Les Larmes de la pénitence

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Traduction par Louis Racine.
Œuvres de Louis RacineLe Normant, Imprimeur-LibraireTome 1 (p. 414-417).
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ODE XXI.

Les Larmes da la Pénitence.

 
Grâce, grâce, suspends l’arrêt de tes vengeances
Et détourne un moment tes regards irrités.
J’ai péché, mais je pleure ; oppose à mes offenses,
Oppose à leur grandeur celle de tes bontés.

Je sais tous mes forfaits, j’en connais l’étendue
En tous lieux, à toute heure, ils parlent contre moi ;
Par tant d’accusateurs mon âme confondue
Ne prétend pas contre eux disputer devant toi.

Tu m’avais par la main conduit dès ma naissance ;
Sur ma faiblesse en vain je voudrais m’excuser :
Tu m’avais fait, Seigneur, goûter ta connaissance,
Mais, hélas ! de tes dons je n’ai fait qu’abuser.

De tant d’iniquités la foule m’environne,
Fils ingrat, cœur perfide en proie à mes remords,
La terreur me saisit ; je frémis, je frissonne ;
Pâle et les yeux éteints, je descends chez les morts.

Ma voix sort du tombeau ; c’est du fond de l’abîme
Que j’élève vers toi mes douloureux accents :
Fais monter jusqu’aux pieds de ton trône sublime
Cette mourante voix et ces cris languissants.


Ô mon Dieu... Quoi ! ce nom, je le prononce encore !
Non, non, je t’ai perdu, j’ai cessé de t’aimer,
Ô juge qu’en tremblant je supplie et j’adore !
Grand Dieu, d’un nom plus doux je n’ose te nommer.

Dans le gémissement, l’amertume et les larmes,
Je repasse des jours perdus dans les plaisirs ;
Et voilà tout le fruit de ces jours pleins de charmes :
Un souvenir affreux, la honte et les soupirs.

Ces soupirs devant toi sont ma seule défense :
Par eux un criminel espère t’attendrir ;
N’as-tu pas, en effet, un trésor de clémence ?
Dieu de miséricorde, il est temps de l’ouvrir.

Où fuir, où me cacher, tremblante créature,
Si tu viens en courroux pour compter avec moi ?
Que dis-je ? Être infini, ta grandeur me rassure,
Trop heureux de n’avoir à compter qu’avec toi !

Près d’une majesté si terrible et si sainte,
Que suis-je ? Un vil roseau : voudrais-tu le briser ?
Hélas ! si du flambeau la clarté s’est éteinte,
La mèche fume encore : voudrais-tu l’écraser ?

Que l’homme soit pour l’homme un juge inexorable,
Où l’esclave aurait-il appris à pardonner ?
C’est la gloire du maître ; absoudre le coupable
N’appartient qu’à celui qui peut le condamner.


Tu le peux, mais souvent tu veux qu’il te désarme,
Il te fait violence, il devient ton vainqueur.
Le combat n’est pas long, il ne faut qu’une larme.
Que de crimes efface une larme du cœur !

Jamais de toi, grand Dieu, tu nous l’as dit toi-même,
Un cœur humble et contrit ne sera méprisé.
Voilà le mien, regarde, et reconnais qu’il t’aime ;
Il est digne de toi ! La douleur l’a brisé.

Si tu le ranimais de sa première flamme,
Qu’il reprendrait bientôt sa joie et sa vigueur !
Mais non, fais plus pour moi : renouvelle mon âme,
Et daigne dans mon sein créer un nouveau cœur.

De mes forfaits alors je te ferai justice,
Et ma reconnaissance armera ma rigueur !
Tu peux me confier le soin de mon supplice :
Je serai contre moi mon juge et ton vengeur.

Le châtiment au crime est toujours nécessaire ;
Ma grâce est à ce prix, il faut la mériter.
Je te dois, je le sais, je te veux satisfaire
Donne-moi seulement le temps de m’acquitter.

Ah ! plus heureux celui que tu frappes en père !
Il connaît ton amour par ta sévérité.
Ici-bas, quels que soient les coups de ta colère,
L’enfant que tu punis n’est pas déshérité.


Coupe, brûle ce corps, prends pitié de mon âme ;
Frappe, fais-moi payer tout ce que je te dois.
Arme-toi, dans le temps, du fer et de la flamme,
Mais dans l’éternité, Seigneur, épargne-moi.

Quand j’aurais à tes lois obéi dès l’enfance,
Criminel en naissant, je ne dois que pleurer.
Pour retourner à toi la route est la souffrance :
Loi triste, route affreuse... entrons sans murmurer.

De la main de ton fils je reçois le calice ;
Mais je frémis, je sens ma main prête à trembler.
De ce trouble honteux mon cœur est-il complice ?
Suis-je le criminel, voudrais-je retourner ?

C’est ton fils qui le tient, que ma foi se rallume.
Il en a bu lui-même, oserais-je en douter ?
Que dis-je ? il en a bu la plus grande amertume,
Il m’en laisse le reste, et je n’ose en goûter !

Je me jette à tes pieds, ô croix, chaire sublime,
D’où l’homme de douleur instruit tout l’univers ;
Autel sur qui l’amour embrase la victime,
Arbre où mon Rédempteur a suspendu mes fers.

Drapeau du souverain qui marche à notre tête,
Tribunal de mon juge et trône de mon roi,
Char du triomphateur dont je suis la conquête,
Lit où j’ai pris naissance, il faut mourir sur toi.