Les Cent-Jours

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Les cent jours - 1815 - (Souvenirs du Maréchal Prince d'Eckmühl)
P. Ollendorff (2p. 217-308).
LES CENT JOURS

1815

(Souvenirs du Maréchal Prince d'Eckmühl)

Quand le Maréchal jugea que l’Empereur devait être arrivé aux Tuileries, il s’y rendit aussi, il était à peu près neuf heures. La cour du Carrousel et le vestibule étaient encombrés d’une foule nombreuse, le nom de chaque nouvel arrivant passait rapidement de bouche en bouche et était plus ou moins bien accueilli, suivant le rôle joué pendant l’année qui venait de s’écouler ; celui du Maréchal fut salué de vives et bruyantes acclamations. A son entrée dans le salon, l’Empereur vint au-devant de lui et le pressa avec effusion contre son cœur ; c’était la première fois qu’ils se revoyaient depuis qu’ils s’étaient séparés à Smorgoni, à la fin de la retraite de Russie.
L’Empereur s’informa de la santé de la maréchale, dont il parla dans les termes les plus affectueux ; il complimenta le Maréchal sur la défense de Hambourg et sur la manière victorieuse dont il avait repoussé les calomnies auxque lles il avait été en butte. « Savez-vous, ajouta-t-il avec cette malice qui lui était familière, quand il était sous une impression gaie, savez-vous que ma lettre vous a bien servi ? – Sire, répondit le Maréchal, je ne l’ai donnée que par extrait, parce que Votre Majesté était absente, si je faisais aujourd’hui une seconde édition de mon Mémoire, je la publierais tout entière. » - L’Empereur sourit et, quelques instants après, prenant le Maréchal sous le bras, il l’attira dans l’embrasure d’une fenêtre et lui dit à voix basse : « Laissez partir tout ce monde ; restez, j’ai à vous parler. » A onze heures, ils étaient seuls et la conversation suivante s’établit entre l’Empereur et le Maréchal :
« Nous allons avoir beaucoup à faire et j’ai plus que jamais besoin d’être puissamment secondé. Voici comment j’ai composé mon ministère : l’Archichancelier se chargera provisoirement de celui de la Justice, il connaît à fond tout le personnel de la magistrature et a une grande influence sur elle, personne ne saurait aussi bien aplanir les difficultés à prévoir dans les premiers moments. Le duc de Vicence avait parfaitement réussi auprès des cabinets étrangers, il aura les Relations Extérieures. Je donnerai le Ministère de l’Intérieur au général Carnot, qui a bien servi à Anvers et dont le nom sera bien accueilli par un certain parti ; je le ferai comte de l’Empire, pour ôter à cette nomination une signification républicaine. Pour la Police, j’hésite entre le duc d’Otrante et le duc de Rovigo, qu’en pensez-vous ? – Sire, le duc d’Otrante a une immense réputation, et l’on dit bien du mal du duc de Rovigo. – Ce n’est pas un inconvénient pour un ministre de la Police ; au reste, je donnerai la gendarmerie à Savary, de sorte que je surveillerai par là Fouché, ce qui conciliera le tout. Le duc de Bassano redevient secrétaire d’Etat ; le duc de Gaète, le comte Mollien et le duc Decrès reprennent leurs portefeuilles ; à vous, je vous ai réservé le ministère de la Guerre. – Sire, Votre Majesté peut se le rappeler, dans d’autres temps, je lui ai dit que quelque absolu que fût mon dévouement pour elle, il était trois choses au-dessus de mes forces, et dans le nombre était le ministère de la Guerre. Mes convenances personnelles n’entraient pour rien dans cette manière de voir, je ne les ai jamais consultées quand il s’est agi de l’accomplissement du devoir. Les raisons qui me déterminaient à penser ainsi étaient exclusivement dictées par l’intérêt du service, et dans ma conviction, elles sont encore plus puissantes aujourd’hui qu’alors. – Vous vous trompez ; vous êtes précisément l’homme qui convient le mieux aux circonstances présentes, je dirai presque que vous êtes le seul. Tous se sont plus ou moins compromis avec le régime des Bourbons ; l’injuste disgrâce qui vous a frappé est un titre à la confiance de l’armée. Je veux fermer les yeux sur tout ce qui s’est passé, oublier tous les torts qui me sont personnels et n’être sévère que pour ceux envers la patrie. J’entends rallier tout le monde sous notre vieux drapeau. Comme vous n’avez, pour votre compte, rien à vous faire pardonner, on sera sûr de votre impartialité ; on saura que les nominations faites par vous ne le seront qu’en vue du bien du service et, dans l’opinion on ne les discutera pas comme on le ferait peut-être si elles émanaient de tout autre ministre. – Je remercie Votre Majesté de tout ce qu’il y a de bienveillant dans ses paroles ; mais je persiste à croire que je ne conviens pas au poste qu’elle me destine. J’ai ma manière de servir, qui n’est pas celle de tout le monde. C’est elle qui est cause de cette âpreté de caractère qu’on me reproche, parce que, ne m’épargnant pas moi-même, je ne puis souffrir que les autres s’épargnent, et que je ne leur ménage pas au besoin les expressions de mon mécontentement. Cela m’a réussi à l’étranger, où je pouvais éloigner ceux à qui mes façons d’être ne plaisaient pas ; au ministère, j’aurai tout le monde contre moi et le service de Votre Majesté en souffrira. On m’accuse aussi d’être soupçonneux ; je ne le nie pas et l’événement ne m’a que trop donné raison. Mais, avec les souvenirs si récents de cette dernière année, cette disposition d’esprit peut me rendre injuste, m’empêcher de m’associer, comme il le faudrait, aux idées généreuses de Votre Majesté. Un autre aura ce liant qui me manque et qui est commandé par les circonstances. Quant à moi, si nous devons avoir la guerre, c’est sur les champs de bataille que je servirai Votre Majesté bien mieux que dans des fonctions que, dans mon âme et conscience, dans mon zèle et mon attachement sans bornes pour la personne de Votre Majesté, je persiste formellement à refuser. – Eh bien ! je vais vous parler à cœur ouvert, vous dire tout. Je laisse et je dois laisser encore croire que j’agis de concert avec mon beau-père, l’Empereur d’Autriche ; on annonce de tous côtés que l’Impératrice est en route avec le Roi de Rome, qu’elle va arriver d’un jour à l’autre. La vérité est qu’il n’en est rien, que je suis seul, seul en face de l’Europe. Voilà ma situation, voulez-vous m’abandonner ? – Sire, je n’ai qu’une réponse à faire, j’accepte le ministère. »
L’Empereur alors expliqua au Maréchal qu’il avait, à Vienne, un correspondant placé de manière à puiser ses informations à bonne source, qui lui avait donné connaissance des délibérations les plus secrètes du Congrès. Il en avait reçu l’avis des mesures projetées contre lui à l’instigation des Bourbons, mesures arrêtées en principe et pour lesquelles il ne restait plus qu’à s’entendre définitivement sur les moyens d’exécution et sur le lieu de sa captivité. Il avait compris que ce serait faire une folie et sacrifier sans objet la poignée de braves gens qui l’avaient suivi à l’île d’Elbe, que d’y attendre l’ennemi. Il s’était donc résolu à le prévenir, encouragé dans cette pensée par les rapports qui étaient arrivés de divers points de la France sur l’état de l’esprit public par suite des fautes du gouvernement royal et des provocations insensées de ses principaux adhérents, les nobles et les prêtres. Une circonstance fortuite avait hâté l’exécution des plans de l’Empereur : il avait remarqué que le « Journal des Débats » devait avoir aussi à Vienne un correspondant bien informé, car très souvent il y avait lu des nouvelles dont la publicité anticipée s’accordait parfaitement avec ses propres renseignements. Or, ce journal avait annoncé d’une manière positive que le Congrès serait clos et les souverains repartis pour leurs capitales dans les derniers jours de février. L’Empereur avait jugé devoir profiter de l’occasion pour que son retour en France fût opéré pendant la dispersion et le voyage des souverains, et fût un fait consommé avant même qu’ils eussent eu le temps de se réunir à nouveau. Ce faux renseignement, en précipitant son départ de l’île d’Elbe, a eu l’influence la plus directe sur les événements.
L’Empereur examina ensuite le parti qu’il devait prendre. Devait-il après deux ou trois jours employés à organiser le gouvernement à Paris, continuer sa marche triomphale vers le nord et pénétrer en Belgique ? Les forces anglaises et prussiennes étaient disséminées, les principaux généraux absents, notamment le duc de Wellington, qui était à Vienne. L’enthousiasme de toute une population, depuis Lille jusqu’au Rhin, était peut-être plus grand encore celui des départements de l’Est ; une grande partie des troupes qui étaient dans ce pays partageaient l’esprit des habitants, surtout les soldats belges et saxons, et même, assurait-on, un certain nombre de militaires prussiens qui s’étaient levés en 1813 au nom de la liberté, et qui voyaient combien, après la victoire, on s’était joué des promesses faites au jour du danger.
Tels étaient les motifs qui devaient déterminer l’Empereur à quitter Paris et à se porter en avant. Voici maintenant les raisons qui le faisaient hésiter : on lui avait donné de vives inquiétudes sur la garde nationale de Paris, inquiétudes qui ont fait différer de deux ou trois semaines la revue de cette garde. De plus, il ignorait la route suivie par le Roi et les Princes, le plus ou moins de succès des tentatives faites dans l’Ouest et dans le Nord au profit de la cause royale. Dans cette double incertitude, il devait redouter une révolution opérée derrière lui dans la capitale, où sa présence comprimait sans peine tous les mauvais vouloirs.
Deux jours après son arrivée à Paris, il dut ajourner tout projet de départ, en apprenant que la cocarde blanche que le général Dupont avait fait quitter à Orléans à la nouvelle de sa marche sur Paris, y avait été reprise par suite de la présence et des ordres du Maréchal Gouvion-Saint-Cyr ; le Duc de Bourbon était dans la Vendée et les mouvements de ce maréchal se liaient à ceux du prince. La prudence commandait donc à l’Empereur de ne s’éloigner de Paris qu’après avoir fait reconnaître son autorité. Ces deux causes cessèrent par le ralliement de toutes les troupes à la cause nationale et par le départ du Duc de Bourbon de la Vendée ; elles furent remplacées par la marche du Duc d’Angoulême sur Lyon. Les inquiétudes que l’on eut sur la sûreté de cette seconde ville de France ne permirent pas à l’Empereur de quitter Paris avant qu’elles fussent dissipées. Lorsqu’elles le furent, il était trop tard, parce que les troupes, en Belgique, étaient réunies, augmentées de régiments anglais et prussiens et les généraux à leur poste ; l’armée française étant encore peu nombreuse et non organisée avait peu de chances de succès.
On pourrait ajouter que, si l’Empereur avait des raisons personnelles de rester à Paris, il eût pu charger un des ses généraux de l’envahissement de la Belgique ; mais la personne seule de Napoléon pouvait produire en Belgique le même effet qu’elle avait produit de Cannes à Paris. Le prestige de sa marche avait étonné et électrisé toutes les imaginations, c’était en la continuant qu’il eût obtenu les mêmes résultats. Restant lui-même à Paris, la marche d’un de ses généraux ne présentait plus que les chances d’une guerre ordinaire, celles du nombre et de valeur des troupes qu’il aurait pu amener, ce qui est peu de monde.
Cette conversation se prolongea jusqu’à une heure du matin et le Maréchal, en sortant des Tuileries, prit possession du ministère de la guerre, pour exécuter les ordres de l’Empereur, dont plusieurs étaient d’une urgence extrême. Pour s’opposer à sa marche, le gouvernement royal avait prescrit des concentrations de troupes qui, des frontières où elles étaient établies, se portaient sur des points de l’intérieur. Sous les Bourbons, leurs relations avec les puissances étrangères rendaient ce mouvement sans danger ; il n’en était pas de même sous l’Empereur. Nos frontières étaient dégarnies, nos places fortes sans défense à la merci de l’étranger, qui pouvait les surprendre brusquement, ou y être introduit par trahison. Il n’y avait donc pas un moment à perdre pour conjurer ce danger. Des mesures furent prises en conséquence ; le duc de Bellune qui était chargé de la formation d’une armée à Châlons-sur-Marne, reçut l’ordre de se rendre à Paris et de remettre son commandement au général Rigaud. Les officiers généraux qui commandaient dans les divisions militaires de la frontière et dans les places, eurent connaissance des événements par le télégraphe et reçurent les instructions les plus précises pour pourvoir à la sûreté du pays, sans que les précautions à prendre pussent avoir l’apparence même d’une reprise d’hostilités. Il fut pourvu au remplacement de ceux qui n’inspiraient pas toute confiance ; leurs successeurs désignés eurent ordre de se rendre immédiatement à leur poste quand ils ne furent pas pris sur les lieux mêmes, et ces mesures s’appliquèrent aussi bien aux ports de l’Océan qu’aux places des frontières de terre.
Des aides de camp du ministre, des officiers intelligents et connaissant les localités, furent envoyés en mission dans toutes les directions pour imprimer le mouvement et lever les difficultés qui pouvaient se présenter dans la confusion de ces premiers moments.
La retraite du Roi et des Princes était l’objet d’assez sérieuses préoccupations. Par la route qu’il avait prise, on supposait avec toute probabilité qu’il comptait s’embarquer pour l’Angleterre soit à Boulogne, soit à Calais. On apprit, qu’arrivé à Abbeville, le Roi avait été informé que le vent était contraire et que l’état de la mer rendait l’embarquement sinon impossible, du moins incertain ; qu’alors ce prince avait changé de route et s’était dirigé sur Lille. Ce changement d’itinéraire pouvait devenir la cause d’une grave complication, si le Roi s’établissait dans cet important boulevard de notre frontière du nord et y appelait à son aide les forces étrangères, qui étaient à portée et que son autorité y eût fait entrer. Ces craintes furent dissipées par la conduite aussi ferme que patriotique du duc de Trévise. Ce maréchal était gouverneur de la 16e division militaire et s’y était rendu, par ordre du Roi, après la tentative avortée du comte d’Erlon ; il eut donc à accueillir le monarque fugitif et il sut admirablement concilier les égards pour les infortunes royales avec ses devoirs envers le pays.
Dès le 21 mars, le ministre de la guerre s’était mis en communication avec lui, en profitant du départ de M. Mortier, son frère, pour lui adresser une dépêche dans laquelle il le conjurait chaleureusement, au nom de la patrie, de faire tout pour empêcher les places fortes de tomber au pouvoir de l’étranger. Comme le Maréchal en était sûr à l’avance, cet appel fut entendu. Le Roi fut entouré des mêmes égards qu’aux Tuileries, mais il lui fut aisé de comprendre qu’il n’était plus le maître à Lille, où sa maison militaire ne fut pas admise par prudence. Il ne put se méprendre sur les véritables dispositions des troupes de la garnison, que le sentiment des convenances empêchait d’éclater en sa présence et qui n’attendaient pour cela que son départ. L’ensemble des vigoureuses mesures prises pour accélérer ce départ détermina le Roi à sortir de France, ce qu’il fit, le 23, à quatre heures du soir, en quittant Lille pour se rendre à Menin.
Il laissa derrière lui le Duc d’Orléans, investi de tous ses pouvoirs : quand ce prince fut certain que le Roi avait franchi la frontière, il partit lui-même pour Tournay, le 24, à deux heures de matin. En s’éloignant, il s’adressa aux généraux du corps de réserve qu’il commandait une lettre conçue en ces termes :

Lille, 23 mars 1815

Je vous préviens, mon cher Général, que les malheureuses circonstances où nous nous trouvons, ayant déterminé le Roi à sortir de France cet après-dîner à quatre heures, je vous dégage de l’observation des ordres que je vous ai transmis en son nom, et je m’en rapporte à votre jugement et à votre patriotisme pour faire ce que vous croirez plus convenable aux intérêts de la France et à vos devoirs.
Une dépêche télégraphique, expédiée à 6 heures du matin, transmit cette nouvelle à Paris et fut suivie d’une lettre du duc de Trévise, qui, en confirmant tous les détails du départ du Roi, annonçait que les mesures étaient prises dans toutes les places de son gouvernement et qu’on pouvait être sans inquiétude sur leur conservation.
Si l’Empereur l’eût voulu, rien ne lui était plus facile que d’intercepter la fuite du Roi et de s’emparer de sa personne et de celles des princes de sa famille. Le fond comme la forme de l’ordonnance royale du 6 mars, qui enjoignait de lui « courir sus » comme étant un malfaiteur hors la loi, autorisait des représailles, non en vue d’exercer des sévices réprouvés par l’opinion, mais pour faire contraster la générosité de sa conduite avec les procédés employés à son égard. L’Empereur n’en eut pas un instant la pensée. Quelque courte qu’eût été la captivité de la famille royale, elle eût été un embarras pour lui. Il était bien plus avantageux à ses intérêts de la laisser sortir en toute hâte de la France, sans qu’il y eût eu un seul coup de fusil tiré ; il regardait cela comme une abdication plus légitime que celle qu’il avait été obligé de donner à Fontainebleau, au milieu des baïonnettes étrangères.
Cette politique détermina la conduite à suivre pour les autres membres de la famille royale qui, sur différents points, tentaient des efforts impuissants pour une cause perdue. Le duc de Bourbon avait été envoyé dans l’ouest, avec mission de ranimer la vieille insurrection vendéenne ; la duchesse d’Angoulême était à Bordeaux, y déployant un courage viril ; le Prince, son mari, s’était porté dans le midi, pour en soulever les populations sur les derrières de l’Empereur et regagner le terrain qu’il avait conquis.
Une armée, dite de la Loire, devait relier entre elles ces trois opérations auxquelles le cours de ce fleuve aurait servi de base générale. Le maréchal Gouvion Saint-Cyr avait reçu le commandement de cette armée, dont le noyau se rassemblait à Orléans.
On a vu plus haut que le général Dupont y fit quitter aux troupes la cocarde blanche que le maréchal Saint-Cyr la leur fit reprendre. C’était le 21 mars, alors qu’on ignorait encore l’arrivée de l’Empereur à Paris.
Le maréchal Saint-Cyr fit arrêter le général Pajol, commandant de la cavalerie, qui était opposé à ses vues ; il fit fermer les portes d’Orléans pour empêcher toute communication des troupes avec le dehors, et somma le payeur de mettre à sa disposition une somme de 600 000 francs, que le Conseil général du Loiret, d’accord avec le général Dupont, avait votée pour les frais de la guerre contre Napoléon. L’officier qui portait au général Saint-Cyr les ordres du ministre de la guerre, communiqua avec le 1er régiment de cuirassiers, auquel il fit connaître les événements de Paris, le départ du Roi, l’arrivée de l’Empereur. Les portes d’Orléans furent enfoncées, toutes les troupes arborèrent avec enthousiasme la cocarde tricolore ; le général Pajol, remis en liberté, prit le commandement en vertu des ordres du ministre, et le maréchal Saint-Cyr disparut, sans qu’on sût la route qu’il avait prise.
Cette espèce de retour offensif sans objet, qui avait dérangé les plans de l’Empereur, fut donc promptement réprimée. La possession d’Orléans était importante, puisque c’était le principal point de communication avec les provinces au-delà de la Loire, et que, de plus, les opérations royalistes se trouvèrent ainsi isolées les unes des autres et facilement réduites à l’impuissance. L’Empereur tenait beaucoup à éviter la guerre civile ; le plus sûr moyen de l’empêcher d’éclater était dans la rapidité et l’énergie des mesures prises pour paralyser l’action des princes sur les populations.
A cet effet, des généraux d’une capacité et d’une résolution éprouvées, comme le général Clausel, le général Morand, furent dirigés sur Bordeaux et sur l’ouest ; ils furent investis de très grands pouvoirs et toutes les forces disponibles dans les limites de leur commandement furent placées sous leurs ordres. Serré de très près et reconnaissant l’impossibilité absolue de rien tenter de sérieux et d’utile, le duc de Bourbon quitta le premier le sol français. Madame la duchesse d’Angoulême ne tarda pas aussi à s’embarquer sur une frégate anglaise, quand elle vit ses communications coupées avec son mari et elle-même enfermée dans une ville dont la garnison ne lui avait pas laissé ignorer qu’elle ne devait pas compter sur elle pour la guerre civile.
Au moyen de l’insurrection du midi et de quelques régiments que sa présence et l’influence des chefs avaient retenus au service de la cause royale, le duc d’Angoulême s’était fait une petite armée avec laquelle il manoeuvrait sur le cour inférieur du Rhône. Son but était de remonter ce fleuve et de rentrer dans Lyon. La rapidité de la marche de l’Empereur sur Paris déconcerta ce plan et bientôt le Prince, après quelques succès insignifiants, se vit lui-même cerné par une insurrection en sens inverse de celle qu’il dirigeait. Dès le 22 mars, des officiers étaient partis de Paris avec la mission expresse de faire connaître aux populations du midi la réalité des faits et de se concerter avec les autorités militaires sur les mesures à prendre suivant les circonstances locales. Toutes les forces devenues libres par le départ du duc de Bourbon et de la duchesse d’Angoulême furent dirigées à marches forcées vers le théâtre des événements et le général Grouchy se rendit à Lyon, investi du commandement supérieur, pour réunir dans sa main tous les pouvoirs et imprimer une impulsion commune à ces actions un peu divergentes, où des tiraillements, des conflits d’autorité commençaient déjà à se faire sentir. La vigueur du général Gilly laissa peu de chose à faire au général en chef, puisque le duc d’Angoulême avait été obligé de capituler, quand il intervint pour annuler cette capitulation.
L’Empereur fut assez contrarié de cette mesure du général Grouchy ; il ne le témoigna cependant pas et se borna à rajouter à la capitulation une stipulation pour la restitution des diamants de la couronne, stipulation sur l’exécution de laquelle il ne se faisait du reste aucune illusion.
Ainsi, dès les premiers jours d’avril, les craintes de guerre civile étaient évanouies ; l’Empire était reconnu partout et, pour le moment du moins, libre de toute préoccupation intérieure, le gouvernement pouvait se consacrer exclusivement aux soins que réclamait sa situation à l’égard des puissances étrangères.
Cette situation était grave et n’offrait aucune incertitude sur l’étendue, comme sur l’imminence du danger. Presque dès son arrivée à Paris, l’Empereur avait connu, par la correspondance même du Prince de Talleyrand avec le gouvernement du Roi, l’acte du Congrès de Vienne en date du 13 mars, qui mettait sa personne au ban de l’Europe, provoquait en quelque sorte à son assassinat et posait les bases d’une nouvelle coalition pour le renverser, si son entreprise réussissait, ce que le Congrès ignorait encore, mais paraissait prévoir le jour où il délibérait.
Dans les correspondances interceptées du duc et de la duchesse d’Angoulême, dans celles des principaux agents royalistes dans le midi, et notamment M. de Vitrolles, on avait acquis la preuve que le concours armé des souverains étrangers avait été réclamé et qu’il avait été ou formellement promis, ou tout au moins annoncé d’une manière à peu près certaine.
Ainsi il était évident qu’on allait avoir la guerre avec toute l’Europe et que les hostilités commenceraient sitôt que l’ennemi serait prêt et en ligne, c’est-à-dire dans un délai qui ne pouvait excéder trois mois.
C’eût été une erreur volontaire que de se flatter d’obtenir du pays les efforts gigantesques qu’il avait faits spontanément dans les deux dernières années de la guerre.
Alors il n’y avait qu’un sentiment, qu’un élan unanime pour la cause nationale ; les choses étaient bien changées par les événements de 1814. Si, dans les départements de l’est, auxquels l’ennemi avait si cruellement fait expier leur héroïque résistance et dont les ruines étaient encore toutes fumantes, le sentiment patriotique était surexcité par les souvenirs de l’invasion, il n’en était pas de même dans les départements du littoral. Ruiné par douze ans de guerre maritime, leur commerce avait vu, depuis la paix, un retour de prospérité qu’ils étaient menacés de perdre ; ils étaient donc généralement hostiles à l’Empereur. La Normandie, la Bretagne, la contrée qui avait été le théâtre des guerres de la Vendée, enfin, les départements compris dans une ligne tirée de celui de la Gironde à celui des Bouches du Rhône, présentaient des dispositions analogues. Une minorité ardente, dévouée plutôt à la Révolution qu’à l’Empereur, offrait un concours assuré parce qu’elle identifiait les deux causes ; mais par suite de différentes influences, surtout par des intérêts de diverse nature, la majorité y était plutôt contraire que favorable au changement qui venait de s’opérer. A Paris même, ce n’était pas seulement le faubourg Saint-Germain, l’ancienne noblesse qui combattait le gouvernement ; le monde de la finance de la Chaussée d’Antin n’était pas moins prononcé contre lui, ainsi que la haute bourgeoisie.
Il y avait sans doute à tenir compte de ces oppositions ; mais il ne fallait pas s’en exagérer l’importance. Elles n’étaient à craindre qu’en cas de revers ; le succès les ferait tomber d’elles-mêmes. C’est au dehors que devaient s’aplanir les difficultés du dedans : c’est sur les champs de bataille que se trancherait le nœud gordien ; il fallait bien se pénétrer de cette vérité et agir en conséquence.
Toutefois, dans cette disposition des esprits, c’était à l’énergie du gouvernement à créer des ressources proportionnées à ce qu’exigeaient les circonstances et, avec la perspective assurée de la guerre, il fallait songer avant tout aux moyens de la soutenir.
L’armée avait été désorganisée ; son recrutement était suspendu. Bien que la conscription en soit le mode le plus équitable et le plus rationnel et que le Roi et les chambres ayant eu depuis la sagesse d’y revenir en lui donnant une autre dénomination, elle était alors abolie et trop odieuse pour songer à la remettre en vigueur immédiatement. Ce n’était donc que dans les débris de l’armée de 1814 que l’on pouvait trouver de bons éléments pour l’accroissement des forces militaires de la France.
Ce n’était qu’imparfaitement et par approximation qu’on pouvait calculer le chiffre de nos troupes au mois d’avril 1814 ; il n’y avait pas eu, par force des choses, d’états de situation réguliers, au milieu de mouvements si compliqués et de si brusques mutations. Voici cependant ce qu’on pouvait considérer comme résultant de données à peu près certaines.
La grande armée, agissant sous les ordres de l’Empereur, pouvait s’évaluer à 50 000 ; l’armée d’Espagne à 41 000 ; l’armée d’Aragon à 24 000 ; l’armée de Lyon à 27 000 ; l’armée d’Italie à 32 000.
Il faut ajouter à ces forces un corps d’observation de la Gironde, qui était fort environ de 6000 hommes.
Total des armées opérant activement : 180 000 hommes
Les garnisons occupaient la plus importante partie des forces militaires de la France.
Celles de l’ancienne France proprement dite pouvaient s’élever à 95 000 hommes. Les garnisons d’Allemagne (Hambourg, Magdebourg, Erfurt, Wurtzbourg, Glogau) à 60 000 hommes ; celles d’Italie à 9 000 hommes ; de Corfou à 6 000 hommes. Les troupes provenant des 27e et 28e divisions militaires, 16 000 hommes. Les garnisons d’Espagne et de Catalogne, 24 000 hommes. Enfin les vingt-neuf places cédées aux alliés par la fatale convention du 23 avril et qui ne font pas double emploi avec les garnisons ci-dessus énumérées contenaient 55 000 hommes.
Total des garnisons : 265 000 hommes
Ainsi la France pouvait être considérée comme ayant sous les drapeaux, au 1er avril 1814 : 445 000 hommes.
A ce nombre, il convenait d’ajouter les prisonniers de guerre, puisque les puissances les avaient rendues. On n’avait pas même d’aperçu sur ceux qui avaient succombé aux événements de la guerre ; mais voici ce que produisaient les états de situation des hommes rentrés.
L’Angleterre en avait rendu 60 000, l’Espagne 12 000, l’Allemagne, 16 000 ; la Russie, 30 000 ; la Prusse, 7 000 ; la Suède, 1 000.
Total des prisonniers, 126 000
Dans les prisonniers de guerre étaient comprises les garnisons de Dantzig, Stettin, Küstrin, Torgau, et Spandau.
Ces 126 000 prisonniers, joints aux 465 000 sous-officiers ou soldats que la France pouvait avoir sous les drapeaux au 1er avril 1814, portaient la force militaire d’alors à 571 000 (sic) hommes. Ce résultat était obtenu par des calculs modérés, plutôt en dessous qu’en dessus de la vérité.
Quel étonnement ne devait-on pas éprouver, en voyant ce que onze mois avaient fait perdre à l’armée française, puisqu’au 1er mars 1815 les états de situation ne l’élevaient qu’à 230 000 hommes, dont 180 000 seulement étaient présents sous les drapeaux !
Il était facile d’assigner les causes de cette énorme diminution.
Un acte du gouvernement provisoire, en date du 4 avril, détendit subitement tous les ressorts de la force militaire. Cet acte provoquait tous les soldats à quitter les drapeaux. Cette disposition ne fut que trop favorisée par les puissances alliés qui occupaient une moitié de la France. Elles excitaient les militaires à rentrer dans leurs foyers. C’était un mouvement général qu’on ne cherchait pas et qu’on eût vainement cherché à contenir. On peut, sans exagération, évaluer à 190 000 le nombre des militaires, qui, par l’effet de cette première désorganisation, se hâtèrent de quitter l’armée.
Dans l’état d’ignorance absolue où l’on était de la force des garnisons, de celle des armées agissantes, du nombre des prisonniers de guerre, des pertes journalières résultant de la désertion, à peine une organisation provisoire était-elle possible. Cependant on arrêta une organisation définitive un mois après les événements du 1er avril 1814 ; cette organisation fut fixée par des ordonnances du 12 mai.
C’est dans la situation des finances qu’il faut chercher le secret de cette organisation. L’armée ne fut considérée que comme un objet de dépense. On ne crut point le trésor assez soulagé par la désertion de près de 200 000 soldats et on arrêta l’organisation étroite du 12 mai, autour de laquelle vinrent se presser avec trop d’abondance encore les restes d’une nombreuse armée. Les régiments d’infanterie furent réduits de 4000 à 1400 hommes ; ceux de cavalerie, de 1200 à 600 ; on supprima, en outre, un tiers des régiments existants.
L’esprit militaire se refusait encore à ces suppressions et le nombre des soldats fidèles à leurs drapeaux ne pouvait trouver place dans cette nouvelle organisation. On avait d’abord renvoyé les conscrits de 1815, comme ayant été appelés par anticipation ; les corps en avaient reçu 46 000 qui furent congédiés.
Les ordonnances autorisèrent la délivrance de congés à tous les militaires, excédant le complet fixé par l’organisation du 12 mai. Les Inspecteurs généraux d’armes n’en purent placer que 106 000. Plusieurs corps se trouvèrent avoir, même après l’organisation et la délivrance des 106 000 congés, un excédant de 9000 soldats. On voulut encore les congédier, et ils furent renvoyés dans leurs foyers en congé illimité.
L’armée ne devant plus se composer que de soldats de l’ancienne France, elle perdit encore environ 25 000 militaires, qui étaient étrangers ou qui appartenaient aux départements que le traité du 31 mai a fait perdre.
Enfin le mouvement des prisonniers de guerre rentrant et qui retournaient à leurs corps, fatiguait encore les finances ; on prit le parti d’envoyer dans ses foyers, en congé illimité, le quart de l’effectif restant sous les drapeaux, ce fut encore une diminution de 50 000 hommes.
En récapitulant les réductions dont les causes et les chiffres viennent d’être exposés, on voit qu’elles s’élevaient à un total de 426 000 hommes.
La rapidité de ces réductions fit naître enfin quelque inquiétude sur l’appauvrissement de l’armée. On voulut essayer d’arrêter la désorganisation. On avait cherché, dès le principe, à pallier la désertion des 190 000 soldats que les actes du gouvernement provisoire firent rentrer dans leurs foyers. On les avait déclarés en congé illimité, par une ordonnance du 15 mai. On renouvela cette déclaration par une autre ordonnance du 8 août, qui y ajouta tardivement la prohibition des mariages.
Cependant l’armée restait fort au-dessous de ce qu’exigeait le système de défense le plus modéré et, sous le prétexte de la reporter au pied de paix, on fit un appel de 58 000 hommes sur les 190 000 qui étaient rentrés dans leurs foyers. Cette mesure parut préférable au rappel des 50 000 hommes qui venaient tout récemment d’être envoyés en congé limité, pour le quart de l’effectif et dont le départ faisait déjà naître un premier regret. Au 20 mars 1815, l’appel de ces 58 000 hommes n’avait encore produit que 35 000 hommes incorporés. L’effectif de l’armée ne se composait donc que de 230 000 soldats dont 180 000 sous les drapeaux et 50 000 en congé limité. Comparée à ce qu’elle était au 1er avril 1814, l’armée avait donc perdu 341 000 hommes. Dans cette perte, il fallait considérer comme irrévocable celle des 106 000 hommes qui avaient reçu des congés définitifs et celle des 25 000 étrangers. Quant aux 46 000 conscrits de 1815, on ne pouvait les considérer que comme une ressource à venir dans la population soumise au recrutement et non comme une force disponible.
Il ne restait donc de pertes recouvrables pour l’armée, que les 155 000 hommes considérés par les ordonnances du 15 mai et du 8 août comme en congé limité, et les 9 000 militaires excédant le complet et envoyés dans leurs foyers en congé illimité. Ces deux éléments réunis présentaient une masse de 164 000 hommes, mais on se serait trompé si on les eut considérés intégralement comme une ressource effective.
Il ne fallait pas perdre de vue qu’ils avaient quitté des premiers l’armée et montré un commencement d’insoumission ; que c’était la portion des levées la moins propre au service, celle qui avait été appelée dans un besoin extrême, parmi des hommes déjà réformés ou qui étaient les soutiens de leur famille. Onze mois leur avaient fait oublier la vie militaire, reprendre les habitudes de la vie civile, et enfin un grand nombre d’entre eux avaient pu se marier, ayant eu la liberté de le faire jusqu’à la prohibition du 8 août.
Il était donc constant qu’il y avait lieu à beaucoup d’exemptions et, à cet égard, on avait un moyen facile et concluant d’évaluation. Lors du rappel des 58 000 hommes, dont il vient d’être question, les revues passées dans les départements par les inspecteurs généraux avaient eu pour résultat de constater qu’une moitié environ des militaires rentrés dans leurs foyers avaient droit à l’exemption. Sur cette base, on ne pouvait pas compter que les 164 000 hommes existant dans l’intérieur en fournissent plus de 82 000 à l’armé active. Ce partage égal entre l’armée et la population était le plus rationnel et le plus équitable et ce fut la donnée qu’accepta le Maréchal pour proposer à l’Empereur les mesures destinées à les rappeler sous les drapeaux.
Il insista pour qu’on usât de grands ménagements et que l’on confiât l’opération aux Préfets, de concert avec les généraux commandant dans les départements. La première chose à faire était d’accorder des congés absolus aux militaires mariés et à ceux reconnus impropres au service ou soutiens indispensables de leurs familles. Quant aux militaires propres au service, et qu’on évaluait à 80 000, pour en perdre le moins possible, il en serait immédiatement dressé, par arrondissement, un contrôle matricule, en employant pour cette opération des officiers à demi-solde bien choisis, qui les auraient sous leur surveillance une fois portés au contrôle ; 2 500 environ y seraient nécessaires. Les ressources réelles étant bien connues, on en disposerait, en formant au fur et à mesure des détachements qui seraient conduits par ces mêmes officiers aux dépôts fixes des corps. Le Maréchal calculait qu’il faudrait à peu près six semaines pour que les hommes à recueillir fussent bien connus et pussent commencer à être mis en mouvement. Ainsi sans secousse, sans effort extraordinaire, on en aurait grossi l’armée dans les premiers jours de mai. L’Empereur approuva ces mesures qui reçurent successivement leur exécution.
Dans l’hypothèse la plus favorable, celle où ces 80 000 soldats rejoindraient tous l’armée, ils n’en élevaient le chiffre qu’à 310 000 hommes. En en défalquant les dépôts, les non valeurs de toute nature, les troupes indispensables à la sûreté de l’intérieur, à la conservation de la Corse et de l’île d’Elbe, s’il fallait encore pourvoir aux garnisons des places fortes qui n’exigent pas moins de 100 000 hommes, l’armée serait trop faible pour rien entreprendre et même pour protéger nos frontières et soutenir la lutte inégale qui allait s’engager. Il était essentiel de la rendre tout entière disponible et susceptible d’être mise en ligne au commencement des hostilités.
Dans un pays comme la France où la population est naturellement belliqueuse, une institution dont elle est en possession depuis 1789 et qui avait rendu de grands services en 1813, la Garde nationale offrait le moyen de résoudre ce difficile problème.
Un décret du 10 avril lui donna une organisation gigantesque, qui n’était rien moins que l’armement en masse de toute la nation, puisqu’il prescrivait la formation de 3130 bataillons, qui, à 720 hommes chaque, donnaient 2 255 000 gardes nationaux, c’est-à-dire le treizième de la population totale de la France.
Il est inutile de dire que de pareils chiffres n’étaient faits que pour rester sur le papier ; mais le plan du gouvernement était de former en compagnies de grenadiers et de chasseurs l’élite de cette population, la portion la plus jeune et la plus valide, et de la mobiliser pour la défense des places et celle de certains passages et postes fortifiés. On calculait qu’il serait aisé de créer ainsi 400 bataillons de gardes nationales, présentant une force à peu près égale à celle de l’armée active. Il serait peu prudent d’opposer en rase campagne la garde nationale à des troupes exercées ; au commencement des guerres de la Révolution, à Neerwinden, par exemple, nous en avons fait l’épreuve. Mais, derrière les épaulements des fortifications, n’étant exposée ni aux charges de cavalerie, ni à ces mouvements rapides et imprévus qui la troublent et l’effrayent, ayant toujours l’ennemi en face, la garde nationale ne tarde pas à s’aguerrir, à se familiariser avec les émotions du combat et à tenir aussi solidement que les vieilles troupes. Si l’institution était bien comprise et sérieusement organisée, en vue d’un but utile et pratique et non d’une vaine parade, elle serait la réserve naturelle de l’armée active, qui pourrait être moins nombreuse, au grand soulagement du trésor, et, quand la circonstance l’exigerait, elle serait en mesure de rendre au pays les immenses services que la Prusse et l’Autriche ont obtenus d’institutions analogues.
Moins encore pour soulager le ministère de la guerre, déjà accablé de travaux, que pour laisser à l’institution son caractère civil, le ministère de l’Intérieur demeura chargé de l’organisation des gardes nationales. Ce fut peut-être un malheur, parce qu’on ne déploya pas toute l’activité nécessaire en présence d’une guerre aussi imminente. Il y avait eu, par la force des choses, un remaniement général des préfets ; ces fonctionnaires, nouveaux dans leur poste, avaient besoin de prendre connaissance des nombreuses affaires dont ils étaient chargés ; plusieurs ne s’empressèrent pas de s’y rendre. On ne comprenait pas assez que les moments étaient comptés, qu’un jour perdu pouvait être un mal irréparable.
D’un autre côté, les départements, déjà obérés, ne firent qu’avec répugnance et une extrême lenteur les frais d’équipement des gardes nationales. Il eût été indispensable d’y pourvoir par des réquisitions qui, faites avec ordre et régularité, auraient tout à la fois assuré le service et le payement ultérieur à juste prix des objets requis.
Les préfets n’osèrent prendre sur eux de procéder ainsi ; on sacrifia le fond à la forme, on oublia que le premier des devoirs, comme des intérêts, était la défense de la patrie et de son indépendance menacée. Quand, à la fin de mai, l’imminence des hostilités eut fait proclamer l’état de siège dans tous les pays rapprochés de la frontière ou troublés par la guerre civile, on vit, à l’activité et à la vigueur déployés par l’autorité militaire, ce qu’on aurait pu attendre d’elle si, dès le principe, elle avait été chargée d’une opération qui se rattachait si intimement à la défense générale du pays.
Pour donner plus de nerf à la garde nationale, suppléer à son inexpérience et lui infuser un principe tout militaire, le Maréchal proposa de s’adresser aux militaires retirés du service, de faire un appel à leur patriotisme et à leur amour pour l’Empereur. On ne leur demanderait qu’un service tout spécial et pour un temps limité, pendant lequel ils conserveraient leur pension qu’ils cumuleraient avec le traitement d’activité qui leur serait alloué. Cette mesure fut adoptée ; mais elle ne produisit pas les résultats qu’on était en droit d’attendre, parce qu’on n’apporta pas à son exécution le zèle et l’intelligence désirables. Encore une fois, l’administration civile ne comprit pas que tout se résumait dans le succès de nos armes.
Ce reproche, du reste, ne saurait s’adresser aux hautes régions du pouvoir. Le ministre de l’Intérieur fit ce qui dépendait de lui et, s’il ne fut pas toujours bien servi par ses subordonnés, ce fut la faute des circonstances et non la sienne. Les ministres des finances et du trésor firent de véritables prodiges. Ils pourvurent aux dépenses d’un immense armement en employant avec une rare habilité les ressources existantes, en en créant de nouvelles sans recourir à des expédients ruineux ou désespérés ; les fonds furent toujours faits à jour fixe avec une merveilleuse exactitude et, dans ces circonstances, le duc de Gaète et le comte de Mollien se montrèrent les dignes auxiliaires de la pensée de l’Empereur, dont on ne saurait trop admirer le génie en matière d’administration.
Tel était l’ensemble des moyens combinés pour mettre rapidement sur un pied respectable la défense de la France. Afin d’en assurer l’efficacité, il était nécessaire de ne donner le commandement qu’à des chefs qui possédassent à la fois la confiance du gouvernement et celle des soldats. Or, de récents souvenirs pouvaient altérer l’une et l’autre. De plus, il avait été fait de nombreuses promotions depuis le 1er avril 1814. Les annuler en bloc et sans examen n’eût été ni équitable, ni politique ; car, si plusieurs avancements avaient été donnés à l’intrigue, à la faveur, à l’opinion politique, plusieurs aussi étaient des récompenses loyalement gagnées et justement accordées ; plusieurs n’étaient même que la régularisation officielle de nominations faites d’urgence, devant l’ennemi, pendant la dernière campagne.
Il y avait donc à faire un triage, une épuration : le Maréchal n’en déclinait pas la responsabilité morale ; mais, comme il était matériellement impossible qu’il exécutât ce travail par lui-même, il eût fallu en charger les bureaux. Quelque confiance qu’il eût en eux, il ne pensait pas qu’on pût en faire les arbitres de l’état des officiers. Il jugea qu’une commission d’officiers généraux bien choisis offrirait à la fois plus de garanties et aurait plus d’autorité morale. Il en proposa donc la formation à l’Empereur, qui l’approuva, et posa les règles qui devaient guider la commission dans l’appréciation de la collation des grades, de celui de chef de bataillon à celui de lieutenant général inclusivement. Ce document a été publié au Moniteur, et l’armée ne pourrait que gagner si, dans les nominations à faire, on se conformait toujours aux principes de sévère équité et de saine administration qui y sont consignés.
Outre son objet ostensible, cette commission en avait un autre moins important dans les circonstances graves où l’on était. Les dossiers de tous les officiers devant être soumis à son examen, on y trouvait le moyen de faire sans éclat, sans perturbation, une enquête officieuse sur le personnel militaire tout entier et d’en écarter, soit provisoirement, soit définitivement, les éléments sur lesquels on ne pouvait pas compter. Au reste, cela se fit dans un sens large et libéral. Conformément aux volontés bien exprimées de l’Empereur, les proclamations, les manifestations de circonstance furent considérées comme non avenues, on passa l’éponge sur tous ces souvenirs. On n’attacha d’importance qu’à ce qui, dénotant l’existence de coupables intelligences dans le passé, pouvait en faire craindre le retour dans l’avenir : c’est-à-dire qu’il ne présenta que quelques cas rares et exceptionnels. L’Empereur au surplus avait déjà pourvu au plus pressé par son décret de Lyon, du 13 mars, qui éloignait de l’armée tous les généraux improvisés, ne comptant d’autres services que ceux de l’émigration ou de la guerre civile.
L’examen auquel on se livra amena d’étranges révélations. Le gouvernement royal avait prodigué les grades avec la plus aveugle profusion. L’appât de cette curée avait fait surgir toutes les ambitions de bas étage : les demandes avaient afflué ; on avait fait valoir des services de toute date, de toute nature. Quelques-uns s’étaient vantés du mal qu’ils n’avaient pas fait ; il en était même qui n’avaient pas rougi de réclamer le salaire de crimes imaginaires. Ainsi, pour ne citer qu’un seul exemple, on avait donné le grade de chef d’escadron à un misérable intriguant qui prétendait avoir formé le projet d’assassiner l’Empereur à l’ouverture de la dernière session et n’en avoir été empêché que parce que cette ouverture n’eut pas lieu, à cause de la brusque dissolution du Corps législatif. Toutes ces pauvretés doivent rester ensevelies dans l’oubli et dans le mépris ; mais elles doivent aussi servir d’enseignement aux gouvernements qui se respectent et leur apprendre que, après les grandes commotions politiques, récompenser d’autres services que ceux réellement rendus au pays, c’est s’engager dans une voie détestable, ouvrir la porte aux abus, encourager l’intrigue, dégoûter le zèle et grever la fortune publique de charges qui sont un véritable vol de la part de ceux au profit desquels elles sont créées.
L’organisation des Gardes Nationales donna lieu à l’organisation spéciale, toute spontanée, des Fédérations, qui a été fort sévèrement jugée, par suite de préventions assez mal fondées. La grande fédération de 1790 avait eu pour objet de serrer étroitement le faisceau de l’unité nationale qui, avant la Révolution, n’existait réellement que dans le gouvernement du Roi, les provinces formant pour ainsi dire autant de petits états, avec leurs administrations et même leurs législations particulières. Les grands principes de la Révolution avaient paru compromis par les tendances de 1814 ; le retour de l’Empereur leur avait imprimé une nouvelle énergie, et comme l’on est assez porté à l’imitation en France, on imagina de renouveler la Fédération, pour la consolidation et la défense de ces mêmes principes. Ce fut naturellement en Bretagne que cette idée prit naissance, par suite du contact plus direct, plus immédiat avec l’élément contre-révolutionnaire, qui commençait à donner signe de vie ; l’action de l’esprit ancien appela la réaction de l’esprit nouveau. L’exemple fut suivi de proche en proche et bientôt des pactes fédératifs existèrent dans toute la France.
Le gouvernement n’avait pas eu l’initiative de ce mouvement, mais il s’empressa de le seconder. Il y voyait l’avantage de faciliter singulièrement l’opération toujours assez délicate de la mobilisation des gardes nationales. Dans les grandes villes dont l’esprit était douteux, la fédération était une force qui tenait en échec la malveillance. A Paris, par exemple, on savait la garde nationale mal disposée et hostile ; la fédération des faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marceau ôtait toute préoccupation à cet égard et assurait au besoin d’énergiques défenseurs aux fortifications de la capitale.
On a dit beaucoup de mal des Fédérés : les ombrages qu’ils ont inspirés à la garde nationale parisienne sont entrés pour beaucoup dans les jugements prononcés contre eux par l’opinion, jugements qui ne s’appuient sur aucun fait, par la bonne raison que, n’ayant jamais été complètement organisés, les Fédérés n’ont jamais eu l’occasion d’agir. Il fut un moment, après le désastre de Waterloo, où les débris de l’armée n’étaient pas encore ralliés sous Paris, où l’autorité ne disposait en quelque sorte que d’une force morale et où les passions les plus ardentes s’agitaient en tous sens dans cette immense cité. Si les fédérés eussent été animés de celles qu’on leur a prêtées, ils eussent pu essayer de les satisfaire ; il n’y eut cependant pas alors le moindre désordre à regretter. Le fait est que leur organisation avait été confiée à des officiers généraux chez lesquels la capacité et le dévouement s’unissaient au plus honorable caractère ; que les officiers qui les commandaient avaient été parfaitement choisis parmi ceux en demi-solde ; que les armes restèrent toujours déposées chez ces officiers, ne furent pas livrées à la libre disposition de la multitude et que le gouvernement obtint l’effet moral qu’il désirait produire, sans s’écarter pour cela d’une sage circonspection. Ce sont de ces choses qu’on ne peut pas juger d’une manière absolue et qui sont bonnes ou mauvaises suivant l’usage qui en a été fait. Or, on le répète, le temps a manqué pour voir les fédérés à l’œuvre et, dans tous les cas, il ne faut pas perdre de vue la pensée qui préoccupait le gouvernement, celle des immenses dangers qui menaçaient le pays et de la nécessité de les conjurer par tous les moyens en son pouvoir.
Dès le 27 mars, tous les mouvements de l’Est et du Nord étaient terminés. L’Empereur avait prescrit la formation de corps d’observation destinés à couvrir nos frontières, depuis Dunkerque jusqu’à Bayonne. Le 1er, commandé par le comte d’Erlon, avait son quartier général à Lille ; le 2e, sous les ordres du général Reille, à Valenciennes. Le 3e corps, réuni à Mézières, devait être provisoirement commandé par le duc de Plaisance ; à Thionville était le 4e, avec le général Gérard. Tout ce qui se trouvait dans les places d’Alsace, devait former, près de Strasbourg, le 5e corps aux ordres du maréchal duc d’Albufera. Le 6e devait être réuni près de Chambéry pour couvrir les Alpes et être commandé par le général Dessaix. Le 7e était destiné à observer les Pyrénées ; le général Clausel en avait le commandement. Enfin un 8e corps, réuni autour de Paris, formait la réserve de l’intérieur, sous les ordres du comte de Lobau. Le ministre de la guerre fut chargé de préparer l’organisation de ces différents corps et reçut en même temps l’ordre de réunir un comité de défense, sous la présidence du général Dejean, qui y appellerait les officiers du génie connaissant le mieux les différentes frontières, pour déterminer les positions convenables où devaient être placés les corps d’observations et répartir entre eux la surveillance des débouchés des frontières.
Le Maréchal se hâta de répondre aux intentions de l’Empereur et, dès le 30, l’organisation proposée par lui était adoptée à quelques modifications près. Le 1er corps était composé de 3 divisions d’infanterie n° 1 à 3 et de deux divisions de cavalerie n° 1 et 2 ; le 2e, de cinq divisions d’infanterie n° 4 à 9, et de trois divisions de cavalerie n° 3 à 5 ; le 3e corps, de deux divisions d’infanterie n° 10 et 11, et une division de cavalerie n° 6. Le 4e corps, de trois divisions d’infanterie n° 12, 13 et 14, et une division de cavalerie n° 7. Le 5e corps, commandé par le général Rapp, au lieu du duc d’Albufera, rappelé à Paris pour être à la disposition de l’Empereur, se composait de 3 divisions d’infanterie n° 15,16 et 17, et de deux divisions de cavalerie, n° 8 et 9. Les divisions n’étaient fortes, en général, que de trois régiments ; elles devaient être portées à quatre à mesure qu’on en aurait de disponibles. A chacune était attachée une batterie d’artillerie à pied, comme à chaque division de cavalerie une batterie à cheval. Ainsi l’armée, sur les frontières du Nord et du Rhin, devait se composer de 17 divisions d’infanterie, 9 de cavalerie, 17 batteries à pied et 9 batteries d’artillerie légère.
Les cuirassiers n’étaient pas compris dans cette organisation ; ils devaient former trois divisions de réserve, dont la 1ère, commandée par le général Milhaud, se réunirait à Douai, sous les ordres du comte d’Erlon, ayant une batterie à cheval. La 2e, composée d’une brigade de cuirassiers et d’une de carabiniers, avec aussi une batterie, se réunirait autour de Metz, pour faire partie du corps du général Gérard. Une 3e, de 4 régiments de cuirassiers, devait être attachée à l’armée d’Alsace ; enfin, une 4e division de réserve, de 2 régiments de cuirassiers et de 2 beaux régiments de dragons, devait être formée un peu en arrière de Metz. En donnant le mouvement à toutes ces troupes, le Maréchal fit connaître aux généraux que rien ne montrait que des hostilités dussent avoir lieu, bien qu’on dût prendre d’avance des mesures pour s’organiser ; il les autorisa donc à tenir les troupes commodément dans les cantonnements. En effet, à cette époque et même plus tard, l’Empereur n’avait la pensée que d’une guerre défensive.
Le corps de réserve, dont la formation devait avoir lieu autour de Paris, reçut le n° 6 au lieu de 8, qui lui était originairement destiné ; il dut être composé d’au moins trois divisions, formant 12 régiments d’infanterie et de deux divisions de cavalerie légère et de dragons, sous les n° 10 et 11. Toutes les troupes disponibles de l’intérieur devaient remplir les cadres de ce corps que, quelques jours plus tard, l’Empereur porta même à 4 divisions d’infanterie (16 régiments). Le 7e corps, ou armée des Alpes, avait 3 divisions d’infanterie, formant 9 régiments ; vu la nature du pays, il n’y était attaché que peu de cavalerie. Enfin, le 8e corps, celui des Pyrénées, était également de 3 divisions d’infanterie (9 régiments) et d’une division de cavalerie légère, n° 12, composée de 3 régiments.
Ainsi, sans compter la Garde, la totalité de l’armée active se trouvait répartie en 28 divisions d’infanterie, comprenant les 105 régiments qui existaient alors. L’Empereur avait arrêté la formation de cinq régiments étrangers : le premier, composé de déserteurs piémontais et italiens, devait se réunir à Chalon-sur-Saône ; le deuxième, de Suisses, du côté d’Amiens ; les Polonais formeraient le troisième, réuni à Soissons ; les Allemands, le quatrième, sur la Loire du côté de Tours, et les Belges, le 5e, sur la ligne de la Somme. Il fut convenu que chacun de ces régiments recevrait un uniforme se rapprochant le plus possible de la nation à laquelle ils appartenaient, afin de pouvoir utiliser les déserteurs avec l’habit sous lequel ils viendraient. Quant aux cadres des officiers, ils devaient être remplis avec les officiers étrangers ayant suivi la fortune de nos armes, avec les Suisses qui étaient restés avec nous et, subsidiairement, avec des officiers français ayant longtemps servi en Pologne et en Italie pour les régiments polonais et italien, avec des officiers de nos départements de Flandre et d’Alsace pour les régiments belge et allemand. Quelques semaines plus tard, on forma avec les réfugiés espagnols un régiment qui se réunit à Angers et qui fut destiné à agir contre les insurrections de l’ouest.
Quant à la cavalerie, l’organisation arrêtée par l’Empereur, pour les armées du Nord et du Rhin, supposait la présence de 36 régiments de cavalerie légère ; or, il n’en existait que 27 dont 4 étaient employés aux Alpes et aux Pyrénées. Restait donc seulement 23 régiments, c’est-à-dire un déficit de 13 ; mais les 5 divisions de réserve de grosse cavalerie ne comprenaient que 20 régiments, et on en avait 29, ce qui en laissait 9 de libres, réduisant le déficit à 4 régiments seulement. A cet effet, l’Empereur ordonna de former des 9 régiments de dragons 4 brigades qui seraient attachées à 4 divisions de cavalerie ; le régiment restant le serait à une 5e, et, des 9 divisions de cavalerie légère, 5 seraient formés à 4 régiments et 4 à 3 seulement. Du reste, l’Empereur pensait que 27 régiments de cavalerie légère étaient insuffisants, et son intention était d’en former trois autres, de sorte qu’une seule division n’eût été composée que de trois régiments.
La formation des corps d’armée simplifiait beaucoup le travail, en centralisant dans les mains de leurs chefs les mesures d’organisation et en supprimant les rouages intermédiaires. Le travail n’en était pas moins immense, parce que tout était à faire, tout à créer. Les régiments d’infanterie n’avaient que 2 bataillons de guerre ; il fallait les porter successivement à 3 et à 4 bataillons ; il fallait, par substitution de la garde nationale, rendre disponible pour l’armée active tout ce qui se trouvait dans les places. Mais ce n’était pas tout d’avoir des hommes pour grossir l’effectif ; il y avait à les équiper, à les armer, à assurer le service des vivres, et cela avec des magasins vides, des ressources limitées et dans un délai si court qu’il semblait impossible de pouvoir y parvenir.
Jamais peut-être on n’a déployé une activité à la fois plus féconde et plus intelligente, puisqu’on a obtenu d’immenses résultats sans les acheter par des sacrifices disproportionnés. Tout se fit avec ordre et économie, comme si l’on eût agi à loisir. Les villes populeuses et industrielles, Paris en tête, se transformèrent en vastes ateliers de confection d’objets militaires en tout genre. L’impulsion partait du ministre de la guerre et était donnée par des officiers soigneusement choisis, qui pressaient les travaux, les contrôlaient et en recevaient les produits. On arrivait ainsi à faire plusieurs milliers d’uniformes par jour dans toute la France. Ce n’étaient pas seulement les tailleurs, les cordonniers que l’on mettait à l’œuvre ; on avait fait appel aux ouvriers de toutes les professions pour les besoins de l’armée, pour l’équipement de la cavalerie, pour la construction des équipages militaires, pour la réparation et la fabrication des armes. Les selliers, les carrossiers, les serruriers, les ébénistes étaient chargés des travaux analogues à leur profession ; cette activité toute de circonstance s’accordait avec la politique du gouvernement, puisqu’elle empêchait la population ouvrière de souffrir de l’interruption de ses travaux ordinaires, suspendus ou très ralentis par les inquiétudes du moment.
Pendant que ces ateliers improvisés fonctionnaient si bien et si avantageusement, il n’en était pas tout à fait de même dans les manufactures de l’Etat, non qu’on y manquât de zèle et de bonne volonté, mais parce que les formalités administratives venaient à tout moment entraver les opérations quelquefois les plus urgentes. Un préfet envoyait réparer des fusils pour armer la garde nationale ; au bout de quinze jours, on n’avait pas touché à un seul, parce que la chose ne se présentait pas dans les règles dont l’observation inintelligente avait le double inconvénient de créer un retard préjudiciable et de faire naître dans l’esprit des populations des soupçons mal fondés de malveillance et de trahison.
Comme, au reste, le plus pressé était d’avoir en ligne des hommes de l’armée active, les bataillons mobilisé de la garde nationale partirent sans être ni habillés, ni armés, quand les moyens locaux ne permirent pas de le faire à temps. Il n’y avait à cela nul inconvénient, puisqu’ils allaient être enfermés dans des places fortes où on aurait la facilité de pourvoir à l’un et à l’autre objet. L’Empereur, d’ailleurs, ne se souciait pas que l’on prodiguât des armes qu’il serait ensuite difficile de faire rentrer intégralement et qui seraient peut-être perdues pour l’Etat. Il attachait avec raison une extrême importance à ce qu’on eût en réserve et immédiatement disponible le plus grand nombre possible de fusils : c’était, à ses yeux, une des conditions du salut du pays, aussi n’épargnait-il pas les recommandations à cet égard.
La cavalerie était la partie la plus dispendieuse de l’armée, c’est surtout sur elle qu’avaient porté les économies de 1814. Plusieurs régiments avaient été supprimés. Ceux conservés étaient loin d’être à leur complet d’hommes et de chevaux ; sur ce dernier point, il y avait à faire des efforts énormes pour réaliser l’organisation arrêtée par l’Empereur. Il voulait que les régiments de grosse cavalerie, cuirassiers et carabiniers, ainsi que les dragons, fussent portés à 600 chevaux ; que ceux de cavalerie légère en eussent 800 ; ce qui faisait pour la première 15 000 chevaux et 22 000 pour la seconde, en tout 37 000.
L’effectif était loin de présenter ce nombre, même en y comprenant 3 200 chevaux pour lesquels il y avait des marchés passés avec des fournisseurs et dont la livraison, bien qu’assurée, ne pouvait être immédiatement faite. On avait compté comme une ressource importante les chevaux à provenir du licenciement du corps de la maison militaire du Roi ; mais cette opération n’en produisit guère plus de 300 qui furent attribués à la garde. Les militaires qui composaient ces corps se prétendirent propriétaires de leurs chevaux et à ce titre ils les gardèrent. Leur allégation pouvait être vraie et donner ouverture au règlement ultérieur d’une indemnité ; mais, du moment qu’ils étaient une force militaire organisée, licenciée par le gouvernement, l’application des principes les plus élémentaires voulait qu’ils fissent la remise immédiate de leurs armes, de leurs chevaux, de tout ce qui les constituaient force militaire. Cela n’eut pas lieu, parce que l’opération fut conduite avec mollesse, ayant été confiée à des hommes, fort honorables du reste, mais qui, par cela même qu’ils avaient été attachés à la maison du Roi, n’étaient peut-être pas en position d’agir avec la vigueur nécessaire.
L’Empereur résolut de centraliser à Versailles la remonte de la cavalerie ; ce qui l’y déterminait c’est que, bien qu’il ne voulût pas la guerre et qu’il se tînt sur la défensive, il fallait cependant prévoir le cas où les alliés attaqueraient, chose qui pouvaient avoir lieu dans un mois. Alors tous les dépôts devaient sortir des places fortes et se centraliser entre Paris et la Loire ; le grand rétablissement de Versailles devenait, dans cette hypothèse, leur point commun de direction. A la tête de cette opération, on plaça un homme également digne de confiance et par son expérience et par sa sévère probité, le lieutenant général Bourcier. Il fut chargé d’acheter 6 000 chevaux ; des fonds furent mis à sa disposition afin qu’il les payât comptant et qu’il fût autorisé à se départir de quelques-unes des exigences réglementaires en obtenant un peu de diminution sur le prix des chevaux. Ce général ne sut pas user suffisamment de la latitude qui lui fut donnée et là, comme ailleurs, le service public souffrit de l’observation trop scrupuleuse de règles excellentes dans les temps ordinaires, mais qui doivent fléchir quand on se trouve dans des circonstances exceptionnelles où, suivant l’expression consacrée, le salut du pays est la loi suprême.
Du reste la conception du dépôt de Versailles donna lieu à l’Empereur de déployer cette merveilleuse faculté qu’il avait de s’occuper des plus petits détails d’administration, aussi bien que des plus grandes mesures de gouvernement. Les selles, les objets d’équipement, provenant des régiments supprimés, avaient été déposés dans plusieurs places de l’Est ; par les ordres de l’Empereur, tout fut envoyé à Versailles. Là étaient aussi dirigés les cavaliers non montés qui repartaient en détachements pour leur corps dont ils grossissaient ses escadrons de guerre, sans perte de temps, sans détours inutiles. Alors même qu’ils n’étaient pas complètement armés, qu’il leur manquait des cuirasses et jusqu’à des sabres, ils n’en étaient pas moins mis en marche, parce que l’essentiel était qu’ils entrassent immédiatement en ligne. Le complément d’armes était expédié au régiment par les arsenaux ; quant à l’uniforme, il était fourni, au besoin, à chaque détachement par les grands ateliers de Paris.
Les préfets reçurent aussi l’ordre d’acquérir, au nom des départements, 6000 chevaux en traitant de gré à gré avec les éleveurs. Supprimer les intermédiaires, c’était diminuer la dépense au double profit de l’Etat et des producteurs, c’était aussi restreindre les chances de fraude. Comme il y eût un inconvénient à s’écarter des prix limitatifs adoptés pour chaque arme, et que cependant une observation trop stricte de cette règle pouvait faire manquer une opération urgente, le ministre de la Guerre autorisa les préfets à faire, avec une prudente réserve, quelques concessions sur ce point, en ayant soin de paraître ne les faire qu’au compte de leur département, bien qu’ils dussent en être indemnisés au moyen d’un crédit ouvert à cet effet.
Ces ressources étaient encore insuffisantes et, d’ailleurs, elles ne pouvaient être réalisées que successivement et dans un certain délai. Le Maréchal proposa et l’Empereur approuva une mesure qui comblait immédiatement une partie du déficit de notre cavalerie. Ce fut de prendre les chevaux des gendarmes, en en remboursant le prix à ces militaires, qui sont propriétaires de leur monture. On répartit les chevaux à fournir entre les légions de gendarmerie de manière à ne pas prendre tout à fait la moitié de l’effectif, et ainsi à ne pas compromettre un service si important à la sûreté publique. On fit de la sorte deux levées successives qui procurèrent des chevaux déjà formés au service militaire et cette expérience pourra être renouvelée avec encore plus de succès, le jour où des nécessités imprévues obligeraient d’y recourir.
Les événements de 1814 avaient fait regretter amèrement que Paris n’ait pas été alors en position de tenir seulement deux jours de plus.
Une des premières pensées de l’Empereur fut donc d’assurer la défense de la capitale ; ce ne fut cependant qu’à la fin d’avril, ou au commencement de mai, qu’il donna des ordres à cet effet. Au reste, tout en cherchant à se prémunir contre les dangers du présent, il ne se préoccupait pas moins peut-être des intérêts permanents du pays. La révolution qu’il avait lui-même opérée dans l’art de la guerre, la position nouvelle faite à la France par les traités qui avaient placé sa capitale à quelques journées de la frontière et organisé l’Europe à l’état de coalition perpétuelle contre elle, tout imposait la nécessité de fortifier Paris, afin qu’il pût être au besoin abandonné à lui-même, que l’armée active, dégagée du souci de sa conservation, manoeuvrât en pleine liberté, et, le cas échéant, fit payer cher à l’ennemi un mouvement aussi aventureux que celui de 1814. Les souvenirs de nos compagnes venaient à l’appui de ces idées ; si, en 1805 et en 1809, l’enceinte fortifiée de Vienne eût été énergiquement défendue contre une armée qui était victorieuse sans doute, mais qui n’avait pas à sa disposition rien de ce qu’il faut pour une attaque en règle, cette résistance aurait pu avoir une influence énorme sur les événements militaires. En 1812, la vieille muraille de Smolensk arrêta deux jours la grande armée et permit à l’ennemi de se retirer presque sans avoir été entamé.
L’empereur prescrivit donc au Maréchal de faire commencer les travaux : « J’ai deux buts, lui écrivait-il, l’un de faire voir que nous ne dissimulons pas le danger, l’autre de profiter du moment pour avoir ces ouvrages qui, si nous avons la paix, se trouveront faits et pourront, dans d’autres circonstances être utiles. » En vertu des instructions de l’Empereur, les généraux du génie Haxo et Rogniat se mirent à arrêter le tracé des ouvrages en commençant par la rive droite et les hauteurs de Montmartre, où ils disposèrent quatre redoutes de 60 à 80 toises du côté intérieur, battant les différents débouchés de la montagne. De là ces généraux durent continuer la visite des hauteurs et placer des jalons sur celles de Ménilmontant pour le tracé de tous les ouvrages qu’ils jugeraient indispensables d’occuper. Ils ne devaient pas perdre de vue qu’il s’agissait de favoriser des troupes inexpérimentées et de les mettre en état de tenir contre de vieilles troupes. Après avoir tracé les ouvrages de Ménilmontant et de Belleville, ils avaient ordre de suivre, par Saint-Denis et autres points, la reconnaissance des positions à fortifier pour compléter la défense de Paris ; cinq jours après, mille ouvriers au moins devaient être mis à l’œuvre.
Dans l’opinion de l’Empereur, la ligne de défense devait s’appuyer à Saint-Denis et non à Clichy. La ville de Saint-Denis, étant susceptible d’inondation, est un poste de la plus grande force. Appuyant la gauche, ce poste se relie aux hauteurs de Paris par un long canal plein d’eau, ayant derrière un rempart et en avant des flèches. Rien ne pourrait avoir ce degré de force entre Clichy et Montmartre et d’ailleurs la ligne de Saint-Denis met en seconde ligne Montmartre, les Quatre-moulins, etc. Jamais armée ne s’engagera entre Saint-Denis et Montmartre, alors même que le canal et les redoutes destinées à le couvrir n’existeraient pas. Une seconde ligne sur Clichy était cependant nécessaire, mais d’un ordre inférieur. Il fallait aller au plus pressé et s’occuper auparavant des fortifications de la rive gauche. Le temps manqua pour y pourvoir et elles étaient à peine ébauchées à la fin des hostilités.
L’Empereur destinait à l’armement de Paris 300 pièces en fer qui devaient être tirées des arsenaux de la Marine et arriver dans la Seine avec leur approvisionnement de boulets, pendant que la mer était encore libre. Il voulut aussi qu’on y utilisât des pièces qui se trouvaient à Vincennes et qui n’étaient plus du calibre réglementaire adopté dans l’armée. Seulement il prescrivit que ces dernières fussent toujours mises en position ensemble, pour éviter la confusion et les méprises dans les approvisionnements. Pour servir ces trente batteries, sans affaiblir le personnel de l’artillerie active, l’Empereur adopta la répartition suivante :
6 devaient être servies par un bataillon d’artillerie de marine, dirigé à cet effet sur Paris ; 2, par l’Ecole polytechnique ; 2, par l’Ecole d’Alfort ; 4, par l’Ecole de Saint-Cyr ; 2, par les invalides ; 6, par l’artillerie de ligne ; 8, par des matelots des équipages de ligne que le ministre de la Marine eut l’ordre de faire venir à Paris. Les élèves des hautes classes des lycées de Paris demandèrent à être admis dans ce service ; on le leur accorda et c’est devenu le texte d’une violente accusation, parce qu’on n’a jamais réfléchi que le gouvernement n’a jamais eu l’intention de prendre au sérieux le rôle de ces jeunes gens. Pour l’effet moral on donna à leur demande la plus grande publicité ; mais ils n’ont pas été un moment compromis et ils ne l’auraient pas été, alors même que les événements auraient suivi une autre marche.
Fortifier Paris était une nécessité si bien comprise, que la mesure n’excita pas de réclamations. La garde nationale même offrit d’y concourir spontanément, en fournissant chaque jour un nombre de travailleurs volontaires. Elle imitait en cela l’exemple donné en 1792 quand, à la nouvelle de l’approche des Prussiens, la population en masse avait travaillé aux fortifications. C’était une œuvre toute française, toute nationale, à laquelle il semblait que les petites passions de l’esprit de parti devaient demeurer étrangères ; il n’en fut cependant pas ainsi. Un jour, le 2 juin, les 80 hommes fournis par la 1ère légion ne firent pas la besogne de 3 ou 4 ouvriers, et ils affichèrent si scandaleusement leur mauvais vouloir, que le Maréchal dut demander au commandant en chef, le comte Durosnel, ou d’employer son influence pour changer ces dispositions, ou de ne plus réclamer de la légion un concours qui, étant purement volontaire, était utile surtout comme manifestation et pouvait au contraire produire les plus fâcheux résultats, si le mauvais exemple donné venait à être suivi.
Une seule branche de l’administration militaire ne participa point à la vigoureuse impulsion imprimée à toutes les autres ; ce fut le service des vivres et fourrages. On avait trouvé un marché conclu pour toute la France avec un munitionnaire général, et obligatoire au moins jusqu’au 1er avril 1816. Pour le rompre, il eût fallu payer l’indemnité stipulée ; c’eût été une dépense sans objet, quand on en avait tant à faire et si peu d’argent ! On jugea plus utile de conserver le marché, en en élargissant les bases, dans la proportion de l’accroissement de l’armée. Au moyen d’une avance de quatre millions de francs et par des combinaisons qui répartissaient les payements par portions égales sur toute la durée de l’exercice et conciliaient les intérêts de l’entreprise avec la situation des finances, on prit des arrangements avec le munitionnaire pour qu’il anticipât son service de neuf mois, de manière à avoir versé, dès le 1er juillet 1815, dans les places fortes qui lui seraient indiquées, tout ce qu’il avait à fournir jusqu’au 1er avril suivant. Cette mesure était adoptée en vue d’une double éventualité. Si, comme on l’espérait, on était victorieux, l’armée active toute entière aurait franchi les frontières et vivrait au dépens de l’ennemi ; les ressources accumulées serviraient à nourrir la puissante réserve qu’on organiserait à l’intérieur. Dans le cas contraire, toutes nos places fortes se trouveraient avoir reçu un approvisionnement de prévoyance de 6 mois et pourraient être sans inconvénient abandonnées à elles-mêmes, la subsistance de leurs défenseurs étant assurée.
Sous le nom d’un homme qui, par son caractère personnel et par le grade élevé que son frère occupait dans l’armée, inspirait une juste confiance, le munitionnaire général était en réalité le fameux fournisseur Ouvrard, dont toutes les opérations avec l’Etat ont donné lieu à d’interminables procès. Si le temps l’eut permis, il en eût été de même de celle de 1815, car des plaintes ne tardèrent pas à s’élever de tous côtés. Le munitionnaire semblait se faire un jeu des obligations qu’il avait contractées ; le service n’était bien fait nulle part, quelquefois même il ne l’était pas du tout. Non seulement on ne vivait pas sur le courant, comme cela devait être, sur quelques points on était obligé d’entamer la réserve pour empêcher les hommes et les chevaux de mourir de faim. La principale armée, celle qui devait opérer sous les ordres directs de l’Empereur, était réunie dans les provinces de France les plus fertiles en céréales ; cela n’empêchait pas que, si les hostilités eussent dû commencer dans la dernière moitié du mois de mai, les soldats n’auraient pas pu entrer en campagne avec quatre jours de pain, et l’Empereur en voulait six.
Quand on faisait au munitionnaire général des reproches qui n’étaient que trop fondés, il payait d’audace ; il n’hésitait même pas à mettre en avant des assertions dont l’insigne fausseté ne tardait pas à être démontrée. Ainsi, il prétendait avoir versé à Mézières pour 200 000 francs de fournisseurs et un rapport du général en chef comte Gérard constatait que le service y était arrêté, parce que le préposé du munitionnaire général, en avance de ses propres deniers, pour une quarantaine de mille francs, ne voulait ou ne pouvait pas se mettre plus à découvert. On disait hautement que le munitionnaire se servait de l’argent du trésor pour agioter à la bourse ; ce n’était pas là un propos sans consistance et sans valeur, comme il ne s’en débite que trop. L’accusation n’a jamais été vérifiée ; mais elle était nettement formulée par un des fonctionnaires les plus estimables du ministère, l’ordonnateur Sartelon et elle avait d’autant plus de poids dans sa bouche que, loin d’être zélé pour la cause de l’Empereur, il ne faisait aucun mystère de ses opinions politiques.
L’Empereur se plaignait vivement d’un état de choses si contraire à son service et suivant son expression, si honteux pour la France. Le maréchal, sur qui en pesait la responsabilité, en témoignait tout son mécontentement. Il ne se bornait pas à être sévère, il menaçait ; il voyait une sorte de trahison dans les manquements à un service si important, il parlait de faire un exemple terrible. Toute son énergie se brisa contre l’inconcevable force d’inertie qu’il trouva autour de lui ; ses réclamations les plus pressantes ne produisaient que des rapports, des projets, d’inutiles paperasses qui ne remédiaient à rien. Comme l’essentiel était d’assurer les approvisionnements de l’armée, le Maréchal se décida à aller droit au fait : il autorisa les préfets à conclure des marchés d’urgence, au compte du munitionnaire, n’importe quel prix ; quand les marchés n’étaient pas possibles, ils durent être remplacés par des réquisitions, également remboursables par le munitionnaire. Ces mesures rigoureuses le firent enfin sortir de son apathie, parce qu’elles l’atteignaient dans ses intérêts ; le service commença à se faire avec quelque régularité, mais non de manière à réaliser les idées prévoyantes en vue desquelles il avait été combiné. Ces grandes entreprises semblent être une simplification dans le travail et un principe d’économie dans la défense ; elles sont un embarras et peuvent devenir un danger, quand elles ne se présentent pas avec la double garantie d’une grande solidité financière et d’un vrai dévouement à la chose publique.
Par ce qui précède, on a pu juger de la masse et de l’importance des travaux imposés au ministère de la guerre. Ils dépassèrent non le zèle, mais les forces du baron César de Laville, qui, après avoir été chef d’état-major du maréchal à Hambourg, était resté un de ses meilleurs amis et avait accepté le poste de secrétaire général du ministère. Obligé, par sa santé, de donner sa démission, il n’en demeura pas moins au cabinet, mais il fut remplacé dans ses fonctions officielles par l’ordonnateur baron Marchand.
Ce qui augmentait les difficultés, c’est que, n’étant pas dans une situation régulière, il survenait presque chaque jour de l’imprévu qui changeait les dispositions prises et obligeait de pourvoir en toute hâte aux exigences du mouvement. De plus, la pénurie des finances rendait les moyens d’exécution plus difficiles et, à cet égard, l’Empereur n’était pas toujours juste. Tandis que le Maréchal apportait à toutes les opérations, non seulement l’esprit d’ordre dont il avait fait preuve dans les grands commandements, mais encore la plus stricte économie possible, il lui reprochait de prodiguer l’argent, d’oublier l’épuisement du trésor. Jamais reproche ne fut moins motivé et, dans les petites comme dans les grandes choses, le Maréchal se montrait le gardien vigilant de la fortune publique : deux circonstances, frivoles en elles-mêmes, sont bonnes à rappeler pour le prouver.
En 1814, on avait fait pour le ministère de la guerre une splendide argenterie sur laquelle on avait gravé les armes de France, aux fleurs de lys. On proposa au Maréchal d’y substituer les armes impériales ; instruit du prix qu’on demandait : « Nous aurons, dit-il, deux pièces de canon de plus pour cette somme » et il n’en fut plus question. Le gouvernement royal avait établi le Ministère rue Saint-Dominique, appartenant à la mère de l’Empereur. Après le 20 mars, ordre fut donné de le rapporter à l’hôtel d’Havré, rue de Lille, où il était sous l’Empire, et le Maréchal prescrivit qu’on lui soumît le projet de dépense de ce déménagement. Le baron Marchand, que cela concernait, arriva avec un devis de 12 000 francs, au bas duquel le Maréchal se borna à écrire : « alloué 2 400 francs ». On déclara la chose impossible ; le Maréchal insista, disant que pour transporter des cartons et des pupitres on avait les garçons de service, les soldats de la garnison, les voitures de l’artillerie et qu’il ne passerait pas un centime de plus. La chose se fit dans les limites qu’il avait posées ; il est vrai qu’on supprima toutes les dépenses superflues d’installation.
Dans ce dédale d’affaires, il s’en présentait de très urgentes, exigeant immédiatement l’ouverture d’un crédit qui n’avait pas pu être prévu d’avance. Souvent même l’exécution d’ordres pressants de l’Empereur n’était possible qu’à cette condition et, pour se conformer aux règles prescrites par lui, on eût perdu un temps dont les minutes étaient pour ainsi dire comptées. C’est là ce qui excitait son mécontentement, dans la crainte qu’on ne s’écartât d’un ordre dont il connaissait d’autant mieux le prix qu’il avait eu plus de peine à l’établir dans le chaos où il avait trouvé les affaires au commencement de son pouvoir. L’administration de l’Empereur sera pour lui un titre de gloire égal à ses plus belles campagnes, parce que l’inconstance de la fortune a pu faire perdre à la France le fruit de ses victoires, tandis qu’elle profite et qu’elle profitera longtemps encore des sages principes qu’il a posés, des excellentes pratiques qu’il a introduites dans toutes les branches du gouvernement.
La citation textuelle d’une de ses lettres donnera une idée exacte de sa lucidité et de sa précision dans une matière aussi délicate que celle des opérations de la trésorerie.
« Les Bureaux de la guerre ont également oublié les principes, écrivait-il le 23 mai, en vous faisant délivrer des ordonnances pour des crédits qui n’étaient pas compris dans la distribution mensuelle. Cela ruine le crédit de la trésorerie et c’est contraire à l’usage de tous les temps. Je dis de tous les temps ; je ne parle pas du gouvernement royal dont je ne connais pas la marche en détail ; mais c’est contraire à l’ordre qui a été observé dans les finances depuis le Directoire. Il faut donc régulariser cela : portez dans les demandes de crédit pour juin tout ce que vous avez ordonnancé au-delà de vos crédits mensuels et désormais n’en ordonnancez plus rien que jusqu’à la concurrence du crédit du mois ; sans quoi, vous entraverez le service, vous annuleriez vos ordonnances et nous ne pourrions plus nous comprendre. Il entre dans la responsabilité du Trésor que, 40 jours après que vos ordonnances ont été délivrées, en conséquence des crédits mensuels, elles soient soldées ; mais si vous ordonnez au-delà des limites de ce crédit, tout devient chaos. Quand j’accorde un crédit mensuel, je le base sur les ressources et sur les recettes. Le ministre du Trésor est convenu qu’il a ces moyens et dès lors il doit pourvoir aux dépenses qui y sont proportionnées. – Un autre article dont j’ai à vous entretenir est celui des remontes. Vous avez fait des fonds à différents régiments qui devaient acheter, mais les régiments n’achètent pas, c’est donc un crédit qui reste mort. Egalement vous avez fait un marché pour deux millions et vous avez fait un crédit en conséquence ; cependant les marchés ne se remplissent pas ; c’est encore un crédit mort. Le Trésor est la base de tout et je ne puis avoir d’action sur le Trésor qu’autant que vous vous conformez aux règles et que vous ménagez le plus possible les fonds. C’est tellement vrai, qu’il était d’usage que les ordonnances rappelassent non seulement le crédit du budget, mais le crédit mensuel auquel elles s’appliquaient. Il me semble que les bureaux de la Guerre ont oublié les formes qui ont été en vigueur pendant tant d’années.

On voit comment l’Empereur concevait le jeu de la machine financière ; l’esprit d’ordre, la ponctualité en étaient l’âme. C’était moins facile que l’emploi des moyens de crédit, mais c’était plus sûr et, dans ce système, la fortune publique n’était jamais engagée au-delà de ses forces réelles.
Par son décret de Lyon, en date du 13 mars, l’Empereur s’était engagé à corriger et à modifier nos institutions, selon la volonté et l’intérêt de la nation. Les collèges électoraux devaient se réunir pour cela, en Champ de mai, ce qui eût été impraticable, les délibérations d’une assemblée aussi nombreuse ne pouvant rien produire d’utile. Pour tenir sa promesse, un mois à peine après son arrivée à Paris, le 23 avril, l’Empereur proposa à l’acceptation du peuple l’Acte Additionnel aux constitutions de l’Empire.
Cet acte, à la rédaction duquel M. Benjamin Constant passe pour avoir eu une grande part, était en soi-même très libéral. Conforme dans presque toutes ses dispositions à la Charte de 1814, il faisait une part bien plus large à l’élément électif du pouvoir. Il est plus que probable qu’il eût été accueilli avec beaucoup de faveur, s’il eût été promulgué comme une constitution, qui, résumant en elle et abrogeant sans retour tout ce qui l’avait précédée, était destinée à être désormais la seule et unique base du droit public des Français. Ce qui détourna l’Empereur de procéder ainsi, ce fut la crainte de paraître faire un désaveu, même indirect, de ses dix années de règne. Dans sa pensée, la puissance impériale, malgré une éclipse momentanée, n’avait cessé de résider en lui dans toute sa plénitude ; il se dépouillait volontairement de quelques-unes de ses prérogatives, par le même sentiment qui avait déterminé son abdication en 1814, par amour pour la France ; mais il n’admettait pas que le 20 mars fût pour lui le commencement d’un règne à nouveau. C’est pour cela qu’il ne voulait pas que l’Acte Additionnel fût une solution de continuité avec le passé. C’étaient là de pures subtilités, du genre de celles qui ont fait de 1814 la dix-neuvième année du règne du Roi ; un esprit aussi ferme et aussi sérieusement pratique que celui de l’Empereur aurait dû s’élever au-dessus d’elles et ne s’occuper que de l’essentiel, qui était de rallier étroitement le pays autour de lui par tous les moyens possibles. Aussi, bien que sanctionné par les suffrages officiels, l’Acte Additionnel produisit-il le plus mauvais effet sur l’opinion, qui ne jugea que la forme sans prendre même la peine d’examiner le fond. Son titre seul excita d’universelles défiances ; on en prit texte pour contester tout caractère sérieux et définitif à cet acte, pour le représenter comme un sacrifice temporaire et illusoire aux idées du moment, pour l’assimiler à ces sénatus-consultes qui, plus d’une fois depuis le 18 Brumaire, avaient modifié les formes et les principes mêmes du gouvernement et qui pouvaient être ultérieurement révoqués, en vertu du même droit, de la même autorité qui les avait promulgués. Quant aux constitutions de l’Empire, dont le maintien était stipulé en termes si généraux, si peu précis, on affecta d’y voir un arsenal dans lequel le pouvoir absolu déposait ses armes, pour les y tenir en réserve jusqu’au moment où il croirait pouvoir en faire usage.
Le jour même où fut promulgué l’Acte Additionnel, un jeune avocat de Nantes, député de la Fédération bretonne, dînait au ministère de la guerre. Il s’expliqua sur ce sujet de toutes les conversations avec la franchise proverbiale de son pays et il termina en disant : « J’ai vu ce matin tous mes collègues de députation et nous avons été unanimes dans un même sentiment qui peut se traduire par deux mots : l’Acte additionnel fait perdre à l’Empereur cent mille hommes et cent millions. »
Tout en faisant la part de ce qu’il y avait d’exagéré dans l’expression, la pensée était malheureusement vraie et on ne tarda pas à se convaincre du mal fait par l’Acte additionnel. Jusqu’alors les royalistes étaient restés plongés dans la stupeur et comme frappés de la foudre ; à partir de ce moment, ils donnèrent signe de vie. Trouvant un point d’appui dans l’opinion, ils s’agitèrent dans tous les sens et exploitèrent avec autant d’habileté que d’ardeur des mécontentements dont le principe n’avait certes rien de commun avec celui de leur parti. En même temps, on vit prendre corps à cette opposition libérale qui ne s’était encore signalée que par les manifestations isolées du recueil périodique Le Censeur. Cette opposition, que l’on ne combattait pas, parce qu’elle était une force contre l’adversaire commun, arriva en majorité à la Chambre des Représentants, et, par la fatale direction qu’elle imprima à cette assemblée dès son début et surtout après Waterloo, elle contribua, sans le vouloir, aux désastres de la patrie qu’elle rendit peut-être irrémédiables.
Au moment même où l’opinion était en France entraînée par un courant si contraire, un événement du dehors, mais étroitement lié à la politique de l’Empereur, vint porter à sa cause un coup qui fut le précurseur de ceux qui devaient l’abattre.
L’Autriche n’avait jamais accédé au traité conclu, au commencement de 1814, entre l’Angleterre et Murat. Les trois branches de la maison de Bourbon avaient formellement protesté contre sa royauté ; le Roi de France avait fait plus. Il avait demandé à l’Autriche le passage d’une armée de 80 000 hommes à travers la Lombardie pour aller le renverser du trône de Naples et y rétablir le roi Ferdinand. Instruit de cette démarche, Murat y avait répondu par une demande semblable de passage pour aller faire la guerre au Roi de France.
Ce qui était plus sérieux que ces démonstrations sans effet, c’était l’hostilité peu déguisée de l’Autriche qui considérait la royauté de Murat comme une menace, comme un danger permanent pour ses possessions italiennes, et qui indiquait hautement le projet de s’affranchir de cette crainte. Il est même assez probable qu’elle eût essayé de faire pour son propre compte la conquête du royaume de Naples, si elle n’eût été arrêtée par le veto de l’Angleterre, qui ne l’eût pas souffert et qui avait à portée des forces suffisantes pour appuyer sa politique. Le Roi de Naples attacha une importance exagérée à cette rivalité des deux grandes puissances et y puisa une confiance qui lui fut funeste.
Depuis le commencement de l’hiver, il se préparait à prendre l’offensive ; retournant contre l’Autriche l’arme dont on s’était servi contre l’Empereur, il appelait à l’indépendance les peuples de l’Italie. Ses émissaires la parcouraient dans tous les sens, excitant contre la tyrannie allemande les passions à jamais vivaces des populations italiennes.
La nouvelle du débarquement de l’Empereur à Cannes, de sa marche triomphale, de son arrivée à Paris, agit comme une commotion électrique. Très probablement Murat avait connu les projets de son beau-frère avant leur exécution ; mais, en cette circonstance, il ne prit conseil que de lui-même. Dans l’entraînement de ses illusions et de son enthousiasme, il tira l’épée, se proclama le restaurateur de la liberté et de la nationalité italiennes, envahit les Etats de l’Eglise et se porta à marches forcées vers le nord de l’Italie.
Rien ne pouvait être plus inopportun que cette prise d’armes, ni plus embarrassant pour la politique de l’Empereur, dans un moment où il protestait, à la face de l’Europe de ses intentions pacifiques et de sa volonté d’observer des traités, qu’il n’avait pas faits, mais auxquels il se résignait comme à des faits accomplis.
Quelque contrarié qu’il fût de la précipitation du Roi de Naples, l’Empereur prescrivit immédiatement les mesures qui pouvaient contribuer au succès de son entreprise. Il envoya auprès de lui, comme ambassadeur, un des généraux les plus distingués de l’armée française, le comte Belliard, qui, ayant été longtemps chef d’état-major de Murat possédait à juste titre sa confiance et pouvait l’aider de son expérience militaire. Le maréchal Brune, qui était gouverneur de la Provence, eut ordre de porter son quartier général à Antibes, de s’y rendre de sa personne et d’y réunir toutes les forces disponibles de son commandement pour être en mesure de prendre part aux événements qui allaient avoir lieu en Italie. Dans le même but, le maréchal duc d’Albufera remit au général Rapp le commandement de l’armée du Rhin et prit celui de l’armée des Alpes. D’après ses instructions, il dut établir son quartier général à Chambéry, occuper les routes dominant les Alpes, les cols servant de débouchés, pour obliger l’ennemi à apporter la même quantité de forces, et menacer de se porter sur le Mont-Cenis, cette diversion devant être utile au Roi de Naples. Une division de l’armée des Pyrénées dut se concentrer à Avignon, afin de pouvoir, au premier signal se réunir à l’armée d’Italie. Enfin, un corps d’observation fut réuni à Belfort, sous les ordres du général Lecourbe. La création de ces corps, la concentration des forces à Chambéry, avaient tout à la fois pour objet d’agir moralement sur la Suisse et d’aider à ce qui se passait en Italie.
Le temps manqua pour l’exécution de ces mesures. Après un heureux début et une assez brillante affaire, qui avait augmenté sa confiance, le Roi de Naples était arrivé sur les rives du Pô. Là, par une déférence mal entendue pour lord Bentick, le représentant de l’Angleterre et le commandant des forces qui occupaient Gênes, il consentit à ne pas entrer, comme c’était son plan, sur les états du Roi de Sardaigne pour y traverser le fleuve sans obstacle et prendre à revers les positions des Autrichiens. Il tenta le passage de vive force à Occhio-Bello, échoua et fut obligé de commencer une retraite qui se changea bientôt en une effroyable déroute, moins encore par le mauvais succès de quelques petits combats que par la débandade de son armée. Abandonné de tout le monde, séparé de la reine sa femme, il fut obligé de s’échapper furtivement sur un petit bâtiment et vint débarquer en France dans ce même golfe de Cannes, où l’Empereur avait pris terre quelques jours auparavant.
La précipitation inconsidérée du Roi de Naples fut, en 1815, plus nuisible encore que l’avait été sa défection en 1814. Rien n’étant prêt en France pour la seconder, la diversion devenait un acte isolé, sans portée, sans influence, sur les événements généraux. Deux mois plus tard, combinée avec les mouvements de l’Empereur, appuyée des forces réunies de l’autre côté des Alpes, elle pouvait avoir une action très directe sur la marche et l’emploi des armées autrichiennes. Au reste, la perte de cette utile diversion fut la conséquence la moins regrettable du désastre du Roi de Naples. Ce qui fut grave, ce qui fit un mal immense, ce fut l’effet moral qui en résulta. Le renversement si facile d’un trône élevé par l’empereur, l’extinction par la force des armes d’un dynastie collatérale à la sienne, furent considérés comme ses adversaires comme l’augure et le prélude du sort qui lui était réservé à lui-même. Au dehors la confiance des puissances coalisées s’en accrut, au dedans les partisans des Bourbons furent dans l’ivresse et n’en furent que plus encouragés dans leur coupable et désastreux système de compter sur les armes de l’étranger pour la réalisation de leurs vœux et de leurs espérances. En croyant servir sa cause et celle de l’Empereur, le Roi de Naples perdit l’une sans retour et compromit dangereusement l’autre ; mais la mort tragique de ce malheureux prince a été une expiation trop cruelle pour qu’on puisse se montrer sévère pour des fautes qui furent celles de son jugement et non de son cœur.
On était au mois de mai et les difficultés de la situation s’accroissaient à mesure que l’on approchait du dénouement. La guerre n’était pas seulement probable, elle était certaine ; les traités conclus entre les puissances contre la France commençaient à recevoir leur exécution ; leurs forces se massaient sur nos frontières, ou étaient rapidement poussées de toutes parts dans cette direction. Tout ce qu’on pouvait souhaiter, c’est que les hostilités ne s’ouvrissent que quand nous serions en mesure d’y répondre et, malgré les efforts prodigieux qui avaient été faits, nos préparatifs exigeaient encore près d’un mois. Toutes les espérances conçues ne s’étaient pas réalisées et, en particulier, les moyens adoptés pour renforcer l’armée active n’avaient pas produit les résultats qu’on s’était flatté d’obtenir.
L’Empereur avait compté que le rappel des anciens soldats fournirait 190 000 hommes ; son ministre de la guerre en espérait tout au plus quatre-vingt mille ; ce nombre même était loin d’être atteint. Cela tenait à beaucoup de causes diverses ; la principale, la plus efficace était que la majeure partie de ces hommes provenaient des levées faites coup sur coup dans les dernières et calamiteuses armées de l’empire.
Ils étaient partis malgré eux, n’avaient connu de la guerre que ses fatigues, ses dangers et ses revers, et ne se souciaient pas de recommencer une carrière dont ils avaient fait une si peu encourageante épreuve. Au début, les instructions données aux préfets, pour la rentrée de ces militaires sous les drapeaux, prescrivaient d’éviter les moyens de rigueur qui auraient produit un mauvais effet sur l’opinion. On voulait que les militaires rappelés ne parussent obéir qu’à leur enthousiasme belliqueux, qu’à leur amour pour l’Empereur et pour la patrie. On ne tarda pas à reconnaître qu’ainsi conduite la mesure serait à peu près improductive. Il fallut donc revenir aux procédés ordinaires et employer les moyens coercitifs envers ceux qui ne répondaient pas volontairement à l’appel. Bientôt le concours de le gendarmerie fut insuffisant pour assurer le départ des anciens militaires ; on fut obligé d’ordonner aux généraux commandant les départements d’organiser de petites colonnes mobiles, qui arrivaient à l’improviste dans les communes, arrêtaient les retardataires et les emmenaient avec elles au chef-lieu, d’où ils étaient dirigés sur le dépôt de leurs corps.
Même exécuté avec cette énergie, le décret du 28 mars n’assurait que des ressources insuffisantes à l’armée, et surtout il ne pourvoyait pas à la réserve qu’il était indispensable d’organiser pour alimenter la guerre, si elle devait se prolonger. Force fut donc de revenir au système de la conscription. On comptait, pour l’avenir, la faire sanctionner par un vote des Chambres ; mais il y avait celle de 1815, qui offrait un contingent à peu près intégral et immédiatement disponible. Les conscrits de cette classe avaient été renvoyés en masse dans leurs foyers par une ordonnance royale : cette ordonnance les avait-elle libérés définitivement du service militaire ? La question fut soumise au Conseil d’Etat, qui se prononça pour la négative et émit un avis qui assimila les conscrits de 1815 aux militaires en congé limité. Il suffisait donc d’une simple mesure administrative, d’un ordre de départ, pour les faire rejoindre et les instructions à cet effet furent expédiées dans tous les départements.
La liste des pensionnaires de l’Etat constatait l’existence d’environ 15 000 officiers touchant leur retraite dans leurs foyers. On fit appel à leur vieux dévouement ; on les engagea à former entre eux des fédérations, puisque c’était l’idée en vogue, à s’organiser en compagnies volontaires, pour se tenir à la disposition des généraux, s’enfermer dans les places fortes, ou servir de point de ralliement à la levée en masse. On autorisa la formation de corps francs, destinés à intercepter les communications de l’ennemi, à enlever ses convois, à opérer comme troupes irrégulières, en se subordonnant aux mouvements de l’armée, sans cependant en faire partie. En un mot, le gouvernement n’hésita pas à prouver par toutes ses mesures qu’il considérait la lutte qui allait s’ouvrir, non comme une guerre politique ordinaire, mais comme une guerre toute nationale, où il y allait de l’indépendance du pays et dans laquelle il fallait qu’une résistance désespérée fût opposée à l’injuste coalition de l’Europe entière.
Trop de passions agitaient la France pour que cet appel fût compris ; on ne vit dans cet ensemble de mesures que ce qu’elles avaient de rigoureux. On les attribua à l’ambition insatiable d’un homme, au lieu d’y voir les nécessités du salut de la patrie menacée. Les mécontentements allèrent croissant de toutes parts. Les généraux, les préfets des départements de l’Ouest donnaient les renseignements les plus alarmants sur l’état des esprits dans les contrées où ils se trouvaient. Tout indiquait qu’un soulèvement était imminent et qu’on attendait, pour en donner le signal, que le moment où le départ définitif des troupes laisserait le champ libre à l’insurrection.
Quoique le gouvernement ne se méprît pas sur la gravité de cet état de choses, ce n’était néanmoins pour lui que l’objet d’une préoccupation secondaire. Il pensait avec raison, que cette guerre civile toute locale, qui n’avait pas eu d’influence sur la marche générale des événements pendant la Révolution, était bien moins capable d’en avoir à une époque où les paysans étaient moins bien disposés à la faire et où, au contraire, on avait plus de moyens pour la combattre et l’étouffer. Ce n’était pas dans les bocages de la Vendée, c’est sur les champs de bataille de la Flandre que la question se déciderait ; c’eût donc été une faute de négliger le grand intérêt pour le petit et d’affaiblir, en vue des troubles de l’Ouest, une armée qui était à peine assez nombreuse pour la tâche qu’elle aurait à remplir.
Aussi, malgré les réclamations des autorités locales civiles ou militaires, les ordres les plus formels, les plus impératifs furent-ils donnés et réitérés, pour que, sous aucun prétexte, on n’arrêtât la marche des régiments qui se rendaient à l’armée du Nord. Ce qui avait été prévu et annoncé arriva : quand l’insurrection ne fut plus comprimée par la présence des bleus, elle éclata sur plusieurs points à la fois, dirigée par des chefs dont le nom avait acquis de l’autorité dans la première guerre, les La Rochejacquelin, les d’Antichamp, les Suzannet. Leurs tentatives isolées et mal liées entre elles n’indiquaient pas un plan fortement conçu et habilement exécuté. Le paysan les suivait sans enthousiasme, par entraînement quelquefois, souvent par peur et sous l’effet des menaces fulminées contre quiconque ne se joindrait pas au mouvement. En général on manquait d’armes, celles qui furent expédiées d’Angleterre n’ayant été débarquées qu’après cette première démonstration. Il est fort probable que si les autorités eussent montré de la vigueur et une prompte décision, elles auraient aisément comprimé ce soulèvement, même avec les seuls moyens en leur pouvoir, la gendarmerie, les soldats des dépôts et les hommes bien disposés de la garde nationale des villes. Mais on s’effraya outre mesure, on perdit la tête, on laissa grossir le mal et il fallut organiser des forces énergiques pour en triompher.
Le premier soin à prendre fut de concentrer l’autorité dans les mains d’un seul chef ; la mollesse que l’on avait montrée tenant surtout à l’absence d’unité dans la direction et à l’éparpillement du commandement.
Sur la proposition du Maréchal, l’Empereur envoya à Angers, avec des pouvoirs extraordinaires, le général de division comte Laborde, qui venait de rendre de bons services à Toulouse dans des circonstances difficiles, et qui, ayant déjà commandé dans ce pays, avait su s’y faire craindre et estimer. Il fut investi du commandement supérieur dans les trois divisions militaires de l’Ouest, du droit de suspendre les autorités civiles, de les remplacer provisoirement ; enfin, mis en mesure de pourvoir par tous les moyens possibles à la répression des troubles.
L’Empereur, qui ne les jugeait pas très sérieux au fond, pensait qu’on atteindrait le but en intimidant les chefs et en usant de la plus large indulgence envers des populations qui n’était qu’égarées. Ses ordres furent donnés dans ce sens et ils étaient d’un caractère fort sévère en ce qui concernait les fauteurs de l’insurrection. Ils ne furent pas exécutés, et cela tint peut-être à ce qu’ils furent transmis par le ministre de la Guerre ; on les crut émanés de lui personnellement et non de l’Empereur, et on agit en conséquence. Le Maréchal, en effet, a toujours eu pour principe, quand il a eu des ordres rigoureux à mettre à exécution, d’en prendre sur lui seul la responsabilité ; c’est ainsi qu’il a agi dans ses longs commandements à l’étranger, au lieu d’imiter l’exemple de ceux qui, en pareille circonstance, faisaient chorus avec les doléances des mécontents pour se ménager une popularité de mauvais aloi aux dépens de celle du prince. Le Maréchal pensait que le souverain reste, tandis que les agents de son pouvoir changent et se succèdent ; qu’il est donc important que ceux-ci aient tout l’odieux de certaines mesures temporairement nécessaires, afin que, quand elles cessent, elles puissent être attribuées au caractère ou au zèle inconsidéré de ceux qui les avaient prises et qu’au contraire, le mérite du changement en bien soit reporté au souverain mieux éclairé ou mieux servi. « Si le Roi savait ! » est une précieuse illusion qu’il faut bien garder d’ôter aux gouvernés. C’est en agissant ainsi, c’est en ne se couvrant jamais du nom de l’Empereur que le Maréchal s’était laissé faire une réputation de sévérité poussée jusqu’à l’excès, à laquelle avaient contribué les pamphlets imprimés en Angleterre et en Allemagne, comme celui, par exemple, intitulé Robespierre à cheval. Cette réputation l’ayant souvent dispensé, par la crainte qu’elle inspirait, de faire des exemples, il n’avait jamais cherché à la détruire. Il est possible qu’elle ait été alors pour quelque chose dans le non accomplissement des ordres qu’il donna à plusieurs reprises pour les mesures à prendre contre les chefs vendéens.
Au reste, le général Laborde fut fort au-dessous du commandement qui lui était confié ; il se montra faible, irrésolu, ne prenant aucun parti, ne suivant aucun plan ; sans initiative personnelle, il ne sut pas même se conformer aux instructions qu’il avait reçues. Elles lui prescrivaient de la façon la plus formelle de concentrer ses forces, de n’agir que par masses, afin de porter des coups décisifs et de faire converger vers le principal foyer de l’insurrection des colonnes assez solidement organisées pour disperser tout ce qui représenterait devant elles et amener ainsi la pacification du pays. Loin de là, le général Laborde éparpilla ses troupes de tous côtés, cédant aux réclamations de chaque autorité locale qui en demandait pour être protégée ; il souffrit que des généraux, que des préfets arrêtassent la marche des régiments en route pour le rejoindre, parce que l’insurrection se manifestait à leurs côtés. Au milieu de ces inutiles tâtonnements, on perdit un temps précieux et l’insurrection serait devenue formidable si un premier succès du général Travot, du côté de Saint-Gilles, n’en eût arrêté les progrès. Sentant lui-même son insuffisance, le général Laborde demanda à être remplacé ; l’Empereur avait envoyé près de lui son aide de camp, le général Corbineau, pour lui servir de bras droit ; mais ce n’était là qu’un palliatif purement temporaire, en attendant qu’un chef plus énergique et plus capable vint prendre la haute direction des affaires de l’Ouest.
Celles du Midi n’avaient guère une meilleure tournure, excepté à Bordeaux où l’attitude énergique du général Clausel suffisait si bien pour imposer à la malveillance, qu’il put détacher deux régiments et les diriger sur la Vendée. A Toulouse, le général Maurice Mathieu, malade et découragé, était un faible représentant de l’autorité, dans un temps et dans un pays où elle ne pouvait pas agir avec trop de vigueur, de résolution et de promptitude. A Marseille, c’était bien pis : le maréchal Brune se laissait braver impunément par le parti royaliste et ne savait prendre aucune mesure pour se faire craindre. Toutes ses lettres au ministre de la guerre étaient remplies de plaintes sur le mauvais esprit de la population. On lui indiquait en réponse ce qu’il avait à faire, sinon pour changer cet esprit, du moins pour le réduire à l’impuissance. Le maréchal Brune n’en faisait rien, jusqu’à ce que les choses en fussent arrivées à ce point que le Ministre dut lui envoyer par estafette l’ordre de mettre la ville en état de siège, de désarmer la population, de composer une garde nationale de 1 500 hommes sûrs et de faire arrêter et mettre dans les forts une quarantaine des principaux meneurs royalistes.
Ces mesures trop tardivement prises manquèrent leur effet, qu’elles eussent produit si on n’eût pas attendu si tard. Elles ne réussirent qu’à aigrir l’esprit public auquel on avait laissé prendre un pli qu’il n’était plus possible de réformer. On n’en eût que trop la preuve dans l’insurrection sanglante du 25 juin, à la nouvelle du désastre de Waterloo.
Les grandes villes de l’intérieur étaient également travaillées par un esprit hostile à l’Empereur. A Rouen, il y avait un comité royaliste qui correspondait presque ouvertement avec les princes exilés ; au Havre, il y eut un mouvement séditieux qui donna un moment des inquiétudes, non à cause du fait en lui-même qui était sans portée, mais à cause de l’exemple d’insubordination donné presque à la porte de Paris. A Dunkerque, on eut vent d’un complot destiné à livrer la place à l’étranger et, pour le déjouer, il fallut y envoyer un général avec des pouvoirs extraordinaires. (Vandamme).
Les autorités civiles secondaient mal l’autorité militaire : les unes, parce qu’elles étaient mal disposées ; les autres, en plus grand nombre, parce qu’elles ne se rendaient pas un compte bien exact de la vrai situation du pays et qu’elles ne comprenaient pas, qu’investie et bloquée, comme elle l’était par l’étranger, la France devait être considérée comme en état de siège et ne pouvait être sauvée que par l’énergie de la dictature. On s’arrêtait devant des scrupules de légalité fort respectables en temps ordinaire, et, par la manière dont on exécutait certains ordres, on les rendait plus nuisibles qu’utiles parce que c’est surtout l’effet moral qu’on doit chercher dans les mesures exceptionnelles. Quand cet effet n’est pas produit, elles sont sans objet et il vaut cent fois mieux y renoncer. Aussi, pour remédier à ce défaut de concours de l’autorité civile et pour parer aux éventualités d’une guerre imminente, le Maréchal fit-il signer à l’Empereur un décret qui ne fut pas publié et qui mettait en état de siège toutes les places dans le rayon des frontières et du littoral, ainsi que les pays troublés par l’insurrection.
Accablé de travaux presque au-dessus des forces humaines, l’Empereur aurait voulu pouvoir consacrer exclusivement sa pensée à la guerre qu’il allait conduire en personne. Les soins qui le détournaient de cette occupation l’importunaient et l’irritaient. Il était par nature d’une rare bonté, d’une extrême indulgence ; il pardonnait aisément une faute même très grave et n’en gardait aucun ressentiment ; mais, par une disposition assez singulière de son caractère, quand les choses n’allaient pas à son gré, il avait besoin de s’en prendre à quelqu’un et, sinon d’en rejeter sur lui la responsabilité, du moins de le rendre l’objet de sa mauvaise humeur. Toute la vie politique étant alors en quelque sorte concentrée dans les opérations relatives à la guerre, c’était naturellement sur le Maréchal que devait retomber cette mauvaise humeur, qui d’ailleurs ne manquait pas de personnes empressées à l’exciter.
Il y avait alors dans l’entourage de l’Empereur deux petites coteries exclusives, comme il s’en forme toujours après les grandes commotions ; coteries composées de gens qui se parent d’un dévouement exagéré, d’un zèle sans mesure et qui prennent volontiers leur importance pour du mérite et leurs prétentions pour des droits. Le Maréchal ne cachait pas son peu de goût pour cette coterie qui le lui rendait bien et n’omettait rien de ce qu’elle espérait pouvoir le faire sortir de son caractère. On prenait avec lui des tons de supériorité qui auraient été blessants, s’ils n’eussent été parfaitement ridicules de la part de ceux qui se les permettaient. On venait faire acte d’autorité au Ministère de la Guerre, on contrôlait, on bouleversait le travail des bureaux ; on compulsait les dossiers, on prenait des notes, on se faisait donner directement des états et des renseignements qui souvent avaient déjà été fournis une ou deux fois au Cabinet de l’Empereur. Le Maréchal, quelque mécontentement qu’il en éprouvât, se soumettait à cette espèce d’inquisition et il attendait qu’une occasion lui fût donnée de s’expliquer en haut lieu, ne jugeant pas qu’il fût de sa dignité de prendre l’initiative de la lutte contre des adversaires si au-dessous de lui, par l’âge, le rang et les services.
Il n’en saisit qu’avec plus d’empressement celle qui s’offrit de dire sa pensée à l’un de ses égaux, le duc de Dalmatie. Ce maréchal venait d’être nommé Major Général de l’armée, et certes on ne pouvait faire un meilleur choix ; comme capacité militaire, il était bien supérieur à son prédécesseur le prince de Neuchâtel. Mais il oublia que la position n’était pas la même, qu’on n’était pas encore entré en campagne, que l’armée tout entière était à l’intérieur, partagée en corps qui n’étaient pas réunis sous un seul commandement et dont les chefs se trouvaient sous l’autorité hiérarchique du ministre de la guerre. Sans le consulter, sans se concerter avec lui, il donna directement des ordres aux chefs des corps de l’armée du nord et aux autres généraux en chef et il ne les fit connaître au Maréchal, qu’après les avoir expédiés. Non seulement cette conduite pouvait créer la plus grande confusion, mais elle était formellement contraire à l’ordre du service dicté le 16 mai par l’Empereur qui réglait les attributions du Major Général et lui avait été communiqué. Le maréchal rappela énergiquement le duc de Dalmatie à l’observation des règles et, après avoir précisé les dangers immédiats de la marche suivie par lui, il termina en disant : « Si vous donnez des ordres de votre côté, Monsieur le duc, et moi du mien, comme il ne peut en résulter que les plus graves inconvénients, je vous déclare que je remettrai le portefeuille à l’Empereur. J’ai accepté le ministère à mon corps défendant et on me ferait le plus grand plaisir en m’ôtant ce fardeau. »
Une cause assez fréquente de froissements entre l’Empereur et le Maréchal, c’était la résistance qu’il opposait à des nominations arrachées par l’importunité et la faveur et dans lesquelles le bien du service était trop souvent sacrifié aux plus frivoles considérations, à des relations de société, à des intérêts de camaraderie. Une fois même, cette résistance prit un caractère fort sérieux, parce que la chose sortait de la sphère ordinaire et avait, aux yeux du Maréchal, une véritable importance. Il avait reçu itérativement l’invitation de donner au comte de Bourmont un emploi à l’armée du Nord ; comme ce n’était pas un ordre formel, il avait opposé la force d’inertie et n’en avait rien fait. Un jour qu’il apportait le travail à la signature, l’Empereur lui demanda : « Et les lettres de service du général Bourmont ? sont-elles expédiées ? » - « Votre Majesté ne m’en a pas donné l’ordre. » - « Je vous l’ai demandé assez positivement pour que ce fût la même chose ; il faudra le faire de suite. » - « Sire, je ne conteste pas le mérite du général Bourmont ; on dit qu’il a très bien servi dans la campagne de France ; moi-même j’ai pu juger en Saxe, au commencement de la campagne de 1813, qu’il a beaucoup d’énergie et d’intelligence. Plus tard, quand la crise sera décidée, je ne verrai aucune objection à l’employer ; aujourd’hui il ne m’inspire aucune confiance. » - « Pourquoi cela ? » - « Parce que les choses sont toutes différentes de ce qu’elles étaient en 1814 ; il n’y avait qu’un drapeau alors, il y en a deux maintenant. » - « Gérard en répond sur sa tête. » - « Gérard a tort ; moi je ne réponds de personne, je ne réponds que de moi. Je rappellerai à Sa Majesté un vieux mot d’il y a vingt ans et qui est tout aussi vrai aujourd’hui : les bleus sont les bleus et les blancs sont les blancs. » - « N’importe, j’ai promis et vous comprenez que ma parole doit être tenue. » - « Sire, si nous étions dans des circonstances ordinaires, Votre Majesté ne forcerait pas la main à son ministre de la Guerre qui lui offrirait respectueusement sa démission, plutôt que de souscrire à ce qu’il croit compromettant pour les intérêts de l’Empereur et ceux de son pays. J’obéirai à regret et je souhaite, plus que je ne l’espère, que Votre Majesté n’ait pas à s’en repentir. »
Depuis quelques jours, il était facile de s’apercevoir d’un changement dans les formes de la correspondance de l’Empereur ; ses lettres portaient presque toutes l’impression chagrine du mécontentement. Quoique le service se fît avec la même activité et le même zèle, le simple dissentiment prenait le ton de la désapprobation et même du reproche. Le Maréchal était trop clairvoyant et connaissait trop bien le terrain pour n’avoir pas jugé de suite d’où le coup partait. Il voyait bien qu’on le dénigrait à qui mieux mieux dans l’esprit de l’Empereur ; mais il ne pouvait soupçonner à quel point on avait porté les choses.
Le 24 mai, en rentrant du conseil, il trouva une lettre pleine de reproches dont l’injustice était égalée par l’amertume. Il en fut d’autant plus blessé que, pendant le conseil, l’Empereur ne lui an avait pas dit un mot. Il ne perdit pas un instant pour lui répondre et, sans s’écarter du respect qu’il lui devait, sans se livrer à de vaines récriminations, il le fit avec cette fermeté et cette franchise qui portent la conviction avec elles.
L’Empereur lui reprochait de n’en faire qu’à sa tête et de ne pas tenir compte de ses ordres ; de faire des nominations sans les lui soumettre ; de ne lui avoir proposé encore personne pour les commandements très importants des départements de l’Ouest ; de laisser prendre connaissance de ses lettres, de les communiquer à des journaux, à ses correspondants et il terminait par une allusion à la conduite toute différente de son prédécesseur, allusion d’autant plus piquante que l’on savait son peu d’estime pour le duc de Feltre.
Le Maréchal prit un à un les griefs de l’Empereur ; il prouva par les faits qu’ils portaient à faux ; qu’ils étaient imaginaires. Il affirma, ce qui n’était pas parfaitement exact, qu’il n’avait de rapports avec aucun journal, si ce n’est le Moniteur et encore par l’intermédiaire du secrétaire d’Etat, le duc de Bassano ; que si une lettre de l’Empereur avait été publiée, ce ne pouvait être que par l’indiscrétion d’un des généraux en chef à qui elle avait dû être communiquée dans l’intérêt du service. Il termina en qualifiant comme elles le méritaient les insinuations dont il était l’objet, il les appela des calomnies et ajouta que ceux qui les avaient produites en avaient imposé. Dès le même jour, une réponse de l’Empereur donnait satisfaction au Maréchal.
S’il n’eût écouté que son premier mouvement, s’il n’eût consulté que ses convenances personnelles, au lieu de se disculper d’accusations sans fondement, il eût envoyé une démission qu’une fois donnée, il n’eût point reprise et qui lui eût épargné bien des dégoûts et bien des calomnies. Mais il pensa que, dans l’état où se trouvaient les affaires de l’Empereur et du pays, il y aurait lâcheté à quitter un poste où sa présence, pour le moment du moins, était indispensable, puisque son successeur perdrait, à se mettre au courant, un temps qui ne suffirait même pas à ce qu’il y avait à faire. Il resta donc et en cela il fit un acte d’abnégation qui malheureusement ne devait pas être ni le dernier, ni le plus difficile.
Le général Lamarque, qui commandait une division du corps du général Gérard, fut rappelé de l’armée du Nord pour aller remplacer le comte Laborde dans l’Ouest. Il était précédé d’une brillante réputation et semblait devoir par sa vigueur réparer les fautes de son prédécesseur ; il ne répondit qu’imparfaitement à l’attente qu’on avait conçue. Dans un but tout politique, on avait décoré du nom plus pompeux que réel d’armée de l’Ouest les forces réunies sous ses ordres ; on faisait débiter partout qu’elles s’élevaient à 20 000 hommes de troupes de ligne, sans compter les gardes nationales. Le fait est qu’il y en avait tout au plus la moitié et que, quant aux gardes nationales, leur organisation était encore trop peu avancée pour qu’on les considérât comme ressource bien assurée. Telles qu’elles étaient cependant, si elles étaient bien employées, ces forces étaient plus que suffisantes pour comprimer l’insurrection.
Le funeste système du général Laborde avait été de disséminer ses troupes, d’en faire de petits paquets et de les rendre ainsi impuissantes à rien faire. Le général Lamarque reçut en conséquence l’ordre formel de tenir une conduite diamétralement opposée. On lui prescrivit la formation de 3 et même de 4 colonnes destinées à agir avec ensemble et énergie sur la rive gauche de la Loire. Par la possession de Saumur et d’Angers, et de Nantes, et en armant quelques ouvrages au Pont de Cé, on était maître du cours du fleuve et libre d’agir d’un côté sans trop se préoccuper de ce qui se passerait de l’autre. L’essentiel était d’occuper le littoral de l’Océan, entre l’embouchure de la Loire et les sables d’Olonne, de refouler l’insurrection dans l’intérieur, où elle serait à la merci des forces simultanément dirigées contre elle, et de s’opposer aux débarquements d’armes et de munitions qui étaient attendues de l’Angleterre. Pour cela, il fallait qu’après avoir rapidement assuré les positions de Saumur et d’Angers, ce qui était très facile à cause des châteaux forts de ces villes, le général Lamarque se portât de suite à Nantes ; qu’il en fît le centre de toutes les opérations et qu’il déconcertât les rebelles par la vigueur et la soudaineté des coups qu’il leur portait.
Ces instructions furent répétées sous toutes les formes au général Lamarque. Le Maréchal lui faisait sentir que, surtout en guerre civile, rien n’était plus funeste que l’indécision ; il lui disait que s’il n’était pas assez fort pour agir avec trois colonnes, qu’il n’en fît que deux, mais assez solides pour ne rien craindre des insurgés ; qu’il ne devait pas rester oisif à Angers pendant qu’il lançait en avant le général Travot et que le général Estève était en l’air à Napoléon-Vendée. C’était à Nantes, le Maréchal le répétait, qu’était le nœud de cette guerre ; c’était l’occupation du littoral qui devait en amener la tenue. Tout cela ne changea rien aux déterminations du général Lamarque qui s’éternisa à Angers. Il y était retenu en grande partie par la terreur des gens qui s’étaient franchement compromis pour la cause du gouvernement et qui redoutaient les vengeances auxquelles pouvait les exposer l’éloignement des troupes. Rien ne fait faire plus de fautes dans notre métier, lui écrivait le Maréchal, que des considérations de localités. N’abandonne-t-on pas souvent un pays entre de grandes villes et l’ennemi pour faire des opérations de guerre ? Le général d’ailleurs était tout occupé d’ouvertures pacifiques qui lui étaient faites par les chefs vendéens et qui probablement n’étaient qu’un leurre pour gagner du temps, endormir la vigilance et faciliter le succès d’un débarquement projeté. Le Maréchal n’en fut pas dupe et recommanda au général Lamarque de n’en pas moins pousser avec vigueur les opérations sur la rive gauche de la Loire. Toutefois, comme les idées de conciliation, de pacification étaient aussi bien dans la politique que dans les intentions du gouvernement, il s’entendit avec le duc d’Otrante, pour la rédaction d’une lettre qui fut signée en commun par les ministres de la police générale et de la guerre et qui fut adressée au général en chef avec invitation de lui donner la plus grande publicité.
Le général Lamarque trouvait que 6 000 hommes étaient une force insuffisante ; ayant de la cavalerie, de l’artillerie, c’était plus qu’il n’en fallait pour écraser les rassemblements confus d’insurgés quelque nombreux qu’ils fussent. Les régiments de la jeune garde, qu’avait amenés le général Brayer, étaient composés de conscrits et ne lui inspiraient aucune confiance ; en les appuyant des vieux soldats du général Travot, on leur donnerait la solidité nécessaire pour en tirer un bon parti. Enfin il ne fallait pas s’en rapporter à des bruits toujours grossis par la peur ; il ne fallait pas croire les masses d’insurgés aussi considérables qu’on le prétendait, ni surtout supposer qu’elles pussent se mouvoir avec tant de facilité. Les paysans, on le savait, n’avaient qu’une ardeur très médiocre ; il y en avait peu de disposés à aller à une ou deux marches, surtout pour recevoir des coups de fusil ; on entrait dans la saison des foins et de la récolte qui donnerait encore plus de difficultés aux chefs pour les réunir.
Toutes ces raisons devaient convaincre le général Lamarque et le déterminer à agir avec vigueur au lieu de perdre un temps précieux. Voyant qu’il persistait à ne pas aller à Nantes, malgré l’insistance et presque les ordres formels qui le lui prescrivaient, le Maréchal lui écrivait le 7 juin : « Vous avez votre manière de voir ; comme c’est vous qui commandez, il faut la suivre ; car, en supposant que par condescendance pour moi vous alliez à Nantes, vous ne mettriez pas exécution le plan tel que je le conçois… Au surplus, je ne vous entretiendrai plus de mes idées sur cela. » La preuve qu’elles étaient justes et que, dans cette guerre, le point important était de frapper fort et net, c’est qu’à Redon une poignée d’hommes résolus arrêta tout court un rassemblement nombreux et le repoussa avec une forte perte ; c’est que le préfet de la Mayenne, ramassant à la hâte ce qu’il avait d’hommes de cœur sous la main, tomba par une marche de nuit audacieuse sur les insurgés postés dans les bois et les dispersa si bien qu’ils ne purent plus se réunir et que son département ne remua plus. Enfin, ce fut en conformité des vues du Maréchal que les opérations du général Travot amenèrent cette seconde affaire, où fut tué le marquis de La Rochejacquelin, commandant en chef des Vendéens ; peut-être ce brillant succès n’eût-il pas été acheté par les pertes qu’il coûta, si, en agissant plus tôt, on n’eût pas ainsi laissé grossir les forces de l’insurrection.
L’Acte Additionnel, en instituant la Chambre des Pairs, en avait conféré la nomination à l’Empereur. Le 19 mai, il écrivit individuellement à chacun de ses ministres, ainsi qu’à quelques personnes en qui il avait confiance, une lettre toute confidentielle pour leur dire que, voulant commencer par créer 80 Pairs, il désirait qu’ils dressassent une liste de 120 personnes choisies par eux comme s’ils étaient chargés de la nomination. Ce travail devait rester secret avec l’Empereur et on ne devait pas même faire connaître qu’on en avait été chargé. En répondant à l’Empereur, le Maréchal s’excusa sur ce que toujours absent de France pour son service, il lui était difficile de bien connaître les personnages ayant qualité pour être élevés à la patrie : c’était donc avec une extrême défiance de lui-même et par pure obéissance qu’il lui soumettait la liste demandée. Il l’avait composée en prenant dans l’ancien Sénat, dans le corps des maréchaux, dans les généraux les plus distingués et dans les titulaires de quelques hautes fonctions. Il s’était abstenu d’y comprendre les ministres, ne sachant pas quelles étaient à cet égard les intentions de l’Empereur et s’il lui convenait qu’ils fissent partie de l’une ou de l’autre Chambre. Tout cela faisait environ quatre-vingt noms et, pour compléter la liste, le Maréchal exprimait le vœu qu’on y ajoutât cinq ou six grands négociants ou banquiers, huit ou dix grands propriétaires pris dans les départements et ayant des biens par suite de la Révolution, quatre ou cinq membres de l’Institut, quatre ou cinq membres de l’ordre judiciaire.
Tous les noms militaires proposés par le Maréchal furent admis par l’Empereur, sauf quelques exceptions et cela pour des causes se rattachant aux souvenirs de 1814. Il est inutile de les spécifier, pas plus que de reproduire la liste puisée dans l’ordre civil. Si elle était publiée, on y verrait la large part que le Maréchal faisait à l’opinion libérale et combien il désirait que la nouvelle pairie eût immédiatement sur l’opinion cette autorité morale que donne l’indépendance connue des caractères. Plusieurs des hommes honorables, alors désignés par lui, siègent à ses côtés sur les bancs de la pairie actuelle ; plusieurs ont été nommés par l’ordonnance qui l’y a appelé lui-même et qui était destinée à fortifier dans ce corps la cause des libertés nationales. D’autres sont les chefs éminents de l’opposition à la Chambre des Députés et ne se distinguent pas moins par l’éclat de leurs talents que par l’élévation de leur caractère.
La promotion fut au reste beaucoup plus nombreuse que l’Empereur ne l’avait annoncé d’abord ; elle fut de cent dix pairs. Si quelques-uns, en très petit nombre, ne devaient cette dignité qu’à la faveur et aux circonstances du moment, la liste en général n’en prouvait pas moins combien la France est fertile en illustrations, et, si cette assemblée eût duré, elle eût glorieusement rempli les hautes fonctions auxquelles elle était appelée.
La solennité du Champ de Mars devait resserrer le pacte entre l’Empereur et la France ; longtemps différée par des causes indépendantes de la volonté du Gouvernement, elle donna lieu à un de ces jeux de mots qui ont tant de succès dans notre pays et manqua complètement son effet. Ce fut une scène d’apparat, où l’on prononça de magnifiques discours, mais d’où était absent cet enthousiasme, qui seul enfante les grandes choses. Elle fut immédiatement suivie de la convocation des Chambres, que l’Empereur tenait à ouvrir avant son départ pour l’armée.
Croyant que tout le monde appréciait comme lui le caractère de la guerre injuste et impolitique qui lui était faite ; que l’on sentait que l’indépendance nationale elle-même était en jeu et que, subir la loi de l’étranger pour une question toute intérieure, c’était abdiquer l’honneur de la Patrie, il comptait trouver un supplément de force dans le concours dévoué des Chambres. Il se flattait qu’elles n’auraient, comme lui, qu’une pensée, celle de repousser d’abord l’ennemi et d’ajourner jusqu’après la victoire des discussions pour le moins inopportunes, si elle n’étaient pas dangereuses. Il avait d’ailleurs besoin de lois pour la levée de la conscription, pour la répression des troubles, pour quelques mesures financières et pour le budget, que ses ministres avaient préparé par ses ordres. Ou l’Empereur se faisait une illusion, ou il connaissait mal l’esprit des pouvoirs électifs, qui font passer avant tout leur prérogative et qui, pour la fortifier et l’étendre, sont toujours disposés à profiter des embarras du gouvernement, parce qu’une erreur, facilement explicable de leur jugement, la leur fait considérer comme le premier, le plus grand intérêt de la chose publique.
Le système représentatif, avec sa publicité et ses discussions, est un mécanisme très délicat, très compliqué ; il était en contradiction avec toutes les traditions du gouvernement impérial, qui reposait au contraire sur le secret et sur l’action énergique et incontestée d’une seule pensée dirigeante. Pour opérer la transition, pour arriver à une transformation commandée par la nature des nouvelles institutions, ce n’eût pas été trop du loisir de la plus profonde paix, afin que, sans crainte au dehors, sans trouble au dedans, le gouvernement pût faire en pleine liberté d’esprit le partage des attributions avec les Chambres. Les circonstances où l’on se trouvait étaient loin d’être telles et, dès le début de la session, on put se convaincre que la Chambre des Représentants serait un embarras plutôt qu’une force. Elle n’était pas encore constituée qu’elle montrait une susceptibilité pointilleuse dans ses rapports avec l’Empereur et qu’elle prenait avec une extrême vivacité fait et cause pour un pétitionnaire contre un prétendu acte arbitraire du ministre de la guerre.
Ce qu’il y a de curieux, c’est que cet acte était le fait, non du ministre, mais d’un des membres les plus sincèrement libéraux de la Chambre, M. Bedoch, qui, commissaire extraordinaire de l’Empereur dans les départements de l’Est, avait eu des motifs très graves pour destituer le pétitionnaire de ses fonctions de garde magasin. Instruit qu’il avait été réintégré par une intrigue royaliste, le Maréchal prescrivit l’envoi immédiat à Paris du fonctionnaire supérieur qui, avec ou sans mauvaise intention, s’y était prêté, et il ordonna qu’on internât à vingt lieux des frontières le fonctionnaire destitué. C’était l’application la plus élémentaire des principes, en vue d’une guerre imminente, surtout quand il s’agissait de la sûreté d’une de nos principales forteresses. Au lieu de commencer par se renseigner au ministère, la Chambre aima mieux faire parade intempestive de son zèle pour la liberté individuelle.
Mais ce qui était bien plus sérieux que cela, c’était la nomination d’une commission pour réviser les Constitutions de l’Empire, alors que l’Empereur, dans son discours d’ouverture, avait formellement ajourné à des temps plus tranquilles cette grave et délicate affaire. Il était évident que la Chambre se considérait comme investie d’un pouvoir égal à celui du souverain et qu’elle était décidée à agir en conséquence. Dès lors, la politique prescrivait à l’Empereur, non de dissoudre la Chambre, ce qui eût été une mesure extrême et violente, mais de la proroger sous le prétexte de son absence et de l’impossibilité momentanée où se trouvait son gouvernement d’avoir avec elle des rapports tels que l’exigeait le bien des affaires. Dans de si difficiles conjonctures, toute sa pensée devait exclusivement s’appliquer aux opérations militaires. Il fallait donc qu’il s’affranchît d’une préoccupation dont il est aisé de mesurer tous les inconvénients, quand on songe que la nuit qui précéda Waterloo fut en grande partie employée à dicter des correspondances nécessitées par les soucis et les embarras que causaient à l’Empereur les intrigues se croisant en tous sens dans la Chambre des Représentants.
L’Empereur partit pour l’armée le 12 juin, à trois heures et demie du matin ; c’est ici le lieu d’exposer les plans qui avaient été arrêtés en prévision de la guerre et les instructions qui avaient été données aux généraux en chef. La guerre était tellement inique, tellement contraire aux plus simples notions du droit des gens que, malgré les actes du Congrès des 13 et 25 mars, l’Empereur espéra que les grandes puissances reviendraient à des sentiments plus vrais et plus équitables, en le voyant accepter le traité de 1814 et déclarer que, malgré le changement de gouvernement, il n’en était pas moins obligatoire pour la France.
Evidemment, l’observation ou la non observation de ce traité était le seul casus belli pour les puissances ; aller au-delà et prétendre intervenir dans un fait tout intérieur, c’était une véritable énormité. Pour en trouver l’exemple, il fallait remonter aux luttes de l’Empire et de la Tiare, aux temps où les papes excommuniaient et déposaient les souverains. Les prétentions des Alliés étant diamétralement opposées aux principes professés en tout temps par la nation anglaise, et la coalition ne pouvant exister et agir qu’avec l’aide des subsides britanniques, l’Empereur se flatta un moment que l’opinion constitutionnelle en Angleterre l’emporterait sur l’orgueil et les passions du cabinet et que, ce grand pays n’accédant pas à la guerre, la paix pourrait être maintenue.
Il se trompait ; il ne tenait pas assez compte de la haine excitée contre lui par quinze ans de déclarations furibondes, il ne mesurait pas l’effet de ces jugements passionnés, de ces erreurs monstrueuses dont on commence à revenir, dont on reviendra tout à fait, mais qu’on tenait alors pour des vérités. Toujours est-il que, dans cette pensée, les armements furent d’abord de précaution et purement défensifs. Ce n’était pas là une fiction mise en avant pour les besoins de la politique du moment ; c’était le véritable sentiment de l’Empereur, qui s’en expliqua plus d’une fois dans sa correspondance intime avec son ministre de la guerre, et notamment dans sa lettre du 2 avril, où il l’exprimait de la manière la plus formelle. Alors même qu’il n’y eut plus à se méprendre sur les intentions de la coalition et sur l’imminence des hostilités, au lieu d’en prendre l’initiative l’Empereur ne voulait que les repousser et ses ordres étaient donnés dans ce sens.
La concentration des forces anglaises en Belgique, la certitude que c’était de là qu’on voulait porter les grands coups et marcher sur Paris, changèrent sa détermination. Il résolut de réunir, sous son commandement immédiat, les corps des généraux Reille, d’Erlon, Vandamme et Gérard, qui, avec celui du comte de Lobau et la garde, composeraient une force effective de plus de 100 000 hommes. C’étaient d’excellentes troupes, commandées par des chefs éprouvés, qui avaient eux-mêmes sous leurs ordres ce que l’armée comptait de généraux plus jeunes et plus vigoureux.
L’Empereur pouvait donc, sans se flatter, compter sur un succès auquel il attachait une immense importance, autant sous le rapport de la politique que sous celui des opérations militaires.
Un succès éclatant au début facilitait bien des choses à l’intérieur et il portait la discussion et le découragement dans la coalition. L’Empereur calculait que si, ce qui fut probable, ce qui fut presque une réalité pendant une partie de la journée de Waterloo, l’Angleterre voyait sa brave armée anéantie et la fleur de sa noblesse moissonnée pour une cause qui n’était pas la sienne et dans une guerre injustifiable, le cabinet tomberait devant le soulèvement du cri public et ferait place à l’opposition libérale avec laquelle il serait facile de s’entendre pour le rétablissement de la paix ; il résolut donc d’agir en conséquence.
Cependant l’ennemi pouvait le gagner de vitesse et attaquer le premier ; il fallait aussi par prudence admettre la chance d’un revers. Dans ces deux hypothèses, le Maréchal donna aux généraux en chef les instructions les plus circonstanciées sur ce qu’ils auraient à faire dans l’intérêt de la défense du pays. A l’ouverture des hostilités, pas un homme de l’armée ne devrait rester dans les places, excepté le personnel de l’artillerie indispensable à leur service ; les dépôts même des corps devaient être dirigés sur les localités qui leur seraient indiquées à l’intérieur. Les gardes nationales sédentaires ou mobilisées composeraient seules la garnison des places. Les officiers généraux, les commandants militaires qui n’y étaient pas spécialement attachés, devaient aussi éviter de s’y enfermer et se transporter dans une ville quelconque de leur arrondissement pour y faire exécuter les ordres de l’autorité supérieure. L’essentiel étant de grossir l’armée active, sitôt qu’un soldat avait un fusil, une capote et une tournure militaire quelconque, il devait entrer dans le rang.
Les généraux de l’armée du Nord devaient assurer et maintenir leurs communications entre eux, occuper toutes les positions susceptibles de défense ; disputer les lignes de l’Escaut et de la Sambre, celle de la Somme qui avait été organisée par le général Gazan, celles de l’Aisne et de l’Oise et finalement celles de la Seine et de la Marne. Les précautions à prendre leur avaient été minutieusement indiquées, les points qui devaient attirer leur attention signalés, et, quoiqu’on fût loin de s’attendre à de si terribles revers, rien cependant n’avait été laissé à l’imprévu.
Des ordres semblables avaient été donnés pour la frontière de l’Est. Il avait été prescrit de défendre pied à pied les passages des Vosges et ces gorges de l’Argonne, où l’armée prussienne fut arrêtée en 1792. Le général Lecourbe, qui commandait à Belfort le corps chargé de couvrir ces côtés de la France, retrouva après quinze ans d’inaction toute l’ardeur, toute l’énergie des plus beaux jours de sa vie militaire. Il est impossible de servir mieux qu’il ne le fit, avec des soldats improvisés, abandonné à ses seules forces en présence d’un ennemi très supérieur. Si tout le monde avait eu son sang-froid et son dévouement, les affaires n’eussent pas été aussi désespérées. Dans le cas où il serait forcé à la retraite, les points où il devait s’efforcer de tenir, comme Langres, Vitry, Sainte-Ménéhould, etc., étaient spécifiés jusqu’à l’Aube, la Seine et finalement l’Yonne, où devait être son ralliement. Le général Rapp avait reçu de pareilles instructions pour l’armée du Rhin ; s’il lui était impossible de défendre l’Alsace, il devait se replier derrière les Vosges, ensuite défendre la Meurthe, la Moselle ; enfin, la Meuse et la Marne. Enfin, si l’armée des Alpes était contrainte d’évacuer la Savoie, elle devait se concentrer sous Lyon qui avait été mis en état d’opposer à l’ennemi une résistance formidable. Débusquée de cette position, elle devait défendre la ligne de la Saône et finalement celle de la Seine.
Il est facile de saisir la pensée qui avait présidé à cet ensemble de dispositions. Elle était inspirée par la nature même de la guerre, qui était toute nationale. Dès lors une résistance acharnée devait être opposée à l’invasion et la fortune des armes tentée jusqu’au dernier moment. On se concentrait sur Paris, comme sur le cœur même de la nationalité française ; avec toutes les armées réunies, on pouvait y livrer à l’étranger, loin de toutes ses lignes d’opération, une dernière bataille qui aurait compensé les échecs dont elle aurait été précédée. Mais l’exécution de ce plan supposait des retraites méthodiques et en bon ordre, des troupes conservant leur moral même après leurs revers, des généraux tenaces et sans autres préoccupations que celle de leur métier ; malheureusement, c’est le contraire qui eut lieu et, dès la première défaite, la partie fut perdue sans retour.
L’Empereur laissait le Maréchal à Paris avec le titre et les pouvoirs de gouverneur et le commandement supérieur de la garde nationale ; il était aussi général en chef des troupes qui se trouveraient dans la 1ère Division. L’Empereur évaluait les forces mises sous ses ordres à : 30 000 hommes de garde nationale ; 20 000 hommes de levée en masse, c’est-à-dire de fédérés ; 20 000 hommes de troupes de marine ; 20 000 hommes à provenir des dépôts qui devaient se grouper sur Paris. Tout cela faisait, sur le papier, 90 000 hommes ; mais, si l’effectif des 12 légions de la garde nationale était de 30 000 hommes, la composition même de cette milice bourgeoise permettait de compter à peine sur la moitié de ce nombre. Les bataillons de fédérés étaient à moitié organisés ; les marins ne sont jamais venus à Paris et la marche des événements a été si rapide que les dépôts n’ont pas eu le temps d’y arriver. On a raison d’exagérer ses forces en présence d’un ennemi coalisé et supérieur en nombre ; on prévient ainsi un découragement qui pourrait être fatal et tout paralyser ; mais l’histoire ne doit pas accepter sans examen des chiffres trop souvent mis en avant pour les nécessités du moment.
Voici au surplus un extrait textuel de l’Ordre de service arrêté par l’Empereur, le 11 juin, la veille de son départ. Après avoir prescrit une réunion hebdomadaire des ministres aux Tuileries, tous les mercredis, sous la présidence du Prince Joseph, qui avait voix prépondérante, avec l’adjonction du Prince Lucien, ayant voix délibérative, et celle des ministres d’Etat, membres de la Chambre des Représentants, cet ordre réglait les formes à suivre pour l’expédition des affaires suivant leur plus ou moins d’urgence et pour les rapports avec les deux Chambres, ainsi que la conduite à tenir, soit quant à l’usage de leur initiative, soit quant aux amendements qu’elles pouvaient faire aux projets de loi présentés par le gouvernement. Passant aux attributions du Ministre de la Guerre, l’ordre portait :
« Notre cousin le Prince d’Eckmühl est nommé gouverneur de Paris. Il aura en cette qualité : 1e le commandement des gardes nationales et des troupes de ligne de la 1ère Division ; 2e le commandement en chef, en notre absence, de la garde nationale de Paris et des fédérés. – Soissons, Château-Thierry, Arcis-sur-Seine, Montereau, Montargis et Sens sont sous ses ordres. – Le lieutenant général Caffarelli commandera sous ses ordres la 1ère Division. Le lieutenant général Durosnel commandera en second la garde nationale de Paris et le lieutenant général Darricau, qui est sous ses ordres, les fédérés ; les ordres du gouvernement pourront être transmis directement à ce dernier. – Le Premier Inspecteur de la Gendarmerie fera au prince d’Eckmühl les mêmes rapports qu’un commandant de gendarmerie à un général en chef. – Le Premier Inspecteur de la Gendarmerie, les trois lieutenants généraux ci-dessus, ainsi qu’un général commandant le génie, un général commandant l’artillerie, le Préfet du département et le Préfet de Police formeront, sous la présidence du prince d’Eckmühl, un conseil qui sera le conseil de défense de la ville de Paris et de la 1ère Division. – Le Gouverneur organisera les dépôts de toutes les armes de manière à pouvoir, dans les circonstances qui l’exigeront, donner aux officiers et soldats des postes dans les forts, dans les barrières et dans les quartiers de Paris. En ce cas, les capitaines, lieutenants et sous-lieutenants seront armés de fusils. – Le Gouverneur, le Premier Inspecteur de la gendarmerie, le Préfet du département et le Préfet de police rendront compte tous les jours à notre frère le Prince Joseph de tout ce qui concernera l’ordre et la sûreté publique… Le Ministre de la Guerre nous écrira tous les jours… » Par une disposition spéciale de cet ordre, il était réglé que : « les dépêches télégraphiques transmises à Paris, seraient portées au Prince Joseph avant qu’il pût y être donné cours ».
La teneur de cet ordre de service, la position qu’il crée au Maréchal, les pouvoirs dont il l’investit, prouvent de reste que le nuage passager, dont il a été parlé, avait été promptement dissipé. Les rapports de l’Empereur avec son ministre avaient pu être altérés, mais non sa confiance qui était restée la même. Quelque honoré que s’en trouvât le Maréchal, il supplia jusqu’au dernier moment l’Empereur de lui en donner une autre marque et de l’emmener avec lui à l’armée. Il lui représentait que, malgré son incontestable importance, la question de Paris, comme toutes celles de l’intérieur, n’était cependant que secondaire et essentiellement subordonnée à l’issue des événements militaires ; que, quand il s’agissait de jouer sur les champs de bataille une partie définitive, ce n’était pas le moment de faire l’essai d’hommes nouveaux ; qu’il fallait au contraire s’entourer de ceux qui avaient fait leurs preuves et qui avaient une longue expérience des grands commandements. Le Maréchal ne parvint point à convaincre l’Empereur et, moins d’une semaine après, ses prévisions n’étaient que trop justifiées.
En présence d’une guerre inévitable, il y a avait deux partis à prendre, celui de commencer les hostilités et celui de les attendre. Ce dernier donnait à l’armée quelques baïonnettes de plus, mais c’est par cent mille qu’il fallait compter alors l’accroissement de l’ennemi. Le premier parti ne peut être blâmé que parce que la bataille de Waterloo a été perdue et que cette courte et désastreuse campagne a été, en général, fort mal conduite.
La mesure que prit l’Empereur de faire deux commandements à part, pour agir dans des directions diverses, ne pouvait être que funeste ; elle n’était praticable qu’après une victoire décisive. Il faut éviter des détachements aussi nombreux la veille d’une bataille, il faut la donner avec tous ses moyens.
La direction que l’Empereur donna au Maréchal Grouchy sur Sombref peut être regardée comme la principale cause des désastres de cette campagne. Un général en chef ne peut donner des directions que lorsqu’il connaît la position de l’ennemi. Quelques heures après l’ordre expédié, l’Empereur reconnut l’armée ennemie derrière le ruisseau qui passe à Ligny, la gauche dans la direction de Ligny, la droite dans celle de Saint-Amand. Son principal but devait être de séparer l’armée prussienne de l’armée anglaise ; d’être à tout événement en communication avec les forces que commandait le maréchal Ney, afin de s’en appuyer au besoin. Alors il ne devait pas laisser l’armée prussienne entre lui et ce maréchal. Dans la supposition où il aurait battu cette armée, il l’obligeait à se retirer dans la direction de l’armée anglaise et par conséquent sur ses renforts. Dans la supposition contraire, il courait le grand danger d’être sans communication avec le maréchal Ney et ce dernier eût été d’autant plus exposé qu’il eût été plus près de Bruxelles, en exécutant les ordres qu’il avait reçus.
L’Empereur était à la tête de son avant-garde, lorsqu’il découvrit l’armée prussienne sur les hauteurs de Ligny ; toutes ses troupes étaient sur ses derrières et il pouvait leur donner la direction qu’il voulait. Le Général Bonaparte d’Italie, le Napoléon de l’Allemagne et de la Prusse avait gagné ses grandes batailles en tournant la position de l’ennemi et en l’attaquant par ses bagages. Alors, il eût dirigé la droite par Saint-Amand et il eût prolongé la gauche de Namur à Bruxelles, entre les Quatre-Bras et Sombref. Les Prussiens eussent été obligés de faire volte-face, ce qui n’est pas commode et occasionne la défaite d’une armée, lorsqu’elle est forcée de faire cette manœuvre sous le feu de l’ennemi. L’armée prussienne battue éprouvait de très grandes pertes dans les défilés de Ligny, ses débris eussent été obligés d’aller passer la Meuse et elle se serait trouvée sans communication avec l’armée anglaise. Pendant toute la bataille, Napoléon se trouvait en communication avec le Maréchal Ney et pouvait, suivant les circonstances, appeler à lui partie de ses troupes ou tout le corps. L’armée prussienne en retraite sur la Meuse, l’Empereur, le 17, la faisait suivre par un petit corps d’observation, tombait ce même jour avec toutes ses forces sur l’armée anglaise et réunissait toutes les probabilités d’une victoire décisive. Mais c’est le Napoléon de la Moskowa qui, pour se servir d’une expression vulgaire, a pris le taureau par les cornes ; aussi la bataille a-t-elle été sanglante et disputée et les Prussiens ont eu toute facilité de se retirer sur l’armée anglaise, en faisant un léger détour.
La multiplicité des ordres contradictoires avant et pendant la journée de Waterloo est une nouvelle preuve qu’on ne doit jamais avoir de détachements à une trop grande distance des lieux où se passe l’événement principal de la bataille. L’Empereur reconnaît que les Prussiens veulent se réunir aux Anglais ; il donne en conséquence au Maréchal Ney des instructions tardives ; en supposant même que l’exécution en eût été possible, le temps eût manqué à cause de l’éloignement, qui était trop considérable et pouvait donner lieu à trop d’événements, la face des choses, dans une bataille, changeant d’un moment à l’autre.
L’absence du corps du Maréchal Grouchy a plus que tout contribué à la perte de la bataille de Waterloo. Par les différentes dépêches qui ont été publiées, il est prouvé qu’on avait de fort mauvais renseignements sur la retraite de l’armée prussienne ; on poursuivit sur les routes de Namur et de Liège quelque bagage, l’armée elle-même se retirant sur les Anglais par Gembloux et Wavres. Comment prendre le change lorsqu’on était dans un pays ami et que l’ennemi laissait sa trace sur les chemins qu’il parcourait ! On a vu que c’est le 17 que l’Empereur eût du livrer bataille aux Anglais ; ne l’ayant fait que le 18, il ne devait pas engager l’action si tard et attendre jusqu’à une heure de l’après-midi. Les instructions données le 18, à dix heures du matin, au Maréchal Grouchy et la direction sur Wavres sont fautives ; cependant la dernière phase de la lettre qui lui recommandait de ne pas négliger de lier ses communications avec l’Empereur et de lui donner souvent de ses nouvelles, traçait à ce maréchal sa ligne de conduite. Il n’a rempli aucune de ses recommandations ; les communications n’ont pu être liées et la majeure partie de l’armée prussienne s’est placée entre lui et l’Empereur, qui, par cette même lettre, annonce qu’il va attaquer l’armée anglaise. Le maréchal Grouchy devait donc occuper toute l’armée prussienne ; celle-ci se portant contre l’Empereur, il devait donc manœuvrer pour la combattre. Dans leur rapport officiel, les Prussiens témoignent leur étonnement de ce que le maréchal Grouchy a pris le change et les a laissé manœuvrer si tranquillement ; ils motivent leur étonnement non seulement sur le canon de l’Empereur qui annonçait une bataille très vive, mais encore sur l’assertion qu’ils font que, des hauteurs de Wavres, on découvre la plaine de Saint-Lambert, que traversait leur armée pour se diriger au canon. Cette observation détruit toutes les excuses que l’on pouvait donner. Au surplus, pourquoi l’Empereur avait-il choisi un général qui n’avait pas l’habitude d’être livré à lui-même, qui avait la réputation d’une brillante bravoure, mais qui n’avait jamais commandé en chef ni armée, ni corps d’armée ? Ces observations n’ont pas pour but de faire des reproches à un officier général ; mais, avec le caractère particulier de ces Souvenirs, il semble que l’on ne peut trop éclaircir tous les points militaires qui s’y rattachent.