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Les Feuilles de Zo d’Axa/Drumont et Vacher

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Les Feuilles de Zo d’Axa
Les FeuillesSociété libre des gens de lettres (p. 219-232).


Drumont et Vacher


CONSULTATION ANTISÉMITE


Comment vous va ?

Chacun sait que M. Drumont porte un bandage herniaire. C’est là un fait historique : il nous le confia dans un article. Nous avons cru qu’il serait intéressant de rechercher jusqu’à quel point cette disgrâce physique du chef des antisémites pouvait affecter son « moral », — sa morale, si vous voulez ?

Mettons Doctrine, et parlons-en.

J’ai consulté son bandagiste, antisémite militant lui-même, qui pour une petite réclame n’a pas hésiter à violer le secret professionnel. Je n’abuserai pas des confidences et ne ferai pas la petite réclame. Une chose reste acquise : la hernie n’est pas seulement la pénible tumeur molle qu’il faut religieusement comprimer ; il paraît que cette infirmité apporte parfois aussi, dans l’organisme prédisposé, certains troubles graves dont la science commence à se préoccuper. Ce sont des troubles cérébraux : manie du mensonge et des faux, folie du meurtre et des grandeurs.

Il est urgent de soigner Édouard.

Évitons que ne s’aggrave le mal : pas d’excitants, pas d’émotions. Évitons surtout, avec soin, la fatale hernie étranglée.

Étranglée ! Les mots vont vite… Et l’on songe à la Vérité, cette belle fille toute nue qui passe, à travers les âges, portant toujours, à la gorge, la trace sanglante des ongles de tant de chrétiens et de tant de juifs.


Pour le Prince


Si, en ce moment, peu de sémites ont bonne tenue dans la mêlée, et daignent voir plus loin que Dreyfus, ce sont quand même les antisémites qui détiennent apparemment le record de la mauvaise foi.

Lisez la Libre Parole, d’où partent tous les mots d’ordre, où se trament toutes les intrigues, où, non sans esprit pratique, s’ourdissent tous les complots basés sur les fanatismes religieux et patriotards. Comprenez le sens, à peine caché, des vocables que les tacticiens emploient pour préparer, de loin, l’oblique des mouvements tournants : de patriote et républicaine que s’intitulait la Libre Parole, elle est, à présent, devenue tout simplement nationaliste — ce qui voudra dire, demain : traditionnelle et royaliste. Je ne vais pas tirer ma preuve de déductions, faciles pourtant… Elle apparaît matérielle. Il suffit de constater que, à l’effacement de toutes autres communications de groupes politiques, le journal de M. Drumont insère, en ses meilleures places, les convocations des Comités royalistes, parlotes dont elle ne manque pas d’imprimer des comptes rendus où ses sympathies se dénoncent. Les pires roublards ont, ainsi, des maladresses qui déconcertent — et qui les livrent.

De même que les maris trompés, les républicains d’Algérie seront, sans doute, les derniers à s’apercevoir, un laid jour, des trahisons de leur élu.

Ils attendront le flagrant délit.

Comme l’heure est proche, on peut causer. Drumont est l’homme de la crise. On le sent l’artisan louche d’une réaction sans majesté ; ce n’est pas le grand premier rôle décoratif et de belle allure, c’est le troisième rôle, le rôle du traître de mélodrame et de sacristie.

Le traître devait crier : au traître !

C’est lui, Drumont, ce sont ses amis, les Sandherr et les du Paty, qui semblent avoir machiné cette tortueuse affaire Dreyfus, destinée à prouver au peuple que tous les juifs vendent leur patrie — et que la France, par conséquent, sous la république enjuivée, est à la merci de l’Allemagne. Les bataillons de la Ligue des Pitres se chargèrent de la conclusion, pour les poires, à travers les rues, en mêlant aux : À bas les Juifs ! de retentissants : Vive le roi !

À quand le retour du Prince ?


Logiquement


Le Prétendant ridicule, dont le premier acte politique fut de réclamer une gamelle, flaira que l’instant était venu de s’adresser à son bon peuple. Le prince signa un manifeste où, économisant même tout travail de rédaction, il se contentait de répéter les déclamations tricolores qui font la joie, quotidiennement, des lecteurs de la Libre Parole, de la Croix et de l’Intransigeant. L’accord ainsi pouvait se faire, le nouveau parti se constituer. Car, enfin, je vous le demande : Si c’est le Roi qui a raison, pourquoi garder la République ?


La cour des Miracles


République ou bien monarchie, parlementarisme ou dictature ne sont d’ailleurs que des formules de syndicats en concurrence — syndicats de tondeurs de peuple. Tondus par les mains d’un roi ou les mille pattes d’un parlement, les Français de l’année qui court se désintéressent du détail. Quelques bandes de salariés figureront le peuple, comme au théâtre, et, pour le compte du plus payant, manifesteront au nom de la France.

Quant aux hommes libres que dégoûtent la bassesse et l’hypocrisie de la société contemporaine, ils ne sauraient marcher sans réserve pour la défense de cette république qui créa le délit d’opinion et fit des lois contre l’Idée.

Aussi, ma foi, dans la bagarre où ne nous rallie aucun drapeau, il n’est qu’un plaisir à prendre : celui de pointer au passage, comme il convient, les faux bonshommes qui se hissent aux épaules des foules pour pouvoir, de plus haut, mentir.

Le grand Chicard et dom Basile, les lanciers et les débardeurs, Déroulède, Drumont, Millevoye, les Meyer et les Polonnais donnent à la cohue des allures de descente de la Courtille.

Ils vont, s’agitent et se démènent. Judet, déguisé en lieutenant, porte Gyp sur ses épaules. Barrès, en costume d’eunuque, cherche en vain son « moi » dans ses poches. Forain se fait la tête de Lepelletier ; Humbert, celle d’un honnête homme. Le beau Nenesse joue du couteau. Caran d’Ache joue les culs-de-jatte.

La cour des Miracles descend : des curés, des « sans Dieu ni Maître », des abusés, des renégats, des soutanes et des casquettes. Dans la boue de tous les ruisseaux, ils ramassent leurs confettis, leurs arguments de carnaval… Et les badauds éclaboussés s’entre-regardent et se demandent s’ils doivent rire ou s’ils doivent siffler.


Drumont pour tout !


Drumont, député d’Alger, élu comme républicain, mais qui veut la France aux Frocards, conduit l’étrange cotillon où doit danser l’argent des juifs. C’est un ballet en deux tableaux : banque catholique contre banque juive.

C’est la valse des concurrences.

Et c’est au moulin de la Galette que devraient se tenir les meetings. L’habit ne serait pas de rigueur car ce n’est pas lui qui fait le moine… Mais entre deux contredanses, on pourrait faire sauter les masques.

Masque, cagoule d’inquisiteur ! Face patibulaire de marchand. Masque-réclame pour le bi-borax. On se souvient que la Libre Parole Illustrée publia — elle en mourut — comme dessin de sa première page, un portrait-charge de son directeur, en costume de teinturier, lessivant la carte de France :

« C’est avec le bi-borax Un Tel, annonçait la chère légende, qu’Édouard Drumont nettoie le pays ! — Le bi-borax enlève les taches, décrasse, dégraisse, etc. ; en vente chez les épiciers. »

Quel juif eût trouvé celle-là ? Annonces sordides. Mannequin à vendre. Homme sandwich. Drumont pour tout ! C’est au milieu de son journal, quelques jours après le suicide du lieutenant-colonel Henry, qu’on trouvait sous le titre : Allons-y ! inscrit en lettres capitales… une annonce de terrains à vendre !

Quand ce funambule de Mi-Carême offre, à la Reine des blanchisseuses, une paire de boucles d’oreilles, il fait glisser, dans le compte rendu, la réclame du bijoutier. Si, en l’honneur d’une élection, on vide des coupes, au journal, le reporter ne manque jamais de chanter la marque du Champagne.

Le reporter ne chante pas seul. Masque de comparses. Masque et guitare. On dit que notre président, le vieil ami de Mme Gyp (les relations datent du temps où Félix corroyait des peaux), on dit que M. Félix Faure n’a rien à refuser à Drumont qui le fait solfier en mesure au moyen d’une photographie. Ce talisman ne serait autre que la reproduction exacte de la Carte spéciale d’une dame qu’une alliance fit sa proche parente. Pas de chance, en famille, le tanneur : Oh ! la peau ! la peau ! la peau !…

Malheureusement pour Drumont, s’il a d’instinct toutes les roueries, il n’a pas le sens du ridicule. Le pauvre jaunit de dépit quand, à son retour d’Angleterre, le peuple fit fête à Rochefort. Il voulut jouer à son tour le pamphlétaire exilé : il fila par le train de Bruxelles, sans raison et sans autre rime que de faire la rime à Rochefort. Lorsqu’il revint, quelques mois plus tard, Drumont qui compte pourtant ses pièces ne regarda pas à la dépense : le Tout-Paris du Croissant lui fit un cortège grotesque.

Une imbécile vanité entraîne cet homme, au moins laid, à se faire tout le temps portraiturer. Il ne se doute pas de l’effet produit. De face, de profil ou de trois-quarts, il grimace sur des affiches, il fait la retape sur les murs.

Masque du Maître, masque de valet, masque de fureur et de frousse. Masque disparate : regard oblique, cheveux gras d’onctueux séminariste, lèvres lippues de Bamboula, poil hirsute de vieux rabbin. De tout, dans l’ensemble faux : du policier ratiocinant selon l’Évangile de Saint-Marc, de Quasimodo terroriste brandissant l’épée de Saint-Georges.

Masque d’escrime ! Vous avez vu, aux vitrines des librairies, dans cette série de photographies représentant « nos contemporains chez eux », un effarant portrait de Drumont. Communément, nos gens célèbres préparent, pour le photographe, le beau désordre de leur bureau, l’air inspiré, le livre ouvert, l’exposition des bibelots. Les femmes rêvent parmi des fleurs. Drumont prit la pose héroïque d’un maître grimaud sous les armes : veste rembourrée d’escrimeur, fleuret en main — masque sous le bras — une lueur martiale dans les lunettes.

Trremblez ! ennemis de la Rrrace…

Le sociologue est un rude champion. C’est lui qui dans certain duel, contre une lame peu experte, continua à fourrager après le commandement : halte ! c’est-à-dire lorsque l’adversaire était par là même désarmé.

— Quand je me bats… je me bats, proféra-t-il pour se disculper.

Drumont fut-il responsable ? On voulut admettre que non ; ce jour-là, le preux chevalier esquiva la Cour d’assises. Vacher, le mystique Vacher, vient d’avoir moins de chance que lui.


Vacher mystique


Vacher, que le jury de l’Ain reconnut pleinement responsable, n’était pas un antisémite.

C’était un anti-berger.

Le fol entendait des voix. Et, quand revenait le printemps, comme on effeuille pâquerettes, il éventrait de jeunes pâtres.

— C’est ma Mission ! répliqua-t-il au juge qui l’interrogeait.

— C’est mon Œuvre ! clamera Drumont quand l’Algérie flambera les juifs.

Je ne veux pas injurier Vacher, condamné à la guillotine ; mais il est bien certain, pourtant, que ses hurlements : Mort aux bergers ! équivalent sensiblement au cri de Drumont : Mort aux juifs !

Je sais que Vacher pourrait me dire qu’il n’eut jamais l’intention de dévaliser ses victimes. Ce chemineau apostolique qui répondit au président : « Je me fous de vous, je me fous des hommes. Je ne relève que de Dieu », ce féroce envoyé du Ciel n’a pas caché son opinion sur les bandes de tous les Max qui assomment pour dévaliser :

— Je ne suis pas un voleur ! s’écria-t-il. Ceux qui tuent pour dépouiller sont des misérables !

Vacher parla aussi de Jeanne d’Arc. Il insista sur le côté pieux des historiques éventrements, toujours commis par ordre céleste :

— Je ne pouvais pas faire autrement, puisque la divine Providence l’ordonnait.

Et comme le procureur fait observer que de longues années l’impunité fut acquise au sinistre fléau de Dieu :

— C’est évident, conclut Vacher, la Providence me protégeait. C’est elle qui me conduisait.

Le révérend père Olivier serait le premier à reconnaître qu’hormis le bazar de la Charité, l’on ne vit rien de plus édifiant… Et quant à toi, ô Didon, révérend père Coupe Toujours, prêcheur de sermons sanglants,


Du haut d’la chair’, ta place coutumière…


ô père Didon, tu dois être content…

Le catholicisme de Vacher vaut celui de tous ces bons moines. Sa maîtrise fit moins de victimes que ne rêve d’en abattre Drumont.

Encore Vacher, oint du Seigneur, excipe-t-il, pour sa défense, qu’il fut autrefois léché par un cabot enragé. Les Didon, les Olivier ont fait leurs aveux sadiques. Drumont ne nous a fourni que l’excuse de son bandage !

Tous ces gens-là sont des malades, inscrits à la même clinique : des obsédés, des difformes, loufoques et loups-garous…


Libres paroles


J’ai, sous les yeux, une carte de France, où l’on a marqué, en grisaille, les biens des Congrégations en 1881 ; sur la même carte, par des taches noires, on a de plus figuré l’étendue actuelle de ces biens. Le bi-borax n’y ferait rien : les taches noires se plaquent sur le pays telle une lèpre envahissante. De 1881 à 1898, l’étendue de ces pieux domaines a triplé sur le sol français. Leur valeur, à tout compter, atteint une dizaine de milliards !

Tandis que les Congrégations accaparaient ainsi le sol, les conquistadores sémites conquéraient comme ils pouvaient. La lutte est entre complices qui se disputent la Terre et l’Or. Les formes de gouvernement interviennent, comme conclusion, selon que les belligérants supposent qu’elles s’adaptent mieux au vol rural ou de la Banque : les jésuites sont royalistes, les juifs sont républicains.

Le peuple n’est qu’affamé.

La France aux juifs ou aux jésuites… Qu’est-ce que vous voulez que ça fasse au citoyen qui, ce soir, n’a pas vingt sous pour dîner.

Pauvre peuple ! On le mêle à tout. Vacher s’écriait lui-même, dans une troublante apostrophe que les journaux ont rapportée :

— Que me veut-on ? j’ai le peuple pour moi…

Drumont dit l’avoir aussi.

Vacher — Drumont ! Toute l’Époque… Gnômes cyniques de la Fin d’un Monde, larves parentes, frères jumeaux palabrant au pied de la Croix. L’un convaincu, l’autre truqueur : Vacher qui, ne l’oublions pas, débuta comme frère mariste et s’acheva comme sous-off. Vacher qui porta le sabre, Vacher qui tint le goupillon…

Drumont qui tient la Boutique !