Les Cathédrales de France/Testament/Sculpture

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Armand Colin (p. 154-157).


SCULPTURE


Le dessin de tout côté, en sculpture, c’est l’incantation qui permet de faire descendre l’âme dans la pierre. Le résultat est merveilleux : cela donne tous les profils de l’âme en même temps que ceux du corps.

Celui qui a essayé de ce système est à part des autres.

Ce dessin, cette conjuration mystique des lignes qui captent la vie !

Ces choses ont été connues. Elles nous appartiennent comme elles appartenaient aux anciens, aux Gothiques, aux Renaissants. Elles nous reviennent.


Réalité de l’âme que l’on peut mettre dans une pierre, que l’on peut emprisonner pour les siècles ! C’est notre désir de posséder, d’asservir et d’éterniser que nous mettons sur ces yeux, sur cette bouche qui vont vivre et parler.


Ne connaîtrions-nous pas la géographie de notre corps ?

Ce sein est amené par des pentes éloignées qui tournent insensiblement. Tout s’appuie sur des formes générales qui s’entre-prêtent leurs lignes et sont tissées les unes des autres. C’est un concert de formes.

Là l’intelligence observe leur concordance, leur unité, les soupèse. Concordances moins éloignées que nous ne croyons : car nous avons tout divisé par l’esprit, sans pouvoir reconstruire.

Cette forme première de l’intelligence, cette synthèse appartient à peu de gens. La comprend mal celui qui ne l’a pas trouvée par lui-même.

On nous enseigne les choses comme si elles étaient divisées, et l’homme les laisse divisées. Rares ceux qui consentent le patient effort qu’il faut pour les rassembler.

Le secret d’un bon dessin est dans le sens de ses concordances : les choses s’élancent les unes dans les autres, se pénètrent et s’éclairent mutuellement. — C’est la vie.


Le sculpteur fait une description successive de ces choses sans perdre le sens de leur unité.


Qu’il n’y ait pas de suture, que tout se présente comme un dessin fait d’un coup.


N’oubliez pas que le style, en dessin, c’est l’unité, obtenue par l’étude et non par une sorte d’inspiration idéale. C’est la patience, en un mot, qui est la sculpture.


Voyez-vous cette grâce qui se précipite et remplit tout de ses charmes ? C’est l’architecture animée du XVIIIe siècle, c’est l’ornement, que l’on méprise à tort, car, ce style orné, c’est la synthèse même de l’architecture.


Le soulevé, effet magnifique du modelé, paraît multiplier les saillies tout en affirmant, tout en augmentant la simplicité. Mais cet effet serait illusoire si ce « passage » ne s’arrangeait avec tous les autres. C’est l’unité qui est le modelé, et le sculpteur se trompera toujours s’il n’y sait pas réduire ce protée de femme ! Il n’obtiendra l’unité, il ne l’arrachera qu’en faisant la somme des profils.


Dans les marbres antiques, toutes les saillies s’arrondissent, les angles sont camardés. Les courbes ont été interprétées par les Grâces. Nul autre peuple que le peuple grec n’a eu cette souplesse vitale, cette jeunesse. La France a eu la finesse, l’esprit ; peut-être cette suprême ardeur du modelé attendri lui a-t-elle manqué. Il arrive parfois, dans la sculpture française, que le délicieux soit pauvre, que le délicat manque de profil et l’ineffable de réalité ; le voluptueux est en excès. — La vertu de la forme est plus sévère, plus tranquille, normale comme les cieux.

Il n’y a pas de dureté dans le marbre grec, ce patron des patrons. En remplissant les creux, en adoucissant ces saillies inutiles, gênantes, puisque l’atmosphère éternelle finirait toujours par les user, l’artiste grec est parvenu à cette forme qui participe à l’ambiance, à cette atmosphère elle-même. Il travaillait avec une ardeur fiévreuse, mais lucide, et ne se laissait pas entraîner à trahir la nature par le creux, le pauvre, le froid. Ainsi a-t-il réalisé cette œuvre d’immortalité que l’artiste moderne découvre, comprend, à force d’étude et de patience, vingt ans après l’avoir vue pour la première fois : et alors il peut, lui aussi, défier le marbre et dédier son œuvre aux poètes.


Louvre. — La forme du nu divin ! Mes souvenirs, avec un respect voluptueux, retournent sans cesse à la Vénus de Milo, nourrice de mon intelligence.


C’est la perfection de ces membres polis qui me revient à l’esprit quand je pense à ces vastes salles ornées de ces précieux marbres. Il y avait là l’empreinte sacrée du temple ; elle persiste. J’ai connu là cette forme auguste que je vois au nu, je me suis épuré avec elle, elle a rempli ma vie, mon âme, et mon art qui sera la dernière ressource de mon âme, ma dernière pensée.

Le modelé est une puissance ravie par l’étude à la loi des effets du soleil. Ainsi animée, cette puissance participe à la vie, s’insinue dans l’œuvre comme le sang pour y faire circuler la beauté.

Ce n’est pas là une étude morte, que l’on puisse abandonner et reprendre à volonté. Quand la tradition est une fois perdue, c’est pour longtemps : nous en savons quelque chose, nous que l’anarchie actuelle épouvante, nous qui voyons les chefs-d’œuvre tomber sous la pioche des imbéciles et que tyrannise la majorité ignorante.

… Mais les ignorants n’ont-ils pas droit à la vie ? N’ont-ils pas, même, leur utilité dans la vie générale ? Ne sont-ils pas chargés de faire la nuit où doit rentrer le dôme, la flèche ?…

— Oui.


Dans les Tanagras, il y a la nuance féminine ; la discrète grâce de ces membres drapés qui expriment le retrait de l’âme. Nuance que les mots ne sauraient dire.


Plus que tout, l’Égyptien m’attire. Il est pur. L’élégance de l’esprit s’enguirlande à toutes ses œuvres.