Les Formes élémentaires de la vie religieuse/Livre II/Chapitre 2

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Livre II

Chapitre II

LES CROYANCES PROPREMENT TOTÉMIQUES
(Suite)

II. — L’animal totémique et l’homme

Mais les images totémiques ne sont pas les seules choses sacrées. Il existe des êtres réels qui, eux aussi, sont l’objet de rites en raison des rapports qu’ils soutiennent avec le totem : ce sont, avant tous autres, les êtres de l’espèce totémique et les membres du clan.

I

Tout d’abord, puisque les dessins qui représentent le totem éveillent des sentiments religieux, il est naturel que les choses dont ces dessins reproduisent l’aspect aient, en quelque mesure, la même propriété.

Ce sont, pour la plupart, des animaux et des plantes. Le rôle profane des végétaux et même des animaux est, d’ordinaire, de servir à l’alimentation ; aussi le caractère sacré de l’animal ou de la plante totémique se reconnaît-il à ce fait qu’il est interdit d’en manger. Sans doute, parce qu’ils sont choses saintes, ils peuvent entrer dans la composition de certains repas mystiques, et nous verrons, en effet, qu’ils servent parfois à de véritables sacrements ; mais normalement ils ne peuvent être utilisés pour la consommation vulgaire. Quiconque passe outre à cette défense s’expose aux plus graves dangers. Ce n’est pas que le groupe intervienne toujours pour réprimer artificiellement l’infraction commise ; mais on croit que le sacrilège produit automatiquement la mort. Dans la plante ou dans l’animal totémique est censé résider un principe redoutable qui ne peut pénétrer dans un organisme profane sans le désorganiser ou le détruire[1]. Seuls, les vieillards sont, au moins dans certaines tribus, affranchis de cette interdiction[2] ; nous en verrons plus loin la raison.

Cependant, si la prohibition est formelle dans un très grand nombre de tribus[3] — sous la réserve des exceptions qui seront indiquées plus tard — il est incontestable qu’elle tend à s’atténuer à mesure que la vieille organisation totémique est plus ébranlée. Mais les restrictions mêmes qui se maintiennent alors démontrent que ces atténuations n’ont pas été admises sans difficultés. Par exemple, là où il est permis de manger de la plante ou de l’animal qui sert de totem, ce n’est pourtant pas en toute liberté ; on ne peut en consommer qu’une petite quantité à la fois. Dépasser la mesure constitue une faute rituelle qui a de graves conséquences[4]. Ailleurs, la défense subsiste tout entière pour les parties qui sont regardées comme les plus précieuses, c’est-à-dire comme les plus sacrées ; par exemple, les œufs ou la graisse[5]. Ailleurs encore, la consommation n’en est tolérée sans réserve que s’il s’agit d’un animal qui n’est pas encore parvenu à la pleine maturité[6]. Sans doute, on considère dans ce cas que sa nature sacrée n’est pas encore entière. La barrière qui isole et protège l’être totémique ne cède donc que lentement et non sans de vives résistances qui témoignent de ce qu’elle devait être primitivement.

Il est vrai que, suivant Spencer et Gillen, ces restrictions seraient non les restes d’une prohibition rigoureuse qui irait en s’atténuant, mais, au contraire, le prélude d’une interdiction qui commencerait seulement à s’établir. D’après ces écrivains[7], la liberté de consommation aurait été complète à l’origine, et les imitations qui y sont présentement apportées seraient relativement récentes. Ils croient trouver la preuve de leur thèse dans les deux faits suivants. D’abord, comme nous venons de le dire, il y a des occasions solennelles ou les gens du clan ou leur chef non seulement peuvent, mais doivent manger de l’animal et de la plante totémique. Ensuite, les mythes rapportent que les grands ancêtres, fondateurs des clans, mangeaient régulièrement de leur totem : or, dit-on, ces récits ne peuvent se comprendre que comme l’écho d’un temps où les prohibitions actuelles n’auraient pas existé.

Mais le fait que, au cours de certaines solennités religieuses, une consommation, d’ailleurs modérée, du totem est rituellement obligatoire, n’implique aucunement qu’il ait jamais servi à l’alimentation vulgaire. Tout au contraire, l’aliment que l’on mange au cours de ces repas mystiques est essentiellement sacré, et par conséquent, interdit aux profanes. Quant aux mythes, c’est procéder d’après une méthode critique un peu sommaire que de leur attribuer aussi facilement une valeur de documents historiques. En général, ils ont pour objet d’interpréter des rites existants plutôt que de commémorer des événements passés ; ils sont une explication du présent beaucoup plus qu’une histoire. En l’espèce, ces traditions d’après lesquelles les ancêtres de l’époque fabuleuse auraient mangé de leur totem sont en parfait accord avec des croyances et des rites qui sont toujours en vigueur. Les vieillards, les personnages qui sont parvenus à une haute dignité religieuse sont affranchis des interdits auxquels est soumis le commun des hommes[8] : ils peuvent manger de la chose sainte parce qu’ils sont saints eux-mêmes ; c’est d’ailleurs une règle qui n’est pas particulière au seul totémisme, mais qu’on retrouve dans les religions les plus différentes. Or, les héros ancestraux étaient presque des dieux. Il devait donc paraître plus naturel encore qu’ils aient pu se nourrir de l’aliment sacré[9] ; mais ce n’est pas une raison pour que la même faculté ait été accordée aux simples profanes[10].

Cependant, il n’est ni certain ni même vraisemblable que la prohibition ait-jamais été absolue. Elle paraît avoir toujours été suspendue en cas de nécessité, par exemple quand l’indigène est affamé et qu’il n’a rien d’autre pour se nourrir[11]. À plus forte raison en est-il ainsi quand le totem est un aliment dont l’homme ne peut se passer. Ainsi, il y a un grand nombre de tribus où il existe un totem de l’eau ; une prohibition stricte est, dans l’espèce, manifestement impossible. Cependant, même dans ce cas, la faculté concédée est soumise à des conditions qui en restreignent l’usage et qui montrent bien qu’elle déroge à un principe reconnu. Chez les Kaitish et les Warramunga, un homme de ce totem ne peut pas boire de l’eau librement ; il lui est défendu de la puiser lui-même ; il ne peut en recevoir que des mains d’un tiers qui appartient obligatoirement à la phratrie dont il n’est pas membre[12]. La complexité de cette procédure et la gêne qui en résulte sont encore une façon de reconnaître que l’accès de la chose sacrée n’est pas libre. La même règle s’applique, dans certaines tribus du centre, toutes les fois où l’on mange du totem soit par nécessité soit pour toute autre cause. Encore faut-il ajouter que, quand cette formalité elle-même est inexécutable, c’est-à-dire quand un individu est seul ou n’est entouré que de membres de sa phratrie, il peut, s’il y a urgence, se passer de tout intermédiaire. On voit que l’interdiction est susceptible de tempéraments variés.

Néanmoins, elle repose sur des idées si fortement invétérées dans les consciences qu’elle survit très souvent à ses premières raisons d’être. Nous avons vu que, selon toute vraisemblance, les divers dans d’une phratrie ne sont que des subdivisions d’un clan initial qui se serait démembré. Il y eut donc un moment ou tous ces clans fondus ensemble avaient le même totem ; par suite, là ou le souvenir de cette commune origine ne s’est pas complètement effacé, chaque clan continue à se sentir solidaire des autres et à considérer que leurs totems ne lui sont pas étrangers... Pour cette raison, un individu ne peut pas manger en toute liberté des totems affectés aux différents clans de la phratrie dont il n’est pas membre ; il ne peut y toucher que si la plante ou l’animal interdits lui ont été présentés par un membre de l’autre phratrie[13].

Une autre survivance du même genre est celle qui concerne le totem maternel. Il y a de fortes raisons de croire que, à l’origine, le totem se transmettait en ligne utérine. Là donc où la filiation en ligne paternelle est entrée en usage, ce ne fut très probablement qu’après une longue période durant laquelle le principe opposé avait été appliqué : par suite, l’enfant avait alors le totem de sa mère et était soumis à tous les interdits qui y étaient attachés. Or, dans certaines tribus, où pourtant l’enfant hérite aujourd’hui du totem paternel, il survit quelque chose des interdictions qui protégeaient primitivement le totem de la mère : on ne peut pas en manger librement[14]. Il n’y a plus rien pourtant, dans l’état présent des choses, qui corresponde à cette prohibition.

À l’interdiction de manger s’ajoute souvent celle de tuer ou, si le totem est une plante, de cueillir[15]. Cependant, ici encore, il y a bien des exceptions et des tolérances. Il y a notamment le cas de nécessité, quand, par exemple, le totem est un animal nuisible[16] ou qu’on n’a rien à manger. Il y a même des tribus où il est défendu de chasser pour son compte l’animal dont on porte le nom et où pourtant il est permis de le tuer pour le compte d’autrui[17]. Mais en général, la manière dont l’acte est accompli indique bien qu’il y a quelque chose d’illicite. On s’en excuse, comme d’une faute ; on témoigne du chagrin que l’on ressent, de la répugnance que l’on éprouve[18], et on prend les précautions nécessaires pour que l’animal souffre le moins possible[19].

Outre les interdictions fondamentales, on cite quelques cas de prohibition de contact entre l’homme et son totem. Ainsi, chez les Omaha, dans le clan de l’Élan, nul ne peut toucher une partie quelconque du corps de l’élan mâle ; dans un sous-clan du Buffle, il n’est pas permis de toucher à la tête de cet animal[20]. Chez les Bechuana, nul n’oserait se vêtir de la peau de l’animal qu’il a pour totem[21]. Mais ces cas sont rares ; et il est naturel qu’ils soient exceptionnels puisque, normalement, l’homme doit porter sur lui l’image de son totem ou quelque chose qui le rappelle. Le tatouage et les costumes totémiques seraient impraticables si tout contact était interdit. On remarquera, d’ailleurs, que cette défense ne s’observe pas en Australie, mais seulement dans des sociétés où le totémisme est déjà bien éloigné de sa forme originelle ; elle est donc vraisemblablement d’origine tardive et due peut-être à l’influence d’idées qui n’ont rien de proprement totémique[22].

Si maintenant nous rapprochons ces interdictions diverses de celles dont l’emblème totémique est l’objet, il apparaît, contrairement à ce qu’on pouvait prévoir, que ces dernières sont plus nombreuses, plus strictes, plus sévèrement impératives que les premières. Les figures de toute sorte qui représentent le totem sont entourées d’un respect sensiblement supérieur à celui qu’aspire l’être même dont ces figurations reproduisent la forme. Les churinga, le nurtunja, la waninga ne doivent jamais être maniés par les femmes ou les non-initiés qui ne sont même autorisés à les entrevoir que très exceptionnellement et à distance respectueuse. Au contraire, la plante ou l’animal dont le clan porte le nom peuvent être vus et touchés par tout le monde. Les churinga sont conservés dans une sorte de temple, au seuil duquel tous les bruits de la vie profane viennent mourir ; c’est le domaine des choses saintes. Au contraire, animaux et plantes totémiques vivent sur le terrain profane et sont mêlés à la vie commune. Et comme le nombre et l’importance des interdictions qui isolent une chose sacrée et la retirent de la circulation correspondent au degré de sainteté dont elle est investie, on arrive à ce remarquable résultat que les images de l’être totémique sont plus sacrées que l’être totémique lui-même. Au reste, dans les cérémonies du culte, c’est le churinga, c’est le nurtunja qui tiennent la première place ; l’animal n’y apparaît que très exceptionnellement. Dans un rite, dont nous aurons à parler[23], il sert de matière à un repas religieux, mais il ne joue pas de rôle actif. Les Arunta dansent autour du nurtunja, ils s’assemblent devant l’image de leur totem et ils l’adorent ; jamais semblable démonstration ne s’adresse à l’être totémique lui-même. Si ce dernier était la chose sainte par excellence, c’est avec lui, c’est avec la plante ou l’animal sacré que le jeune initié devrait communier quand il est introduit dans le cercle de la vie religieuse ; nous avons vu, au contraire, que le moment le plus solennel de l’initiation est celui ou le novice pénètre dans le sanctuaire des churinga. C’est avec eux, c’est avec le nurtunja qu’il communie. Les représentations du totem ont donc une efficacité plus active que le totem lui-même.

II

Il nous faut maintenant déterminer la place de l’homme dans le système des choses religieuses.

Nous sommes enclins, par tout un ensemble d’habitudes acquises et par la force même du langage, à concevoir l’homme du commun, le simple fidèle comme un être essentiellement profane. Il pourrait bien se faire que cette conception ne fût vraie à la lettre d’aucune religion[24] ; en tout cas, elle ne s’applique pas au totémisme. Chaque membre du clan est investi d’un caractère sacré qui n’est pas sensiblement inférieur à celui que nous venons de reconnaître à l’animal. La raison de cette sainteté personnelle, c’est que l’homme croit être, en même temps qu’un homme au sens usuel du mot, un animal ou une plante de l’espèce totémique.

En effet, il en porte le nom ; or l’identité du nom passe alors pour impliquer une identité de nature. La première n’est pas simplement considérée comme l’indice extérieur de la seconde ; elle la suppose logiquement. Car le nom, pour le primitif, n’est pas seulement un mot, une combinaison de sons ; c’est quelque chose de l’être, et même quelque chose d’essentiel. Un membre du clan du Kangourou s’appelle lui-même un kangourou ; il est donc, en un sens, un animal de cette même espèce. « Un homme, disent Spencer et Gillen, regarde l’être qui lui sert de totem comme étant la même chose que lui-même. Un indigène, avec qui nous discutions la question, nous répondit en nous montrant une photographie que nous venions de prendre de lui : « Voilà qui est exactement la même chose que moi. Eh bien ! il en est de même du kangourou. » Le kangourou était son totem[25]. Chaque individu a donc une double nature : en lui coexistent deux êtres, un homme et un animal.

Pour donner un semblant d’intelligibilité à cette dualité, si étrange pour nous, le primitif a conçu des mythes qui, sans doute, n’expliquent rien et ne font que déplacer la difficulté, mais qui, en la déplaçant, paraissent du moins en atténuer le scandale logique. Avec des variantes dans le détail, ils sont tous construits sur le même plan : ils ont pour objet d’établir entre l’homme et l’animal totémique des rapports généalogiques qui fassent du premier le parent du second. Par cette communauté d’origine, que l’on se représente, d’ailleurs, de manières différentes, on croit rendre compte de leur communauté de nature. Les Narrinyeri, par exemple, ont imaginé que, parmi les premiers hommes, certains avaient le pouvoir de se transformer en bêtes[26]. D’autres sociétés australiennes placent au début de l’humanité soit des animaux étranges, dont les hommes seraient descendus on ne sait trop comment[27], soit des êtres mixtes, intermédiaires entre les deux règnes[28], soit encore des créatures informes, à peine représentables, dépourvues de tout organe déterminé, de tout membre défini, ou les différentes parties du corps étaient à peine esquissées[29]. Des puissances mythiques, parfois conçues sous forme d’animaux, seraient intervenues ensuite, et auraient transformé en hommes ces êtres ambigus et innommables qui représentent, disent Spencer et Gillen, « une phase de transition entre l’état d’homme et celui d’animal »[30]. Ces transformations nous sont présentées comme le produit d’opérations violentes et quasi chirurgicales. C’est à coups de hache ou, quand l’opérateur est un oiseau, à coups de bec que l’individu humain aurait été sculpté dans cette masse amorphe, les membres séparés les uns des autres, la bouche ouverte, les narines percées[31]. On retrouve en Amérique des légendes analogues, sauf que, en raison de la mentalité plus développée de ces peuples, les représentations qu’elles mettent en œuvre ne sont pas d’une confusion aussi troublante pour la pensée. Tantôt, c’est quelque personnage légendaire qui, par un acte de son pouvoir, aurait métamorphosé en homme l’animal éponyme du clan[32]. Tantôt le mythe essaye d’expliquer comment, par une suite d’événements à peu près naturels et une sorte d’évolution spontanée, l’animal, de lui-même, se serait peu à peu transformé et aurait fini par prendre une forme humaine[33].

Il existe, il est vrai, des sociétés (Haida, Tlinkit, Tsimshian) où il n’est plus admis que l’homme soit né d’un animal ou d’une plante : l’idée d’une affinité entre les animaux de l’espèce totémique et les membres du clan y a, pourtant, survécu, et elle s’exprime en des mythes qui, pour différer des précédents, ne laissent pas de les rappeler dans ce qu’ils ont d’essentiel. Voici, en effet, l’un des thèmes fondamentaux. L’ancêtre éponyme y est présenté comme un être humain, mais qui, à la suite de péripéties diverses, aurait été amené à vivre pendant un temps plus ou moins long au milieu d’animaux fabuleux de l’espèce même qui a donné son nom au clan. Par suite de ce commerce intime et prolongé, il devint tellement semblable à ses nouveaux compagnons que, quand il revint parmi les hommes, ceux-ci ne le reconnurent plus. On lui donna donc le nom de l’animal auquel il ressemblait. C’est de son séjour dans ce pays mythique qu’il aurait rapporté l’emblème totémique avec les pouvoirs et les vertus qui passent pour y être attachés[34]. Ainsi, dans ce cas comme dans les précédents, l’homme est censé participer de la nature de l’animal, bien que cette participation soit conçue sous une forme légèrement différente[35].

Il a donc, lui aussi, quelque chose de sacré. Diffus dans tout l’organisme, ce caractère est plus particulièrement apparent sur certains points privilégiés. Il y a des organes et des tissus qui en sont spécialement marqués : ce sont surtout le sang et les cheveux.

Le sang humain, tout d’abord, est chose si sainte que, dans les tribus de l’Australie centrale, il sert très souvent à consacrer les instruments les plus respectés du culte. Le nurtunja, par exemple, est, dans certains cas, religieusement oint, de haut en bas, avec du sang d’homme[36]. C’est sur un terrain tout détrempé de sang que les gens de l’Émou, chez les Arunta, dessinent l’emblème sacré[37]. Nous verrons plus loin comment les flots de sang sont répandus sur les rochers qui représentent les plantes ou les animaux totémiques[38]. Il n’est pas de cérémonie religieuse où le sang n’ait quelque rôle à jouer[39]. Au cours de l’initiation, il arrive que des adultes s’ouvrent les veines et arrosent de leur sang le novice ; et ce sang est une chose si sacrée qu’il est défendu aux femmes d’être présentes tandis qu’il coule ; la vue leur en est interdite, tout comme celle d’un churinga[40]. Le sang que perd le jeune initié pendant les opérations violentes qu’il est tenu de subir a des vertus toutes particulières : il sert à diverses communions[41]. Celui qui s’écoule pendant la subincision est, chez les Arunta, pieusement recueilli et enterré en un lieu sur lequel on place une pièce de bois qui signale aux passants la sainteté de l’endroit ; aucune femme ne doit en approcher[42]. C’est, d’ailleurs, par la nature religieuse du sang que s’explique le rôle, également religieux, de l’ocre rouge qui, lui aussi, est d’un emploi très fréquent dans les cérémonies ; on en frotte les churinga ; on s’en sert dans les décorations rituelles[43]. C’est que, à cause de sa couleur, il est considéré comme une substance parente du sang. Même plusieurs dépôts d’ocre rouge que l’on trouve sur différents points du territoire Arunta passent pour du sang coagulé que certaines héroïnes de l’époque mythique auraient laissé s’écouler sur le sol[44].

La chevelure a des propriétés analogues. Les indigènes du centre portent des ceintures, faites de cheveux humains, dont nous avons déjà signalé les fonctions religieuses : elles servent de bandelettes pour envelopper certains objets du culte[45]. Un homme a-t-il prêté à un autre un de ses churinga ? En témoignage de reconnaissance, le second fait au premier un présent de cheveux ; ces deux sortes de choses sont donc considérées comme de même ordre et de valeur équivalente[46]. Aussi l’opération de la coupe des cheveux est-elle un acte rituel qui s’accompagne de cérémonies déterminées : l’individu qui la subit doit se tenir accroupi par terre, la face tournée dans la direction de l’endroit ou sont censés avoir campé les ancêtres fabuleux de qui le clan de sa mère passe pour être descendu[47].

Pour la même raison, aussitôt qu’un homme est mort, on lui coupe les cheveux, on les dépose dans un endroit écarté, car ni les femmes ni les non-initiés n’ont le droit de les voir ; et c’est là, loin des yeux profanes, que l’on procède à la confection des ceintures[48]

On pourrait signaler d’autres tissus organiques qui, à des degrés divers, manifestent des propriétés analogues : tels sont les favoris, le prépuce, la graisse du foie, etc.[49]. Mais il est inutile de multiplier les exemples. Ceux qui précèdent suffisent à prouver qu’il existe chez l’homme quelque chose qui tient le profane à distance et qui possède une efficacité religieuse ; en d’autres termes, l’organisme humain recèle dans ses profondeurs un principe sacré qui, dans des circonstances déterminées, vient ostensiblement affleurer au-dehors. Ce principe ne diffère pas spécifiquement de celui qui fait le caractère religieux du totem. Nous venons de voir, en effet, que les substances diverses dans lesquelles il s’incarne plus éminemment entrent dans la composition rituelle des instruments du culte (nurtunja, dessins totémiques), ou servent à des onctions dont le but est de revivifier les vertus soit des churinga soit des rochers sacrés ; ce sont donc choses de même espèce.

Toutefois, la dignité religieuse qui, à ce titre, est inhérente à chaque membre du clan n’est pas égale chez tous. Les hommes la possèdent à un plus haut degré que les femmes ; par rapport à eux, elles sont comme des profanes[50]. Aussi, toutes les fois où il y a une assemblée soit du groupe totémique soit de la tribu, les hommes forment un camp à part, distinct de celui des femmes et fermé à ces dernières : ils sont séparés[51]. Mais il y a aussi des différences dans la manière dont les hommes sont marqués du caractère religieux. Les jeunes gens non initiés en sont totalement dépourvus puisqu’ils ne sont pas admis aux cérémonies. C’est chez les anciens qu’il atteint son maximum d’intensité. Ils sont tellement sacrés que certaines choses défendues au vulgaire leur sont permises : ils peuvent plus librement manger de l’animal totémique, et même, comme nous l’avons vu, il y a des tribus où ils sont libérés de toute prohibition alimentaire.

Il faut donc se garder de voir dans le totémisme une sorte de zoolâtrie. L’homme n’a nullement, vis-à-vis des animaux ou des plantes dont il porte le nom, l’attitude du fidèle vis-à-vis de son dieu, puisqu’il appartient lui-même au monde sacré. Leurs rapports sont plutôt ceux de deux êtres qui sont sensiblement au même niveau et d’égale valeur. Tout au plus peut-on dire que, du moins dans certains cas, l’animal paraît occuper une place légèrement plus élevée dans la hiérarchie des choses sacrées. C’est ainsi qu’il est appelé quelquefois le père ou le grand-père des hommes du clan ; ce qui semble indiquer qu’ils se sentent vis-à-vis de lui dans un certain état de dépendance morale[52]. Encore arrive-t-il souvent, et peut-être même le plus souvent, que les expressions employées dénotent plutôt un sentiment d’égalité. L’animal totémique est appelé l’ami, le frère aîné de ses congénères humains[53]. En définitive, les liens qui existent entre eux et lui ressemblent beaucoup plus à ceux qui unissent les membres d’une même famille ; animaux et hommes sont faits de la même chair comme disent les Buandik[54]. En raison de cette parenté, l’homme voit dans les animaux de l’espèce totémique de bienfaisants associés sur l’assistance desquels il croit pouvoir compter. Il les appelle à son aide[55] et ils viennent guider ses coups à la chasse, l’avertir des dangers qu’il peut courir[56]. En échange, il les traite avec égards, il ne les brutalise pas[57] ; mais les soins qu’il leur rend ne ressemblent aucunement à un culte.

L’homme paraît même parfois avoir sur son totem une sorte de droit mystique de propriété. L’interdiction de le tuer et de le manger ne s’applique naturellement qu’aux membres du clan ; elle ne pourrait s’étendre aux personnes étrangères sans rendre la vie matériellement impossible. Si, dans une tribu comme celle des Arunta, où il y a une multitude de totems différents, il était interdit de manger non seulement de l’animal ou de la plante dont on porte le nom, mais encore de tous les animaux et de toutes les plantes qui servent de totems aux autres clans, les ressources alimentaires seraient réduites à rien. Il y a cependant des tribus où la consommation de la plante ou de l’animal totémique n’est pas permise sans restrictions, même à l’étranger. Chez les Wakelbura, elle ne doit pas avoir lieu en présence des gens du totem[58]. Ailleurs, il faut leur permission. Par exemple, chez les Kaitish et les Unmatjera, quand un homme du totem de l’Émou, se trouvant dans une localité occupée par un clan de la Semence de l’herbage (grass seed), cueille quelques-unes de ces graines, il doit, avant d’en manger, aller trouver le chef et lui dire : «  J’ai cueilli ces grains dans votre pays. » À quoi le chef répond : « C’est bien ; vous pouvez les manger. » Mais si l’homme de l’Émou en mangeait avant d’avoir demandé l’autorisation, on croit qu’il tomberait malade et courrait le risque de mourir[59]. Il y a même des cas où le chef du groupe doit prélever une petite part de l’aliment et la manger lui-même : c’est une sorte de redevance qu’on est tenu d’acquitter[60]. Pour la même raison, le churinga communique au chasseur un certain pouvoir sur l’animal correspondant : par exemple, on a plus de chances de prendre des euros[61]. C’est la preuve que le fait de participer à la nature d’un être totémique confère sur ce dernier une sorte de droit éminent. Enfin, il y a, dans le Queensland septentrional, une tribu, les Karingbool, où les gens du totem ont seuls le droit de tuer l’animal totémique ou, si le totem est un arbre, de le dépouiller de son écorce. Leur concours est indispensable à tout étranger qui veut utiliser pour des fins personnelles la chair de cet animal ou le bois de cet arbre[62]. Ils jouent donc le rôle de propriétaires, bien qu’évidemment il s’agisse ici d’une propriété très spéciale et dont nous avons quelque mal à nous faire une idée.



  1. V. des cas dans Taplin, The Narrinyeri, p. 63 ; Howitt, Nat. Tr., p. 146, 769 ; Fison et Howitt, Kamilaroi a. Kurnai, p. 169 ; Roth, Superstition, Magic a. Medicine, § 150 ; Wyatt, Adelaide a. Encounter Bay Tribe, in Woods, p. 168 ; Meyer, ibid., p. 186.
  2. C’est le cas chez les Warramunga (North. Tr., p. 168).
  3. Par exemple, chez les Warramunga, les Urabunna, les Wonghihon, les Yuin, les Wotjobaluk, les Buandik, les Ngeumba, etc.
  4. Chez les Kaitish, si un homme du clan mange trop de son totem, les membres de l’autre phratrie ont recours à une manœuvre magique qui est censée le tuer (North. Tr., m. 294. Cf. Nat. Tr., p. 204 ; Langloh Parker, The Euahlayi Tribe, p. 20).
  5. Nat. Tr., p. 202 et note ; Strehlow, II, p. 58.
  6. North Tr., p. 173.
  7. Nat. Tr., p. 207 et suiv.
  8. V. plus haut, p. 182.
  9. Encore faut-il tenir compte de ce fait que, dans les mythes, jamais les ancêtres ne nous sont représentés comme se nourrissant régulièrement de leur totem. Ce genre de consommation est, au contraire, l’exception. Leur alimentation normale, suivant Strehlow, était la même que celle de l’animal correspondant (V. Strehlow, I, p. 4).
  10. Toute cette théorie, d’ailleurs, repose sur une hypothèse tout à fait arbitraire : Spencer et Gillen, ainsi que Frazer, admettent que les tribus du centre australien, notamment les Arunta, représentent la forme la plus archaïque et, par conséquent, la plus pure du totémisme. Nous dirons plus loin pourquoi cette conjecture nous paraît contraire à toutes les vraisemblances. Il est même probable que ces auteurs n’auraient pas si facilement accepté la thèse qu’ils soutiennent s’ils ne s’étaient refusés à voir dans le totémisme une religion et si, par suite, ils n’avaient méconnu le caractère sacré du totem.
  11. Taplin, The Narrinyeri, p. 64 ; Howitt, Nat. Tr., p. 145 et 147 ; Spencer et Gillen, Nat. Tr., p. 202 ; Grey, loc. cit. ; Curr, III, p. 462.
  12. North. Tr., p. 160, 167. Il ne suffit pas que l’intermédiaire soit d’un autre totem : c’est que, comme nous le verrons, un totem quelconque d’une phratrie est, dans une certaine mesure, interdit même aux autres membres de cette phratrie qui sont d’un totem différent.
  13. North. Tr., p. 167. On peut mieux s’expliquer maintenant comment il se fait que, quand l’interdiction n’est pas observée, c’est l’autre phratrie qui poursuit la répression du sacrilège (v. plus haut., p. 182, n. 4). C’est qu’elle est la plus intéressée à ce que la règle soit respectée. En effet, on croit que, quand cette règle est violée, l’espèce totémique risque de ne pas se reproduire abondamment. Or ce sont les membres de l’autre phratrie qui en sont les consommateurs réguliers ; ce sont donc eux qui sont atteints. Voilà pourquoi ils se vengent.
  14. C’est le cas chez les Loritja (Strehlow, II, p. 60, 6l), les Worgaia, les Warramunga, les Walpari, les Mara, les Anula, les Binbinga (North. Tr., p. 166, 171, 173). On peut en manger chez les Warramunga, les Walpari, mais seulement si l’offre en est faite par un membre de l’autre phratrie. Spencer et Gillen font remarquer (p. 167, n.) que, sous ce rapport, le totem paternel et le totem maternel sont soumis à une réglementation qui paraît différente. Sans doute, dans l’un et l’autre cas, l’offre doit venir de l’autre phratrie. Mais, quand il s’agit du totem du père ou totem proprement dit, cette phratrie est celle à laquelle le totem ne ressortit pas ; c’est le contraire, quand il s’agit du totem de la mère. C’est, sans doute, que le principe fut d’abord établi pour le premier, puis étendu mécaniquement au second, bien que la situation fût différente. Une fois qu’eût été instituée la règle en vertu de laquelle on ne pouvait passer outre à l’interdiction qui protège le totem que quand la proposition en était faite par quelqu’un de l’autre phratrie, on l’appliqua sans modifications au cas du totem maternel.
  15. Par exemple, chez les Warramunga (North. Tr., p. 166), chez les Wotjobaluk, les Buandik, les Kurnai (Howitt, p. 146-147), les Narrinyeri (Taplin, Narrinyeri, p. 63).
  16. Et encore n’est-ce pas dans tous les cas. L’Arunta du totem des Moustiques ne doit pas tuer cet insecte, même quand il en est incommodé ; il doit se borner à le chasser (Strehlow, II, p. 58. Cf. Taplin, p. 63).
  17. Chez les Kaitish, les Unmatjera (North. Tr., p. 160). Il arrive même que, dans certains cas, un ancien donne à un jeune homme d’un totem différent un de ses churinga pour permettre au jeune chasseur de tuer plus facilement l’animal qui sert de totem au donateur (ibid., p. 272).
  18. Howitt, Nat. Tr., p.146 ; Grey, op. cit., II, p. 228 ; Casalis, Basoutos, p. 221. Chez ces derniers, « il faut se purifier après avoir commis un tel sacrilège ».
  19. Howitt, II p. 58, 59, 61.
  20. Dorsey, Omaha Sociology, IIIrd Rep., p. 225, 231.
  21. Casalis, ibid.
  22. Même chez les Omaha, il n’est pas sûr que les interdictions de contact dont nous venons de rapporter quelques exemples soient de nature proprement totémique ; car plusieurs d’entre elles n’ont pas de rapports directs avec l’animal qui sert de totem au clan. Ainsi, dans un sous-clan de l’Aigle, l’interdiction caractéristique consiste à ne pouvoir toucher une tête de buffle (Dorsey, op. cit., p. 239) ; dans un autre sous-clan qui a le même totem, on ne peut toucher le vert-de-gris, le charbon de bois, etc. (ibid., p. 245).
    Nous ne parlons pas d’autres interdictions que mentionne Frazer, comme celles de nommer ou de regarder un animal ou une plante, car il est encore moins sûr qu’elles soient d’origine totémique, sauf peut-être pour ce qui concerne certains faits observés chez les Bechuana (Totemism, p. 12-13). Frazer admettait trop facilement alors — et il a eu, sur ce point, des imitateurs — que toute interdiction de manger ou de toucher un animal dépend nécessairement de croyances totémiques. Il y a, cependant, un cas en Australie, où la vue du totem paraît prohibée. D’après Strehlow (II, p. 59), chez les Arunta et les Loritja, un homme qui a pour totem la Lune ne doit pas la regarder longtemps ; autrement, il s’exposerait à mourir de la main d’un ennemi. Mais c’est, croyons-nous, un cas unique. Il ne faut pas perdre de vue, d’ailleurs, que les totems astronomiques ne sont vraisemblablement pas primitifs en Australie ; cette prohibition pourrait donc être le produit d’une élaboration complexe. Ce qui confirme cette hypothèse, c’est que, chez les Euahlayi, l’interdiction de regarder la Lune s’applique à toutes les mères et à tous les enfants, quels que soient leurs totems (L. Parker, The Euahlayi, p. 53).
  23. V. liv. II, chap. II, § II.
  24. Il n’y a peut-être pas de religion qui fasse de l’homme un être exclusivement profane. Pour le chrétien, l’âme que chacun de nous porte en soi, et qui constitue l’essence même de notre personnalité, a quelque chose de sacré. Nous verrons que cette conception de l’âme est aussi vieille que la pensée religieuse. Mais la place de l’homme dans la hiérarchie des choses sacrées est plus ou moins élevée.
  25. Nat. Tr., p. 202.
  26. Taplin, The Narrinyeri, p. 59-61.
  27. Chez certains clans Warramunga par exemple (North. Tr., p. 162).
  28. Chez les Urabunna (North. Tr., p. 147). Même quand on nous dit de ces premiers êtres que ce sont des hommes, en réalité, ils ne sont que semi-humains et participent, en même temps, de la nature animale. C’est le cas de certains Unmatjera (Ibid., p. 153-154). Il y a là des manières de penser dont la confusion nous déconcerte, mais qu’il faut accepter telles quelles. Ce serait les dénaturer que de chercher à y introduire une netteté qui leur est étrangère (cf. Nat. Tr., p. 119).
  29. Chez certains Arunta (Nat. Tr., p. 388 et suiv.) ; chez certains Unmatjera (North. Tr., p. 153).
  30. Nat. Tr., p. 389. Cf. Strehlow, I, p. 2-7.
  31. Nat. Tr., p. 389 ; Strehlow, I, p. 2 et suiv. Il y a, sans doute, dans ce thème mythique, un écho des rites d’initiation. L’initiation, elle aussi, a pour objet de faire du jeune homme un homme complet et, d’autre part, elle implique également de véritables opérations chirurgicales (circoncision, subincision, extraction de dents, etc.). On devait naturellement concevoir sur le même modèle les procédés qui servirent à former les premiers hommes.
  32. C’est le cas des neuf clans des Moqui (Schoolcraft, Indian Tribes, IV, p. 86), du clan de la Grue chez les Ojibway (Morgan, Ancient Society, p. 180), des clans des Nootka (Boas, VIth Rep. on the N. W. Tribes of Canada, p. 43), etc.
  33. C’est ainsi que se serait formé le clan de la Tortue chez les Iroquois. Un groupe de tortues aurait été obligé de quitter le lac où elles vivaient et de chercher un autre habitat. Une d’elles, plus grosse que les autres, supportait avec peine cet exercice à cause de la chaleur. Elle fit des efforts si violents qu’elle sortit de sa carapace. Le processus de transformation, une fois commencé, se poursuivit de lui-même et la tortue devint un homme qui fut l’ancêtre du clan (Erminnie A. Smith, The Myths of the Iroquois, IId Rep., p. 77). Le clan de l’Écrevisse chez les Choctaw se serait formé d’une manière analogue. Des hommes auraient surpris un certain nombre d’écrevisses qui vivaient dans leur voisinage, les auraient amenées au milieu d’eux, leur auraient appris à parler, à marcher, et finalement les auraient adoptées dans leur société (Catlin, North American Indians, II, p. 128).
  34. Voici, par exemple, une légende de Tsimshian. Au cours d’une chasse, un Indien rencontra un ours noir qui l’emmena chez lui, lui apprit à attraper le saumon et à construire les canots. Pendant deux années, l’homme resta avec l’ours ; après quoi il retourna à son village natal. Mais les gens eurent peur de lui parce qu’il ressemblait à un ours. Il ne pouvait ni parler, ni manger autre chose que des aliments crus. Alors on le frotte avec des herbes magiques et il reprit graduellement sa forme première. Dans la suite, quand il était dans le besoin, il appelait à lui ses amis les ours qui venaient l’aider. Il construisit une maison et peignit sur le fronton un ours. Sa sœur fit, pour la danse, une couverture sur laquelle un ours était dessiné. C’est pourquoi les descendants de cette sœur avaient l’ours pour emblème (Boas, Kwakiutl, p. 323. Cf. Vth Report on the N. W. Tribes of Canada, p. 23, 29 et suiv. ; Hill Tout, Report on the Ethnology of the Statlumh of British Columbia, in J.A.I., 1905, XXXV, p. 150).
    On voit par là l’inconvénient qu’il y a à faire de cette parenté mystique entre l’homme et l’animal le caractère distinctif du totémisme, comme le propose M. Van Gennep (Totémisme et méthode comparative, in Revue de l’histoire des religions, t. LVIII, 1908, juillet, p. 55). Cette parenté est une expression mythique de faits autrement profonds ; elle peut manquer sans que les traits essentiels du totémisme disparaissent. Sans doute, il y a toujours entre les gens du clan et l’animal totémique des liens étroits, mais qui ne sont pas nécessairement de consanguinité, bien qu’ils soient le plus généralement conçus sous cette dernière forme.
  35. Il y a, d’ailleurs, des mythes Tlinkit où le rapport de descendance entre l’homme et l’animal est plus particulièrement affirmé. On dit que le clan est issu d’une union mixte, si l’on peut ainsi parler, c’est-à-dire ou soit l’homme, soit la femme était une bête de l’espèce dont le clan porte le nom (V. Swanton, Social Condition, Beliefs, etc., of tlinglit Indians, XXVIth Rep., p. 415-418).
  36. Nat. Tr., p. 284.
  37. Ibid., p. 179.
  38. V. Iiv. III, chap. II. Cf. Spencer et Gillen, Nat. Tr., p. 184, 201.
  39. Nat. Tr., p. 204, 262, 284.
  40. Chez les Dieri, les Parnkalla. V. Howitt, Nat. Tr., p. 658, 661, 668, 669-671.
  41. Chez les Warramunga, le sang de la circoncision est bu par la mère (North. Tr., p. 352). Chez les Binbinga, le sang dont est souillé le couteau qui a servi à la subincision doit être sucé par l’initié (ibid., p. 368). D’une manière générale, le sang qui provient des parties génitales passe pour exceptionnellement sacré (Nat. Tr., p. 464 ; North. Tr., p. 598).
  42. Nat. Tr., p. 268.
  43. Ibid., p. 144, 568.
  44. Nat. Tr., p. 442, 464. Le mythe est, d’ailleurs, général en Australie.
  45. Ibid., p. 627.
  46. Ibid., p. 466.
  47. Ibid. Si toutes ces formalités ne sont pas rigoureusement observées, on croit qu’il en résultera pour l’individu de graves calamités.
  48. Nat. Tr., p. 358 ; North. Tr., p. 604.
  49. Le prépuce, une fois détaché par la circoncision, est parfois dissimulé aux regards tout comme le sang ; il a des vertus spéciales ; par exemple, il assure la fécondité de certaines espèces végétales et animales (North. Tr., p. 353-354). Les favoris sont assimilés aux cheveux et traités comme tels (North. Tr., p. 544, 604). Ils jouent d’ailleurs un rôle dans les mythes (ibid., p. 158). Quant à la graisse, son caractère sacré ressort de l’emploi qui en est fait dans certains rites funéraires.
  50. Ce n’est pas à dire que la femme soit absolument profane. Dans les mythes, elle joue, au moins chez les Arunta, un rôle religieux beaucoup plus important que celui qu’elle a dans la réalité (Nat. Tr., p. 195-196). Maintenant encore, elle prend part à certains rites de l’initiation. Enfin, son sang a des vertus religieuses (v. Nat. Tr., p. 464 ; cf. La prohibition de l’inceste et ses origines, Année sociol., I, p. 51 et suiv.).
    C’est de cette situation complexe de la femme que dépendent les interdits exogamiques. Nous n’en parlons pas ici, parce qu’ils se rattachent plus directement au problème de l’organisation domestique et matrimoniale.
  51. Nat. Tr., p. 460.
  52. Chez les Wakelbura, d’après Howitt, p. 146 ; chez les Bechuana, d’après Casalis, Basoulos, p. 221.
  53. Chez les Buandik, les Kurnai (Howitt, ibid.) ; chez les Arunta (Strehlow, II, p. 58).
  54. Howitt, ibid.
  55. Sur la rivière Tully, dit Roth (Superstition, Magic and Medicine, in North Queensland Ethnography, n° 5, § 74), quand un indigène va dormir ou se lève le matin, il prononce à voix plus ou moins basse le nom de l’animal d’après lequel il est lui-même nommé. Le but de cette pratique est de rendre l’homme habile ou heureux à la chasse ou de prévenir les dangers auxquels il peut être exposé de la part de cet animal. Par exemple, un homme qui a pour totem une espèce de serpent est à l’abri des morsures si cette invocation a été régulièrement faite.
  56. Taplin, Narrinyeri, p. 64 ; Howitt, Nat. Tr., p. 147 ; Roth, loc. cit.
  57. Strehlow, II, p. 58.
  58. Howitt, p. 148.
  59. North. Tr., p. 159-160.
  60. Ibid.
  61. Ibid., p. 255 ; Nat. Tr., p. 202, 203.
  62. A. L. P. Cameron, On Two Queensland Tribes, in Science of Man, Australasian Anthropological Journal, 1904, VII, 28, col. 1.