Œuvres complètes de Lamartine (1860)/Tome 1/Les Fleurs

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TRENTE-HUITIÈME
MÉDITATION



LES FLEURS


1837


Ô terre, vil monceau de boue
Où germent d’épineuses fleurs,
Rendons grâce à Dieu, qui secoue
Sur ton sein ces fraîches couleurs !

Sans ces urnes où goutte à goutte
Le ciel rend la force à nos pas,
Tout serait désert, et la route
Au ciel ne s’achèverait pas.


Nous dirions : À quoi bon poursuivre
Ce sentier qui mène au cercueil ?
Puisqu’on se lasse en vain à vivre,
Mieux vaut s’arrêter sur le seuil.

Mais, pour nous cacher les distances,
Sur le chemin de nos douleurs
Tu semes le sol d’espérances,
Comme on borde un linceul de fleurs !

Et toi, mon cœur, cœur triste et tendre,
Où chantaient de si fraîches voix ;
Toi qui n’es plus qu’un bloc de cendre
Couvert de charbons noirs et froids,

Ah ! laisse refleurir encore
Ces lueurs d’arrière-saison !
Le soir d’été qui s’évapore
Laisse une pourpre à l’horizon.

Oui, meurs en brûlant, ô mon âme,
Sur ton bûcher d’illusions,
Comme l’astre éteignant sa flamme
S’ensevelit dans ses rayons !