Les Contes drolatiques/III/D’ung iusticiard qui ne se remembroyt les chouses

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D’UNG IUSTICIARD
QUI NE SE REMEMBROYT LES CHOUSES



En la bonne ville de Bourges, au temps que s’y rigoloyt nostre Sire qui, du depuys, laissa la queste des contentemens pour conquester le royaulme, et de faict le conquesta, demourayt ung sieur prevost enchargié par luy de tenir main à l’ordre, et qui feut dict Prevost Royal. D’où vint, sous le glorieux fils dudict roy, la charge du Prevost de l’Hostel, en laquelle se comporta ung petit trop druement le seigneur de Méré, dict Tristan, de qui ces Contes ont ià faict mention, encores que il ne feust point ioyeulx. Ie dis cecy aux amys qui butinent ez vieulx cayers pour pisser du neuf et démonstrer en quoy sont sçavans ces Dixains sans en avoir la mine. Hé doncques ! ce dict Prevost estoyt nommé Picot ou Picault, d’où feut faict picotin, picoter et picorer ; par aulcuns, Pitot ou Pitaut, d’où est yssu pitance ; par d’aultres, comme en langue d’oc, Pichot d’où ne est rien venu qui vaille ; par ceulx-ci, Petiot ou Petiet, comme en langue d’oyl ; par ceulx-là, Petitot et Petinault ou Petiniaud qui feut l’appellation limouzine ; mais à Bourges estoyt appelé Petit, nom qui finablement feut celluy de la famille, laquelle ha moult frayé, veu que partout vous verrez des Petit et par ainsy sera dict Petit en ceste adventure. Ie fais ceste étymologie à ceste fin d’esclairer nostre languaige et enseigner comment les bourgeoys et aultres finèrent par acquerir des noms. Mais laissons la science. Ce dict Prevost qui avoyt autant de noms que de pais ez quels alloyt la Court, estoyt en réalité de naturance ung brin d’homme assez mal épousseté par sa mère, de telle fasson que, alors qu’il cuydoyt rire, il fendoyt ses badigoinces en la manière dont se troussent les vasches pour laschier de l’eaue ; lequel soubrire estoyt dict à la Court ung soubrire de Prevost. Mais ung iour le Roy, entendant proférer ce mot proverbial par aulcuns seigneurs, leur dit en gaussant : « Vous errez, Messieurs, Petit ne rit point, il luy fault du cuir en bas du visaige. » Ains, avecques son faulx rire, ce Petit n’en estoyt que mieulx advenant pour faire la police et happer les maulvaises graines. En somme, il valoyt le han qu’il avoyt cousté. Pour toute malice, il estoyt ung peu cocqu ; pour tout vice, alloyt à vespres ; pour toute sapience, obéissoyt à Dieu quand il pouvoyt ; pour toute ioye, il avoyt une femme en son logiz ; pour tout divertissement de sa ioye, cherchoyt ung homme à pendre, alors qu’il estoyt requis d’en bailler ung, et ne failloyt iamais à en rencontrer ; mais, quand il dormoyt soubz ses courtines, ne se soulcioyt mie des larrons. Treuvez en toute la chrestienté iusticiarde ung prevost moins malfaisant ! Non, tous les prevosts pendent trop ou trop peu, tandis que cettuy-là pendoyt iuste ce qu’il falloyt pour estre dict prevost. Ce bon petit iusticiard, ou ce bon iusticiard Petit, avoyt à luy l’une des plus belles bourgeoyses de Bourges, à luy en légitime mariaige, ce dont il estoyt esbahy comme tous les aultres. Aussy, souvent, en allant à

Gustave Doré Contes drolatiques page 457


ses pendaisons, interiectoyt-il à Dieu ung interroguat que aulcuns faisoyent maintes foys en ville. A sçavoir : pourquoy, luy Petit, luy iusticiard, luy prevost royal, avoyt à luy Petit, royal prevost, iusticiard, une femelle si bien alignée, si parfaictement cotonneé de graaces, que ung asne brayoyt d’ayse à la veoir passer. A cecy Dieu ne respondoyt point, et sans doubte aulcun avoyt ses raisons. Mais les meschantes langues de la ville repartoyent pour Dieu qu’il s’en manquoyt d’ung empan que pucelle feust la fille alors que elle devint la femme du dict Petit. D’aultres disoyent qu’elle ne estoyt point seulement à luy. Les gausseurs respondoyent que souvent les asnes entroyent ez belles escuyeries. Chascun laschioyt ung broccard, ce qui en faisoyt pour le moins une razière à qui se seroyt mis en debvoir de les ramasser. Du tout besoing estoyt d’en oster quasi les quatre quarts, attendu que la Petit estoyt une saige bourgeoyse, laquelle n’avoyt qu’ung amant pour le plaisir, et son mary pour le debvoir. Treuvez-en moult par la ville qui soyent aussy réservées de cueur et de bouche ! Si vous m’en afferrez une, ie vous baille ung sol ou ung fol, à vostre soubhait. Vous en rencontrerez qui n’ont ni espoux ni amant. Aulcunes femelles ont ung amant, et d’espoux, point. Des laideronasses ont ung espoux, et point d’amant. Mais, vère, rencontrer femmes qui, ayant ung espoux et ung amant, se tiennent à l’ambe sans poulser au terne, là est le miracle, entendez-vous, nigauds, becs-iaunes, ignares ! Doncques, boutez la Petit sur vos tablettes en style récognitif ; et allez vostre pas, ie reprends le mien. La bonne dame Petit ne estoyt point de la bande de celles qui tousiours remuent, devallent, ne sçauroyent se tenir en place, fouillottent, bouillottent, trottent, crottent, se desportent, et n’ont rien en elles qui les fixe ou attache, et sont si legieres, que elles courent à de folles ventositez comme après leur quintessence. Non, au rebours, la Petit estoyt une saige mesnaigiere, tousiours sise en la chaire ou couchiée en son lict, preste comme ung chandelier, attendant son dict amant quand sortoyt le prevost, recevant le prevost quand partoyt l’amant. Ceste chiere femme ne songyoyt nullement à s’attifer pour faire boucquer les aultres bourgeoyses. Foing ! elle avoyt treuvé plus commode usaige du ioly temps de la ieunesse, et mettoyt de la vie en ses ioincteures pour aller plus loing. Ores, bien, vous cognoyssez le prevost et sa bonne femme. Le lieutenant du prevost Petit, pour la besongne du mariaige, laquelle est si lourde que elle ne se faict bien que par deux hommes, estoyt ung grant seigneur terrien que haïoyt fort le Roy. Notez cecy, qui est ung point maieur en ceste adventure. Le connestable, lequel estoyt un rude compaignon escossoys, veit, par cas fortuit, la femme de ce Petit et voulut la veoir, aulcuns disent l’avoir, devers le matin, à son aise, durant le temps de dire ung chappelet, ce qui est chrestiennement honneste, ou honnestement chrestien, à ceste fin de deviser avecques elle sur des chouses de la science ou sur la science des chouses. Verisimilement se cuydant bien sçavante, point ne voulut entendre à mondict connestable la damoiselle Petit, qui estoyt, comme est dict cy-dessus, une honneste, saige et vertueuse bourgeoyse. Après aulcuns devis, arraisonnemens, tours, retours, messaiges et messaigiers, qui feurent comme non advenus, le connestable iura sa grant cocquedouille noire qu’il estripperoyt le guallant, encores que ce feust ung homme considérable. Ains ne iura rien sur la damoiselle. Ce qui dénote ung bon Françoys, veu que en ceste occurrence aulcuns gens affrontez se ruent sur toute la mercerie et de trois personnes en tuent quatre. Ce monsieur le connestable engaigia sa grant cocquedouille noire devant le Roy et la dame de Sorel, qui brelandoyent paravant de souper, ce dont le bon sire feut content, voyant que il seroyt deffaict de ce seigneur qui luy desplaisoyt fort, et ce sans qu’il luy en coustat ung Pater.

— Et comment vuyderez-vous ce procez ? feit d’ung air mignon la dame de Sorel.

— Ho ! ho ! respondit le connestable, cuydez, madame, que ie ne veulx perdre ma grant cocquedouille noire.

Que estoyt en ce temps ceste grant cocquedouille ? Ha ! ha ! ce poinct est ténébreux à ruyner les yeux ez livres anticques ; mais ce estoyt certes aulcune chouse considérable. Ce néantmoins, mettons nos bezicles, et cherchons. Douille signifie en Bretaigne une fille, et cocque veut dire une poisle de queux, coquus en patois de latinité. Duquel mot est advenu en France celluy de cocquin, ung drolle qui frippe, liche, trousse, frit, lappe, lippe, fricquasse, fricquote, se chafriole tousiours et mange tout ; partant, ne sçauroyt rien faire entre ses repas, et ce faisant, devient maulvais, devient paouvre, ce qui l’incite à voler ou mendier. De cecy doibt estre conclud par les sçavans que la grant cocquedouille estoyt ung ustensile de mesnaige en forme de cocquemard, idoyne à frire les filles.

— Hé doncques, reprint le connestable, qui estoyt le sieur de Richemonde, ie vais faire dire à ce iusticiard d’aller en campaigne pour ung iour et une nuict recolter ez champs, pour le service du Roy, aulcuns paysans soupçonnez de machiner des traistrises avecques l’Angloys. Là-dessus, mes deux pigeons, saichant l’absence de leur homme, seront ioyeulx comme ung souldard auquel on baille la monstre, et, s’ils font aulcune repaissaille, ie desguaisneray le prevost, en l’envoyant au nom du Roy fouiller le logiz où sera le couple, pour occir à temps nostre amy, qui prétend avoir à luy seul ce bon cordelier.

— Que est cecy ? dit la dame de Beaulté.

— Equivocquez, dit le Roy en soubriant.

— Allons souper, dit madame Agnès. Vous estes des maulvais qui d’ung seul coup manquez de respect aux bourgeoyses et aux religieux.

Ce faict, depuis ung long temps, la bonne Petit soubhaitoyt se aisier durant une pleine nuict, et cabrioler au logiz dudict seigneur, où possible estoyt de crier à gozier franc sans esveigler les voisins, pour ce que au logiz du prevost elle redoubtoyt le bruit et n’avoyt que picorées d’amour, lichettes prinses à l’estroict, miesvres lippées, n’osoyt au plus aller à l’amble et vouloyt sçavoir le galop à sabots rabattus. Doncques, la meschine de la iolie bourgeoyse trotta lendemain, devers la douziesme heure, au logiz du seigneur, pour l’adviser de la despartie du bon prevost, et dit à ce sieur amant dont elle recepvoyt force guerdons, et que pour ce elle ne haïoyt aulcunement, de faire ses préparatoires pour le déduict et le souper, attendu que, pour le seur, le greffe prevostal seroyt chez luy le soir ayant faim et soif.

— Bon ! feit le seigneur, dis à ta maistresse que ie ne la feray ieusner d’aulcune fasson.

Les paiges du damné connestable, qui faisoyent la guette autour du logiz, voyant que l’amant se guallantissoyt, se guarnissoyt de flaccons et s’aviandoyt, vindrent annoncer à leur maistre combien tout concordoyt à son ire. Oyant ce, bon connestable de se frotter les mains, en songiant au coup que feroyt le prevost. Ores bien, il luy manda, par exprès commandement du Roy retourner en la ville, pour saisir au logiz dudict seigneur ung mylourd angloys avecques lequel il estoyt vehementement soupçonné d’accorder ung complot de trez-espaisses ténèbres. Mais paravant de mettre à fin ledict ordre, venir en l’hostel du Roy s’entendre sur la courtoisie nécessaire en ce pourchaz. Le prevost, ioyeulx comme un roy de parler au Roy, feit telle diligence, qu’il feut en ville à l’heure où les deux amans sonnoyent le premier coup de leurs vespres. Le sire du Cocquaige et pays environnans, qui est ung seigneur farfallesque, accorda si bien les chouses, que la Petit parloyt de la bonne fasson avecques son seigneur aymé alors que son sieur espoux parloyt au connestable et au Roy, ce qui le faisoyt trez content, et sa femme aussy, cas rare en mariaige.

— Ie disoys à monseigneur, feit le connestable au prevost, alors que le iusticiard entra dedans la chambre du Roy, que tout homme a droict dans l’estendue du royaulme de deffaire sa femme et son amant, s’il les surprend chevaulchant. Ains nostre Sire, qui est clément, argue qu’il n’est licite que de meurdrir le chevaulcheur, et non la hacquenée. Ores ça que feriez-vous, bon prevost, si par adventure vous rencontriez ung seigneur se pourmenant dedans le gentil préau dont les loys humaines et divines vous enioingnent d’arrouser et cultiver, à vous seul, la flouraison ?

— Ie occiroys tout, feit le prevost, i’escarboilleroys les cinq cent mille diables de nature, fleurs et graines, le sac et les quilles et les boules, les pepins et la pomme, l’herbe et la prée, la femme et le masle.

— Vous seriez en vostre tort, feit le Roy. Cecy est contraire aux lois de l’Ecclise et du royaulme : du royaulme, pour ce que vous pourriez m’oster un subject ; de l’Ecclise, pour ce que vous enverriez ung innocent ez limbes sans baptesme.

— Sire, i’admire vostre profunde sapience, et bien veois-je que vous estes le centre de toute iustice.

— Nous ne pouvons donc occir que le chevalier ? Amen, feit le connestable, tuez le chevaulcheur. Allez vitement chez le seigneur soupçonné, mais ayez soing, sans vous laisser mettre du foing aux cornes, de ne point faillir à ce qui est deu à ce seigneur.

Mon prevost, se cuydant pour le seur chancelier de France, s’il faisoyt bien sa charge, devalle du chasteau dans la ville, prend ses gens, arrive à l’hostel du seigneur, y plante ses estaffiers, bouche de sergens les yssues du logiz, l’ouvre de par le Roy à petit bruit, grimpe les degrez, demande aux serviteurs où se tient le seigneur, les met en arrest, y monte seul et frappe à l’huys de la chambre où les deux amans s’escrimoyent des armes que vous sçavez, et leur dict :

— Ouvrez ! de par le Roy nostre sire !

La bourgeoyse recogneut son espoux et se print à soubrire, veu que elle ne avoyt point attendu l’ordre du Roy pour faire ce qui estoyt dict. Ains après le rire vint la frayeur. Le seigneur prend son manteau, se couvre et vient à l’huysserie. Là, ne sçaichant point que il s’en alloyt de sa vie, se dict de la Court et de la maison de Monseigneur.

— Bah ! feit le prevost, i’ay des commandemens exprès de monseigneur le Roy, et, soubz peine de rebellion, vous estes tenu de me recepvoir incontinent.

Lors, le seigneur de sortir, en tenant l’huys :

— Que querez-vous ceans ?

— Ung ennemy du Roy nostre sire, que nous vous commandons nous livrer, oultre que vous debvez me suyvre avecques luy au chasteau.

— Cecy, songia le bon seigneur, est une traistrise de monsieur le connestable, auquel s’est reffusée ma chiere mye. Besoing est de nous tirer de ce guespier.

Lors, se virant devers le prevost, il risqua quitte ou double, en arraisonnant ainsy son sieur cocqu :

— Mon amy, vous sçavez que ie vous tiens pour guallant homme, autant que peut l’estre ung prevost en sa charge. Ores bien, puis-je me fier à vous. I’ay ceans couchiée avecques moy la plus iolie dame de la Court. Quant à des Angloys, ie n’en ay pas seulement de quoi faire le desieuner de monsieur de Richemonde, qui vous envoye en mon hostel. Cecy est (pour vous dire le fin) le déduict d’une gageure faicte entre moy et le sieur connestable, lequel est de moitié avecques le Roy. Tous deux ont gaigié cognoistre quelle estoyt la dame de mon cueur, et i’ay gaigié le contre. Nul plus que moy ne hait les Angloys, qui ont prins mes domaines de Picardie. Est-ce pas ung coup feslon que de mettre en ieu la iustice contre moy ? Ho ! ho ! monseigneur connestable, ung chamberlan vous vault, et ie vais vous faire quinauld. Mon chier Petit, ie vous baille licence de fouiller à vostre aise pendant la nuict et le iour tous les coins et recoins de mon hostel. Mais, entrez seul icy, questez par ma chambre, remuez le lict, faictes-y à vos soubhaicts. Seulement, laissez-moy couvrir d’ung drapeau ou d’ung mouschenez ceste belle dame qui est vestue en archange, à ceste fin que vous ne saichiez point à quel espoux elle appartient.

— Voulentiers, feit le prevost. Ains ie suis ung vieulx regnard, auquel point ne faut soublever la queue, et veulx estre seur que ce est réallement une dame de la Court, et non ung Angloys, attendu que ces dicts Angloys ont le cuir blanc et lisse comme est celluy des femelles, et bien le sçays-ie pour en avoir moult branchié.

— Hé bien, feit le seigneur, attendu le forfaict dont ie suis meschantement soupçonné, et dont ie doibs me laver, ie vais supplier ma dame et amye de consentir à se passer pour ung moment de sa pudeur ; elle me porte trop grant amour pour se reffuser à me saulver de tout reprouche. Doncques, ie la requerray de soy retourner et vous montrer une physionomie qui ne la compromettra nullement et vous suffira pour recognoistre une femme noble, encores que elle sera sens dessus dessoubz.

— Bien, feit le prevost.

La dame, ayant entendu de ses trois aureilles, avoyt ployé et mis soubz l’aureiller ses hardes, s’estoyt despouillée de sa chemise de laquelle son mary pouvoyt taster le grain, s’estoyt entortillé la teste en ung linge, et avoyt mis à l’aër ses charnosités bombées que séparoyt la iolie raie de son eschine rose.

— Entrez, mon bon amy, feit le seigneur.

Le iusticiard resguarda par la cheminée, ouvrit l’armoire, le bahut, fouilla le dessoubz du lict, les toiles, tout. Puis se mit à estudier le dessus.

— Monseigneur, feit-il en guignant ses légitimes appartenances, i’ay veu de ieunes gars angloys ainsy rablez, et pardonnez-moy de faire ma charge, besoing est que ie voye aultrement.

— Qu’appelez-vous aultrement ? feit le seigneur.

- Hé bien, l’aultre physionomie, ou, si vous voulez, la physionomie de l’aultre.

— Alors, treuvez bon que Madame se couvre et s’affuste pour ne vous monstrer que le moins de ce qui est nostre heur, dit le seigneur, sçaichant que la bourgeoyse avoyt quelques lentilles faciles à recognoistre. Doncques, tournez-vous ung petit, à ceste fin que ma chiere dame satisfasse aux convenances.

La bonne femme soubrit à son amy, le baisa pour sa dextérité, s’attifa dextrement, et le mary, voyant en plein ce que sa gouge ne luy laissoyt iamais veoir, feut entièrement convaincu que nul Angloys ne pouvoyt estre ainsy contourné, soubz poine d’estre une délicieuse Angloyse.

— Oui, seigneur, dit-il à l’aureille de son lieutenant, ce est bien une dame de la Court, veu que ceulx de nos bourgeoyses ne sont pas de si haulte futaye, ni de si bon goust.

Puis, la maison fouillée, nul Angloys ne s’y treuvant, le bon prevost revint, comme le luy avoyt dict le connestable, en l’hostel du Roy.

— Est-il occis ? feit le connestable.

— Qui ?

— Celluy qui vous provignoyt des cornes au front.

— Ie n’ay veu qu’une femme au lict de ce seigneur, lequel estoyt fort en train de se resiouyr avecques elle.

— Tu has bien veu de tes yeulx ceste femme, mauldict cornard, et tu ne has point deffaict ton corrival ?

— Non pas une femme, mais une dame de la Court.

— Veu ?

— Et sentu dans les deux caz.

— Qu’entendez-vous par ces paroles ? feit le Roy, qui s’esclatta de rire.

— Ie dis, sauf le respect deu à Vostre Majesté, que j’ai verifié le dessus et le dessoubz.

— Tu ne cognoys doncques pas la physionomie des chouses de ta femme, vieil outil sans mémoire ? Tu mérites d’estre pendu !

— Ie tiens en trop grant révérence ce dont vous parlez chez ma femme pour le veoir. D’ailleurs, elle est si religieuse de son estoffe, que elle mourroyt plustost que d’en monstrer ung festu.

— Vère, dit le Roy, ce ne est point faict pour estre monstré.

— Vieille cocquedouille, ce estoyt ta femme ! feit le connestable.

— Sire connestable, elle dort, la paouvrette.

— Sus, sus doncques ! A cheval ! Détallons, et si elle est en ta maison, ie ne te donne que cent coups de nerf de bœuf.

Et le connestable, suyvy du prevost, vint au logiz du iusticiard en moins de temps qu’ung paouvre n’auroyt vuydé ung tronc. Holà ! hé ! Sur ce, au tapaige des gens qui menassoyent d’effondrer les murs, la meschine ouvrit la porte en baillant de la bouche et se delicoltant les bras. Le connestable et le iusticiard se ruèrent en la chambre, où ils esveiglèrent à grant poine la bourgeoise, qui feit de l’effrayée et dormoyt si dreument, que elle avoyt des bourriers de chassie ez yeulx. De cecy triumpha moult le prevost, disant audict seigneur que, pour le seur, on l’avoyt truphé, que sa femme estoyt saige, et de faict elle se monstra estonnée comme pas une. Le connestable vuyda la place. Bon prevost de soy despouiller pour se couchier tost, veu que ceste adventure luy avoyt remis sa bonne femme en mémoire. Pendant que il ostoyt son harnoys et quittoyt ses chausses, la bourgeoyse, tousiours estonnée, lui disoyt :

— Hé ! mon chier mignon, d’où sort ce bruit, ce monseigneur le connestable et ses paiges ? Et pourquoi venir veoir si ie dors ! Sera-ce désormais en la charge des connestables de veoir comment sont establis nos…

— Ie ne sçays, feit le prevost, qui l’interrompit pour luy raconter ce qui luy estoyt advenu.

— Et tu has veu, sans en avoir licence de moy, dit-elle, celluy d’une dame de la Court. Ha ! ha heu ! heu ! hein !

Lors se mit à geindre, se plaindre, crier si desplourablement et si fort, que le prevost demoura pantois.

— Hé ! qu’as-tu ma mye ? que veulx-tu ? que te faut-il ?

— Hein ? tu ne m’aymeras plus après avoir veu comment sont les dames de la Court !

— Tais-toy, ma mye, ce sont de grans dames. Ie te le dis à toy seulement, tout est grant en diable chez elles.

— Vère, feit-elle en soubriant, suis-je mieulx ?

— Ha ! feit-il tout esblouy, il y a iuste un grant empan de moins.

— Elles ont doncques plus de ioye, feit-elle en soupirant, veu que i’y en ai tant pour si peu.

Sur ce, le prevost cherchia ung meilleur raisonnement pour arraisonner sa bonne femme et l’arraisonna, veu que elle se laissa finablement convaincre du grant plaisir que Dieu ha mis ez petites chouses.

Cecy nous demonstre que rien icy-bas ne prévauldra contre l’Ecclise des cocqus.