Gaspard de la nuit (éd. 1920)/Les Gueux de nuit

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Livre II
Gaspard de la nuitMercure de France (p. 71-72).

À M. Louis Boulanger, peintre.



II

LES GUEUX DE NUIT


J’endure
Froidure
Bien dure.

La chanson du pauvre diable.


— « Ohé ! rangez-vous qu’on se chauffe ! — Il ne te manque plus que d’enfourcher le foyer ! Ce drôle a les jambes comme des pincettes.

— Une heure ! — Il bise dru ! — Savez-vous, mes chats-huants, ce qui a fait la lune si claire ? Les cornes des c… qu’on y brûle.

— La rouge braise à brûler de la charbonnée ! — Comme la flamme danse bleue sur les tisons ! Ohé ! quel est le ribaud qui a battu sa ribaude ?

— J’ai le nez gelé ! — J’ai les grêves rôties ! — Ne vois-tu rien dans le feu, Choupille ? — Oui ! une hallebarde. — Et toi, Jeanpoil ? — Un œil.

— Place, place à M. de la Chousserie ! — Vous êtes là, Monsieur le procureur, chaudement fourré et ganté pour l’hiver ! — Oui-dà ! les matous n’ont pas d’engelures !

— Ah ! voici messieurs du guet ! — Vos bottes fument. — Et les tirelaines ? Nous en avons tué deux d’une arquebusade ; les autres se sont échappés à travers la rivière. »


*


Et c’est ainsi que s’acoquinaient à un feu de brandon, avec des gueux de nuit, un procureur au parlement qui courait le guilledou, et les garçons du guet qui racontaient sans rire les exploits de leurs arquebuses détraquées.