qui vive ? Les brigands !
BARBAVANO.
Qui vive ? Les brigands ! Dites le mot de passe.
DOMINO.
Le mot de passe !
LES VOIX, du dehors.
Escopette et mousquets, pistolets et tromblons !
DOMINO, passant à droite, à Barbavano.
Sentinelle, faites-leur place,
Laissez-les approcher, les hardis compagnons.

Entrée de brigands, par la montagne, à droite.

CHŒUR
Deux par deux ou bien trois par trois,
Quatre par quatre quelquefois,
Ils arrivent, marchant dans l’ombre,
Les brigands de la forêt sombre.

D’autres brigands sont arrivés de tous les côtés. Entre Carmagnola, par la montagne, à gauche.

DOMINO.
Carmagnola !
CARMAGNOLA, venant au milieu.
Carmagnola ! Silence ! cachez-vous.
DOMINO.
Pourquoi ?
CARMAGNOLA.
Pourquoi ? Disparaissez !
BARBAVANO.
Pourquoi ? Disparaissez ! Commence par nous dire…
CARMAGNOLA.
Je ne vous dirai rien… Si vous aimez à rire,
Cachez-vous !
DOMINO.
Cachez-vous ! Cachons-nous !
MÊME CHŒUR, à voix basse.
Deux par deux ou bien trois par trois,
Quatre par quatre quelquefois,
En sourdine ils rentrent dans l’ombre,
Les brigands de la forêt sombre.

Les brigands se cachent derrière les rochers, à droite et à gauche. — À peine sont-ils cachés, arrive de gauche, par la montagne, un Ermite vénérable (costume des capucins de baromètre). Il est suivi de huit jeunes paysannes. Le jour se lève.

FIAMMETTA.
I
Déjà depuis une grande heure,
Bon ermite, nous te suivons ;
Et pourtant ta sainte demeure,
Point encor ne l’apercevons…
Ah ! dis-nous vite,
Bon ermite,
Bon ermite, où nous conduis-tu ?
L’ERMITE, d’une voix faible et chevrotante.

Dans le sentier de la vertu !…

ZERLINA.
II
C’est un joli sentier, sans doute,
Et qu’il est doux de parcourir ;
Mais, hélas ! bien longue est la route…
Ne la verrons-nous point finir ?
Ah ! dis-nous vite,
Bon ermite,
Bon ermite, où nous conduis-tu ?
L’ERMITE, de même.
Dans le sentier de la vertu.

Il va vers la caverne.

FIAMMETTA.
N’arriverons-nous pas ?
FALSACAPPA, d’une voix terrible.
N’arriverons-nous pas ? Nous sommes arrivés !
Il rejette son capuchon, sa robe et sa barbe, et parait en chef de brigands. — Les brigands se montrent.
LES FEMMES, se réfugiant à gauche.
Falsacappa !
CICINELLA.
Nos amants sont flambés !
FALSACAPPA.
Oui, c’est moi ! c’est Falsacappa !
On ne s’attendait pas à ça !
TOUS.
Falsacappa !
FALSACAPPA.
COUPLETS
I
Quel est celui qui par les plaines
Conduit sa bande de lurons ?…
TOUS.
Falsacappa !
FALSACAPPA.
Celui qui commet par douzaines
Des forfaits dans les environs ?
TOUS.
Falsacappa !
FALSACAPPA.
Vers le voyageur qui s’avance
Il se glisse, puis il s’élance…
Et le voyageur mécontent
Chancelle et tombe en répétant :
« C’est Ernesto Falsacappa ! »
TOUS.
Falsacappa !
FALSACAPPA.
II
Quel est celui qui porte aux femmes
Un culte tout particulier ?…
TOUS.
Falsacappa !
FALSACAPPA.
Et fait toujours devant les dames
Fléchir la rigueur du métier ?
TOUS.
Falsacappa !
FALSACAPPA.
Vers la beauté, vers l’innocence
Il se glisse, puis il s’élance…
Il parle, et l’innocente enfant
Chancelle et tombe en répétant :
« C’est Ernesto Falsacappa ! »
TOUS.
Falsacappa !
LES BRIGANDS.
Vive Falsacappa !
LES FEMMES.
Quoi ! c’est Falsacappa !
FALSACAPPA, aux femmes.
Point de frayeur !
En douceur
Tout se passera, mes belles
Demoiselles…
Et maintenant, presto ! presto !
Éloignez-vous tous subito,
Tous, excepté les trois brigands
Qui sont mes premiers lieutenants.
LES BRIGANDS.
Et maintenant, presto ! presto !
Éloignons-nous tous subito,
Tous, excepté les trois brigands
Qui sont ses premiers lieutenants.
LES FEMMES.
Ah ! voyez comme, en nous lorgnant,
Ils ont un regard flamboyant !
Leur œil brille en nous regardant !
C’est flatteur, mais c’est effrayant !
LES BRIGANDS, à Falsacappa.
Ces mignonnes
Que voilà,
Ces friponnes
Qui sont là,
Ô maître, tu nous les donnes ?
FALSACAPPA.
Halte-là !
LES BRIGANDS.
Pourquoi ça ?
FALSACAPPA.
Conduisez-les d’abord dans le souterrain noir,
Et qu’on ait des égards… au moins jusqu’à ce soir !
LES BRIGANDS.
Jusqu’à ce soir…
Quel espoir !
FALSACAPPA.
Et maintenant, presto ! presto !
Éloignez-vous… etc.
LES BRIGANDS.
Et maintenant, presto ! presto !
Éloignons-nous… etc.
LES FEMMES.
Ah ! voyez comme, en nous lorgnant,
Ils ont… etc.
Une partie des brigands emmène les femmes et entre avec elles dans la caverne. — Les autres sortent par la droite et par la gauche. — Carmagnola suit les femmes jusqu’à l’entrée de la caverne, en leur envoyant des baisers : Falsacappa vient le prendre par l’oreille et le fait passer à gauche. — Pietro paraît sur la montagne, venant de la gauche.

Scène II

DOMINO, BARBAVANO, CARMAGNOLA, FALSACAPPA, PIETRO.
FALSACAPPA, regardant avec mépris les brigands qui s’éloignent.

Voilà donc ce qu’il faut pour les conduire !… des femmes… et des liqueurs fortes !

PIETRO, s’approchant de lui.

Tes paroles sont amères.

FALSACAPPA.

Ah ! te voilà, mon vieux Pietro… (Passant au milieu.) Je méprise les hommes.

PIETRO.

Ne fais-tu pas d’exceptions ?

FALSACAPPA.

Une seule…

PIETRO, avec émotion.

Laquelle ?

FALSACAPPA.

Toi, mon bon Pietro…

Il lui serre la main.

PIETRO.

Ah !…

Domino, Barbavano et Carmagnola remontent et causent tout bas, au fond, avec animation.

FALSACAPPA.

Toi, qui m’as appris le métier… toi, qui, prenant la place d’un père pendu avant l’age… j’avais trois ans alors, et cette mort, tu sais que je jurai de la venger et que je tiens mon serment… toi, dis-je, qui, prenant la place de mon père, fus le guide de ma jeunesse et me conservas le commandement de cette bande qui était mon héritage… L’occasion était belle cependant ; la tentation aurait pu te venir d’exploiter pour ton compte… Tu n’en fis rien, honnête Pietro !

PIETRO.

Oh ! je me rends justice, je ne suis pas un homme de haut vol.

FALSACAPPA.

Que veux-tu dire ?

PIETRO.

Je ne suis pas fait pour le commandement. Je suis fait pour tenir auprès de toi l’emploi de confident et pour t’admirer… Que me faut-il, à moi ? Que tu me regardes de temps à autre… l’air ému… le regard humide, en me disant…

FALSACAPPA.

« Mon vieux canard !… »

PIETRO.

Cela me suffit, à moi.

Les trois brigands, au fond, élèvent la voix.

FALSACAPPA, se retournant.

Qu’est-ce ?…

PIETRO, bas.

Mais d’autres, peut-être, trouvent que cela ne leur suffit pas.

FALSACAPPA.

Que veux-tu dire ?

PIETRO, montrant les trois brigands, bas.
Ces messieurs, je crois, ont l’intention de t’adresser quelques observations.
FALSACAPPA, bas.

De l’indiscipline ?…

PIETRO, bas.

J’en ai peur…

FALSACAPPA, bas.

Nous allons voir ça !… (Haut.) Approchez, messieurs.

BARBAVANO, descendant avec ses camarades.

Nous approcherons, si nous voulons.

FALSACAPPA.

Qui est-ce qui demande la parole ?

BARBAVANO.

Je la prends.

FALSACAPPA.

Gardez-la.

BARBAVANO.

Je vous remercie, chef, et je vous engage à ne pas perdre un mot de ce que je vais avoir l’honneur de vous dire… Nous ne sommes pas contents.

FALSACAPPA.

Messieurs !…

TOUS LES TROIS.

Nous-ne-sommes-pas-contents.

BARBAVANO.

Les affaires ne vont pas.

DOMINO.

Il y a huit jours, vous nous avez fait faire trente lieues et passer vingt-quatre heures dans une cave…

CARMAGNOLA.

Et pour quoi faire ?… Pour voler… dix-sept francs !

BARBAVANO.
Qu’il a fallu partager entre soixante-treize personnes.
CARMAGNOLA.

Et vous avez pris dix francs pour vous !

BARBAVANO.

Nos dividendes sont dérisoires… J’étais banquier, moi ; je me suis fait voleur, parce que j’espérais qu’il y aurait moins de travail et plus de bénéfice… c’est le contraire qui est arrivé.

DOMINO.

Et à qui la faute ?…

Il passe près de Barbavano.

BARBAVANO.

Pas à nous, puisque nous ne faisons qu’obéir…

FALSACAPPA.

À moi, alors ?

BARBAVANO.

Mais oui… à vous !

FALSACAPPA.

Messieurs !… Qu’est-ce que vous demandez, à la fin ?

CARMAGNOLA, allant à lui.

On vous demande tout uniment… (Se tournant vers les deux autres et à demi-voix.) Qu’est-ce qu’on lui demande, au fait ? (Barbavano lui dit quelques mots à l’oreille. Haut, à Falsacappa.) On vous demande d’avoir une idée et de trouver quelque bon coup à faire.

FALSACAPPA, allant à Pietro, bas.

Qu’est-ce que tu penses de ça, toi ?

PIETRO, bas.

Promettez-leur quelque chose… ou rendez les dix francs.

FALSACAPPA, bas.

Je vais leur promettre quelque chose. (Haut et se tournant vers les trois brigands.) Écoutez-moi, mes fidèles lieutenants, je vous promets… vous entendez ? je vous promets… enfin, c’est bon, vous voulez qu’on ait une idée… on en aura une.

TOUS.

Bien vrai ?

FALSACAPPA.

Parole d’honneur !

Les trois brigands rient.

BARBAVANO.

Jurez sur autre chose…

On entend la voix de Fiorella.

FALSACAPPA, écoutant.

Sur la tête de ma fille…, dont les accents se font entendre au loin dans la montagne.

CARMAGNOLA.

Sur la tête de ta fille Fiorella ?

FALSACAPPA.

Oui, sur la tête de ma fille Fiorella, je jure que d’ici à peu de temps je ferai faire à la bande une opération fructueuse…

Domino remonte.

BARBAVANO et CARMAGNOLA.

À la bonne heure !…

Ils vont au-devant de Fiorella.

Entre, à gauche, par la montagne, Fiorella. — Chapeau pointu, carabine sur l’épaule, poignard et pistolets à la ceinture.

DOMINO, au fond.

La voilà… la voilà… la belle Fiorella !

Les brigands redescendent avec Fiorella.

Scène III

Les Mêmes, FIORELLA.
FIORELLA.
I
Au chapeau je porte une aigrette,
Une croix d’or au cou,
Sur l’épaule mon escopette,
Un poignard au genou ;
Et quand tous les brigands sommeillent
Dans les rocs que voilà,
Ce sont mes deux yeux noirs qui veillent
Sur la bande à papa.
Un fusil brille au clair de lune,
Puis un coup retentit :
Pan !… pan !… c’est Fiorella la brune,
La fille du bandit !…
Je suis la fille du bandit !

Elle donne sa carabine à Barbavano.

II
Je sais courir de roche en roche,
Comme un chamois léger,
Et mon cœur bondit, quand approche
Le moment du danger ;
Cette main fluette et légère
A des muscles d’acier,
Elle a couché dans la poussière
Plus d’un carabinier !
Un fusil brille au clair de lune,
Puis un coup retentit :
Pan !… pan !…

Elle tire deux coups de pistolet.

c’est Fiorella la brune,
La fille du bandit !…
Je suis la fille du bandit !
FALSACAPPA.

Ma fille !…

Il l’embrasse.
FIORELLA.

Mon bon père !

Elle va à Pietro.

FALSACAPPA, aux trois brigands.

La séance est levée, messieurs… Je n’ai pas besoin de vous recommander de ne pas oublier ma promesse… moi non plus, je ne l’oublierai pas… Tenez, l’occasion de la tenir ne se fera pas attendre. Le prochain mariage de la princesse de Grenade avec notre jeune souverain, le duc de Mantoue, est officiellement annoncé… vous le savez…

BARBAVANO.

Nous le savons…

FALSACAPPA.

À l’occasion de ce mariage, il y aura des fêtes… Peut-être oubliera-t-on de-nous y inviter… mais cela ne fait rien, nous y serons… je n’ai pas autre chose à vous dire… nous serons à ce mariage… Bonjour, messieurs.

Il s’approche de sa fille. Pietro remonte un peu.

PIETRO, regardant les trois brigands.

Vive Falsacappa !… (Plus fort, comme pour les exciter.) Vive Falsacappa !

TOUS, après un mouvement d’hésitation et faiblement.

Vive Falsacappa !

Pietro retourne près de Fiorella.

FALSACAPPA, allant à eux.

C’est bien, messieurs… c’est bien !… Croyez que l’émotion… la reconnaissance… Bonjour, messieurs, bonjour !…

Domino sort, par la montagne, à droite. — Barbavano et Carmagnola entrent dans la caverne.

Scène IV

PIETRO, FIORELLA, FALSACAPPA.
FIORELLA, bas, à Pietro.

Tu ne lui as rien dit, au moins ?…

PIETRO, bas.

Pas si bête !

FALSACAPPA, après avoir reconduit Carmagnola et Barbavano, regardant sa fille.

La famille, maintenant, la famille !…

FIORELLA, venant à lui.

Mon bon père !…

Elle retourne à Pietro.

FALSACAPPA.

Ma fille !… (Pietro et Fiorella se font des signes en riant. — À part.) Je sais bien que c’est aujourd’hui la Saint-Ernest… le jour de ma fête… mais je feins de ne pas me le rappeler… pour leur laisser le plaisir de me faire une surprise… (Haut à Pietro qui rit en le regardant.) Comme elle est belle, ma fille ! comme elle est grande !

Il s’est assis sur un escabeau à droite et prend sa fille sur ses genoux.

PIETRO.

Est-ce que tu ne t’es pas dit quelquefois que cela était extraordinaire d’avoir, à ton âge, une fille aussi grande ?…

FALSACAPPA.

Je me le suis dit quelquefois… mais, nous autres, nous vivons tellement en dehors des lois ordinaires !…

PIETRO.

C’est vrai…

Fiorella se lève, retourne à Pietro, et lui parle bas ; il lui remet un coffret qu’il a pris dans le creux d’un rocher.
FALSACAPPA, à part, se levant.

Ils ne savent comment faire pour me surprendre… c’est délicieux !… Joies paisibles de l’innocence, que vous êtes douces au cœur des coupables !

FIORELLA, allant à Falsacappa, et cachant le coffret derrière elle.

Petit papa…

FALSACAPPA, s’oubliant.

C’est aujourd’hui ta… (S’interrompant). Quoi donc, ma fille ?

FIORELLA.

Quel jour sommes-nous ?

FALSACAPPA, feignant de l’ignorer.

Mais… je ne sais pas…

FIORELLA.

C’est aujourd’hui la Saint-Ernest, ô mon bon père !…

FALSACAPPA, même jeu.

Est-il possible ?…

FIORELLA.

Le jour de votre fête… et ce jour, le vieux Pietro et moi n’avons pas voulu le laisser passer sans vous apporter un petit présent…

FALSACAPPA.

Ah bien, par exemple !… si je m’attendais !… Ma fille ! (Allant à Pietro et lui serrant la main.) Mon vieux Pietro ! (À sa fille.) Et où est-il, ce petit présent ?

FIORELLA.

Le voici, mon père.

Elle met le coffret dans les mains de son père. Falsacappa l’ouvre, et un petit gendarme, jaillissant du coffret, lui saute au nez.

FALSACAPPA.
Qu’est-ce que c’est que cela ?
PIETRO, riant.

Ça ?… c’est une petite farce… Elle est de moi, la petite farce.

FIORELLA, avec émotion.

Il y a autre chose, mon père…

FALSACAPPA, fouillant dans le coffret.

Sous la botte du gendarme ?… (Il tire un portrait du coffret.) En effet… (Remettant le coffret à Pietro.) Tiens, prends le gendarme, Pietro… (Regardant le portrait.) Ton portrait, Fiorella, ton portrait !… Ah ! par exemple, ma fille, je suis surpris, et pour tout de bon !… Je m’attendais à une paire de bretelles.

FIORELLA.

Oh ! mon père !…

FALSACAPPA.

Ton portrait !… Et en costume de cour !… Tu as l’air d’une marquise là-dessus… Et comment l’as-tu fait faire, ce portrait ?

FIORELLA.

Tous les jours, la figure bien enveloppée, j’allais chez le peintre à la mode. Pietro m’accompagnait, déguisé en domestique de bonne maison.

PIETRO.

Si tu m’avais vu, tu aurais ri… j’avais une boule !…

FALSACAPPA.

Et vous avez payé ?…

PIETRO.

En bon argent.

FALSACAPPA.

En bon argent ?

PIETRO.
Comme j’ai honneur de te le dire.
FALSACAPPA.

Allons, pas de plaisanteries !

PIETRO.

Seulement…

FALSACAPPA.

Ah ! il y a un seulement ?…

PIETRO.

J’ai remarqué que la dame qui venait poser avant nous se faisait peindre avec ses diamants… Une charmante soubrette… assez piquante, ma foi… (Il veut faire une pirouette et trébuche ; Falsacappa le rattrape et l’empêche de tomber.) une soubrette apportait les diamants et les remportait… Hier, nous sommes arrivés un peu en avance, et…

FALSACAPPA.

Et ?…

PIETRO.

Et ce sont les diamants de la dame qui encadrent si merveilleusement le portrait de Fiorella.

FALSACAPPA, mettant le portrait dans sa poche.

Très bien, vieux Pietro, voilà un bon tour !

PIETRO.

Encore un vieux restant !…

FALSACAPPA, à sa fille.

Pourquoi ne souris-tu pas, ma fille ?… Quand un des nôtres a fait quelque chose de bien, il est convenable de l’encourager par un sourire… Ça excite le zèle et ça ne coûte rien.

FIORELLA.

Pardonnez-moi, mon père…

FALSACAPPA.
Ta figure tout à coup est devenue sérieuse…
FIORELLA.

Vous vous en êtes aperçu ?…

FALSACAPPA.

Et je te prie de m’expliquer ce changement de physionomie.

FIORELLA.

À Dieu ne plaise que je veuille juger votre conduite !… Vous continuez l’état glorieusement exercé par votre père… il n’y a rien de plus respectable, et il serait bon que cet exemple fût suivi plus souvent… Je suis fière d’être votre fille, j’aimerais à voler sur vos traces !… et cependant… depuis quelque temps au moins, je suis toute surprise de sentir en moi des hésitations, des scrupules…

PIETRO, avec onction.

Ça lui vient de sa mère… une sainte femme !

FALSACAPPA.

Depuis quelque temps, dis-tu ?… Quel jour cela t’a-t-il pris pour la première fois ?…

FIORELLA.

Le jour de cette visite que nous avons faite chez ce jeune fermier… vous savez bien…

FALSACAPPA.

À nous, Pietro, le répertoire… Quel jeune fermier ?

PIETRO, consultant un carnet.

« Fragoletto, jeune fermier aisé… » C’est mercredi dernier que vous lui avez fait cette visite.

FIORELLA.

Vainement, pendant que vous mettiez cette maison au pillage, vous me pressiez de m’unir à vos travaux dans la mesure de mes forces et de mon intelligence : je suis restée immobile… les yeux attachés sur ce jeune homme… C’était plus fort que moi !… J’ai tort peut-être de vous faire cet aveu, mon père…

FALSACAPPA.

Non, ma fille bien-aimée… Il faut espérer que cela passera… Je tiendrai compte, cependant, de ce que tu me dis, et je ne t’emploierai que dans les circonstances où il faudra de la grâce et de la délicatesse.

FIORELLA.

Merci, mon père… vous êtes bon ! (Allant à Pietro.) Il est bon !

PIETRO.

Un peu trop gobichonneur… mais, à cela près, le roi des hommes !

DOMINO, en dehors, criant.

Alerte ! alerte ! nous le tenons !

BRIGANDS, en dehors.

Nous le tenons ! nous le tenons !

Domino, amenant Fragoletto et suivi de cinq ou six brigands, arrive de la droite, par la montagne. — À ses cris, le reste de la bande accourt de tous les côtés.


Scène V

Les Mêmes, FRAGOLETTO, DOMINO, BARBAVANO, CARMAGNOLA.
TOUS LES BRIGANDS.
CHŒUR
Nous avons pris ce petit homme !
Il est tout petit, mais, en somme,
Quoique petit, il est fort bien ;
Cela vaut encor mieux que rien.
FIORELLA, à part, voyant Fragoletto.

(Parlé.) C’est lui !

FRAGOLETTO, à part, regardant Fiorella.

(Parlé.) C’est elle !

FIORELLA, à part.
C’est lui !… Cachons mon trouble…
DOMINO, tenant Fragoletto.
C’est lui !… Cachons mon trouble… Amis, ne craignez rien :
Je le tiens, et je le tiens bien !
FRAGOLETTO, à Domino.
Pourquoi cet air rageur et ces façons méchantes ?
Tu dis que tu me tiens… je crois que tu te vantes,
Soit dit sans te fâcher !…

Il se dégage et envoie Domino rouler par terre ; pendant que celui-ci se relève tout confus, les brigands se précipitent, le poignard levé, sur Fragoletto.

LES BRIGANDS.
Ah ! petit misérable !…
FIORELLA, tirant aussi un poignard et se jetant entre Fragoletto et les brigands.
Ah ! petit misérable !… Essayez d’y toucher !…

Elle prend la main de Fragoletto.

FALSACAPPA, venant les séparer, à part.
Cette affaire
N’est pas claire !
Y a quelqu’chose au fond de tout ça.
Je suis père,
Et j’espère
Que ma fille me le dira.
ENSEMBLE
FALSACAPPA.
Cette affaire
N’est pas claire,
Etc.
FIORELLA.
Cette affaire
Est très claire !
Je suis foll’ de ce garçon-là !
Du mystère !
Faut me taire…
Ça pourrait déplaire à papa.
FRAGOLETTO
Cette affaire
N’est pas claire !
J’aime, j’adore Fiorella !
Leur colère
Peut me faire
Repentir de cet amour-là.
LES BRIGANDS.
Cette affaire
N’est pas claire !
Y a quelqu’chose au fond de tout ça.
Faut nous taire : Ce mystère
Tôt ou tard se découvrira.

Une partie des brigands remonte ; ils forment quelques groupes. — D’autres vont se coucher au fond sur des rochers.

FRAGOLETTO, allant à Fiorella.

Mademoiselle, c’est à vous que je me rends, et non à un autre.

FALSACAPPA, venant se placer entre eux.

Eh bien ?…

FRAGOLETTO.

Ne nous fâchons pas, chef. Tu as des hommes qui font du zèle, et voilà tout : ils se sont donné bien du mal pour amener ici un bon jeune homme qui venait de lui-même.

FALSACAPPA.
Tu dis que tu venais ici ?
FRAGOLETTO.

De moi-même, et de mon propre mouvement.

FALSACAPPA.

Pour quoi faire ?

FRAGOLETTO.

Pour te parler, chef, pour te parler.

FALSACAPPA.

Qui donc es-tu ?

FRAGOLETTO.

Je me nomme Fragoletto ; je suis le jeune fermier que vous avez dévalisé mercredi dernier.

Barbavano remonte, puis redescend à gauche.

FALSACAPPA.

Et tu viens te plaindre, peut-être ?

FRAGOLETTO.

Me plaindre de toi… à toi ?… Tu me crois plus jeune encore que je ne le suis… Non, chef, je viens pour te faire une communication.

FALSACAPPA.

Une communication ?

FRAGOLETTO.

Une communication… relative à mademoiselle.

Il s’approche de Fiorella

FIORELLA.

À moi ?

FALSACAPPA.

À ma fille ?

FRAGOLETTO.
Oui, à ta fille… Écoute, chef.
COUPLETS.
I
Quand tu me fis l’insigne honneur
De me rendre visite,
J’eus un petit moment d’humeur,
Mais cela passa vite :
Car sur tes pas ta fille entra,
Et mon âme étonnée
S’adoucit et te pardonna
Pour l’avoir amenée…
Tous les deux nous étions contents :
Pille, toi, vole, pille !
Et des yeux, moi, pendant ce temps,
Je dévorais ta fille !
II
Tu travailles fort bien, ma foi,
Les jours où tu travailles,
Et tu n’as rien laissé chez moi,
Si ce n’est les murailles.
Le lit avec le baldaquin
Et l’horloge qui sonne,
Tu les as pris… Eh bien, coquin,
Je te les abandonne…
Tous les deux nous serons contents :
Pille, toi, vole, pille,
Mais souffre au moins qu’en même temps
Je pille un brin ta fille !
FALSACAPPA.

Ah çà ! mais, sauf erreur, c’est une déclaration.

PIETRO.

Ça en a tout l’air.

FALSACAPPA.

Une déclaration à ma fille !…

FRAGOLETTO.
Pourquoi te fâcher, chef ? Un jeune homme a bien le droit de faire une déclaration à une jeune fille, lorsque ses intentions sont pures, à ce jeune homme !
FALSACAPPA.

Ah ! tes intentions sont ?…

FRAGOLETTO.

Comme le regard de ta fille !… C’est sa main que je viens te demander.

FIORELLA.

Oh ! tout de suite, papa, tout de suite !…

FALSACAPPA, allant à sa fille.

Qu’est-ce que c’est ?… La main de ma fille à un…

FRAGOLETTO.

À un honnête homme, n’est-ce pas ?… C’est une idée qui ne t’entre pas dans la cervelle… Attends donc, chef, attends donc… je comprends tous les genres d’amour-propre… tu es un coquin… (Mouvement de Falsacappa.) tu veux pour gendre un coquin.

FALSACAPPA.

Eh bien, oui, je crois que j’aimerais mieux ça !

FRAGOLETTO.

Qu’a cela ne tienne !… je désire m’engager dans ta bande.

FALSACAPPA.

Jeune présomptueux !

FIORELLA.

Comme il m’aime !… ah ! comme il m’aime !

FRAGOLETTO.

D’autant plus que c’est ce que j’ai de mieux à faire maintenant, puisque tu as tout pris chez moi… ici, au moins, j’ai la chance de remettre peu à peu la main sur toutes mes petites affaires… (Allant à Barbavano.) Ainsi, monsieur, vous, là-bas, vous avez mes bretelles et mon chapeau… (Allant à Pietro qui rit.) Vous, monsieur, qui riez, je ne voudrais pas vous dire des choses désagréables… mais enfin, vous avez ma montre… je la reconnais à la chaîne.

Pietro a une montre attachée à une ficelle.

PIETRO.

Moi, ta montre ?…

Il la retire de sa poche.

FRAGOLETTO.

Il vous faut une preuve !… regardez-la : je suis sûr qu’elle retarde de cinq minutes.

PIETRO, étonné, regardant la montre. En effet !…

FRAGOLETTO.

Là !… (À Pietro qui veut remonter la montre.) Ah ! tu auras beau la remettre à l’heure, ça sera toujours la même chose.

FALSACAPPA.

As-tu du cœur, au moins ?

FRAGOLETTO, allant à Falsacappa.

Je suis venu ici tout seul… il me semble que cela n’annonce pas un homme qui a froid aux yeux…

Pietro remonte et passe à droite.

FALSACAPPA.

Suis-moi donc… Et nous, enfants (Les brigands, qui avaient remonté, redescendent tous.), allons, avant le repas du soir, faire encore un tour dans la montagne… (À Fragoletto.) Je serai à côté de toi, mon gaillard, et nous verrons si ton mérite est à la hauteur de ton ambition.

FRAGOLETTO.
Allons dans la montagne !… (Il s’approche de Fiorella.) Mais vous, mademoiselle, vous, à cause de qui j’ai pris cette détermination qui peut avoir une certaine influence sur ma vie entière… ne me direz-vous pas un mot ?
FIORELLA.

Je vous ai écouté, jeune fermier…

FRAGOLETTO.

Eh bien ?…

FIORELLA.

Je t’aime !… je t’aime !…

FRAGOLETTO, avec joie.

Ah !…

FIORELLA.

Contente-toi de ça pour aujourd’hui.

FALSACAPPA, venant entre eux.

En voilà assez !… Vous allez venir avec nous, jeune homme. Toi, ma fille bien-aimée, tu vas rester ici avec Pietro, il te racontera l’histoire des bandits célèbres. (Mouvement de Fiorella.) Le temps seulement de faire faire à monsieur ses premières armes, et nous rentrons.

FIORELLA.

Je vous attends, mon père.

FALSACAPPA.

En marche, compagnons !… Nous allons nous poster là-bas, dans cette gorge.

REPRISE DU CHŒUR
Nous avons pris ce petit homme, etc…

Tous excepte Fiorella et Pietro, sortent par la montagne, à gauche.


Scène VI

FIORELLA, PIETRO.
PIETRO, à lui-même.
Une histoire de voleurs… Quelle histoire vais-je lui raconter ?
FIORELLA, revenant à Pietro.

Eh bien, bon vieillard, racontez-moi, comme vous l’a dit mon père, racontez-moi une histoire de voleurs.

PIETRO.

Volontiers… Il y avait une fois un grand financier.

FIORELLA, après un silence.

Et puis après ?…

PIETRO.

C’est tout.

FIORELLA, riant.

Oh ! oh ! bon vieillard… elle n’est pas de toi, cette histoire-là.

PIETRO.

Non, mademoiselle, c’est une histoire que j’ai volée à M. de Voltaire.

Il passe à gauche. — Paraît alors sur la montagne, venant de la droite, un jeune homme en costume de cheval fort élégant… — Fiorella se retourne et pousse un cri en l’apercevant.


Scène VII

Les Mêmes, LE DUC DE MANTOUE.
FIORELLA.

Ah !

PIETRO, se retournant.

Quoi donc ?

FIORELLA.

Là… un jeune homme…

LE PRINCE, arrêté sur la montagne, et, du fond, apercevant Fiorella, à lui-même.
Tiens, une jeune fille !
PIETRO, bas, à Fiorella.

C’est vrai, ma foi, c’est un jeune homme… et son costume, à ce jeune homme, annonce une certaine aisance… ce collier, voyez-vous ce beau collier ?…

LE PRINCE, toujours sur la montagne.

Je vous en prie, ne pourriez-vous m’indiquer le chemin pour aller à la ville ?

Il descend et ne quitte plus Fiorella des yeux.

PIETRO, allant au prince.

Mon Dieu ! il serait assez difficile de vous expliquer… mais, si vous voulez, je vais aller vous chercher un guide.

LE PRINCE, distrait, en regardant Fiorella.

Un guide !

PIETRO.

Oui, dans la montagne… je trouverai vite, et je serai bientôt revenu.

LE PRINCE, souriant et regardant toujours Fiorella.

Mais ne vous pressez pas trop, brave homme, ne vous pressez pas trop.

FIORELLA, bas, à Pietro.

Que voulez-vous faire, Pietro ?

PIETRO, bas.

Ce que je veux faire ?… retrouver votre père et l’avertir qu’il y a ici un joli jeune homme à dévaliser.

Mouvement de Fiorella.

LE PRINCE, à Pietro.

Eh bien ?…

PIETRO.

Je vais vous amener un guide, mon jeune seigneur.

LE PRINCE.
Allez, brave homme, allez.
PIETRO, bas, à Fiorella.

Retenez-le… ne le laissez pas s’échapper… (Haut, au prince.) J’y vais, monseigneur… et aussi vite qu’il est possible avec mes vieilles jambes.

Il gravit la montagne et disparaît par la gauche.


Scène VIII

FIORELLA, LE PRINCE.
FIORELLA, à part, examinant le prince.

L’air un peu bébête, mais gentil… oui, bien gentil… et dire que tout à l’heure !… Ah ! c’est dommage !

LE PRINCE.

Qu’est-ce que vous dites ?

FIORELLA.

Je dis que vous avez l’air un peu bébête, mais que vous êtes gentil.

LE PRINCE.

Absolument comme toi… c’est-à-dire, non… toi, tu n’as pas l’air un peu… mais tu es jolie…

FIORELLA, passant à droite.

Voyez-vous ça !…

LE PRINCE.

Excessivement jolie !… et puis te trouver là… seule au milieu de ces rochers… avec ton petit chapeau et ta plume rouge… tout cela a un air… Enfin, moi qui ai l’habitude d’être adoré… je t’adore !

FIORELLA, un peu ironique.

C’est vrai, ça ?

LE PRINCE.
Mais oui, c’est vrai !
FIORELLA, indécise.

Eh bien, alors… (À part.) Mon Dieu ! quel combat !… (Haut.) Eh bien, alors… (À part.) Ah ! ma foi, tant pis !… il est trop gentil !… je ne veux pas qu’on lui fasse de mal.

LE PRINCE.

Eh bien, alors ?…

FIORELLA.

Eh bien, alors… va-t’en !

LE PRINCE.

Je m’en irai quand ce vénérable vieillard sera revenu.

FIORELLA, avec un rire étrange.

Ce vénérable vieillard ?…

LE PRINCE.

Oui.

FIORELLA.

Ne l’attends pas, car il ne reviendra pas seul.

LE PRINCE.

Je sais bien… il ramènera un guide.

FIORELLA, nouvel éclat de rire.

Un guide !… Ha !… ha !…

LE PRINCE.

Que veux-tu dire ?

FIORELLA.

Je veux dire que, si tu ne t’en vas pas, et tout de suite, tu es perdu.

LE PRINCE, étonné et riant.

C’est une farce, pas vrai ?…

FIORELLA.

Qui donc crois-tu que je sois ?…

LE PRINCE.

Attends un peu, que je me rende compte… ce chapeau peau pointu, cette plume rouge… tu dois être une bergère.

FIORELLA.

Une bergère… enfant naïf !…

LE PRINCE.

Ça n’est pas ça ?

FIORELLA.

Non, ça n’est pas ça.

LE PRINCE.

Mais, si tu n’es pas une bergère, qui donc es-tu ?… Dis-le-moi, dis !

FIORELLA, fièrement.

Qui je suis ?… Mon père est un chef de bandits ; je suis, moi, la fille de mon père.

LE PRINCE, effrayé.

Ah monsieur votre père est ?…

FIORELLA.

Oui.

LE PRINCE.

Vilain état !

FIORELLA.

Ça dépend des goûts !

LE PRINCE.

Enfin, il l’est. Et il va revenir ?

FIORELLA.

Oui.

LE PRINCE.

Avec ses hommes ?

FIORELLA.

Avec ses hommes.

LE PRINCE.
Alors, vous croyez que je devrais ?…
FIORELLA.

Ce serait prudent.

LE PRINCE.

Mais, si je m’en vais, que penserez-vous de moi ?

FIORELLA.

Prudence n’est pas poltronnerie.

LE PRINCE.

C’est votre avis ?

FIORELLA.

Oui.

LE PRINCE.

Alors, je m’en vais… Mais nous nous reverrons ?…

FIORELLA.

Peut-être.

LE PRINCE.

Je n’en demande pas davantage… Dis-moi seulement quel chemin il faut prendre…

FIORELLA.

Quel chemin ?… Je vais te le dire.

Désignant un sentier à gauche.

RONDEAU
Après avoir pris à droite,
À gauche tu tourneras,
Et par une route étroite
Vivement tu descendras ;
Là tu verras la rivière,
Et tu la traverseras
Sur un petit pont en pierre
Qu’aisément tu trouveras…

Le prince lui prend la main.

Ne prends donc pas ma main,
Enfant, tu n’écoutes pas !
Je te dis le chemin,
Le chemin que tu prendras…
Tout en haut de la montagne,
Après ça tu grimperas ;
Si la fatigue te gagne,
Un instant tu souffleras ;
Puis tu poursuivras ta route,
Sans courir, à petits pas,
Et dans ton logis, sans doute,
Sain et sauf tu rentreras…

Le prince l’embrasse encore. À part.

Sans m’écouter, il m’embrasse !
Au fond ça me fait plaisir…

Haut.

Finis donc ! le temps se passe,
Et papa va revenir…
Et si papa te trouve là,
Petit papa t’escofiera !…
Tout en haut de la montagne,
Tu m’entends, tu grimperas ;
Si la fatigue te gagne,
Un instant tu souffleras,
Puis, tu poursuivras ta route,
Sans courir, à petits pas ;
Et dans ton logis, sans doute,
Sain et sauf tu rentreras.
ENSEMBLE
FIORELLA.
Il te faut maintenant,
Sans perdre un seul instant,
Sans tarder, sans parler,
Il te faut t’en aller.
LE PRINCE.
Il me faut maintenant,
Sans perdre un seul instant,
Sans tarder, sans parler,
Il me faut m’en aller.
Le prince s’éloigne rapidement par un sentier à gauche, dans les rochers. — Au moment où il disparaît, Falsacappa arrive par le haut de la montagne, à gauche. Il est suivi de Pietro.

Scène IX

FIORELLA, FALSACAPPA, PIETRO.
FALSACAPPA, sur la montagne.

Eh bien !… ce jeune homme ?…

Il descend vivement, ainsi que Pietro.

FIORELLA.

Parti !…

FALSACAPPA, furieux.

Comment, parti ?… C’est vrai, ma foi… je le vois là-bas.

Il arme un pistolet.

FIORELLA, retenant son père.

Doucement, mon père !

FALSACAPPA, repoussant Fiorella.

Laisse-moi !

FIORELLA, avec énergie.

Je vous dis, mon père, que je ne veux pas que vous frappiez ce jeune homme !

FALSACAPPA.

Tu ne veux pas ?…

FIORELLA, s’emparant du pistolet de Falsacappa.

Non, je ne veux pas !…

FALSACAPPA.

Ah !

Il lève la main. — Pietro se jette entre eux deux.

FIORELLA, criant et passant à droite.

Oh ! la la ! Oh ! la la !

PIETRO.

Arrête, c’est ta fille ! (Tous les trois demeurent immobiles.) Tableau !

Après ce mot, ils changent d’attitude. — Pietro passe à droite.
FALSACAPPA.

Ah ça ! mais j’ai une fille qui sauve tous les jeunes gens qu’elle rencontre !… (À Fiorella.) Je vois ce que c’est, ma fille… C’est encore une de ces hésitations, un de ces scrupules dont tu me parlais tout à l’heure.

FIORELLA.

Justement, mon bon père.

FALSACAPPA.

Ah ! mais… ah ! mais… il faut soigner ça… c’est très mauvais dans notre état !

FIORELLA, le câlinant.

Je soignerai ça, mon père… et je vous promets de me bien conduire à la première occasion.

FALSACAPPA.

À la bonne heure !

Bruit au dehors.

PIETRO, remontant.

Voici nos hommes !… nous allons savoir comment ce jeune audacieux s’est tiré de sa première affaire.

Ils passent à gauche. — Les brigands arrivent par la montagne, à gauche.


Scène X

Les Mêmes, CARMAGNOLA, DOMINO, BARBAVANO, Les Brigands, puis FRAGOLETTO et un Courrier.
CHŒUR
Ce petit est un vrai luron !
Il s’est battu comme un lion !
Jamais on ne fut plus hardi
Que ce brave petit bandit.
Pendant ce chœur, Fragoletto arrive par la montagne, à gauche, tenant et amenant le courrier. — Un brigand les suit, portant une valise.
FRAGOLETTO.
Falsacappa, voici ma prise :
C’est un courrier de cabinet !
Le galop de sa jument grise
Retentissait dans la forêt ;
Moi, j’étais caché, je l’avise,
Je bondis hors de mon bosquet :
L’étonnement le paralyse,
Je l’empoigne par le collet,
Et, profilant de sa surprise,
Je lui présente un pistolet.
Il me répond : « Pas de bêtise !
Je suis courrier de cabinet… »
Falsacappa, voici ma prise :
C’est un courrier de cabinet !…
Le galop de sa jument grise
Retentissait dans la forêt ;
C’est un courrier de cabinet.
Un moment, j’hésite
C’était un peu vite
Faire métier de bandit ;
J’ai peur et je reste interdit…
Mais, à l’instant même,
À celle que j’aime
Je pense, et me dis là-dessus :
« Allons, n’hésitons plus ! »
Aussitôt mon âme indécise
Se raffermit et se remet ;
Je l’empoigne et je le maîtrise
Avec les clic-clac de son fouet.
Falsacappa, voici ma prise :
C’est un courrier de cabinet !
J’ai tout pris, cheval et valise,
Je te l’apporte au grand complet.
Il me semble, quoi qu’on en dise,
Que ce petit début promet !…
C’est un courrier de cabinet !
CHŒUR
C’est un courrier de cabinet !
Pietro prend la valise des mains du brigand et la dépose aux pieds de Falsacappa. — Les brigands se rapprochent.
FALSACAPPA.

Il faut savoir ce qu’il y a dans cette valise. (Deux brigands s’éloignent, gardant le courrier entre eux d’eux, au fond du théâtre.) À nous, Domino ! (Domino vient et fait sauter la serrure. Falsacappa prend des dépêches et les parcourt.) Ho ! ho ! nous touchons à la haute politique. Il s’agit de ce mariage dont je vous parlais, messieurs, de ce mariage entre la princesse de Grenade et notre jeune souverain, le duc de Mantoue. (Tous les brigands saluent. — Falsacappa commence à lire.) « En défalquant les deux millions… » (il fait signe à tout le monde de s’éloigner un peu ; Pietro seul reste auprès de lui. — Reprenant, bas.) « En défalquant les deux millions qui représentent la dot de la princesse, la somme due par la cour de Mantoue à la cour de Grenade se trouve réduite à trois millions. Ces trois millions seront remis à la personne qui accompagnera la princesse… » Trois millions !

PIETRO.

Trois millions !…

FALSACAPPA, continuant à lire tout bas.

Il est dit dans ces dépêches qu’on envoie au duc de Mantoue le portrait de la princesse de Grenade… il doit être là, ce portrait ?

PIETRO, tirant un écrin de la valise.

Le voici.

Il ouvre l’écrin.

FALSACAPPA, regardant le portrait que tient Pietro.

Ah mais ! elle est fort jolie, la princesse… fort jolie… mais pas plus jolie que ma fille…

Il prend dans sa poche le portrait de Fiorella et compare.

PIETRO, qui a retiré le portrait de l’écrin.

Eh bien, chef ?…

FALSACAPPA, prenant l’écrin et y mettant le portrait de sa fille.

Eh bien, mais… je pense qu’il ne faut rien faire qui puisse retarder un si beau mariage… remettons ce portrait…

Il remet dans la valise l’écrin et les papiers.

PIETRO, bas.

Mais… prends garde… tu t’es trompé… c’est le portrait de ta fille que tu as mis…

FALSACAPPA, bas.

Oui… c’est le portrait de ma fille… mais es-tu bien sûr que je me sois trompé ?

PIETRO, montrant le portrait de la princesse.

Certainement, puisque…

Falsacappa hausse les épaules, prend le portrait de la princesse et le met dans sa poche.

FALSACAPPA, haut.

Tiens, courrier, reprends ta valise, reprends ton cheval et reprends… ta route vers Mantoue.

Mouvement des brigands qui redescendent.

DOMINO.

Quoi ! chef, vous permettez ?…

FALSACAPPA, aux brigands.

Laissez passer cet homme ! (Le courrier, qui a saisi sa valise, se met à gravir rapidement la montagne du fond et sort par la gauche. — La nuit vient tout doucement pendant la fin de la scène.) La journée a été bonne, mes enfants : vous m’aviez dit de trouver une idée… l’idée est trouvée !… À demain l’exécution du projet le plus grandiose qui jamais ait germé dans la cervelle d’un chef de brigands !… Ce soir, j’autorise une petite débauche pour célébrer l’entrée de Fragoletto dans la bande. Amusez-vous, mes amis, amusez-vous.

DOMINO.
Alors, les femmes ?…
FALSACAPPA, consultant sa montre.

Oui, maintenant… mais avec modération. (Domino, Barbavano et Carmagnola, tout joyeux, se précipitent dans la caverne.) (À Fragoletto.) Tu as mérité d’être des nôtres, petit Fragoletto, et nous allons te recevoir en cérémonie… Je suis content de toi : tu seras mon bras droit !

PIETRO.

Eh bien ! et moi ?

FALSACAPPA.

Toi aussi… J’en aurai deux.

Domino, Barbavano et Carmagnola sortent de la caverne avec les femmes.


Scène XI

Les Mêmes, ZERLINA, FLAMMETTA, CICINELLA, BIANCA et les autres Paysannes, puis les Carabiniers.
CHŒUR
Pour cette cérémonie,
Enfants, il faut tout préparer ;
Dans notre illustre compagnie
Dignus, dignus est intrare.

Pendant ce chœur, Falsacappa présente Fragoletto aux brigands.

DOMINO.
Allons chercher les accessoires,
Les instruments.
LES BRIGANDS.
Allons chercher les accessoires.
FALSACAPPA.
Apportez-nous du vin en même temps,
Car nous aurons, ce soir, grand’ fête aux roches noires ! Pietro, Domino, Barbavano et Carmagnola sortent par la droite et rentrent presque aussitôt apportant : Pietro une carabine, Domino un chapeau, Barbavano un poignard et Carmagnola un manteau. Des brigands entrent avec des torches.
REPRISE DU CHŒUR
Pour cette cérémonie, etc.
FALSACAPPA, à Fragoletto.
Pour obéir au règlement,
Il faut qu’il nous prête serment :

À Fiorella.

Fais-lui connaître, mon enfant,
Les clauses de l’engagement.
FIORELLA, à Fragoletto.
Promets-tu, c’est irrévocable,
De suivre la loi des brigands ?
Cet engagement est valable,
Pour trois, pour six ou pour neuf ans.
FRAGOLETTO.

(Parlé.) Je le jure !

FIORELLA.
Voici le manteau !
Voici le chapeau !
Voici le poignard et la carabine !
Ah ! comme il est gentil ! comme il a bonne mine !

À mesure que Fiorella nomme un objet, le brigand qui le porte le remet à Fragoletto ; puis Domino, Barbavano et Carmagnola vont rejoindre les femmes. Les porteurs de torches vont s’échelonner sur la montagne.

COUPLETS
FALSACAPPA, à Fragoletto.
I
Jure d’avoir du courage,
Engage-toi sur ta foi
A ne pas, lors du partage,
Vouloir garder tout pour toi…
Nous donnes-tu ta parole ?
Oui, nous l’avons… en ce cas…
CHŒUR
Nous donnes-tu ta parole ?
FIORELLA et FRAGOLETTO.
Vole, vole, pille, vole,
Vole autant que tu pourras !
CHŒUR
Vole, vole, pille, vole,
Vole autant que tu pourras.
FIORELLA, à Fragoletto.
II
Dans l’état que tu vas prendre,
On a mainte occasion…
Les femmes ont le cœur tendre…
Pas de bêtise, ou sinon…
Songe que j’ai ta parole ;
Ton serment tu le tiendras.
CHŒUR
Songe qu’elle a ta parole !
FIORELLA et FRAGOLETTO.
Vole, vole, pille, vole,
Vole et ne { me } trahis pas !
la
CHŒUR
Vole, vole, pille, vole,
Vole autant que tu pourras.
FRAGOLETTO, à Fiorella.
III
Eh bien ! c’est dit, je le jure !
Mais si je risque, entre nous,
Aussi scabreuse aventure,
C’est bien par amour pour vous !
J’entends, cela me console,
Un mot murmuré tout bas…
CHŒUR
Il entend, ça le console.
FIORELLA et FRAGOLETTO.
Vole, vole, gamin, vole,
Vole, vole, dans { mes } bras!
ses
CHŒUR
Vole, vole, gamin, vole,
Vole, vole dans ses bras.

Fragoletto remet sa carabine, son chapeau et son manteau à un brigand.

CHŒUR
Et maintenant, faisons ripailles,
Défonçons les vieilles futailles !

Pendant ce chœur, des brigands vont chercher deux tonneaux qu’ils placent à droite et à gauche ; d’autres apportent des gobelets qu’ils distribuent à tout le mande. — On boit. — Orgie.

FALSACAPPA.
Grisons-nous tous
Comme des fous !
CHŒUR
Grisons-nous tous
Comme des fous !
Et, chacun ayant sa chacune,
Amusons-nous au clair de lune…
Grisons-nous tous
Comme des fous !
FIORELLA, au milieu, le verre à la main.
Flamme claire !
Elle éclaire
Le repaire
Du bandit,
Et l’orgie
En furie
Hurle et crie
Dans la nuit !
CHŒUR
Flamme claire !
Elle éclaire, etc.
FALSACAPPA.
Amusons-nous
Comme des fous !
CHŒUR
Amusons-nous au clair de lune,
Et, chacun avant sa chacune,
Grisons-nous tous
Comme des fous !

À ce moment, une fanfare de cavalerie se fait entendre au dehors, à droite : tous les brigands s’arrêtent, Falsacappa et Pietro remontent.

PIETRO, regardant à droite.
Écoutez ! voyez-vous, là-bas, tout près des grottes,
Reluire des casques d’acier ?
FALSACAPPA.
Il a raison… j’entends un bruit de bottes…
C’est le premier carabinier !

Descendant avec Pietro.

Ce sont les bottes, les bottes, les bottes,
Les bottes des carabiniers !
CHŒUR
J’entends un bruit de bottes, de bottes, de bottes…
C’est le premier carabinier !
Ce sont les bottes, les bottes, les bottes,
Les bottes des carabiniers !
FRAGOLETTO, allant à Falsacappa.
S’il faut se battre, me voilà !
FALSACAPPA.
Halte-là, petit, halte-là !
Cachons-nous bien, faisons silence ;
Plus tard nous montrerons du cœur :
S’il est un temps pour la valeur.
Il en est un pour la prudence…
Silence !
CHŒUR, piano.
J’entends un bruit de bottes, de bottes, de bottes…
Etc.
Tous les brigands se cachent dans les rochers, à droite et à gauche. — Arrive alors par le troisième plan, à droite, une patrouille de carabiniers ; en tête, un capitaine. — Cette patrouille traverse le théâtre.
LE CAPITAINE.
Nous sommes les carabiniers,
La sécurité des foyers ;
Mais, par un malheureux hasard,
Au secours des particuliers
Nous arrivons toujours trop tard.
TOUS LES CARABINIERS.
Toujours trop tard.

Les carabiniers disparaissent par le deuxième plan, à gauche. Aussitôt se montrent Falsacappa, Pietro, Domino, Barbavano, Carmagnola et quelques brigands.

DOMINO.
La ronde est-elle terminée,
Ou y a-t-il un’ second’ tournée ?
FALSACAPPA, regardant vers la gauche.
La ronde n’est pas terminée,
Voici la seconde tournée…
Cachons-nous bien,
Ne disons rien.
LES BRIGANDS.
Cachons-nous bien.

Ils se cachent de nouveau. — Les carabiniers rentrent par le premier plan, à gauche, et traversent le théâtre en sens inverse.

LE CAPITAINE.
Nous sommes les carabiniers,
La sécurité des foyers ;
Mais, par un malheureux hasard,
Au secours des particuliers
Nous arrivons toujours trop tard.
TOUS LES CARABINIERS.
Toujours trop tard.

Les carabiniers sortent par le deuxième plan, à droite. — À peine ont-ils disparu que tous les brigands sortent de leurs cachettes.

CHŒUR, très fort.
On n’entend plus les bottes, les bottes, les bottes…
FALSACAPPA, interrompant.
Silence !… N’entendez-vous pas
Encore le bruit de leurs pas ?
Chantons, mais bien bas, mais bien bas,
Piano, piano, tout bas, tout bas.
CHŒUR, sans donner de voix et en remuant seulement les lèvres.
On n’entend plus les bottes, les bottes, les bottes,
Les bottes des carabiniers.
REPRISE, à pleine voix.
Flamme claire ! Elle éclaire
Le repaire
Du bandit,
Et l’orgie
En furie
Hurle et crie
Dans la nuit !

Pendant cette reprise, on a rapporté un tonneau que l’on a placé au milieu. — À gauche et à droite, on allume des feux ; au-dessus de celui de droite on suspend une marmite à une crémaillère ; au-dessus de celui de gauche, des volailles ; d’autres feux s’allument sur la montagne. — L’orgie recommence de plus belle.




ACTE DEUXIÈME

Un site dans la campagne. — À gauche, premier plan, une grande auberge, avec balcon en saillie. — Au-dessus du balcon, une petite fenêtre. — Un soupirail de cave bien en vue du public.



Scène PREMIÈRE

PIPO, PIPA, PIPETTA, huit marmitons (quatre femmes et quatre hommes).

Au lever du rideau, tous vont et viennent ayant dans les mains, l’un des bouteilles, l’autre des volailles, l’autre un bouquet, etc., etc. — Pipo, très agité, va de l’un à l’autre.

CHŒUR.
Les fourneaux sont allumés
Et les canards sont plumés ;
Les consommateurs viendront
Maintenant quand ils voudront.
PIPO.
Rôtisseurs petits et grands,
Mes amis et mes enfants,
Aujourd’hui, j’en ai l’espoir,
Vous ferez votre devoir.
LES HUIT MARMITONS.
Chacun fera son devoir.
PIPO.

Allez, mes amis, faites ce que vous avez à faire ; ne perdez pas une minute !

REPRISE.
Les fourneaux sont allumés,
Etc.
Les huit marmitons entrent dans l’auberge. — Restent en scène l’aubergiste, sa femme et sa fille. — La femme de l’aubergiste a dans les mains un bouquet, et la fille une bouteille couverte de toiles d’araignée.

Scène II

PIPO, PIPA, PIPETTA.
PIPO.

Ma femme et ma fille ; entourez-moi. Quelle journée, mon Dieu ! quelle journée !

PIPA.

Quel coup de feu !

PIPO.

Et quelle excellente idée j’ai eue de m’établir sur la frontière même, au beau milieu de la route qui mène de Grenade à Mantoue ! Jamais, sans cela, nous n’aurions eu la bonne aubaine qui nous arrive aujourd’hui.

PIPETTA.

Ça, c’est vrai, mon père.

PIPO.

Et maintenant, à l’ouvrage !… Je vais, moi, soigner les fourneaux ; vous, ma femme, ayez soin de mettre des fleurs partout… Quant à toi, ma fille…

PIPETTA.

J’ai fait ce que vous m’avez dit, mon père, et j’ai mis des toiles d’araignée à un tas de bouteilles de vin ordinaire, afin d’en faire des bouteilles de vin extraordinaire.

PIPO.

Bien, ma fille, bien !… Allez toutes les deux… veillez à la cave, au grenier… allez… allez…

Pipa et Pipetta rentrent dans l’auberge.

Scène III

PIPO, PIETRO, FRAGOLETTO, puis FALSACAPPA et FIORELLA, puis BARBAVANO, DOMINO, CARMAGNOLA, puis ZERLINA, FIAMMETTA, BIANCA, CICINELLA, puis le reste des Brigands.

Tous sont déguisés en mendiants et mendiantes.

Au moment où Pipo se retourne pour aller à ses affaires, il se trouve nez à nez avec Pietro et Fragoletto, qui entrent par la droite, bizarrement accoutres.

PIETRO et FRAGOLETTO.

Soyez pitoyables
Et donnez du pain
À de pauvres diables,
Qui meurent de faim…
Facitote caritem !
Date panem, date panem !
PIPO, remontant à gauche (parlé.)

Allez au diable ! je n’ai pas de monnaie.

Entrent Falsacappa et Fiorella, par le fond, à gauche.

FALSACAPPA et FIORELLA.

Ils chantent aussi.

Ah ! soyez pitoyables,
Etc.

Entrent, par la droite, Domino, Barbavano et Carmagnola.

LES TROIS BRIGANDS.
Ah ! soyez pitoyables,
Etc.

Zerlina, Fiammetta, Bianca, Cicinella entrent par le fond, à gauche ; puis de tous côtés, entrée successive des brigands, qui barrent le passage à l’aubergiste.

TOUS.
Facitote caritem,
Date panem, date panem !
PIPO, parlé.

Ah çà ! mais… qu’est-ce que c’est que ces gens-là ?

TOUS LES BRIGANDS, d’une voix formidable.
Ah ! soyez pitoyables,
Etc.

À la fin du chœur, Pipo est entouré de toutes parts par les brigands.

FALSACAPPA, se débarrassant de son accoutrement.

Emparez-vous de cet homme-là ! Vous le tenez ?…

CARMAGNOLA, venant saisir Pipo.

Oui, Falsacappa, nous le tenons !

PIPO, épouvanté.

Falsacappa !

FALSACAPPA, à Pipo.

Répondez, bonhomme… C’est bien à votre hôtellerie, n’est-ce pas, que doivent venir les gens envoyés par notre auguste maître le duc de Mantoue au-devant de sa jeune fiancée, la princesse de Grenade ?

PIPO, tremblant.

Oui, monsieur le voleur !

FALSACAPPA.

C’est également ici que doit venir la jeune princesse avec sa suite ?… C’est ici qu’elle doit passer la nuit ?

PIPO.

Oui, monsieur le brigand !

FALSACAPPA.

C’est bon… Emmenez monsieur et enfermez-le dans sa cave avec toute sa famille et ses marmitons. Allez… (Deux brigands entraînent Pipo dans sa maison.) Vous savez de quoi il s’agit, messieurs : il s’agit d’aller toucher trois millions à la cour de Mantoue… L’affaire vous va ?

Pietro a passé à gauche.
BARBAVANO.

Je crois bien, qu’elle nous va !

CARMAGNOLA.

D’autant plus qu’une fois là-bas, il y aura sans doute de bons coups à faire.

Il fait un geste.

FALSACAPPA.

C’est cela, n’est-ce pas ?… tâter les poches… voler des montres… (Avec mépris.) des mouchoirs !…

CARMAGNOLA.

Dame !

FALSACAPPA.

Voilà ce que je ne veux pas, par exemple !… Quand nous serons costumés en hommes du monde, si nous nous mettons à chiper des tabatières, ça nous fera remarquer.

PIETRO.

Tandis qu’en prenant des millions…

FALSACAPPA.

Sans doute !… il faut voler selon la position qu’on occupe dans la société… c’est élémentaire… Je vous en prie, messieurs, sous aucun prétexte, dans une affaire comme celle-ci… pas de tabatières, pas de mouchoirs… et je vous promets le succès.

PIETRO.

À une condition, cependant !…

TOUS.

Laquelle ?

PIETRO.

À condition que ta fille voudra bien nous seconder.

FALSACAPPA.

Nous pouvons compter sur elle… (À sa fille.) Pas vrai, fillette, que nous pouvons compter sur toi ?… Hier, après avoir protégé la fuite de ce jeune homme qui avait un collier d’or, tu m’as promis de réparer un instant d’oubli ; tu m’as promis de me prouver ton zèle à la première occasion. Cette occasion est venue… C’est sur toi que repose toute la combinaison.

FIORELLA.

Et si je consens à seconder vos vastes desseins, si, grâce à moi, vous empochez les trois millions, quelle sera ma récompense ?

FALSACAPPA.

Veux-tu cinq pour cent ?

FIORELLA.

Oh ! mon père !…

FALSACAPPA.

Dix, quinze pour cent ?

FIORELLA.

Vous ne comprenez pas, mon père… C’est bien peu de chose, allez, l’argent, quand on est pincée comme je le suis !

FALSACAPPA.

Que veux-tu, alors ?

FIORELLA, montrant Fragoletto.

Lui !

FALSACAPPA.

Le petit Fragoletto ?

FIORELLA.

Vous lui donnerez, à lui, les quinze pour cent… et lui, vous me le donnerez.

FALSACAPPA.
Ah çà ! mais elle prend tout, comme ça !
PIETRO.

C’est ta fille !

Pietro, Falsacappa, Fiorella et Fragoletto remontent en causant tout bas.

DOMINO, bas, aux deux brigands.

Voilà !… Il donne quinze pour cent à sa fille !

CARMAGNOLA, bas.

Et nous, quand nous demandons une avance de cinquante francs…

BARBAVANO, bas.

J’aime mieux résilier.

Falsacappa, Fiorella, Fragoletto et Pietro redescendent.

FIORELLA.

Eh bien, papa, est-ce convenu ?

FALSACAPPA.

C’est convenu, et nous ferons rédiger le contrat par le premier notaire que nous empoignerons…

Il remonte un peu.

FRAGOLETTO.

Vous entendez, vous autres ?

LES BRIGANDS.

Oui ! oui !

Fiorella s’approche de Fragoletto.

FRAGOLETTO.

Le premier notaire que nous apercevons…

PIETRO, venant se placer entre Fiorella et Fragoletto.

Nous le prions poliment de s’arrêter un instant…

FIORELLA.

C’est ça, bon Pietro.

Les trois couplets qui suivent sont chantés, à Pietro qui représente le notaire.
COUPLETS
FIORELLA et FRAGOLETTO.
I
Hé la ! hé la ! joli notaire,
Arrêtez-vous, ne fût-ce qu’un instant ;
Écoutez-nous, c’est une affaire :
Pour un contrat, ici l’on vous attend…
Tournez un peu la tête, arrêtez-vous, notaire ;
Notaire, arrêtez-vous, ne fût-ce qu’un instant !
Psitt ! psitt ! psitt !…
— Pourquoi donc m’arrêter ?
Qu’avez-vous à me dire ?
— Ce qu’on va vous conter
Ne peut vous mécontenter.
LE CHŒUR.
Notaire, garde à vous !
Rien n’est dangereux comme
Faire attendre un jeune homme
Qui brûle d’être époux !
FIORELLA et FRAGOLETTO.
II
Mariez-nous, et tout de suite,
Dépêchez-vous, tous deux nous sommes prêts,
Que nous puissions bien vite, vite,
Aller flâner un peu sous ces bosquets,
Ensemble et nous tenant de ces propos sans suite,
Propos charmants, sans cesse interrompus par des…

Fragoletto, Fiorella, puis tous les brigands imitent avec les lèvres le bruit des baisers.

Si vous avez un cœur,
Vous devez nous comprendre ;
Si vous avez un cœur,
Assurez notre bonheur !
CHŒUR
Notaire, garde à vous !
Etc.
FIORELLA et FRAGOLETTO.
III
Si, par hasard, ce cher notaire,
La fine fleur de nos tabellions,
Nous réclamait quelque honoraire,
La bonne farce !… et comme nous ririons !…
Si tu veux conserver ta perruque, ô notaire,
Ne nous réclame rien et tourne les talons…
(Riant.) Ha ! ha ! ha ! ha !
REPRISE DU CHŒUR
Notaire, garde à vous !
Etc.
FALSACAPPA, prenant le milieu.

C’est fort bien… mais, avant de penser au mariage, il faut s’occuper de la dot… Aux affaires sérieuses, maintenant ! (À Fragoletto.) Va un peu voir ce que deviennent les marmitons, petit Fragoletto, et apporte-nous leurs costumes.

FRAGOLETTO.

Oui, chef.

Il entre dans l’auberge.

FALSACAPPA.

Le jeune Carmagnola ira s’embusquer sur la route de Mantoue et viendra nous avertir dès qu’il apercevra les gens qui viennent au-devant de la princesse. Toi, Barbavano, va sur la route de Grenade, et, dès que paraîtront la princesse et son cortège, tu te dépêcheras de venir nous l’annoncer.

CARMAGNOLA et BARBAVANO.

Oui, chef !

Carmagnola sort par le fond, à gauche, et Barbavano de même, à droite.

FALSACAPPA.
Toi, mon petit Domino, plus tard !… (Aux autres.) Allez, vous autres, et faites ce que j’ai dit…
CHŒUR
Garde à nous !
Obéissons bien vite,
Et nous pourrons ensuite
Faire les cent dix-neuf coups.

Fiorella et les brigands entrent dans l’auberge. — Falsacappa et Pietro restent seuls.


Scène IV

FALSACAPPA, PIETRO.
FALSACAPPA, à Pietro qui est tout pensif et qui a passé à droite.

Tu sembles inquiet, vieux Pietro… qu’est-ce que tu as ?…

PIETRO.

Je songe à ce que le brigandage était autrefois… on n’y cherchait pas tant de malice… on arrêtait tout uniment les diligences… on faisait coucher les voyageurs sur le ventre… et on les dépouillait… Quant aux femmes…

FALSACAPPA.

On les emmenait dans la forêt, n’est-ce pas ?… on les attachait au premier arbre venu avec une corde…

PIETRO.

Oui… et pendant qu’elles étaient là, la robe un peu dégrafée, les cheveux épars… on regardait couler leurs larmes, en fumant une vieille pipe… Ah ! c’était le bon temps !… On ne s’occupait pas alors d’imaginer un tas de combinaisons ; mais maintenant…

FALSACAPPA.
Maintenant ?…
PIETRO.

Cette affaire dans laquelle tu nous lances…

FALSACAPPA.

Eh bien ?…

PIETRO.

N’est-elle pas un peu compliquée ?

FALSACAPPA.

Mais pas du tout !… Nous allons nous substituer aux marmitons, pour recevoir les gens qui viennent de Mantoue… Puis, nous nous substituerons aux gens de Mantoue, pour recevoir les gens qui arrivent de Grenade… Et enfin, nous nous substituerons aux gens de Grenade, pour aller à la cour de Mantoue recevoir les trois millions. Il me semble que rien n’est plus simple.

PIETRO.

Sans doute, quand tu le dis, cela a l’air tout simple… mais si ce n’était pas toi… (À part.) Je n’ai pas compris un mot !

Fragoletto sort de l’auberge avec un brigand ; il porte un costume de marmiton sur son bras, le brigand en porte deux.


Scène V

FRAGOLETTO, FALSACAPPA, PIETRO, un Brigand, au deuxième plan.
FRAGOLETTO, à Falsacappa.

Chef ?…

FALSACAPPA.

Eh bien, petit Fragoletto ?

FRAGOLETTO.

L’aubergiste, ses garçons, sa femme et sa fille sont dans la cave… Les camarades sont en train de se déguiser en marmitons.

FALSACAPPA.

Et tu as apporté les costumes ?

FRAGOLETTO.

Oui, maître, les voici… j’en ai apporté trois.

FALSACAPPA, prenant les deux costumes que porte le brigand et en donnant un à Pietro.

Un pour toi, mon fidèle Pietro… un pour moi…

Le brigand rentre dans l’auberge.

FRAGOLETTO, montrant le costume qu’il a apporté.

Et le troisième ?…

FALSACAPPA.

Pour toi, petit Fragoletto, pour toi.

FRAGOLETTO.

Merci, chef.

FALSACAPPA.

Et maintenant, de l’ensemble, n’est-ce pas ?… la veste blanche d’abord… y sommes-nous ?

PIETRO.

Nous y sommes !

FALSACAPPA.

Une, deux, trois… ça y est !… (Ils mettent les vestes.) Maintenant, le tablier !…

Il met le tablier.

FRAGOLETTO, qui a mis le sien.

Le tablier… c’est fait.

PIETRO, essayant de mettre le sien.

Moi, je n’y suis pas encore…

Il passe près de Fragoletto.

FRAGOLETTO, lui attachant son tablier.
On va vous aider, bon Pietro.
FALSACAPPA.

Le bonnet de coton, maintenant… et tâchons d’aller bien ensemble pour le bonnet de coton… une, deux, trois !

FRAGOLETTO et PIETRO.

Ça y est !

Ils mettent leurs bonnets en même temps, mais Pietro enfonce le sien jusqu’au menton.

FRAGOLETTO, riant.

Là !… il étouffe !…

Il le dégage.

FALSACAPPA.

Eh bien, mais… cela ne nous va pas trop mal, il me semble !

Il remonte en se carrant.

PIETRO, le suivant.

Toi, ça ne te change pas.

Ils redescendent. — Falsacappa au milieu.

FALSACAPPA.

Comment, ça ne me… ?

PIETRO.

Mais non : tu as toujours l’air d’un chef.

FALSACAPPA.

D’un chef ?… Ah !… chef !… très bien ! tu joues sur le double sens du mot… Mais savez-vous que nous avons tout à fait bon air sous ce costume, et qu’il est fâcheux que quelque voyageur ne profite pas du moment pour venir nous demander à déjeuner ?

FRAGOLETTO, riant.

C’est ça qui serait amusant !

PIETRO.
En voilà un qui pourrait se vanter d’être bien reçu !
FALSACAPPA.

Si bien reçu, qu’après être venu ici, il lui serait tout à fait impossible d’aller autre part.

Pendant les trois dernières répliques, ils ont caressé la crosse des pistolets et les poignards qu’ils ont gardés à leur ceinture avec les costumes de marmiton.

PIETRO.

Nous prendrions un air si engageant !…

FRAGOLETTO.

Nous l’appellerions avec une voix si douce !…

FALSACAPPA.

Nous lui dirions si gentiment…

TRIO
FALSACAPPA.
Arrête-toi, viens, je t’en prie,
Arrête-toi, nous t’invitons
À visiter l’hôtellerie
Des trois jolis marmitons.
ENSEMBLE.
Arrête-toi, viens, je t’en prie,
Etc.
FALSACAPPA.
Et si le voyageur
Est une voyageuse…
FRAGOLETTO.
Et si le voyageur
Est une voyageuse…
FALSACAPPA.
Prenant la bouche en cœur
Et la voix doucereuse,
Nous dirons tous les trois :
Voyageuse au gentil minois,
Voyageuse au regard si doux.
Il remonte en imitant la démarche d’une femme.
FRAGOLETTO.
Où courez-vous ?
PIETRO, suivant Falsacappa et redescendant à droite.
Où courez-vous ?

Fragoletto a passé à gauche.

FALSACAPPA, prenant la voix de femme.
« Je cherche une hôtellerie,
Mes bons messieurs ;
Le repos me rendrait la vie,
Une heure ou deux. »
FRAGOLETTO, prenant la voix d’homme.
Entrez ici,
Chacun de nous sera poli ;
Entrez ici,
Car nul hôtel n’est plus joli.
TOUS.
Chère madame, arrêtez-vous,
Entrez chez nous,
Entrez chez nous.
FRAGOLETTO.
Nos lits de plume sont doux :
Vous y dormirez très bien ;
Et si l’on vous dit qu’chez nous
Y a des bêt’s, n’en croyez rien !
TOUS.
N’en croyez rien !
FALSACAPPA.
Si l’on tient à la cuisine… ?
PIETRO.
La cuisine !
FALSACAPPA.
Je pense que l’on devine,
L’on devine,
L’on devine,
Rien qu’à nous voir tous les trois…
ENSEMBLE.
Tous les trois,
Tous les trois…
Que nous la faisons, la cuisine,
Nous la faisons qu’on s’en lèche les doigts !
FRAGOLETTO.
Venez donc, mes chers enfants :
Pour vous le couvert est mis ;
Et, si vous êtes contents,
Envoyez-nous vos amis !
PIETRO, montrant son poignard.
C’est moi que je larde.
FRAGOLETTO, de même.
C’est moi que je larde. Et moi qui découpe.
FALSACAPPA, de même.
Et c’est moi qui trempe la soupe.
ENSEMBLE.
Venez savourer les bons mirotons
Que nous fricotons,
Jolis marmitons ?… »

Scène VI

Les Mêmes, CARMAGNOLA.
CARMAGNOLA, accourant du fond à gauche.

Chef ! chef !

FALSACAPPA.

Qu’est-ce qu’il y a ?

CARMAGNOLA.
Pardon… je ne vous remettais pas… Les gens qui viennent au-devant de la princesse… ils arrivent… les voici !
FALSACAPPA.

Combien sont-ils ?

CARMAGNOLA.

Il y a d’abord un petit gros, un seigneur…

FALSACAPPA.

Oui, je sais… le chef de l’ambassade… (À Pietro.) Ça t’amuserait-il d’être le chef de l’ambassade ?…

PIETRO.

Ça ne me déplairait pas.

FALSACAPPA.

Pas un mot de plus !… Tu l’es !… ou du moins tu le seras tout à l’heure… (À Carmagnola.) Et avec le petit gros ?…

CARMAGNOLA.

Il y a le capitaine des carabiniers…

FALSACAPPA.

Une vieille connaissance !… très bien !…

CARMAGNOLA.

Et six de ses hommes, plus deux trompettes.

Il remonte.

FALSACAPPA.

Six carabiniers… Nous allons les fourrer dans la cave au vin… comme cela, ils nous laisseront tranquilles… Vous avez entendu… dans la cave au vin !

CARMAGNOLA, redescendant.

Les voilà !… les voilà !…

Il entre dans l’auberge.

FALSACAPPA.
Vite, vite, Fragoletto !… vois si nos hommes sont prêts… qu’ils viennent !
FRAGOLETTO, allant à l’auberge.
À nous, holà ! les marmitons !
Les cuisiniers et les mitrons !
ENSEMBLE.
À nous, holà ! les marmitons !

Scène VII

Les Mêmes, DOMINO, ZERLINA, FIAMMETTA, BIANCA, CICINELLA, Brigands.

Entrent tous les brigands, déguisés en marmitons, mais armés jusqu’aux dents. — Il faut que tous ces faux marmitons, avec leurs vestes blanches, leurs bonnets de coton, leurs longues moustaches et leurs pistolets ; aient un air tout à fait extraordinaire.

CHŒUR.
Nous arrivons,
Nous accourons…
Vous voyez que nous sonnons,
En marmitons,
De biens beaux hommes !
FALSACAPPA.

Messieurs, vous êtes bien !… très bien ! (Regardant les femmes.) Seulement… oh ! les petits, je vous en prie, dissimulez, dissimulez…

FIAMMETTA.

Nous faisons ce que nous pouvons, chef, mais nous ne pouvons dissimuler davantage.

FALSACAPPA.

Eh ! eh ! mesdemoiselles, vous n’êtes donc pas retournées dans vos familles ?

ZERLINA.
Non, chef.
FALSACAPPA.

Et pourquoi ça ?

ZERLINA.

Nous avons eu peur d’être grondées.

FALSACAPPA.

Pour être rentrées beaucoup trop tard !…

CICINELLA.

Justement, chef !

FALSACAPPA.

Et vous avez trouvé plus simple ?…

BIANCA.

De ne pas rentrer du tout.

FALSACAPPA.

C’est fort bien.

DOMINO, qui est allé au fond, redescendant.

Chef ! chef !

FALSACAPPA.

Qu’y a-t-il ?

DOMINO.

Voilà le cortège !

FALSACAPPA, aux brigands.

Mes enfants, je vous le répète, dissimulez… dissimulez… ayez l’air de vrais marmitons !

Les quatre femmes passent à gauche avec Domino.

Scène VIII

Les Mêmes, LE BARON DE CAMPOTASSO, LE CAPITAINE DES CARABINIERS, Carabiniers, Deux Pages, puis BARBAVANO.
LES BRIGANDS.
Dissimulons, dissimulons !
Ayons l’air de vrais marmitons !

Entre, par la gauche, l’ambassade venant de Mantoue : — le baron de Campotasso, le capitaine des carabiniers, six carabiniers, deux petits pages, qui précèdent le cortège.

CAMPOTASSO, regardant les marmitons.
Voilà d’étranges figures,
De singulières tournures !
Ces marmitons, sauf respect,
Ont un singulier aspect !
LES BRIGANDS, à mi-voix.
Dissimulons, dissimulons !
Ayons l’air de vrais marmitons !

Campotasso et le capitaine viennent sur le devant de la scène.

COUPLETS.
I
CAMPOTASSO.
Nous avons, ce matin, tous deux
Été mandés par Son Altesse,
Laquelle nous a dit : « Messieurs,
Allez recevoir la Princesse…
LE CAPITAINE, avec éclat.
« Recevoir la Princesse !… »
CAMPOTASSO.
« Pour la recevoir, que faut-il ?
Que faut-il pour la satisfaire ?
Combiner l’élément civil
Avec l’élément militaire… »
LE CAPITAINE.
Je suis le militaire !
CAMPOTASSO.
Il est le militaire !
TOUS.
Le militaire !
FALSACAPPA, imitant le capitaine.
Le militaire !
CAMPOTASSO et LE CAPITAINE.
Et voilà comme, en un instant,
On a composé l’ambassade,
Qui devait aller au devant
De la princesse de Grenade.
CHŒUR
Et voilà comme, en un instant,
Etc.
II
CAMPOTASSO.
En nous envoyant tous les deux,
Notre maître eut raison, je pense :

S’inclinant devant le capitaine.

Il a voulu flatter les yeux,
Tout autant que l’intelligence.
LE CAPITAINE, s’inclinant devant Campotasso.
Ah ! c’est beau l’intelligence !
CAMPOTASSO.
« À ma future, s’est-il dit,
Il suffit d’envoyer, en somme,
D’envoyer un homme d’esprit,
En le soutenant d’un bel homme ! »
LE CAPITAINE.
Je suis, moi, le bel homme !
CAMPOTASSO.
Il est, lui, le bel homme !
TOUS.
Ah le bel homme !
FALSACAPPA, même jeu qu’au premier couplet.
Ah ! le bel homme !
REPRISE
Et voilà comme, en un instant.
Etc.

Les quatre femmes et Domino remontent au second plan. — Les carabiniers descendent à gauche, en ligne.

FALSACAPPA, allant à Campotasso.

Et alors nous avons l’honneur de parler à ?…

CAMPOTASSO.

Vous avez l’honneur de parler à Son Excellence le baron de Campotasso !

FALSACAPPA, à Pietro.

Campotasso… Vous entendez, bon vieillard ?…

PIETRO.

Oui… j’entends… et je comprends !…

CAMPOTASSO.

Nous sommes bien ici sur la limite des deux pays, n’est ce pas ?

PIETRO, le tournant du côté de l’auberge.

Voyez l’enseigne.

CAMPOTASSO, lisant l’enseigne.

Aux Frontières naturellesPipo, aubergiste… C’est bien cela… vous êtes Pipo !

PIETRO.

Je suis Pipo !

TOUS LES BRIGANDS, avec un gros rire.

Il est Pipo !

FALSACAPPA, au capitaine.
Il est Pipo !… il est Pipo !…
LE CAPITAINE.

Qu’est-ce que ça me fait qu’il soit Pipo ?

CAMPOTASSO, de plus en plus étonné des mines singulières des marmitons.

Ces marmitons sont plus gais que leur figure ne le ferait supposer… (Montrant les pistolets et les poignards.) Qu’est-ce que c’est que ça ?… est-ce que ça vous sert pour faire la cuisine ?

FALSACAPPA.

Non ! mais, comme on prétend que Falsacappa est dans les environs…

LE CAPITAINE, avec dédain.

Oh ! Falsacappa !…

FALSACAPPA.

Oui, Falsacappa.

LE CAPITAINE.

Je l’ai taillé en pièces hier soir.

FALSACAPPA.

Êtes-vous bien sûr ?

LE CAPITAINE.

Tout à fait sûr… Et, la première fois que je le rencontrerai, je le retaillerai en pièces.

FALSACAPPA.

Mais, si vous l’avez taillé, comment pourrez-vous le retailler ?

LE CAPITAINE.
Je pourrais vous répondre qu’après l’avoir taillé dans un sens, je pourrais le retailler dans l’autre ; mais j’aime mieux vous dire que j’ai eu tort de vous dire que je l’avais taillé, parce que la vérité est que je ne l’ai pas taillé… mais je le taillerai !
FALSACAPPA.

Et pourquoi ne l’avez-vous pas taillé ?

LE CAPITAINE.

Parce que je n’ai jamais pu le rencontrer

FALSACAPPA.

C’est une raison.

LE CAPITAINE.

Mais je le rencontrerai.

FALSACAPPA.

Vous croyez ?

LE CAPITAINE.

J’en suis sûr… car je sais pourquoi je n’ai jamais pu le rencontrer.

CAMPOTASSO.

Pourquoi ça ?

LE CAPITAINE.

C’est à cause de mes trompettes qui l’avertissaient en faisant du bruit… alors, vous comprenez… je supprime les trompettes…

FALSACAPPA, à part.

Ah diable !

LE CAPITAINE.

Et je les remplace par des tambours… comme dans l’infanterie.

FALSACAPPA, soulagé.

À la bonne heure !…

BARBAVANO, accourant du fond, à droite, bas à Falsacappa.

Chef !… chef !…

FALSACAPPA.
Qu’est-ce qu’il y a ?
BARBAVANO, bas.

L’ambassade de Grenade !

FALSACAPPA, bas.

Où est-elle ?

BARBAVANO, bas.

Sur mes talons !

Il remonte.

FALSACAPPA, à part, regardant les gens de Mantoue.

Et les autres qui sont encore là !… nous ne serons jamais prêts !… (Haut.) Allons, vous autres, dépêchons-nous… (Montrant l’auberge.) Entrez là dedans.

Il remonte un peu.

CAMPOTASSO, choqué.

Qu’est-ce que vous dites ?

FRAGOLETTO, à Campotasso.

On vous a préparé une collation.

CAMPOTASSO.

Ah ! c’est juste… venez-vous, capitaine ?

FALSACAPPA, au capitaine.

On a spécialement préparé un petit lunch pour messieurs les carabiniers.

LE CAPITAINE.

Y a-t-il à boire ?

FALSACAPPA.

S’il y a à boire !… vous verrez en…

LE CAPITAINE.

Allons, alors !

PIETRO, brusquement.

Et plus vite que ça !… Allons, allons !

FRAGOLETTO, poussant le capitaine.
Dépêchez-vous, on vous dit !
FALSACAPPA.

Et ne faites pas les malins !

ENSEMBLE
Entrez là,
Plus vite que ça !
Ne faites pas
Tant d’embarras.
L’AMBASSADE.
Hé ! la la !
Pas si fort que ça !
Ne poussez pas !

Bousculade pour décider Campotasso et sa suite à entrer dans l’auberge. — Les brigands y entrent avec eux.

FALSACAPPA, seul, regardant à droite.

Il était temps !… voici les Espagnols…

Il entre à son tour dans l’auberge.

Arrivent alors, par le fond, à droite, Gloria-Cassis, le précepteur, la princesse de Grenade, son premier page Adolphe de Valladolid, quatre seigneurs espagnols, quatre dames d’honneur et quatre pages. — Tous ont des tambours de basque ou des castagnettes, dont ils s’accompagnent en chantant et en dansant.


Scène IX

GLORIA-CASSIS, LE PRÉCEPTEUR, LA PRINCESSE, ADOLPHE DE VALLADOLID, Quatre Seigneurs, Quatre Dames, Quatre Pages ; puis, et successivement, FALSACAPPA et PIETRO.
CHŒUR
Grenade, infante des Espagnes,
Ville favorable aux amours,
Nous avons quitté tes campagnes
Depuis déjà quinze grands jours.
Ils dansent sur la ritournelle, en jouant du tambour de basque et des castagnettes.
ADOLPHE
Il va donc, ma charmante princesse,
Il va donc falloir nous quitter…
LA PRINCESSE.
Pour m’en aller épouser une Altesse,
Que je ne pourrai supporter !
CHŒUR
Grenade, infante des Espagnes,
Etc.

Danse générale de l’ambassade espagnole.

GLORIA-CASSIS, à la Princesse.
I
Jadis vous n’aviez qu’un’ patrie,
Maintenant vous en aurez deux
La nouvelle, c’est l’Italie ;
L’Espagn’, c’est cell’ de vos aïeux.
Vous devez aimer la seconde,
On vous le dira, je vous l’ dis,
Mais n’oubliez, pour rien au monde,
Que l’Espagne est vot’ vrai pays…
Y a des gens qui se dis’nt Espagnols
Et qui n’sont pas du tout Espagnols…
Nous, nous sommes de vrais Espagnols,
Ça nous distingu’ des faux Espagnols.
REPRISE EN CHŒUR.
Y a des gens qui se dis’nt Espagnols,
Etc.

Danse sur la ritournelle.

GLORIA-CASSIS.
II
Et quand vous aurez la puissance,
Usez-en, c’est moi qui vous l’dis,
Pour faire avoir de l’influence
Aux gens de votre ancien pays ;
Donnez-leur tout l’argent d’Mantoue
Et tous les emplois importants…
Si les gens d’ici font la moue,
Les gens d’ là-bas seront contents.
REPRISE EN CHŒUR
Y a des gens qui se dis’nt Espagnols,
Etc.

Reprise de la danse.

LA PRINCESSE, avec dignité.

N’est-ce pas ici que l’on devait nous attendre ?

GLORIA-CASSIS.

Si fait, princesse.

LA PRINCESSE.

Eh bien, mais… je ne vois personne !

LE PRÉCEPTEUR.

Moi non plus, je ne vois personne… et je la trouve raide !

ADOLPHE.

Le fait est que c’est indécent !

GLORIA-CASSIS.

Jamais on ne s’est moqué à ce point de la morgue espagnole !

LE PRÉCEPTEUR.

Il faut voir cela, il faut voir… (Il crie, à la porte de l’auberge.) Holà ! holà !… Est-ce qu’il n’y a personne ?…

Tous les Espagnols remontent, regardant l’auberge et attendant.

FALSACAPPA, dans l’auberge.

On y va ! on y va !

GLORIA-CASSIS, offusqué.

Comment, on y va ?

Une des fenêtres de l’auberge s’ouvre, et l’on voit paraître sur le balcon Falsacappa en train de s’habiller. — Il a déjà l’habit et la cuirasse du capitaine. — À sa vue, tous les Espagnols lèvent le nez en l’air et restent ainsi jusqu’à ce qu’il se retire.

FALSACAPPA.

Mesdames, messieurs, j’ai bien l’honneur… Mais Dieu me pardonne, est-ce que vous n’êtes pas les personnes qui viennent de la cour de Grenade ?

LA PRINCESSE.

Mais si… nous sommes ces personnes.

FALSACAPPA.

Ah ! c’est très bien !… c’est très bien !

GLORIA-CASSIS.

Et vous, est-ce que vous êtes, vous, au nombre des personnes que l’on envoie au-devant de nous ?

FALSACAPPA.

Mais oui !… je suis, moi, le chef des carabiniers du duc de Mantoue !… Mais il n’y a pas que moi, il y a mes hommes… et puis le baron de… le baron de…

Il cherche le nom, et ne le retrouve pas.

GLORIA-CASSIS.

Le baron de Campotasso ?…

FALSACAPPA.

Oui !… et puis des petits pages… vous verrez ça tout à l’heure, vous verrez, c’est très convenable… (Criant.) Eh ! baron de !… (À Gloria-Cassis.) Comment avez-vous dit ?…

GLORIA-CASSIS.

Campotasso !

FALSACAPPA.

Eh ! Campotasso ! Eh ! Campotasso !

Une autre fenêtre s’ouvre au-dessus du balcon : — paraît Pietro également en train de s’habiller.

PIETRO.

Campotasso, c’est moi !… Qu’est-ce qu’il y a ?

FALSACAPPA.

Voilà les personnes de Grenade !…

PIETRO.
Allons donc !
FALSACAPPA.

Parole d’honneur !… avec la princesse… Voyez, tout ça, c’est des Espagnols !

PIETRO.

Est-il possible ?… C’est vous, princesse ?… Je vous demande pardon… Je finis de m’habiller et je descends.

FALSACAPPA.

Nous descendons.

GLORIA-CASSIS.

Oui, descendez et dépêchez-vous, car, en vérité, vous me permettrez de vous dire que vous ne tenez pas suffisamment compte de la morgue espagnole !…

FALSACAPPA.

Nous descendons, Excellence.

PIETRO.

Nous descendons, nous descendons.

TOUS DEUX, disparaissant.

La morgue espagnole ! la morgue espagnole !…

Les deux fenêtres se referment. — Stupeur et indignation des Espagnols.

GLORIA-CASSIS, à la princesse.

Je ne voulais rien dire… mais, en vérité… devant de pareils procédés !… Savez-vous, princesse, pourquoi vous épousez le prince de Mantoue ?… C’est parce que la cour de Mantoue nous devait cinq millions, et que nous ne pouvions pas arriver à nous faire payer. Alors, nous leur avons proposé une transaction, nous leur avons dit : « Voulez-vous épouser notre princesse ? Nous vous ferons grâce de deux millions : ce sera la dot… Reste trois millions… Pouvez-vous nous payer les trois millions ? » Ils ont répondu : « Pour trois millions, nous pouvons les payer… Amenez la princesse ; nous remettrons les trois millions à la personne qui l’accompagnera… » Et voilà comment vous épousez le prince de Mantoue.

LA PRINCESSEË, indignée.

Ah !…

GLORIA-CASSIS.

Et c’est à moi, comte de Gloria-Cassis, qu’ils doivent remettre les trois millions… et il faudra qu’ils les donnent !… il faudra qu’ils les donnent !…

LA PRINCESSE.

Vous avez entendu, Adolphe ?

ADOLPHE.

Oui, j’ai entendu !

Entre Falsacappa. — Il porte le costume du chef des carabiniers ; mais très incomplet ce costume… Falsacappa est carabinier par en haut et brigand par en bas : il n’a ni les bottes ni la culotte des carabiniers ; il a le casque, l’habit rouge, la cuirasse, mais la cuirasse est à l’envers, et il n’a qu’une seule épaulette.


Scène X

Les Mêmes, FALSACAPPA, puis CARMAGNOLA, DOMINO et BARBAVANO en carabiniers, puis PIETRO sous le costume de CAMPOTASSO.
FALSACAPPA.

Me voilà, princesse, me voilà !

Il salue.

GLORIA-CASSIS, stupéfait.

Qu’est-ce que c’est que ça ?…

FALSACAPPA, se présentant à lui-même.

Le chef des carabiniers du prince de Mantoue… avec ses carabiniers (Se retournant et ne les voyant pas). Eh bien ! où sont-ils mes hommes ? Venez çà, mes hommes !…

Entrent Carmagnola, Domino et Barbavano, grotesquement affublés d’uniformes de carabiniers : — Barbavano et Carmagnola ont seulement l’habit et le casque de carabinier ; ils ont gardé leurs culottes et leurs chaussures de brigands ; Domino a le casque et la cuirasse, et une seule botte de carabinier à la jambe gauche.

LES ESPAGNOLS, avec stupéfaction

Oh !

FALSACAPPA.

Belle tenue, n’est-ce pas ?

GLORIA-CASSIS.

Mais non !

FALSACAPPA.

Tenue de campagne, princesse… tenue de campagne… le désordre… l’animation… la lutte…. Ils sont superbes !

Les faux carabiniers se mettent en ligne.

LES ESPAGNOLS.

Heu ! heu !

FALSACAPPA.

Voulez-vous les voir manœuvrer ?… voulez-vous ?…

LA PRINCESSE.

Nous n’osions pas vous le demander !

FALSACAPPA.

Oh ! ne vous gênez pas… vous allez voir !… Attention, vous autres… attention !… (Il tire son sabre.) Sabre en main !

Les sabres des carabiniers sont gigantesques. Carmagnola et Barbavano réussissent cependant à les faire sortir du fourreau ; mais Domino, qui est petit, ne peut pas en venir à bout.

GLORIA-CASSIS.

Le petit ne peut pas.

LA PRINCESSE.
Voyez donc, Adolphe, il ne peut pas.
ADOLPHE.

Je vois bien, il ne peut pas….

FALSACAPPA.

Il est intimidé… et puis, d’ailleurs, il ne peut jamais… Voulez-vous une petite revue maintenant, princesse, un petit défilé d’honneur ?

LA PRINCESSE.

Nous n’osions pas vous le demander !

FALSACAPPA.

Ne vous gênez donc pas !… Attention, vous autres, attention !… Un petit défilé…. En avant, en avant ! (Les carabiniers, conduits par Falsacappa, décrivent devant les Espagnols stupéfaits un petit cercle au petit trot.) Halte !… (À Gloria-Cassis.) Si vous voulez, ils feront deux tours.

GLORIA-CASSIS.

Non… c’est assez…

Entre Pietro en Campotasso. — Il a l’habit ; la veste, le jabot et le chapeau, mais lui aussi a gardé sa culotte et ses guêtres de brigand.

FALSACAPPA.

Arrivez donc, baron !… l’on n’attend plus que vous…

PIETRO, allant à Gloria-Cassis.

Me voilà !… me voilà !… qu’est-ce que je vais vous servir ?… bifteck aux pommes, pieds de mouton à la poulette ?…

LA PRINCESSE.

Qu’est-ce qu’il dit ?

FALSACAPPA, bas, à Pietro.

Qu’est-ce que tu dis, animal ?

PIETRO, bas, à Falsacappa.
Eh bien ! puisque je suis marmiton, il est tout naturel que je…
FALSACAPPA, bas.

Mais tu ne l’es plus, marmiton !… c’est fini !…

PIETRO, bas.

Qu’est-ce que je suis, alors ?

FALSACAPPA, bas.

Tu es le baron de Campotasso, tu viens au-devant de la princesse.

PIETRO, bas.

Ah ! c’est juste !… (Haut.) Pardonnez-moi, princesse… il y a si peu de temps que j’ai quitté la cuisine…

GLORIA-CASSIS.

Mais qu’est-ce qu’il dit ? qu’est-ce qu’il dit ?

LA PRINCESSE, étonnée.

La cuisine ?

FALSACAPPA, allant à Gloria-Cassis.

La cuisine politique, princesse… la cuisine politique… ne faites pas attention…

LA PRINCESSE.

Ah ! très bien !…

Pietro repasse près de Gloria-Cassis.

GLORIA-CASSIS, à Pietro.

C’est à moi de vous présenter les personnes qui accompagnent la princesse… Moi d’abord, le comte de Gloria-Cassis, grand d’Espagne de onzième classe, chef réel de l’ambassade… Pablo, précepteur… Quelques seigneurs sans importance… Adolphe de Valladolid…

LA PRINCESSE.

Mon page favori… Il ne me quitte jamais.

ADOLPHE.

Jamais !

ADOLPHE et LA PRINCESSE, ensemble.

Jamais !

PIETRO.

Jamais ?

LA PRINCESSE.

Est-ce que vous comptez vous opposer ?…

PIETRO.

Moi ?… Eh bien ! par exemple, voilà quelque chose qui m’est égal !…

GLORIA-CASSIS, à Pietro.

À moi, baron, deux mots !

PIETRO.

Je vous écoute.

GLORIA-CASSIS.

Vous êtes en mesure, je suppose ?…

PIETRO.

En mesure… pourquoi faire ?

GLORIA-CASSIS.

Pour nous payer les trois millions… Vous faites semblant de ne pas me comprendre.

PIETRO.

Les trois millions !… (Falsacappa le poussa.) Oui… je sais… je sais…

GLORIA-CASSIS.

Vous les donnerez, par Notre-Dame de Compostelle, vous les donnerez !

LA PRINCESSE, à part.

Mon Dieu !… quel drôle de baron !

Entrent Fragoletto en aubergiste, Fiorella en fille de l’aubergiste, et quatre femmes déguisées en marmitons.

Scène XI

Les Mêmes, FRAGOLETTO, FIORELLA, les quatre femmes.
FRAGOLETTO, saluant.

Princesse…

Les trois brigands remontent et restent au deuxième plan, avec les quatre femmes. — Gloria-Cassis est près du précepteur.

FIORELLA, faisant la révérence.

Vos appartements sont préparés, princesse, et quand il vous plaira…

ADOLPHE.

À la bonne heure ! En voilà qui ont figure humaine !… Ils sont gentils, très gentils.

LA PRINCESSE, à Fragoletto.

C’est donc vous, mon petit homme, qui êtes le maître de cette hôtellerie ?

FRAGOLETTO.

Oui, princesse.

LA PRINCESSE, montrant Fiorella.

Et elle… c’est ?

FRAGOLETTO

C’est mon amoureuse.

LA PRINCESSE.

Ah ! vous êtes ?…

FIORELLA, allant à la princesse.

Oui, princesse… je suis son amoureuse… et lui, c’est mon amoureux.

LA PRINCESSE.
Vous entendez, Adolphe, des amoureux !
ADOLPHE.

Oui, princesse, des amoureux !… (À Fiorella et à Fragoletto.) Et… dites-nous, comment vous êtes-vous aimés ?

LA PRINCESSE.

Oh ! oui, je vous en prie, dites-nous comment.

FIORELLA.
COUPLETS
I
Vraiment, je n’en sais rien, madame,
Et je l’avoue avec sincérité ;
J’eus grand désir d’être sa femme,
En le voyant… voilà la vérité.
Comment cela me vint, je n’en sais rien moi-même…
Sait-on jamais pourquoi l’on aime ?
ENSEMBLE
Sait-on jamais pourquoi l’on aime ?
FIORELLA.
II
Un soir, j’entrai dans sa chaumière,
Et je compris, le trouvant fort joli,
Que je n’aurais plus sur la terre
Aucun plaisir, si je n’étais à lui !
Comment cela me vint, je n’en sais rien moi-même…
Sait-on jamais pourquoi l’on aime ?
ENSEMBLE
Sait-on jamais pourquoi l’on aime ?
LA PRINCESSE, à Fiorella et à Fragoletto.

Tenez, les amoureux, voilà pour vous !

Elle leur donne sa bourse.

FIORELLA et FRAGOLETTO.

Merci, princesse.

FALSACAPPA, allant à la princesse.
Princesse, je suis ému jusqu’aux larmes !… Vos appartements sont préparés, princesse, on a eu l’honneur de vous le dire, vos appartements sont préparés.
LA PRINCESSE.

Eh bien ?…

FALSACAPPA.

Eh bien ! quand vous voudrez…

GLORIA-CASSIS.

Nous avons le temps, je suppose.

FALSACAPPA.

Je vous demande bien pardon : je ne connais que ma consigne, moi, et il est dit dans ma consigne qu’une fois arrivés ici, vous devez entrer dans vos appartements.

ADOLPHE.

Mais il n’est que deux heures de l’après-midi !

FALSACAPPA.

Ça ne me regarde pas… j’ai ma consigne.

ADOLPHE.

Ah çà ! mais, militaire…

FALSACAPPA.

Et ne faites pas les malins ?

LES BRIGANDS, poussant les Espagnols.

En voilà assez !

CHŒUR
LES BRIGANDS.
Entrez là
Plus vite que ça !
Ne faites pas
Tant d’embarras !
LES ESPAGNOLS
Hé ! la la !
Pas si fort que ça !
Ne poussez pas !
Pendant ce chœur, les brigands ont poussé les Espagnols vers l’auberge, où ils les font entrer violemment.

Scène XII

Les Mêmes, moins les ESPAGNOLS, puis GLORIA-CASSIS, puis PIPO.
FALSACAPPA.

Et voilà !… Ils entrent dans leurs chambres, ils se couchent et s’endorment. Nous, au bout d’un quart d’heure, nous crochetons les serrures, nous prenons leurs habits… et après…

TOUS.

Après…

FINALE
ENSEMBLE
Tous, sans trompette, ni tambour,
Nous nous en irons à la cour,
Et dans nos poches nous mettrons,
Nous mettrons les trois millions !
FALSACAPPA, à Pietro.

(Parlé.) Tu seras le précepteur.

PIETRO.
C’est bien.
FALSACAPPA.
C’est bien. Tu le seras…

Aux trois brigands.

C’est bien. Tu le seras… Et vous, mes compagnons,
Les trois seigneurs sans importance.
LES TROIS BRIGANDS.
Nous le serons.
FALSACAPPA.
Vous le serez.
LES BRIGANDS.
Vous le serez. Comptez sur notre intelligence.
FIORELLA.

(Parlé.) Et moi ?

FALSACAPPA.
Tu seras la princesse…

À Fragoletto.

Et toi, le petit page.
FIORELLA.
Je serai la princesse !
FRAGOLETTO.
Et moi, le petit page !
FIORELLA.
Ah ! mon gentil page !
FRAGOLETTO.
Ah ! ma noble dame !
FIORELLA.
Il faudra m’aimer !
FRAGOLETTO.
De toute mon âme
FALSACAPPA et LES BRIGANDS.
Ils sont charmants…
FALSACAPPA.
Mais ne perdons pas notre temps !
ENSEMBLE
Tous, sans trompette ni tambour,
Etc.

Fanfare dans la cave de l’auberge. — Cris : « Vive le capitaine ! »

FALSACAPPA.

(Parlé.) Ah ! les carabiniers !… je les avais oubliés !

GLORIA-CASSIS, paraissant au balcon.
Quels sont ces cris ? quels sont ces chants ?
Que se passe-t-il là dedans ?
PIETRO.
Ce n’est rien.
GLORIA-CASSIS.
Comment, rien ?
Nous entendons bien !…

Domino, Barbavano et Carmagnola passent à droite. — Les quatre femmes remontent. — Pipo sort tout effaré par le soupirail de la cave, en manches de chemise et en caleçon.

PIPO.
À moi ! holà !
FALSACAPPA, à part.
Le diable emporte celui-là !
PIPO.
Défendez-moi contre Falsacappa !

Falsacappa le pousse vers les trois brigands, qui le contiennent.

GLORIA-CASSIS, sur le balcon.
Falsacappa !

Il disparaît.

LES TROIS BRIGANDS, tenant Pipo.
Si tu dis un mot… tu nous comprends bien !…
PIPO, tremblant.
Je ne dis rien.

La princesse, Adolphe, Gloria-Cassis, le précepteur et les Espagnols sortent de l’auberge.


Scène XIII

BARBAVANO, CARMAGNOLA, DOMINO, FIORELLA, FRAGOLETTO, FALSACAPPA, PIETRO, les Quatre Femmes, au premier plan ; GLORIA- CASSIS, LA PRINCESSE, ADOLPHE, LE PRÉCEPTEUR, PIPO, au deuxième plan, puis CAMPOTASSO, puis les Carabiniers, puis les BRrigands.
LES ESPAGNOLS.
Falsacappa !…
Qui donc a parlé de ce brigand-là ?
FALSACAPPA, à la princesse.
Princesse, d’où vient cette alarme ?
Pourquoi sortez-vous de chez vous ?
LA PRINCESSE.
N’entendez-vous pas ce vacarme ?
ADOLPHE, montrant le soupirail de la cave.
Que se passe-t-il là-dessous ?
LES ESPAGNOLS, passant à droite.
On a nommé Falsacappa !

Les brigands passent à gauche.

GLORIA-CASSIS, à Falsacappa.
Vous connaissez Falsacappa ?
FALSACAPPA.
Où prenez-vous Falsacappa ?
Rassurez-vous, princesse…
Falsacappa !… quoi ?… qu’est-ce ?
Ni vu ni connu !
Je ne l’ai jamais vu,
Son nom m’est inconnu,
Je ne l’ai jamais vu,
Ni vu, ni connu !
LES BRIGANDS.
On ne l’a jamais vu,
Ni vu ni connu !
CAMPOTASSO

(Parlé). Le voilà ! le voilà ! c’est lui ! ce grand-là, c’est Falsacappa !

Les Espagnols sont terrifiés. — Entre alors, de tous côtés, le reste des brigands ; ils apportent des carabines dont s’emparent Falsacappa, Fiorella, Fragoletto, Pietro, Domino, Carmagnola, Barbavano et les quatre femmes. — Les Espagnols occupent toujours la droite, et les brigands la gauche. — On a remis Pipo aux mains de deux brigands.

FALSACAPPA, à Campotasso qui est toujours sur le balcon.
J’aurais voulu ne pas user de violence,
Mais j’y suis contraint, Excellence… Aux Espagnols.
Oui, cet homme a dit vrai, mon nom,
Mon nom, la terreur du canton,
C’est Ernesto Falsacappa !

À ses brigands, montrant les Espagnols.

Empoignez-moi ces gaillards-là !

Campotasso quitte le balcon.

LES ESPAGNOLS, tremblants, tombant à genoux.
Falsacappa !
FALSACAPPA, aux brigands.
Jusqu’à demain matin vous les tiendrez en joue…
Et nous, mes compagnons, en route pour Mantoue !
LES BRIGANDS, mettant en joue les Espagnols.
Jusqu’à demain matin, nous les tiendrons en joue…
Et vous, sans plus tarder, en route pour Mantoue !
FALSACAPPA, aux Espagnols.
Tremblez, car nous vous tenons
Tremblants au bout de nos longs
Tromblons !
LES ESPAGNOLS, toujours à genoux.
Tremblons, car nous nous trouvons
Tremblants au bout de leurs longs
Tromblons !
CAMPOTASSO, reparaissant au balcon.
Ne tremblez plus, nobles fils de l’Espagne !
J’ai découvert dans la cave au champagne,
J’ai découvert des soldats valeureux,
Et je m’en vais apparaître avec eux !

Il disparaît. — Les Espagnols se relèvent.

FALSACAPPA.
Bataille, alors !… J’aime mieux ça !

Aux brigands.

Garde à vous, amis !
Campotasso sort de l’auberge avec les carabiniers qui sont tous gris et qui tiennent des bouteilles à la main. — Ils n’ont plus que leurs culottes et leurs bottes. — Ils descendent à gauche ; les brigands occupent le milieu, et les Espagnols la droite.
CAMPOTASSO, une épée à la main.
Les voilà !

Aux carabiniers. (Parlé.) En avant !

Au lieu de se porter en avant, les carabiniers fraternisent avec les brigands ; le capitaine embrasse Falsacappa, puis il donne de grandes poignées de main à Pietro. — On a mis Campotasso au milieu des Espagnols.

LES CARABINIERS.
Nous sommes les carabiniers,
La sécurité des foyers…

LES BRIGANDS, gaiement, LES ESPAGNOLS, tristement.

Mais, par un singulier hasard,
Au secours des particuliers,
Vous arrivez toujours trop tard !
FALSACAPPA.
Quand les carabiniers sont gris,
Ce ne sont plus des ennemis.
LES BRIGANDS.
Tremblez, car nous vous tenons
Tremblants au bout de nos longs
Tromblons !
Et maintenant, enfin, partons.
Allons toucher les trois millions.
LES ESPAGNOLS.
Tremblons, car nous nous trouvons
Tremblants au bout de leurs longs
Tromblons !
Dans la Providence espérons,
Nous verrons pendre ces fripons.
LES CARABINIERS.
Nous sommes les carabiniers,
Etc.

Pendant ce dernier chœur, les brigands remettent en joue les Espagnols qui retombent à genoux.




ACTE TROISIÈME

Chez le duc de Mantoue. — Une grande salle très riche. — Au milieu, une table ovale somptueusement servie ; candélabres allumés sur la table. — Cette salle est ouverte au fond par trois portes garnies de portières ; ces portes donnent sur une galerie. — À droite, le fauteuil ducal ; à gauche, adossée au mur, une table carrée. — Au deuxième plan, à droite, une porte.



Scène PREMIÈRE

LE DUC DE MANTOUE, LA MARQUISE, LA DUCHESSE, Dames de la cour, Pages, Domestiques dans la galerie du fond.

Au lever du rideau, le prince est assis au milieu de la table ; il a trois dames à sa gauche et trois dames à sa droite ; la marquise et la duchesse sont aux deux bouts de la table. — Deux pages à droite et deux pages à gauche versent à boire. — C’est la fin du souper.

CHŒUR
C’est l’aurore ; fêtons l’aurore,
Saluons-la d’une chanson ;
Et faisons-la durer encore,
Sa dernière nuit de garçon.
LA MARQUISE.
Quel vide, à présent, dans la vie !
Quel désespoir et quel chagrin !
LA DUCHESSE.
On nous le prend, on le marie,
Pas plus tard que demain matin !
REPRISE DU CHŒUR
C’est l’aurore ; fêtons l’aurore,
Etc.
LE PRINCE, se levant.
Vous aimez les chansons : je vais vous en dire une,
Qui s’applique à merveille à ma situation.
LES DAMES, se levant aussi.
Quoi que vous nous chantiez, fût-ce Au clair de la lune,
Nous vous écouterons avec émotion.

Le prince et les dames descendent en scène. — Les domestiques viennent enlever la table et les candélabres, qu’ils emportent. — Les pages rangent les sièges et en disposent trois à gauche, un peu de biais ; puis ils vont se placer au fond.

COUPLETS
I
LE PRINCE.
Jadis régnait un prince,
Joli comme le jour…
LES DAMES.
Joli comme le jour !
LE PRINCE.
Les dames de province.
Pour lui mouraient d’amour…
LES DAMES.
Pour lui mouraient d’amour !
LE PRINCE.
Une, la plus jolie,
Mignonne et faite au tour,
Pour passer son envie
S’en fut droit à la cour…
Pan ! pan ! pan ! pan !
« Beau prince aux cheveux bouclés,
Ouvrez-nous à l’instant même… »
Pan ! pan ! pan ! pan !
« Ouvrez, gentil prince, ouvrez
À la femme qui vous aime !… »
LES DAMES, entourant le prince.
Pan ! pan ! pan ! pan !
« Beau prince aux cheveux bouclés,
Etc. »
II
LE PRINCE.
Vous ferez bien, madame
De vous en retourner…
LES DAMES.
De vous en retourner.
LE PRINCE.
L’objet de votre flamme
Vient de se marier.
LES DAMES.
Vient de se marier.
LE PRINCE.
À sa femme fidèle,
Il renonce aux amours.
« C’est très bien, dit la belle,
Je r’passerai dans huit jours ! »
LES DAMES, reprennent le refrain.
Pan ! pan ! pan ! pan !

Le prince, la marquise et la duchesse vont s’asseoir sur les sièges préparés à gauche, — le prince entre elles deux ; — les autres dames viennent se grouper derrière. — Les pages se placent à droite.

LA DUCHESSE, souriant.

Je repasserai dans huit jours.

LA MARQUISE.

Il eût été plus sage encore de supprimer ces huit jours d’intervalle et de ne pas vous marier.

LA DUCHESSE.

À quoi bon se marier, quand on est jeune, quand on est gentil, quand on est prince ?…

LA MARQUISE.

Quand on peut nous aimer toutes !…

LA DUCHESSE.
Et être aimé par nous toutes !…
LE PRINCE.

Je sais bien, mais la raison d’État… vous ne tenez pas compte de la raison d’État…

LA MARQUISE.

Qu’est-ce que cela nous fait à nous, la raison d’État ? Nous ne savons qu’une chose, c’est que nous allons vous perdre.

TOUTES, gémissant.

Hélas ! hélas !

LE PRINCE.

Allons, allons, ne pleurez pas… on tâchera de vous consoler… (Se levant, à un page.) Qu’on cherche mon caissier, et qu’on lui dise que je veux lui parler.

Le page sort, par le fond, à droite.

TOUTES, avec empressement.

Le caissier !

Le prince se rassied.

LA DUCHESSE.

Est-elle jolie, au moins, notre future souveraine ?…

LE PRINCE.

Pas mal, pas mal !… (Il tire un portrait de sa poche) mais elle a un défaut, qui est de rappeler une personne beaucoup plus jolie qu’elle… (Regardant le portrait et le leur montrant.) Il y a trois jours, dans la montagne… je me suis trouvé en face d’une jeune fille qui avait les mêmes traits, mais qui était bien autrement vive, bien autrement originale !…

Le page rentre.

LA MARQUISE.

Où est-elle…, cette jeune fille ?

LE PRINCE.

Où elle est ? je n’en sais rien… mais j’ai donné des ordres, et j’espère bien qu’on me la retrouvera !…

Le caissier entre, par le fond, à droite ; il porte un grand livre de caisse.

Scène II

Les Mêmes, LE CAISSIER.
LE CAISSIER.

Son Altesse m’a fait demander ? (Voyant les dames.) Oh ! pardon !

Il se sauve.

LE PRINCE, se levant, ainsi que les dames.

Eh bien !… eh bien !… (Il va à la porte et appelle.) Hé ! là bas !… hé !… Entrez donc, monsieur mon caissier !…

Le caissier rentre. — Les pages vont ranger les sièges.

LA DUCHESSE, d’un air aimable.

Vous n’êtes pas de trop.

LE CAISSIER, saluant.

Monseigneur… mesdames…

LE PRINCE.

Pourquoi ne venez-vous pas quand on vous appelle ?

LE CAISSIER.

Il m’avait semblé que monseigneur était occupé… alors…

Il donne son registre à un page.

LE PRINCE, en riant.

Quelle mine vous avez !… cet air fatigué… Savez-vous bien, monsieur mon caissier, que, si je ne vous connaissais pas, je croirais que vous avez passé la nuit à faire la fête avec des demoiselles !…

LE CAISSIER.

Moi, monseigneur !… vous pourriez croire ?…

LE PRINCE.
Non, je ne crois pas… mais cette figure… le désordre de votre toilette…
LE CAISSIER.

J’ai passé la nuit courbé sur mes chiffres…

LE PRINCE.

Oh ! alors…

LE CAISSIER.

Imaginez-vous, monseigneur… vous aussi, mesdames, vous pouvez écouter… imaginez-vous qu’hier, en faisant ma caisse, j’ai trouvé deux centimes de trop… Alors, je me suis dit : Je ne peux pas aller me coucher comme ça… il faut que je retrouve l’erreur… Et voilà, monseigneur, pourquoi j’ai ce matin le visage défait et la mine éreintée.

LE PRINCE.

Je sais que vous n’êtes pas un caissier ordinaire… Sommes-nous un peu riches, en ce moment ?

LE CAISSIER.

Si nous sommes riches !… je crois bien que nous sommes riches !

LE PRINCE.

C’est très bien !… La marquise, alors, vous dira ce que coûte son hôtel… vous paierez…

LE CAISSIER.

Ah ! ah !

LE PRINCE.

Vous paierez aussi une note que la duchesse a chez son couturier.

LA DUCHESSE, bas, au caissier.

J’aimerais mieux avoir l’argent, et payer moi-même…

LE CAISSIER, bas et s’inclinant.

Vous serez donc toujours la même, madame la duchesse !

LE PRINCE.

Autre chose, maintenant… Pardon, mesdames… (Les dames remontent. — Au caissier.) La princesse de Grenade arrivera tout à l’heure, vous le savez ; je ne tiens pas à ce que les gens qui l’accompagnent fassent ici un long séjour.

LE CAISSIER.

Vous avez raison.

LE PRINCE.

Vous aurez donc à leur remettre au plus vite les trois millions qu’ils doivent recevoir.

LE CAISSIER.

Les trois millions !

LE PRINCE.

Vous avez les fonds ?

LE CAISSIER.

Altesse ?…

LE PRINCE.

Je vous demande si vous avez les fonds…

LE CAISSIER, avec éclat.

Si j’ai les fonds je crois bien que j’ai les fonds !... Qu’est-ce que nous deviendrions, si je n’avais pas les fonds ?

LE PRINCE.

À la bonne heure !…

Il remonte vers les dames.

LE CAISSIER, le suivant.

Et sera-t-il permis à un fidèle sujet d’ajouter un mot ?

LE PRINCE, s’arrêtant.

Si vous y tenez…

LE CAISSIER.
Il est neuf heures… en ce moment, sans doute, la jeune princesse entre en gare…
LE PRINCE.

Et j’ai à peine le temps de réparer un peu… Merci, monsieur mon caissier, merci… (Aux dames.) Allons, mesdames… allons ensemble, si vous le voulez, jusqu’à la porte de mon appartement… une fois là, par exemple…

LA DUCHESSE.

Il faudra nous séparer… mais souvenez-vous que dans huit jours nous reviendrons frapper à cette porte… et alors…

REPRISE DU CHŒUR
Beau prince aux cheveux bouclés,
Etc.

Le prince sort par la droite ; les dames et les pages se retirent par les trois portes du fond, dent les portières se referment.


Scène III

LE CAISSIER, seul.

Prenez garde, monseigneur, prenez garde… vous aimez trop les femmes !… et quand on aime trop les femmes… (Tirant une clef de sa poche.) Montez dans mes bureaux… voici la clef… ouvrez ma caisse… « Quel est le mot, me direz-vous, le mot formé par les cinq lettres ?… « Ce mot, c’est Volupté… » Ouvrez ma caisse, et vous n’y trouverez pas grand’chose… vous y trouverez 1283 francs 25 centimes et pas un fichtre avec !… Voilà où en sont les finances du pays !… « Mais le reste, me direz-vous encore, le reste, misérable, qu’est-ce que tu en as fait du reste ?… » Eh bien, mais… je l’ai mangé… oui, je l’ai mangé avec des femmes !… Je me souviens encore de mon premier détournement. Léonore était là… près de moi… elle me disait : « Je t’aime !… » Moi, qui savais ce que ça voulait dire, je lui disais : « Va-t’en !… » mais elle ne s’en allait pas… « Je t’aime, me répétait-elle, je t’aime !… » et elle se penchait vers moi… une mèche de ses cheveux me taquinait la joue, ses lèvres effleurèrent mes lèvres !… Alors, j’ouvris mon livre de caisse… (Tirant un grattoir de sa poche.) je saisis mon grattoir… et je grattai pour la première fois !… Voilà ce qui m’a perdu !… c’est que j’avais un cœur et un grattoir !… Toutes les fois que je voyais une femme, mon cœur battait, et, dès que le cœur battait, le grattoir grattait… et alors, de grattement en battement, et de battement en grattement… Ah !

COUPLETS
I
Ô mes amours ….ô mes maîtresses !…
Pour vivre à vos genoux,
Pour m’enivrer de vos caresses,
De vos baisers si doux,
Pour me faire dire : « Je t’aime ! »
Par des chien-chiens chéris,
J’ai donné mon argent… et même
L’argent de mon pays !
C’est un peu vif, mais,
Si c’était à refaire,
Je le referais…
Voilà mon caractère !
II
Hélas ! j’ai mangé la grenouille !
La cour des comptes va
Probablement me chanter pouille
Sous ce prétexte-là…
On va vérifier ma caisse,
On va tout découvrir,
Et je serai révoqué !... Qu’est-ce
Que je vais devenir ?
Ce sera dur… mais,
Si c’était à refaire,
Je le referais…
Voilà mon caractère ! Que devenir ?… L’hôtel de la marquise à payer… le couturier de la duchesse… et trois millions à donner à l’Espagne !… Et je la connais, l’Espagne… elle les réclamera ses trois millions… elle en a besoin… Que faire ?… (Il tire un pistolet de sa poche. — Avec énergie.) Me voilà arrivé au moment où il faut absolument… (Avec calme) que je trouve quelque chose pour ne pas être obligé d’en venir là !… (Il remet tranquillement le pistolet dans sa poche.) Voyons un peu… voyons… j’ai en caisse 1 283 francs 25 centimes. Je dirai à la marquise et à la duchesse de se partager les 283 francs 25 centimes… De ce côté-là, rien à craindre… Mais l’envoyé espagnol !… Si cet envoyé est un honnête homme, je suis perdu… mais si c’est un homme… d’esprit… en lui offrant les mille francs qui restent… (Musique ; coup de canon et bruit de castagnettes au dehors. — Les portières du fond s’ouvrent.) Qu’est-ce que j’entends ?… le son des canons mêlé au bruit des castagnettes… Ce sont eux !… ce sont les Espagnols !… attention !…

Entrent, par le fond, les pages, puis les seigneurs et dames de la cour, qui se rangent de chaque côté.


Scène IV

LE CAISSIER, Seigneurs et Dames, Pages, puis LE DUC DE MANTOUE, LA MARQUISE, LA DUCHESSE, ensuite FALSACAPPA, FIOBELLA, FRAGOLETTO, PIETRO, DOMINO, CARMAGNOLA, BARBAVANO, ZERLINA, FIAMMETTA, CICINELLA, BIANCA.
CHŒUR
Voici venir la princesse et son page ;
Elle s’avance avec fierté,
Sûre qu’elle est d’obtenir notre hommage
Par sa grâce et par sa beauté !

Le duc de Mantoue entre par la droite, la duchesse et la marquise par le fond.

LE PRINCE, allant au caissier.

Vous avez les fonds ?

LE CAISSIER.

Je crois bien, que je les ai, les fonds !…

Le prince va s’asseoir sur le fauteuil de droite qui a été avancé par les pages. — La marquise et la duchesse s’assoient à, sa droite et le caissier à sa gauche.

UN HUISSIER, annonçant du fond.

L’ambassade de Grenade !

LE PRINCE.

C’est bien, faites entrer.

REPRISE DU CHŒUR.
Voici venir la princesse et son page,
Etc.

Entrée de l’ambassade. — Ce sont les brigands, qui ont reconstitué toute l’ambassade de Grenade. — Ils sont un peu mieux habillés qu’au second acte, mais il faut qu’ils aient toujours un air étrange. — Falsacappa est devenu Gloria-Cassis ; Pietro, le précepteur ; Fiorella, la princesse de Grenade ; Fragoletto, le petit page de la princesse ; — les autres sont déguisés en seigneurs espagnols… niais bizarrement accoutrés ; — les quatre femmes en dames d’honneur. — L’entrée se fait dans tordre suivant : d’abord les quatre femmes, puis Carmagnola, Domino et Barbavano ; ensuite Pietro, et enfin Falsacappa, Fiorella et Fragoletto. — Tous, en entrant, saluent le Prince.

LE PRINCE, reconnaissant Fiorella.
C’est elle !
FIORELLA, reconnaissant le prince, à part.
C’est lui !
FRAGOLETTO, surpris, à Fiorella.
Ce cri, ce cri, ce double cri !
Que veut dire ce double cri ?
LES BRIGANDS, à part.
Ah ! la bonne aubaine !
L’affaire est certaine !
Nous pourrons sans peine
Les dévaliser,
Et puis, sans scandale,
Faire notre malle,
Raide comme balle,
Et nous la briser !…
LES GENS DE LA COUR, regardant les brigands, à part.
Ah ! quelle ambassade !
C’est une parade,
Une mascarade !
Ils ont un bon chic !
Vient-il de Castille
Ou de la Courtille,
Ce joli quadrille,
Pour un bal public ?
LE PRINCE, regardant Fiorella, à part.
Ah ! la bergerette,
À qui sur l’herbette
J’ai conté fleurette…
Pardieu la voici ?…
LES BRIGANDS.
LES GENS DE LA COUR.
Ah ! la bonne aubaine !…
Ah ! quelle ambassade !…
LE PRINCE, à part.
Mais cette jeunesse,
Par quel tour d’adresse,
Est-elle princesse,
Au jour d’aujourd’hui ?
LES BRIGANDS.
LES GENS DE LA COUR.
L’affaire est certaine !…
C’est une parade…
FIORELLA, à part, regardant le prince.
Ah ! quelle surprise !
Pristi ! je suis prise,
Et notre entreprise
Est en grand danger !
LES BRIGANDS.
LES GENS DE LA COUR.
Nous pouvons sans peine…
Une mascarade !…
FIORELLA, à part.
Car, dans son ensemble,
Ce prince, il me semble,
En tout point ressemble
À mon étranger !
LES BRIGANDS.
LES GENS DE LA COUR.
Nous pourrons sans peine…
Quel joli quadrille !…
FRAGOLETTO, en regardant Fiorella et le prince, à part.
Ah ! cela m’agace,
Cela me tracasse,
Et ce qui se passe
M’annonce un danger !
LES BRIGANDS.
LES GENS DE LA COUR.
Les dévaliser !
Pour un bal public !
FRAGOLETTO, bas, à Fiorella.
Je ne l’aime guère,
Cet air de mystère,
Entre vous, ma chère,
Et cet étranger !…
REPRISE GÉNÉRALE
FIORELLA et LE PRINCE.
Ah ! quelle surprise,
Etc.
FRAGOLETTO.
Ah ! cela m’agace,
Etc.
LES BRIGANDS.
Ah ! la bonne aubaine !
Etc.
LES GENS DE LA COUR.
Ah ! quelle ambassade !
Etc.
FIORELLA, bas, à Falsacappa.
(Parlé.) C’est lui !
LE PRINCE, à part, regardant Fiorella.

(Parlé.) C’est bien elle !

FIORELLA, bas, à Falsacappa.
Allons-nous-en… j’ai peur !
Mon père, partons tout de suite.
FALSACAPPA, bas.
Nous en aller ! pourquoi ?
FIORELLA, bas.
C’est le jeune seigneur,
Dont, l’autre soir, j’ai protégé la fuite
FALSACAPPA, bas.
Est-ce bien lui ?
FIORELLA, bas.
C’est lui !
Il me reconnaît aussi !
FALSACAPPA, bas.
Sapristi ! prenons garde !
FIORELLA, bas.
Voyez comme il me regarde !
FALSACAPPA, bas.
Prenons garde !
FRAGOLETTO, inquiet, à part.
Je ne l’aime guère,
Cet air de mystère !
REPRISE DE L’ENSEMBLE GÉNÉRAL
LE PRINCE.
Par quel tour d’adresse,
Etc.
FIORELLA.
Ah ! quelle surprise !
Etc.
FRAGOLETTO.
Ah ! cela m’agace !
Etc.
LES BRIGANDS.
Ah ! la bonne aubaine !
Etc.
LES GENS DE LA COUR.
Ah ! quelle ambassade !
Etc.
FALSACAPPA, allant au prince, et cherchant à masquer Fiorella.

Altesse…

LE PRINCE.

Comment êtes-vous venus seuls ? J’avais envoyé au-devant de vous… le baron de Campotasso…

PIETRO.

Campotasso, c’est moi !…

LE PRINCE, surpris.

Vous dites ?…

PIETRO.

Je dis que c’est moi…

FALSACAPPA, bas, à Pietro.

Mais non, animal, tu ne l’es plus !

PIETRO.

Ah ! tiens… Mais c’est vrai… je suis le précepteur maintenant…

FALSACAPPA, au prince.

M. de Campotasso ?… nous ne l’avons pas vu… (À Fiorella.) N’est-ce pas, princesse ?… n’est-ce pas, messieurs, quo nous n’avons pas vu M. de Campotasso.

Carmagnola, Pietro, Domino et Barbavano se sont groupés autour du caissier qui les regarde avec inquiétude.

PIETRO, au prince.
Nous n’avons rencontré personne ; mais, comme nous avions l’adresse par écrit, ça ne nous a pas empêchés d’arriver.
LE PRINCE, à part.

C’est bien elle, pourtant !… (Il s’approche. — Haut.) Ainsi, mademoiselle, vous êtes la princesse de Grenade ?…

FIORELLA.

Un peu !

LE PRINCE.

Et pourriez-vous me dire, s’il vous plaît, qu’est-ce qui règne à Grenade en ce moment ?

FIORELLA.

Cette bêtise !… c’est papa.

LE PRINCE, à part.

Elle a réponse à tout… (Haut et montrant Fragoletto.) Et monsieur ?…

FIORELLA.

Monsieur ?… c’est mon page.

LE PRINCE.

Ah !…

FIORELLA.

Il ne me quitte jamais.

LE PRINCE.

Jamais ?

FRAGOLETTO.

Jamais !

LE PRINCE, à part.

Cela s’accorde parfaitement avec les renseignements qui m’ont été donnés sur la princesse… je ne sais plus que croire… (Haut, à Fiorella.) Princesse…

FALSACAPPA, s’interposant.
Je vous demande pardon, Altesse, il y a un petit compte à régler… il y a un petit compte…
LE PRINCE.

Je sais… Trois millions à vous donner…

FALSACAPPA.

Justement !

LE PRINCE, montrant le caissier.

Voici monsieur mon caissier… il va monter dans ses bureaux, et vous apporter les trois millions.

Il se rapproche de Fiorella.

FALSACAPPA.

Ah ! très bien !… Monsieur le caissier, vous avez entendu ?…

LE CAISSIER, bas, à Falsacappa.

Monsieur, je ne vous dirai qu’un mot… je ne voudrais pas faire de scandale, mais il y a un de ces messieurs qui vient de me prendre ma montre.

FALSACAPPA, bas.

Lequel ?

LE CAISSIER, bas.

C’est un de ces quatre-là… (Il montre les quatre brigands.) Vous me feriez plaisir en la lui redemandant.

FALSACAPPA.

Je vais la lui reprendre… c’est plus simple. (Il va aux quatre brigands. — Bas.) Qui est-ce qui a pris la montre ?

TOUS LES QUATRE.

Mais, chef…

FALSACAPPA, insistant.
Qui est-ce qui a pris la montre ? (Sans dire un mot, Domino, Barbavano et Carmagnola tendent chacun une montre.) Ah ! ah !… c’est très bien ! (Il prend les trois montres ; il est sur le point de s’éloigner, lorsque Pietro lui en présente timidement une quatrième. — Avec un ton de reproche.) Toi aussi, mon vieux Pietro !
PIETRO.

Toujours le vieux restant !…

FALSACAPPA, venant présenter les montres au caissier.

Laquelle est-ce ?

LE CAISSIER, prenant une montre.

Celle-ci, monsieur… Je vous remercie. (À part.) Drôles d’Espagnols.

FALSACAPPA, à part, regardant les trois montres qu’il tient.

Eh bien ! mais… puisque les trois autres personnes ne réclament pas…

Il met les montres dans sa poche.

UN HUISSIER, entrant par le fond, un message à la main.

Altesse…

LE PRINCE.

Qu’est-ce que c’est ? (Il prend le message et lit bas :) « Monseigneur, on a des nouvelles de cette bande de brigands que Votre Altesse a ordonné de poursuivre… » (Haut, après avoir lu.) Ah ! j’y vais tout de suite… (Allant à Fiorella.) Princesse, je ne veux pas vous séparer trop brusquement de ces messieurs : vous avez cinq minutes pour leur faire vos adieux. Après cela, on vous conduira dans vos appartements… J’irai vous retrouver. (Aux gens de la cour.) Vous avez entendu, messieurs… retirons-nous.

FALSACAPPA, venant à lui.

Monseigneur, je ne voudrais pas avoir l’air d’un homme qui dit toujours la même chose… mais enfin, je vous ai parlé de trois millions…

LE PRINCE, un peu impatienté et montrant le caissier.

Et je vous ai répondu, moi, que monsieur mon caissier…

Il remonte.
LE CAISSIER, allant à Falsacappa.

Monsieur, je monte dans mes bureaux… je prends les trois millions et je vous les apporte… Voulez-vous de l’or ou des billets ?

FALSACAPPA.

Ça m’est parfaitement égal.

LE CAISSIER.

Et à moi, donc !

Il sort, par le fond.

LE PRINCE, à sa cour.

Mesdames et messieurs…

REPRISE DE L’ENSEMBLE PRÉCÉDENT

Le prince sort, par le fond, avec toute la cour. — Restent en scène Falsacappa, Fiorella. Fragoletto, Pietro, Domino, Carmagnola, Barbavano et les quatre femmes. — Les portières se referment.


Scène V

FRAGOLETTO, FIORELLA, FALSACAPPA, CARMAGNOLA, BARBAVANO, DOMINO, PIETRO ; les quatre Femmes, au deuxième plan.
FALSACAPPA.

Eh bien ?…

BARBAVANO, à Falsacappa.

Avec tout ça, les montres, vous les avez gardées.

FALSACAPPA.
Ne parlons pas de ça. On nous a laissés ici pour que nous fassions nos adieux à la princesse… Si vous voulez, nous les abrégerons. Vous allez remonter dans les carrosses de la cour que l’on a mis à notre disposition…
CARMAGNOLA.

Et nous irons faire un tour.

FALSACAPPA.

Vous irez m’attendre sur la grande route… Les enfants et moi, nous irons vous retrouver, dès que j’aurai empoché les trois millions.

Pietro est allé s’asseoir sur le fauteuil de droite. — Là, il retire de ses poches une foule de petits objets qu’il examine. Falsacappa remonte vers les quatre femmes et leur parle bas.

DOMINO, bas, aux deux autres brigands.

C’est ça !... nous éloigner…

CARMAGNOLA, bas.

Et, pendant ce temps-là, les trois millions…

BARBAVANO, de même.

Iraient retrouver les trois montres…

CARMAGNOLA, de même.

Mais nous pas bêtes…

DOMINO, de même.

Nous resterons ici…

BARBAVANO, de même.

Pour veiller au grain.

Les quatre femmes, congédiées par Falsacappa, sortent par le fond.

FALSACAPPA, redescendant, aux trois brigands.

Allez, mes amis, allez !

Domino, Barbavano et Carmagnola sortent par le fond.

Scène VI

FRAGOLETTO, FIORELLA, FALSACAPPA, PIETRO.
FALSACAPPA, à Pietro.

Eh bien ! qu’est-ce que tu fais là ?

PIETRO.

Je vérifie ma petite recette.

FRAGOLETTO.

Ah ! ah !… il paraît que, sans compter la montre…

PIETRO, se levant.

J’ai donné quelques poignées de main… et, je ne sais comment cela s’est fait, en retirant ma main à moi… ces bagues…

FIORELLA.

Ont suivi.

PIETRO.

Justement !… un bracelet encore et puis un médaillon… et puis ça…

Il montre un chignon garni de perles.

FALSACAPPA.

Un chignon !

FRAGOLETTO.

Pourquoi as-tu pris ça ?

PIETRO.

À cause des perles… les cheveux sont venus avec.

Entrent, par le fond, le caissier, la duchesse et la marquise. — Le caissier tient sous son bras un énorme portefeuille.


Scène VII

Les Mêmes, LE CAISSIER, LA DUCHESSE, LA MARQUISE.

Le caissier, sans rien dire, frappe sur son portefeuille qu’il montre à Falsacappa.

FALSACAPPA, à part.

Les trois millions !…

Son émotion est tellement violente qu’il manque de tomber : Fragoletto le soutient.

LE CAISSIER, à Falsacappa.

Bon nanan, ça !

Il passe à gauche et donne tout bas des ordres à un domestique qui vient d’entrer par le fond à gauche. — Celui-ci avance la table qui est à gauche, place un siège de chaque côté et se retire. — Pendant ce temps, la duchesse et la marquise se sont approchées de Fiorella.

LA DUCHESSE, à Fiorella.

Princesse, vos appartements sont prêts.

LA MARQUISE.

Nous allons y conduire Votre Altesse.

FALSACAPPA, bas.

Attention, les enfants !… il faut que dans une demi-heure nous ayons filé d’ici… chacun de notre côté… Nous nous retrouverons dans le souterrain mystérieux…

FRAGOLETTO.

Et nous y ferons la noce !…

FALSACAPPA, bas.
À mort !… (Haut, à Fiorella.) Adieu, princesse… (À Pietro.) Adieu, monsieur le précepteur… (À Fragoletto.) Adieu, Adolphe.
FRAGOLETTO.

Adieu, comte.

FIORELLA, aux deux dames.

Venez, mesdames.

Elle sort, par le fond, avec les dames. — Fragoletto les suit.

PIETRO, à Falsacappa.

Adieu, Gloria… (Bas.) Gloria quoi ?

FALSACAPPA, bas.

Cassis.

PIETRO.

Adieu, Gloria-Cassis.

Il sort majestueusement ; par le fond, à droite.


Scène VIII

LE CAISSIER, FALSACAPPA.
FALSACAPPA, au caissier, qui est debout à gauche de la table.

À nous deux, maintenant ! (Le caissier s’assied près de la table et ouvre son portefeuille : Falsacappa avance la main ; le caissier lui donne un coup sur les doigts. Falsacappa, tirant un parchemin de sa poche.) Si vous tenez à voir mes titres ?…

LE CAISSIER, regardant négligemment.

Oh pour la forme seulement… Très bien ! très bien ! ils sont parfaitement en règle…

FALSACAPPA.

Alors, ça va aller tout seul.

Il avance la main : le caissier lui donne encore un coup sur les doigts, puis il tire du fond de son portefeuille un billet de banque, et l’agite devant Falsacappa avec complaisance. — Ils sont assis chacun d’un côté de la table.
LE CAISSIER, ,à part.

Si c’est un honnête homme, je suis perdu… mais si c’est un malin, avec ce billet…

Il continue à l’agiter.

FALSACAPPA.

Qu’est-ce que c’est que ça ?…

LE CAISSIER.

Ça ?… (Avec orgueil.) C’est un billet de mille francs, ça…

FALSACAPPA.

Ah ! très bien !… il faut encore 2 millions 999 mille francs.

LE CAISSIER.

Vous dites qu’il faut encore… attendez… (Il commence à calculer après avoir placé le billet sur la table, à portée de Falsacappa. Voyant que Falsacappa ne le prend pas, il pousse un peu le billet, puis il se replonge dans ses calculs. À la fin, il relève la tête et dit à part, avec surprise :) Il n’a pas pris le billet !…

FALSACAPPA.

Je vous disais que cela fait encore 2 millions…

LE CAISSIER.

999 mille francs… c’est parfaitement juste… Vous vous êtes occupé de finances ?…

FALSACAPPA.

Oui, quelquefois… mais si nous parlions des trois millions ?…

LE CAISSIER.

Vous tenez à en parler ?

FALSACAPPA.

Oui.

LE CAISSIER.
Parlons-en alors… parler de cela ou parler d’autre chose, cela m’est bien égal, à moi… nous disons donc que j’ai trois millions à vous remettre…
FALSACAPPA.

À la bonne heure !

LE CAISSIER.

Et vous les porterez à votre gouvernement, ces trois millions ?

FALSACAPPA.

Naturellement.

LE CAISSIER.

Et qu’est-ce qu’il vous donnera là-dessus, votre gouvernement ?… qu’est-ce qu’il vous donnera ?… rien du tout…

FALSACAPPA.

Oh !

LE CAISSIER.

Non… rien du tout. Ils sont si ingrats, les gouvernements !… ils s’occupent si peu des intérêts des particuliers !

FALSACAPPA, s’impatientant.

Ah çà ! mais…

LE CAISSIER.

Heureusement que les particuliers s’en occupent, eux, de leurs intérêts !…

FALSACAPPA, se levant.

Qu’est-ce que vous dites ?…

LE CAISSIER.

Je dis que nous sommes là… asseyez-vous donc !… (Falsacappa se rassied.) Je dis que nous sommes là… deux bons enfants !… vous, de ce côté de la table, vous êtes un bon enfant… moi, de ce côté-ci de la table, je suis un autre bon enfant… Eh bien, ne nous occupons pas de la cour de Grenade… occupons-nous de nous… Qu’est-ce que ça nous fait, à nous, que la cour de Grenade ait ses trois millions, ou qu’elle ne les ait pas ?

FALSACAPPA.

Ah çà ! mais… ah çà ! mais…

LE CAISSIER, montrant le billet.

Voilà un bon billet de mille francs… et ce n’est pas un billet de mille francs comme il y en a dans les théâtres… avec des bêtises écrites dessus !… non, c’est un bon billet de mille francs, un vrai… voyez… vous pouvez voir… Eh bien ! moi, qui suis un bon enfant, je le mets là, ce billet… (Il le met sur la table, devant Falsacappa.) et, une fois que je l’ai mis là, je n’y pense plus, plus du tout… (Se levant.) Qu’est-ce que j’ai fait de ma plume ?… Ah ! elle est là, sous la table… je vais la chercher, vous entendez, je vais chercher ma plume… et je ne pense plus au bon billet de mille francs…

Il disparaît sous la table.

FALSACAPPA, se levant et faisant le tour de la table.

Eh bien mais qu’est-ce qu’il fait ?… qu’est-ce qu’il fait ?…

LE CAISSIER, reparaissant de l’autre côté de la table, à part.

Il n’a pas pris le billet… c’est un honnête homme !…

FALSACAPPA.

Ah çà, mais… voyons, à la fin… ces trois millions ?…

LE CAISSIER, se relevant.

Chut !

FALSACAPPA.

Comment, chut ?…

LE CAISSIER.
Taisez-vous donc !… je vais vous parler comme à un honnête homme… je sais maintenant que vous êtes un honnête homme…
FALSACAPPA, inquiet.

Ces trois millions ?…

LE CAISSIER.

Je ne les ai pas !…

FALSACAPPA, avec éclat, le saisissant et le faisant passer à gauche.

Tu ne les as pas !…

LE CAISSIER.

Non, mais attendez donc… on peut prendre des arrangements…

FALSACAPPA.

Je suis flambé, c’est un confrère !

LE CAISSIER.

Voulez-vous des crocodiles empaillés ?

FALSACAPPA, le tenant toujours et le faisant passer à droite.

Ah ! coquin !…

LE CAISSIER.

Voulez-vous ma signature ?

FALSACAPPA, le secouant de nouveau.

Ah ! voleur ! (Il le couche sur la table.) Les trois millions !

LE CAISSIER, criant.

Un bon billet de mille francs…

FINALE
FALSACAPPA.
Coquin ! brigand ! traître ! bandit !
À moi !

À ces cris accourent, par les trois portes du fond, Pietro, Carmagnola, Domino et Barbavano.

TOUS LES QUATRE,
À moi ! Quel est ce bruit ?
Falsacappa lâche le caissier, qui passe vivement à droite.

Scène IX

CARMAGNOLA, DOMINO, BARBAVANO, FALSACAPPA, LE CAISSIER, PIETRO.
FALSACAPPA, aux brigands.
Les trois millions, il ne les a pas !
LES BRIGANDS.
Il ne les a pas !
FALSACAPPA, au caissier.
Ah ! triple coquin, tu nous le paieras !
LE CAISSIER, criant.
À moi !
TOUS.
À moi ! Tu nous le paieras !

Les trois portières du fond s’ouvrent. — Entrent le duc de Mantoue, la marquise, la duchesse et toute la cour. — Zerlina, Fiammetta, Bianca et Cicinella arrivent en même temps et descendent à gauche, près des brigands.


Scène X

BIANCA, ZERLINA, FIAMMETTA, CICINELLA, CARMAGNOLA, DOMINO, BARBAVANO, PIETRO, FALSACAPPA, LE DUC DE MANTOUE, LE CAISSIER, LA MARQUISE, LA DUCHESSE, Seigneurs et Dames de la cour, Pages, puis un Huissier, ensuite la PRINCESSE DE GRENADE, GLORIA-CASSIS, CAMPOTASSO, ADOLPHE, LE PRÉCEPTEUR, LE CAPITAINE DES CARABINIERS et ses Hommes, et, à la fin, FIORELLA et FRAGOLETTO.
LE PRINCE.
Que veut dire tout ce tapage ?
LE CAISSIER.
On me bouscule, on m’étrangle, on m’outrage !
LE PRINCE.
Pourquoi donc, messieurs, tant crier ?
FALSACAPPA.
Monsieur ne veut pas nous payer !
LE CAISSIER, au prince, montrant Falsacappa.
N’écoutez pas, cet homme est fou !
FALSACAPPA, au prince.
Votre caissier n’a pas le sou !
LE PRINCE, au caissier.
Expliquez-vous, monsieur.
LE CAISSIER.
Oui, mon prince, écoutez.
LE PRINCE.
Est-ce ainsi que mes volontés… ?

On entend au dehors un bruit de castagnettes.

LE CAISSIER.
Pas un mot de plus !… Écoutez !
TOUS.
Écoutez !
L’HUISSIER, entrant par le fond, à droite.

(Parlé.) Une seconde ambassade de Grenade !

LE PRINCE.

(Parlé.) Comment, une seconde ambassade de Grenade ?…

À ce moment, entrent par la porte du fond, à droite, le capitaine des carabiniers, Gloria-Cassis, la princesse de Grenade, Adolphe, Campotasso, le précepteur et les carabiniers. — Tous s’avancent menaçants et les bras tendus vers les brigands terrifiés. — Ce mouvement se fait sur le chœur suivant, qui se chante d’un air sombre.

LES ESPAGNOLS et LES CARABINIERS.
Y a des gens qui se dis’nt Espagnols,
Et qui n’sont pas du tout Espagnols ;
Nous, nous sommes de vrais Espagnols.
Et ceux-ci sont de faux Espagnols.
LA PRINCESSE, au prince.
Moi, je suis la princesse.
ADOLPHE.
Moi, je suis la princesse. Et moi, le petit page.
LES ESPAGNOLS, montrant Campotasso.
Nous en prenons monsieur à témoignage.
LE PRINCE, passant près du capitaine et montrant les Espagnols.
Si ceux-ci sont les vrais,

Montrant les brigands.

Si ceux-ci sont les vrais, ils sont donc faux, ceux-là ?
CAMPOTASSO.
C’est la bande à Falsacappa !
LE CAPITAINE, mettant la main sur le collet de Falsacappa.
Et j’empoigne Falsacappa !

Les carabiniers vont se placer derrière les brigands, qui tombent à genoux, excepté Pietro et Falsacappa.

TOUS.
Falsacappa !
LES BRIGANDS, à part.
Nous sommes perdus,
Et nous allons être pendus !
LES AUTRES, avec joie.
Les voilà perdus !
Ces brigands vont être pendus !
LE PRINCE.

(Parlé.) Menez-moi pendre ces gaillards-là !

FALSACAPPA, à ses compagnons.

(Parlé.) Nous sommes flambés, cette fois !

Les carabiniers se disposent à emmener les brigands, lorsqu’on entend au dehors le refrain de la chanson qu’a chantée Fiorella au premier acte, et l’on voit paraître au fond Fiorella dans son costume de brigande, la carabine sur l’épaule, accompagnée de Fragoletto en petit brigand. — Mouvement général. — Pendant ce mouvement, la princesse et Adolphe se rapprochent du prince et Gloria-Cassis passe près du caissier.

FIORELLA et FRAGOLETTO, descendant lentement en scène.
C’est Fiorella la brune,
La fille du bandit !
Je suis } la fille du bandit !
Oui, c’est
FIORELLA, au prince.
Prince, tu t’en souviens, je t’ai sauvé la vie…
Si tu n’es pas ingrat, amnistie ! amnistie !
FALSACAPPA et LES BRIGANDS
, tombant à genoux.
Amnistie !
LE PRINCE.
Je ne suis pas ingrat, j’accorde l’amnistie.
LES BRIGANDS, se relevant.

(Parlé.) Vive Monseigneur !

GLORIA-CASSIS, au caissier.
Vous avez un compte à me rendre…
Trois millions…
LE CAISSIER, bas.
Trois millions… C’est vrai… mais on pourrait s’entendre…

Lui présentant le billet de mille francs.

Un bon billet de mille francs !
GLORIA-CASSIS, bas, et saisissant le billet.
Je vous comprends.
FRAGOLETTO.
Adieu le vol ! adieu le brigandage !
Nous devenons d’honnêtes gens.
FIORELLA.
Nous donnerons au voisinage
L’exemple d’un tas de vertus !
FALSACAPPA.
Et nous ne frissonnerons plus…
FALSACAPPA, FIORELLA et FRAGOLETTO.
En entendant les bottes, les bottes, les bottes,
Les bottes des carabiniers !
CHŒUR GÉNÉRAL.
En entendant les bottes, les bottes, les bottes,
Les bottes des carabiniers !