Les Lois (trad. Cousin)/Livre sixième

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Œuvres de Platon,
traduites par Victor Cousin
Tome septième & huitième
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LIVRE SIXIÈME
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L’ATHÉNIEN

[751a] Il est temps, après tout ce que nous venons de dire, de songer à établir des magistrats dans ta ville.

CLINIAS.

Tu as raison.

L’ATHÉNIEN

L’ordre politique embrasse les deux objets suivants. Le premier est rétablissement des magistratures, et le choix des personnes destinées à les remplir, quel doit être le nombre de ces magistratures et la manière de les établir. L’autre objet regarde les lois qu’il faut prescrire à chacune d’elles, [751b] la nature de ces lois, leur nombre et leur qualité. Mais avant que de procéder à l’élection des magistrats, arrêtons-nous un moment, et disons à ce sujet quelque chose qui ne sera pas hors de propos.

CLINIAS.

De quoi s’agit-il ?

L’ATHÉNIEN

Le voici. Il est évident pour chacun que, qu’elle que soit l’importance de la législation, tout État qui, après s’être donné le gouvernement le meilleur et les meilleures lois, prépose à leur exécution des magistrats incapables, non seulement ne tirera aucun avantage de la bonté de ses lois [751c] et s’exposera à un grand ridicule, mais encore que ce mauvais choix sera pour lui la source d’une infinité de maux et de calamités.

CLINIAS.

Certainement.

L’ATHÉNIEN

Considérons donc, mon cher Clinias, que c’est justement l’inconvénient auquel est exposé ton gouvernement et ta nouvelle cité. Tu vois en effet qu’il faut d’abord, pour mériter d’être élevé aux charges publiques, rendre un compte suffisant de sa conduite, à soi et à sa famille, depuis sa jeunesse jusqu’au moment de l’élection[1] : ensuite, que ceux auxquels est confié le soin de cette élection, doivent avoir reçu une éducation conforme à l’esprit des lois, [715d] afin d’être en état de faire un sage discernement des candidats qui méritent d’être admis ou rejetés. Or, comment des hommes rassemblés depuis peu, inconnus les uns aux autres, et encore sans éducation, pourront-ils se comporter dans ce choix d’une manière irrépréhensible ?

CLINIAS.

Cela n’est guère possible.

L’ATHÉNIEN

Cependant il n’y a plus moyen de reculer. Nous sommes engagés d’honneur toi et moi à sortir de ce mauvais pas : [715e] toi par la parole que tu as donnée aux Crétois de travailler avec neuf autres à l’établissement de cette colonie : moi, par la promesse [752a] que je t’ai faite de mettre avec toi la main à l’œuvre dans cet entretien. Ainsi, autant qu’il dépendra de moi, je ne laisserai point notre discours imparfait : il aurait trop mauvaise grâce, s’il errait ainsi de côté et d’autre.

CLINIAS.

Tu dis très-bien, étranger.

L’ATHÉNIEN

Je ne m’en tiendrai pas à des paroles, et je vais tâcher de passer aux effets.

CLINIAS.

Oui, faisons ce que nous disons.

L’ATHÉNIEN

Cela sera, si Dieu nous seconde, et si nous parvenons à maîtriser assez les habitudes de notre âge.

CLINIAS.

[752b] II y a apparence que Dieu nous secondera.

L’ATHÉNIEN

Je l’espère. Abandonnons-nous donc à sa conduite, et remarquons d’abord ceci.

CLINIAS.

Quoi ?

L’ATHÉNIEN

Avec quel courage et quelle hardiesse nous allons élever l’édifice de notre nouvelle ville.

CLINIAS.

Dans quelle vue et à quel propos parles-tu de la sorte ?

L’ATHÉNIEN

Je fais réflexion à la facilité et à la sécurité avec laquelle nous donnons des lois à des hommes qui n’en ont nulle expérience, sans former le moindre doute s’ils les recevront. Cependant, mon cher Clinias, il ne faut pas être bien habile [752c] pour prévoir qu’ils feront d’abord de grandes difficultés, avant que de s’y soumettre. Mais si nous pouvions maintenir les choses pendant un certain temps, jusqu’à ce que leurs enfants, après avoir essayé des lois, s’en être fait une douce habitude et avoir reçu une bonne éducation, soient en âge de donner leur suffrage pour les élections avec le reste des citoyens ; dans cette supposition, et pourvu que nous trouvions à cela quelque expédient convenable, je crois que nous pourrions nous promettre avec assurance que notre ville se conserverait longtemps avec cette discipline.

CLINIAS.

[752d] Nous aurions raison de l’espérer.

L’ATHÉNIEN

Voyons donc si nous trouverons quelque moyen d’exécuter ce projet. Je pense, mon cher Clinias, qu’il faut que, particulièrement entre les autres Crétois, les Cnossiens fassent quelque chose de plus que de s’intéresser faiblement et comme par manière d’acquit à la nouvelle colonie, et qu’ils donnent tous leurs soins à ce que les premières élections des magistrats se fassent avec toute la solidité et la perfection possible. Il y a moins d’embarras pour les autres charges : [752e] mais il est absolument nécessaire que les gardiens des lois soient élus avant tous avec les plus grandes précautions.

CLINIAS.

Eh bien, quel moyen imaginons-nous pour arriver à ce but ?

L’ATHÉNIEN

Le voici. Enfants des Crétois, je dis qu’il faut que les Cnossiens, en vertu de la supériorité de leur ville sur les autres, doivent de concert avec ceux qui se rendront dans la nouvelle colonie, choisir trente-sept personnes, dont dix-neuf prises parmi les nouveaux citoyens, et les dix-huit autres tirées de Cnosse même. [753a] Tu seras de ce nombre, Clinias, et les Cnossiens emploieront l’insinuation, ou même une douce violence, pour te déterminer avec les dix-sept autres à prendre la qualité de citoyen dans cette colonie,

CLINIAS.

Quoi donc, étranger, Mégille et toi n’y viendrez-vous pas avec nous ?

L’ATHÉNIEN

Athènes et Sparte ont trop de fierté pour cela : d’ailleurs elles sont trop éloignées l’une et l’autre, au lieu que tu as toutes les facilités possibles, et les autres fondateurs de la colonie aussi bien que toi. [753b] Voilà tout ce qu’il y a de mieux à faire dans les circonstances présentes ; mais avec le temps, quand le nouvel État aura pris quelque consistance, ses élections se feront de la manière suivante. Tous ceux qui portent les armes en qualité de fantassins ou de cavaliers, et qui ont déjà été à la guerre, selon l’ordre de leur âge, auront droit de suffrage dans l’élection des magistrats. L’élection se fera dans le temple estimé [753c] le plus saint de toute la ville. Chacun déposera sur l’autel du dieu son suffrage écrit sur une tablette, avec le nom de celui qu’il choisit, de son père, de sa tribu et du dème qu’il habite : il y joindra aussi son propre nom avec les mêmes détails. Le premier venu qui jugera que quelque suffrage n’est pas donné dans la forme convenable, pourra le prendre dessus l’autel, et l’exposer dans la place publique au moins durant trente jours. Les magistrats, après avoir recueilli les noms des trois cents qui auront eu plus de voix, les montreront [753d] à toute la ville, qui fera à son gré un nouveau choix parmi ces trois cents ; les noms des cent préférés seront encore mis sous les yeux de tous les citoyens, qui choisiront encore entre ces cent personnes, en allant de divisions en divisions, et les trente-sept qui auront le plus de suffrages seront déclarés magistrats. Mais à qui nous adresserons-nous, Clinias et Mégille, pour présider [753e] aux élections des magistrats et à l’épreuve qui leur est imposée[2] ? Ne voyons-nous pas que dans les villes nouvellement formées, autant il est nécessaire d’avoir des personnes qu’on puisse charger de ce soin, autant il est impossible de les tirer des rangs des magistrats qui n’existent pas encore ? Il en faut cependant trouver à quelque prix que ce soit, et encore non pas des hommes ordinaires, mais du premier mérite. Car, selon le proverbe, le commencement est la moitié de l’ouvrage ; tout le monde s’accorde à donner des éloges à un beau commencement ; mais, dans l’affaire présente, il me paraît que c’est plus de la [754a] moitié du tout, et que le succès en ce genre n’a jamais été loué autant qu’il le mérite.

CLINIAS.

Tu as parfaitement raison.

L’ATHÉNIEN

Puisque nous sommes persuadés de cette vérité, ne passons pas un point si essentiel sans nous être éclairés sur la manière dont il faudra s’y prendre. Pour moi, je ne vois dans le cas où nous sommes qu’un expédient également nécessaire et avantageux.

CLINIAS.

Quel est-il ?

L’ATHÉNIEN

Je dis qu’aucune autre ville ne doit, pour ainsi dire, tenir lieu de père et de mère à notre nouvelle colonie, que celle qui a conçu le projet de [754b] la fonder. Ce n’est pas que j’ignore qu’il s’est souvent élevé, et qu’il s’élèvera encore de grands différends entre les colonies et leurs métropoles ; mais il n’en est pas moins vrai que toute colonie dans sa naissance est comme un enfant qui, par la faiblesse de son âge étant incapable de pourvoir à ses besoins, s’attache à ceux de qui il tient le jour, et leur est cher pour cette même raison, quoiqu’il doive peut-être dans la suite se brouiller avec eux : c’est toujours à eux qu’il a recours ; c’est en eux seuls qu’il trouve et qu’il a droit de trouver du secours. Tels sont les sentiments où je veux que les Cnossiens entrent [754c] à l’égard de la nouvelle ville par les soins qu’ils en prendront, et la nouvelle ville à l’égard de Cnosse. Et pour répéter ce que j’ai dit précédemment (car il n’y a aucun inconvénient à dire deux fois ce qui est bien dit), il faut que les Cnossiens pourvoient à tout cela en choisissant parmi les citoyens de la nouvelle ville, cent personnes les plus respectables par leur âge et leur probité, y joignant un pareil nombre des leurs, qui se rendront dans la colonie, se chargeront avec les autres de l’institution [754d] des magistrats suivant les formalités prescrites par les lois, et de l’épreuve qu’ils doivent subir. Après quoi les Cnossiens resteront chez eux, et la nouvelle colonie essaiera de pourvoir désormais elle-même à sa conservation et à son bonheur.

A l’égard des trente-sept, voici pour le présent et pour tout le temps qui doit suivre, quelles seront leurs fonctions. Premièrement ils seront gardiens des lois ; en second lieu, ils seront les dépositaires des rôles où chaque citoyen marquera le montant de sa fortune, [754e] qui ne doit pas excéder quatre mines[3] pour la première classe, trois pour la seconde, deux pour la troisième et une pour la quatrième. Si on découvre que quelqu’un possède quelque chose au-delà de ce qui est porté dans sa déclaration, ce surplus sera confisqué. En outre il sera permis à quiconque de lui intenter une action ignominieuse et infamante, s’il est convaincu d’avoir voulu s’enrichir au mépris des lois. Le premier venu l’accusera donc de gain sordide, et cette accusation se poursuivra devant les gardiens même des lois. Si l’accusé est trouvé coupable, [755a] qu’il n’ait aucune part aux biens qui sont en commun, qu’il soit exclus des distributions, lorsqu’il s’en fera, et réduit à sa portion primitive : que la sentence portée contre lui soit mise par écrit, et demeure affichée tant qu’il vivra, dans un lieu où tout le monde puisse la lire. Les gardiens des lois ne seront point en charge plus de vingt ans, ni promus à cette dignité avant l’âge de cinquante[4]. Quiconque aura été élu à soixante ans, ne sera que dix ans en place, et ainsi du reste en gardant la même proportion : de sorte qu’on perde toute espérance de conserver une charge de cette importance, [755b] passé l’âge de soixante-dix ans.

Bornons-nous pour le présent à ces trois règlements touchant les gardiens des lois : à mesure que nous avancerons dans notre législation, ils trouveront leurs autres devoirs marqués en différentes lois. Pour aller de suite, il faut parler maintenant de l’institution des autres charges. Il est temps en effet de créer des généraux d’armée, et de leur donner pour aides à la guerre [755c] des commandants de cavalerie et des phylarques[5], et des officiers auxquels on ne peut pas donner de nom plus convenable que celui de taxiarques, en usage aujourd’hui, du nom même du corps d’infanterie qu’ils sont chargés d’instruire[6]. Les généraux d’armée qui doivent être de la cité même seront proposés par les gardiens des lois : le droit de les choisir dans le nombre des proposés appartiendra à tous ceux qui ont porté les armes lorsqu’ils en avaient l’âge et à ceux qui les portent actuellement. Si quelqu’un juge que parmi ceux qui ne sont point proposés il y en a qui ont plus de mérite [755d] que quelques-uns de ceux qui l’ont été, il nommera celui qu’il rejette et celui qu’il substitue, et proposera ce dernier après avoir fait serment qu’il le préfère à l’autre. Toute l’assemblée décidera sur la préférence en levant la main, et le plus digne sera admis pour l’élection. Les trois qui auront eu un plus grand nombre de suffrages, seront déclarés généraux, et chargés de la conduite de la guerre : l’épreuve après l’élection se fera comme celle des gardiens des lois. Ensuite les généraux élus proposeront eux-mêmes [755e] douze taxiarques, un pour chaque tribu : la substitution, les suffrages et l’épreuve auront lieu pour cette élection comme pour celle des généraux. Cette assemblée, jusqu’à ce qu’on ait créé des prytanes et un sénat, sera présidée par les gardiens des lois, qui la convoqueront dans le lieu le plus saint et le plus propre à contenir une si grande multitude. Les fantassins et les cavaliers auront leur campement à part, et il y aura un troisième campement pour toutes les autres espèces de troupes. Tous auront droit de suffrage dans l’élection des généraux et des commandants de la cavalerie. Pour les taxiarques, ils seront choisis [756a] par ceux qui sont armés d’un bouclier, et les phylarques par toute la cavalerie. A l’égard des chefs des troupes légères, comme les archers et autres semblables, le choix en sera laissé aux généraux. Il nous reste à dire un mot de l’élection des commandants de la cavalerie. Ils seront proposés par les mêmes qui ont proposé les généraux : la substitution et le choix se feront dans cette élection de la même façon que dans l’autre. [756b] La cavalerie portera son suffrage en présence de l’infanterie ; on élira les deux qui auront eu le plus de voix. Si les suffrages sont balancés, on recommencera l’élection jusqu’à deux fois: à la troisième fois, si l’on n’est point d’accord, le président décidera.

Le sénat sera composé de trente douzaines, c’est-à-dire de trois cent soixante sénateurs, nombre très-commode pour les divisions : on partagera [756c] d’abord ce corps en quatre parts, chacune de quatre-vingt-dix, de sorte que quatre-vingt-dix sénateurs soient pris dans le sein de chaque classe. Le premier jour tous les citoyens seront forcés de voter pour l’élection des sénateurs à prendre dans la première classe, sous peine d’une amende fixe ; après que les bulletins auront été donnés, on les cachètera. Le lendemain tous encore proposeront les sénateurs à prendre dans la seconde classe, comme la veille. Le jour suivant on proposera ceux de la troisième classe : ici encore il y aura obligation, sous peine d’amende, [756d] aux trois premières classes, de voter pour quelqu’un ; mais ceux de la dernière et plus basse classe ne seront condamnés à rien, s’ils refusent de donner leur suffrage. Le quatrième jour, tous proposeront ceux de la dernière classe : il n’y aura point d’amende pour ceux de la troisième et quatrième classe qui ne voudront présenter personne ; mais ceux de la seconde paieront [756e] au triple l’amende du premier jour, et ceux de la première au quadruple. Le cinquième jour les magistrats ouvriront les bulletins et les exposeront publiquement. Alors tous sans exception seront obligés de faire un nouveau choix parmi ceux qui sont nommés, sous peine de payer la première amende ; cent quatre-vingts sont ainsi choisis dans chacune des classes ; puis le sort en désigne la moitié, ils subissent les épreuves ordinaires et sont sénateurs pour l’année[7].

L’élection faite de cette manière tiendra le milieu entre la monarchie et la démocratie, milieu essentiel à tout bon gouvernement ; en effet il est impossible qu’il y ait aucune union véritable ni entre des maîtres et [757a] des esclaves ni entre des gens de mérite et des hommes de rien élevés aux mêmes honneurs ; car entre des choses inégales, l’égalité deviendrait inégalité sans une juste proportion, et ce sont les deux extrêmes de l’égalité et de l’inégalité qui remplissent les États de séditions. Rien n’est plus conforme à la vérité, à la droite raison et au bon ordre, que l’ancienne maxime que l’égalité engendre l’amitié ; ce qui nous jette dans l’embarras, c’est qu’il n’est pas aisé d’assigner au juste l’espèce [757b] d’égalité propre à produire cet effet ; car il y a deux sortes d’égalités qui se ressemblent pour le nom, mais qui sont bien différentes pour la chose. L’une consiste dans le poids, le nombre, la mesure : il n’est point d’État, point de législateur, à qui il ne soit facile de la faire passer dans la distribution des honneurs, en les laissant à la disposition du sort. Mais il n’en est pas ainsi de la vraie et parfaite égalité, qu’il n’est point aisé à tout le monde de connaître : le discernement en appartient à Jupiter, et elle ne se trouve que bien peu entre les hommes ; mais enfin c’est le peu qui s’en trouve, soit dans l’administration publique, soit [757c] dans la vie privée, qui produit tout ce qui se fait de bien. C’est elle qui donne plus à celui qui est plus grand, moins à celui qui est moindre, à l’un et à l’autre dans la mesure de sa nature ; proportionnant ainsi les honneurs au mérite, elle donne les plus grands à ceux qui ont plus de vertu, les moindres à ceux qui ont moins de vertu et d’éducation, et à tous selon la raison. Voilà en quoi consiste la justice politique, à laquelle nous devons tendre, mon cher Clinias, ayant toujours les yeux [757d] sur cette espèce d’égalité, dans l’établissement de notre nouvelle colonie : quiconque pensera à fonder un État, doit se proposer le même but dans son plan de législation, et non pas l’intérêt d’un ou de plusieurs tyrans ou l’autorité de la multitude, mais toujours la justice, qui, comme nous venons de dire, n’est autre chose que l’égalité établie entre les choses inégales, conformément à leur nature. Il est pourtant nécessaire dans tout État, si on veut se mettre à couvert des séditions, [757e] de faire aussi usage des autres espèces de justice, appelées ainsi abusivement ; car les égards et la condescendance, sont des brèches faites à la parfaite et rigoureuse justice. C’est pourquoi, pour ne point s’exposer à la mauvaise humeur de la multitude, on est obligé de recourir à l’égalité du sort et alors il faut prier les dieux et la bonne fortune de diriger les décisions du sort [758a] vers ce qui est le plus juste. On est ainsi obligé de faire usage de ces deux espèces d’égalités, mais on ne doit se servir que le plus rarement possible de celle qui est soumise au hasard.

Telles sont, mes chers amis, les raisons pour lesquelles tout État qui veut se maintenir, doit suivre ce que nous venons de prescrire. Mais de même qu’un vaisseau en pleine mer exige qu’on veille nuit et jour à sa sûreté, ainsi un État environné d’autres États, comme de vagues menaçantes, exposé à mille attaques sourdes, et courant à tout instant risque de périr, a besoin de magistrats et de gardes qui se succèdent sans interruption du jour [758b] à la nuit et de la nuit au jour, se remplaçant et se confiant les uns aux autres la sûreté publique. Or la multitude n’est pas capable de rien faire de tout cela avec assez de promptitude. Il est donc nécessaire que, tandis que le gros des sénateurs vaquera la plus grande partie de l’année à ses affaires particulières et à l’administration de sa famille, la douzième partie de ce corps fasse durant un mois la garde pour l’État, et ainsi l’une après l’autre pendant les douze mois de l’année, [758c] afin que, de quelque lieu qu’on vienne, ou de la ville même, on puisse s’adresser à eux, soit qu’on ait quelque nouvelle à leur apprendre, soit qu’on veuille les consulter sur la manière dont l’État doit répondre aux demandes des autres Etats, et recevoir leurs réponses aux demandes qu’il leur a faites, et encore à cause des mouvements tumultueux que l’amour de la nouveauté a coutume d’exciter dans les villes, [758d] afin principalement de les prévenir, ou du moins de les étouffer dans leur naissance, l’État en étant averti sur-le-champ. Par cette même raison, ce corps de surveillance de l’Etat doit être toujours le maître de convoquer des assemblées ou de les dissoudre, soit régulièrement, soit d’après les circonstances. Telle sera pendant un mois l’occupation de la douzième partie des sénateurs, qui se reposeront les onze autres mois de l’année. Au reste il faut que cette partie du sénat, dans la garde qu’elle fera pour l’État, agisse de concert avec les autres magistrats.

Ces règlement pour ce qui concerne la ville même, me paraissent [758e] suffisants. Mais quels soins, quels arrangements prendrons-nous par rapport au reste de l’État ? Puisque toute la cité et tout son territoire sont divisés en douze parties, n’est-il pas nécessaire qu’il y ait des gens préposés pour prendre soin dans la ville même des chemins, des habitations, des bâtiments, des ports, du marché, des fontaines, et aussi des lieux sacrés et des temples, et des autres choses semblables ?

CLINIAS.

Sans doute.

L’ATHÉNIEN

[759a] Disons donc que les temples doivent avoir des gardiens, des prêtres et des prêtresses. Quant aux chemins, aux bâtiments et à la police des autres choses de cette nature, pour empêcher que les hommes et les animaux ne causent aucun dommage, et, afin que le bon ordre soit exactement observé tant dans l’enceinte de la ville que dans les faubourgs, il est nécessaire d’établir trois sortes de magistrats ; des astynomes pour les choses que nous venons de dire, des agoranomes pour la police du marché, des prêtres pour celle des temples. On ne touchera point au sacerdoce de ceux ou de celles qui l’auront reçu de leurs ancêtres [759b] comme un héritage. Mais si, comme il doit naturellement arriver aux villes nouvellement fondées, personne ou presque personne n’est revêtu de cette dignité, on établira où il en sera besoin des prêtres et des prêtresses pour le service des dieux. La création de toutes ces charges se fera en partie par voie de suffrage, et sera laissée en partie à la décision du sort ; et on aura soin que le peuple y intervienne aussi bien que ce qui n’est pas peuple, dans le pays et dans la ville, afin d’entretenir l’amitié et le concert entre tous les citoyens. Ainsi, pour ce qui regarde les choses sacrées, laissant au dieu le choix de ceux qui lui sont agréables, [759c] on s’en remettra à la décision du sort : mais on examinera soigneusement celui à qui le sort aura été favorable, d’abord s’il n’a point quelque défaut de corps, et si sa naissance est sans reproche : ensuite, s’il est d’une famille sans tache, si ni lui, ni ses père et mère ne se sont jamais souillés par quelque meurtre, ou tout autre crime semblable dont la divinité est offensée. On consultera l’oracle de Delphes touchant les lois et les cérémonies du culte divin, et on les observera, après avoir établi des interprètes [759d] pour les expliquer. La fonction de prêtre durera une année et point au-delà ; et afin qu’on s’en acquitte avec toute la sainteté convenable, selon l’esprit des lois sacrées, il faut que celui qui est promu au sacerdoce ne soit pas au-dessous de soixante ans. Les mêmes réglements auront lieu à l’égard des prêtresses. Au sujet des interprètes, les douze tribus, quatre par quatre, en proposeront quatre à trois reprises, chacune un de sa tribu. Après qu’on aura examiné les trois qui auront eu le plus de voix, on enverra les neuf autres à Delphes, afin que le dieu en choisisse un sur trois. L’examen [759e] par rapport à l’âge et aux autres qualités requises, sera le même que pour les prêtres. La fonction d’interprète durera autant que la vie. Si quelqu’un d’eux vient à manquer, les quatre tribus qui l’avaient nommé et auxquelles il appartenait, lui donneront un successeur. On établira aussi pour chaque temple des économes, qui en administreront les revenus, feront valoir les lieux sacrés, les affermeront et disposeront du produit. Ils seront tirés de la première classe, [760a] trois pour les grands temples, deux pour les médiocres, un pour les plus petits. Dans leur élection et leur examen on suivra les mêmes formalités que pour les généraux d’armée. Voilà ce que j’avais à ordonner touchant les choses sacrées.

Que la surveillance soit aussi grande qu’il se pourra. Que la garde de la cité soit confiée aux, généraux, aux taxiarques, aux commandants de la cavalerie aux phylarques, [760b] aux prytanes, et encore aux astynomes et aux agoranomes, lorsqu’il aura été pourvu à leur élection. On veillera à la sûreté du reste du pays en la manière suivante. Tout le territoire a été partagé, comme nous avons dit, en douze parties aussi égales qu’il a été possible. Chacune des tribus à qui le sort aura assigné une de ces parties, présentera tous les ans cinq citoyens, qui seront comme autant d’agronomes et de chefs de garde. Puis chacun d’eux choisira dans sa tribu douze jeunes gens, [760c] qui ne soient ni au-dessous de vingt-cinq ans, ni au-dessus de trente, auxquels on assignera chaque mois une partie du territoire, afin qu’ils acquièrent ainsi une connaissance exacte de tout le pays. Les chefs et les gardes seront en charge pendant deux ans. Quelle que soit la partie de la contrée que le sort leur ait assignée d’abord, lorsque le temps de changer de lieu sera venu, c’est-à-dire après le mois révolu, [760d] les chefs passeront avec leurs gens dans le lieu le plus voisin, prenant à droite, je veux dire à l’orient, et ils feront ainsi le tour du territoire. Et afin que la plupart d’entre eux soient instruits de ce qui se passe en chaque lieu, non seulement durant une saison, mais dans toutes les saisons, la première année écoulée, les chefs reviendront sur leurs pas, et feront leur tournée à gauche, [760e] jusqu’à la fin de la seconde année. A la troisième on choisira cinq autres agronomes et chefs de garde qui auront sous eux douze autres gardes. Dans le séjour qu’ils feront en chaque endroit, ils donneront leurs premiers soins à ce que le pays soit partout bien fortifié contre les incursions des ennemis : ils feront creuser des fossés partout où il sera nécessaire, pratiquer des retranchements, et construire des fortifications, afin d’arrêter ceux qui auraient envie de piller et dévaster le pays ; et pour ces ouvrages ils se serviront des bêtes de somme et des esclaves [761a] du lieu même, feront tout exécuter par eux, présideront à leurs travaux, choisissant le plus possible le moment où il y aura moins de travail domestique pressé. Tandis que d’une part ils rendront le pays inaccessible à l’ennemi, de l’autre ils ne négligeront rien pour en faciliter l’accès aux citoyens, aux bêtes de charge et aux troupeaux, ayant soin que les chemins soient doux et commodes, que la pluie, au lieu de causer du dommage à la terre, en entretienne la fertilité, ménageant aux eaux qui tombent [761b] des endroits élevés un écoulement dans les fonds qui se trouvent sur le penchant des montagnes, et les y retenant par des constructions et des fossés. Par ce moyen, l’eau reçue dans ces bassins, venant à s’infiltrer dans le sein de la terre, jaillira en sources et en fontaines dans les champs et les endroits situés au-dessous, et le sol le plus aride de sa nature sera ainsi rendu fécond en belles eaux. A l’égard des eaux courantes, soit de rivière, soit de fontaine, ils les embelliront par des plantations [761c] et des bâtiments, et réunissant plusieurs ruisseaux au moyen de canaux, ils porteront partout l’abondance. Si dans le voisinage il se trouve quelque bois, quelque champ consacré aux dieux, ils y feront passer les ruisseaux, pour les arroser et les embellir en chaque saison. Partout dans ces lieux consacrés, les jeunes gens construiront des gymnases pour eux-mêmes, et ils y établiront des bains chauds, avec des provisions [761d] de matière sèche et combustible, pour les vieillards, les malades et les laboureurs accablés de lassitude ; remède bien plus salutaire que ne seraient tous ceux d’un médecin médiocrement habile.

Tous ces ouvrages, et les autres de cette nature, serviront à l’embellissement et à l’utilité du pays, et procureront encore un amusement fort gracieux à ceux qui seront chargés de les exécuter. Mais voici en quoi consisteront leurs occupations sérieuses : les soixante agronomes veilleront à la sûreté du territoire, non seulement par rapport aux ennemis, mais aussi par rapport à ceux qui se disent amis. Si quelqu’un se plaint à eux d’avoir reçu quelque dommage de ses voisins, [761e] ou de tout autre, soit libre, soit esclave ; dans les causes de moindre importance, les cinq agronomes de la tribu rendront par eux-mêmes la justice à ceux qui se prétendront lésés ; dans les causes plus considérables, jusqu’à la concurrence de trois mines, ils s’associeront les douze gardes, et jugeront ainsi au nombre de dix-sept. Tous les juges, tous les magistrats seront tenus à rendre compte de leurs jugements et de leur administration, hors ceux qui jugent en dernière instance, à l’exemple des rois. Si donc les agronomes commettent quelque injustice envers ceux dont ils sont chargés de prendre soin, soit en violant l’égalité dans la distribution des corvées, [762a] soit en s’emparant de force et contre le gré des maîtres, des instruments du labourage, soit en recevant des pressens faits en vue de les corrompre, soit en blessant la justice dans la décision des différends : ceux qui se seront laissé séduire seront flétris ignominieusement à la vue de tous les citoyens ; pour les autres injustices dont ils se seraient rendus coupables, ils se soumettront au jugement des voisins et des habitants du lieu même où le délit aura été commis, lorsque le dommage n’excédera pas une mine ; dans les accusations plus graves, [762b] ou même dans les plus petites, lorsqu’ils refuseront d’acquiescer au jugement, dans l’espérance d’échapper aux poursuites, parce qu’ils changent de lieu tous les mois, celui qui se dit lésé portera sa plainte devant les tribunaux publics ; et s’il gagne sa cause, il fera payer à l’accusé le double de la somme à laquelle il n’avait pas voulu se soumettre de bon gré. Les agronomes et leurs gardes vivront de la manière suivante pendant les deux années de leur charge. D’abord en chaque [762c] lieu il y aura pour eux des salles à manger communes : quiconque aura été prendre son repas ailleurs, même un seul jour, et aura découché, ne fût-ce qu’une nuit, sans ordre des chefs, ou sans une nécessité urgente, s’il est dénoncé par les cinq agronomes, et qu’ils exposent son nom dans la place publique comme ayant quitté son poste, sera noté d’infamie pour avoir trahi l’État autant qu’il était en lui, et le premier venu pourra, [762d] s’il le veut, le frapper de coups impunément. Si quelqu’un des chefs tombe dans la même faute, les soixante sont chargés d’y mettre ordre. Celui d’entre eux qui s’en sera aperçu, ou l’aura appris, et ne dénoncera pas le coupable, sera soumis aux mêmes peines que s’il avait fait la faute, et puni plus sévèrement que les simples gardes : on le déclarera inhabile à posséder même aucune des charges exercées par les jeunes gens. Ce sera aux gardiens des lois à veiller exactement à ce que de pareils désordres n’arrivent point, ou s’ils arrivent, [762e] qu’ils ne manquent pas d’être punis selon les lois. Il est essentiel que tous se persuadent qu’aucun homme, quel qu’il soit, n’est capable de faire un digne usage de l’autorité, si auparavant il n’a pas appris à obéir, et qu’on doit plutôt se glorifier de savoir bien obéir que bien commander, d’abord aux lois, dans la persuasion que c’est obéir aux Dieux mêmes, ensuite, quand on est jeune, aux hommes plus âgés qui ont mené une vie honorable. Outre cela, il faut que, durant les deux années qu’on veillera à la garde des campagnes, on fasse l’épreuve d’une vie dure et dépourvue de commodité. Ainsi, que les douze gardes, dès le moment de leur élection, se réunissent avec leurs cinq chefs, pour s’arranger ensemble, puisque, [763a] semblables à des domestiques, ils n’auront ni domestiques ni esclaves, et ne pourront employer pour eux-mêmes, mais uniquement pour le service public, les laboureurs et autres habitants de la campagne ; que pour le reste ils soient dans la disposition de tout faire par eux-mêmes, de se servir les uns les autres, et encore de parcourir le pays, l’hiver et l’été, toujours armés, [763b] tant pour en bien connaître toutes les parties que pour les bien garder. Il me semble en effet, que la connaissance exacte de son pays est une science qui pour l’utilité ne le cède à nulle autre : et c’est une des raisons qui doit engager les jeunes gens à aller à la chasse, avec des chiens ou autrement, autant que le plaisir et l’avantage qu’on retire de cet exercice. Que tous s’appliquent donc à remplir avec zèle les devoirs de cet emploi, quelque nom qu’on juge à propos de leur donner, soit cryptes[8] soit agronomes, [763c] s’ils veulent un jour contribuer efficacement à la conservation de leur patrie.

L’ordre des choses demande à présent que nous passions à l’élection des agronomes et des astynomes. Ainsi, après les soixante agronomes nous créerons trois astynomes qui, partageant entre eux les douze parties de la ville, comme les précédents auront partagé le territoire, auront soin des rues, et des grands chemins qui aboutissent à la ville, aussi bien que des édifices, [763d] afin qu’on les bâtisse tous conformément aux lois. Ils prendront soin aussi des eaux, qui leur seront envoyées et conduites en bon état jusqu’à la ville par les gardes de la campagne, et ils les distribueront dans les différentes fontaines publiques, dans la quantité et la pureté convenables, en sorte qu’elles contribuent également à l’ornement et à l’utilité de la ville. Il faut que ces astynomes aient assez de fortune et de loisir pour se consacrer entièrement au bien public. C’est pourquoi tous les citoyens réunis choisiront dans la première classe celui qu’ils voudront proposer pour astynome. [763e] Après les suffrages donnés, lorsqu’on sera parvenu aux six qui en auront eu davantage, les présidents de l’élection tireront au sort les trois qui doivent être en charge, et qui, après les épreuves ordinaires, exerceront leur emploi suivant les lois qu’on leur aura prescrites. On élira ensuite cinq agoranomes parmi les citoyens de la première et de la seconde classe. Du reste leur élection se fera comme celle des astynomes, c’est-à-dire qu’entre les dix qui auront eu le plus de voix, le sort en nommera cinq, et qu’après l’épreuve ils seront déclarés magistrats. Tous seront obligés [764a] de proposer quelqu’un : quiconque refusera de le faire, s’il est dénoncé aux magistrats sera réputé mauvais citoyen, et en outre condamné à une amende de cinquante drachmes. L’entrée de l’assemblée sera ouverte à tout le monde : les citoyens de la première et seconde classe ne pourront se dispenser d’y assister, et il y aura une amende de dix drachmes pour ceux dont on apprendra l’absence. Mais ceux de la troisième et quatrième classe n’y seront point obligés, et, en cas d’absence, ils ne seront soumis à aucune amende, à moins que les magistrats, [764b] pour de certaines nécessités particulières, n’ordonnent à tous de s’y trouver. Les agoranomes feront observer dans le marché l’ordre établi par les lois : ils veilleront sur les temples et les fontaines qui sont sur la place, et empêcheront qu’on y cause aucun dommage. Si cela arrive, et que le coupable soit esclave ou étranger, ils le feront battre de verges et jeter dans les fers. Si l’auteur du dommage est un citoyen, ils pourront le juger par eux-mêmes, jusqu’à la concurrence de cent drachmes. S’il s’agit d’une peine plus forte et jusqu’au double, ils ne sont plus compétents et jugeront conjointement [764c] avec les astynomes. Le pouvoir des astynomes dans leur ressort ne s’étendra pas non plus au-delà pour les amendes et les punitions, c’est-à-dire que quand l’amende n’ira qu’à une mine, ils jugeront seuls ; et conjointement avec les agoranomes, quand elle ira au double.

Il convient après cela d’instituer des magistrats qui président à la musique et à la gymnastique, divisés en deux classes, et destinés, les uns à la partie de l’instruction, les autres à celle des exercices. Par les premiers la loi entend ceux qui seront à la tête des gymnases et des écoles, pour veiller [764d] sur le bon ordre, sur la manière dont l’instruction se donne, et sur la conduite des jeunes garçons et des jeunes filles, soit en allant aux écoles, soit pendant le temps qu’ils y resteront ; et par les seconds ceux qui présideront aux exercices de musique et de gymnastique, et qui seront encore de deux sortes, les uns pour la musique seule, les autres pour la seule gymnastique. Les exercices gymniques, soit d’hommes, soit de chevaux, auront les mêmes présidents. Quant aux exercices de musique, il est à propos d’établir des présidents de deux espèces, les uns pour la monodie et pour le chant imitatif, comme [746e] pour les rhapsodes, les joueurs de luth, de flûte et d’autres instruments semblables ; les autres pour le chant des chœurs. Et d’abord, pour ce qui regarde les divertissements des chœurs auxquels prennent part les enfants, les hommes faits et les jeunes filles, il faut élire ceux qui doivent présider aux danses et à toute l’ordonnance musicale. Un seul nous suffira : [765a] il ne faut pas qu’il ait moins de quarante ans. Ce sera aussi assez d’un seul âgé au moins de trente ans, pour la monodie ; il admettra aux exercices ceux qu’il jugera à propos, et décidera de la supériorité entre les concurrents. Voici de quelle manière il faudra choisir le président et l’arbitre des chœurs. Tous ceux qui auront du goût pour ces sortes de choses, se rendront à l’assemblée : on punira d’une amende quiconque refusera de s’y trouver ; les gardiens des lois connaîtront de cette affaire. Pour les autres, ils n’y assisteront qu’autant qu’ils le voudront. Chacun [765b] proposera à son choix pour président quelqu’un des plus habiles en ce genre ; et dans le jugement d’approbation on n’alléguera point d’autre raison pour élire ou pour rejeter celui qui est présenté, que son habileté ou son incapacité. Celui des dix ainsi présentés qui aura eu le plus de suffrages, après le jugement de rigueur, présidera aux chœurs pendant une année selon la loi. On observera les mêmes formes dans l’élection d’un arbitre de monodies et de concerts d’instruments ; parmi ceux [765c] qui seront arrivés jusqu’à l’honneur de l’épreuve, celui qui aura été choisi après avoir subi l’épreuve voulue, sera président pendant une année. Il nous faut ensuite choisir, dans la seconde et troisième classe de citoyens, des arbitres d’exercices gymniques, tant d’hommes que de chevaux. Ceux de la troisième classe seront tenus d’assister à l’élection : il n’y a que la quatrième qui pourra s’en absenter impunément. Parmi les vingt qui auront été présentés, les trois qui seront préférés seront élus, s’ils ont l’approbation des examinateurs. Si [765d] quelqu’un succombe dans cette épreuve pour quelque charge que ce soit, on lui en substituera un autre suivant les mêmes formes, et l’examen s’en fera de la même manière. Il nous reste à instituer le magistrat qui aura une intendance générale sur toutes les parties de l’éducation des jeunes gens de l’un et de l’autre sexe dont nous avons parlé. La loi veut qu’on n’en choisisse qu’un, qui ne doit point avoir moins de cinquante ans. Il faut qu’il ait des enfants légitimes, garçons et filles autant qu’il se pourra, ou du moins faut-il qu’il soit père. Que celui sur qui tombe ce choix, [765e] et ceux qui le font se persuadent qu’entre les plus importantes charges de l’Etat, celle-ci tient sans comparaison le premier rang. Tout dépend des premières semences ; si elles ont été bien jetées, on peut se promettre qu’un jour elles porteront les plus heureux fruits, qu’il s’agisse de plantes, ou d’animaux féroces [766a] ou apprivoisés, ou d’hommes. L’homme est déjà naturellement doux, il est vrai ; mais lorsqu’à un heureux naturel il joint une éducation excellente, il devient le plus doux des animaux, le plus approchant de la divinité : au lieu que s’il n’a reçu qu’une éducation défectueuse ou n’en a eu qu’une mauvaise, il devient le plus farouche des animaux que produit la terre. C’est pourquoi le législateur doit faire de l’institution des enfants le premier et le plus sérieux de ses soins. S’il veut donc s’acquitter comme il faut de ce devoir, il commencera par jeter les yeux sur le citoyen le plus accompli en tout genre de vertu, pour le mettre à la tête [766b] de l’éducation de la jeunesse. Ainsi, que tous les corps de magistrature, hormis le sénat et les prytanes, s’étant assemblés dans le temple d’Apollon, choisissent au scrutin secret celui des gardiens des lois qu’ils jugeront le plus capable de bien conduire l’éducation de la jeunesse ; et que celui qui aura eu le plus de suffrages, après avoir été examiné par les magistrats qui l’ont élu, c’est-à-dire par tous excepté les gardiens des lois, entre en charge pour cinq ans. A la sixième année [766c] on en élira un autre en suivant les mêmes règles.

Si quelqu’un de ceux qui ont des charges publiques vient à mourir avant que le temps de sa charge soit expiré, de sorte qu’il s’en faille plus de trente jours, ceux que ce soin regarde lui nommeront un successeur. Si des orphelins viennent à perdre leur tuteur, les parents et alliés du côté du père et de la mère, en descendant jusqu’aux cousins germains, en nommeront un autre [766d] dans l’espace de dix jours, ou paieront chacun une drachme d’amende par jour jusqu’à ce qu’ils l’aient nommé.

Un État ne serait plus un État, si ce qui concerne les tribunaux n’y était pas réglé comme il faut. De plus, un juge muet qui dans la discussion des causes n’ajouterait rien à ce que disent chacun des plaideurs, comme il arrive dans les arbitrages, ne serait point en état de rendre la justice ; d’où il suit qu’il n’est pas possible de bien juger, s’il y a beaucoup de juges, ou s’ils sont en petit nombre mais ignorants. Il est toujours nécessaire que les points sur lesquels les deux parties sont en litige soient suffisamment éclaircis. [766e] Or rien de plus propre à jeter du jour sur une cause que le temps, la lenteur et les fréquentes informations. Par toutes ces raisons, il faut que ceux qui ont ensemble quelque différend, s’adressent d’abord à leurs voisins, à leurs amis, à tous ceux qui peuvent être au fait [767a] du sujet de la contestation. Si la chose n’est pas suffisamment décidée par ces arbitres, on aura recours à un autre tribunal. Enfin, si le procès ne peut se vider dans ces deux tribunaux, un troisième le terminera sans appel. Au reste l’érection des tribunaux est en quelque sorte une création de magistrats, puisque tout magistrat est nécessairement juge en certaines matières, et que le juge, sans être magistrat, l’est cependant avec une autorité considérable, le jour qu’il termine les différends par sa sentence. Ainsi, comptant les [767a] juges pour des magistrats, disons quelque chose de leurs qualités personnelles, des matières qui sont de leur compétence, et du nombre des juges dans chaque tribunal. Que le plus sacré de tous les tribunaux soit celui que les parties se seront créé elles-mêmes, et qu’elles auront élu d’un commun consentement. Outre celui-là, il y en aura deux d’établis, l’un pour juger les causes de particulier à particulier, lorsqu’un citoyen se prétendant lésé dans ses droits par un autre, le citera devant les juges pour en avoir raison : l’autre pour les cas où, par zèle pour le bien public, [767c] on voudra dénoncer ceux qu’on croira avoir nui aux intérêts de l’État. Il nous faut parler de la qualité et du choix des juges. Le premier tribunal, ouvert à tous les particuliers qui, après avoir plaidé deux fois, n’auront pu s’accorder, sera formé de cette manière. Le dernier jour avant le mois qui suit le solstice d’été, auquel mois commence la nouvelle année[9], tous ceux qui ont des charges, soit pour un an seulement, soit pour plus longtemps, s’assembleront dans un des temples de la cité ; et là, après avoir pris le [767d] Dieu à serment, ils lui offriront en quelque sorte les prémices de tous les corps de magistrature, en choisissant pour juge dans chacun d’eux le magistrat qui jouira d’une plus grande réputation de probité, et leur paraîtra devoir rendre la justice aux citoyens avec plus de lumières et d’intégrité dans le cours de l’année suivante. Ce choix sera suivi de l’examen de chacun des élus, par ceux-là même qui l’ont élu, et si quelqu’un est rejeté, on lui en substituera un autre en gardant les mêmes formes. Ces juges prononceront entre ceux qui n’auront pu s’accorder dans les autres tribunaux ; ils donneront leur voix publiquement ; les sénateurs et tous les autres magistrats [767e] qui les ont élus, seront tenus d’assister au jugement, et d’être témoins de la sentence : pour les autres citoyens, ils y assisteront, si bon leur semble. Si un juge se trouvait accusé d’avoir porté sciemment une sentence injuste, l’accusation sera portée devant les gardiens des lois ; le juge, convaincu de cette malversation, sera condamné à payer à celui auquel il a fait tort, la moitié du dommage ; ou, si l’on croit qu’il mérite une plus grande peine, elle sera laissée à la discrétion des gardiens des lois, qui estimeront ce qu’il doit souffrir en outre, soit dans sa personne, soit dans ses biens, par une amende au profit du public ou du particulier, qui a porté la plainte. A l’égard des crimes d’État, il est nécessaire [768a] que le peuple ait part au jugement, puisque tous les citoyens sont lésés, lorsque l’État l’est, et qu’ils auraient raison de trouver mauvais qu’on les exclût de ces sortes de causes. Ainsi ce sera au peuple que ces causes seront portées en première instance, et il les décidera en dernier ressort : mais la procédure s’instruira par-devant trois des premiers corps de magistrature, choisis du commun consentement de l’accusateur et de l’accusé. S’ils ne peuvent convenir sur ce choix, le sénat le réglera en décidant pour [768b] l’un ou pour l’autre. Il faut encore, autant qu’il se pourra, que tous aient part aux jugements touchant les causes privées. Car ceux qui ne participent point à la puissance judiciaire, croient totalement manquer des droits de citoyen. C’est pourquoi il est nécessaire qu’on établisse des tribunaux pour chaque tribu, et que des juges inflexibles, nommés par le sort, décident sur-le-champ des différends qui s’élèveront. La décision finale de ces sortes de causes appartiendra au tribunal dont nous avons parlé plus haut, tribunal composé des juges les plus intègres [768c] qu’il soit possible de trouver, et destiné à terminer les procès qui n’auront pu être vidés par une sentence arbitrale des voisins, ni par les juges de la tribu.

Voilà ce que j’avais à dire pour le moment des tribunaux, desquels il est également difficile de décider que ce sont ou que ce ne sont pas des magistratures. Ce n’est ici qu’une ébauche où quelques unes de leurs fonctions sont marquées, et tout le reste passé sous silence. Lorsque nous serons parvenus [768d] au terme de notre législation, un long développement de toutes les lois qui concernent les tribunaux et l’ordre judiciaire sera à sa place. Qu’ils nous attendent à ce moment. Pour ce qui regarde l’institution des autres charges publiques, notre législation a réglé à peu près tout ce qu’il y a à régler. Mais il n’est pas possible de se former une idée juste et complète de l’ensemble et de chacune des parties du gouvernement et de l’administration publique, jusqu’à ce que notre entretien ait embrassé les premières et les secondes pièces de cet édifice, celles du milieu, toutes en un mot, et qu’il ait conduit l’ouvrage à sa fin. [768e] Avec l’élection des magistrats finit ce qui nous avait occupés jusqu’ici, et commence la législation proprement dite qui ne veut plus de retard.
CLINIAS.

Étranger, quoique j’aie été extrêmement satisfait de tout ce que j’ai entendu jusqu’ici, rien, ne m’a fait plus de plaisir que cette liaison par laquelle tu joins la fin du discours précédent avec le commencement du suivant.

L’ATHÉNIEN

[769a] Ainsi jusqu’à présent notre conversation, amusement convenable à des vieillards, a assez bien réussi.

CLINIAS.

Dis plutôt que c’est l’occupation la plus belle que des hommes puissent se proposer.

L’ATHÉNIEN

A la bonne heure. Mais voyons, je te prie, s’il te semble la même chose qu’à moi.

CLINIAS.

Quelle chose, et par rapport à quoi ?

L’ATHÉNIEN
Tu sais que le travail des peintres, dans les diverses figures qu’ils représentent, paraît ne devoir jamais finir, qu’ils ne font autre chose que charger les couleurs ou les affaiblir, ou de quelque autre nom que cela s’appelle [769b] en termes de l’art, et que jamais leurs tableaux ne sont si parfaits qu’ils ne puissent y ajouter, et les rendre plus beaux encore et plus expressifs.
CLINIAS.

Je le sais pour l’avoir ouï-dire, car je n’ai aucune connaissance des principes de cet art.

L’ATHÉNIEN

Tu n’y as rien perdu. Toutefois nous ferons l’application suivante de la remarque que nous avons faite sur cet art. Si quelqu’un [769c] entreprenait de faire une peinture parfaitement belle, de manière que, loin de se dégrader, elle acquît de jour en jour une nouvelle perfection, tu conçois qu’étant mortel, s’il ne laisse après lui un peintre qui le remplace, pour réparer le tort que les années auraient fait à sa peinture et finir les traits que lui-même aurait laissés imparfaits par défaut d’habileté, un artiste en un mot capable de donner de nouvelles grâces à son ouvrage, tu conçois, dis-je, que ce tableau, qui lui aura coûté beaucoup de travail, ne se soutiendra pas long-temps.

CLINIAS.

Cela est vrai.

L’ATHÉNIEN

[769d] Quoi donc ! ne penses-tu pas que l’entreprise du législateur ressemble à celle de ce peintre ? Il se propose d’abord de former un corps de lois le plus parfait qu’il soit possible. Mais ensuite avec le temps, lorsque l’expérience lui aura appris à juger de son ouvrage, crois-tu qu’il y ait un seul législateur assez dépourvu de sens pour méconnaître qu’il a laissé nécessairement une foule de traits imparfaits, et qu’il a besoin de quelque autre après lui qui corrige ce qu’il a fait, afin que la police [769e] et le bon ordre qu’il a établis dans l’État, au lieu de déchoir, aillent toujours se perfectionnant ?

CLINIAS.

Et qui n’éprouverait un semblable besoin ?

L’ATHÉNIEN

Si donc un législateur trouvait le secret de former, soit par ses discours, soit par ses actions, quelque élève plus habile que lui, ou même moins habile, et de lui enseigner l’art de maintenir les lois et de les rectifier, n’est-il pas certain qu’il en ferait usage avant que de sortir de la vie ?

CLINIAS.

[770a] Sans doute.

L’ATHÉNIEN

N’est-ce point ce que nous avons à faire pour le présent, toi et moi ?

CLINIAS.

Que veux-tu dire ?

L’ATHÉNIEN

Je dis que, puisque nous sommes sur le point de porter des lois, que nous en avons déjà choisi les gardiens, et que nous touchons au terme de la vie, tandis que ces magistrats sont jeunes en comparaison de nous, il faut, en même temps que nous faisons nos lois, essayer de former en eux des hommes capables de les maintenir et d’en faire de nouvelles au besoin.

CLINIAS.

[770b] J’en conviens, pourvu que nous puissions y réussir.

L’ATHÉNIEN

Du moins faut-il faire une tentative, et y travailler de toutes nos forces.

CLINIAS.

Assurément.

L’ATHÉNIEN

Adressons-leur donc la parole : Chers concitoyens, protecteurs des lois, celles que nous allons proposer seront défectueuses sous bien des rapports ; cela est inévitable ; toutefois nous tâcherons de ne rien omettre d’important, et même, autant qu’il se pourra, nous tracerons une esquisse complète des lois ; et ce sera à vous d’achever cette esquisse ; [770c] mais apprenez quel but vous devez avoir devant les yeux en y travaillant. Nous en avons déjà parlé plusieurs fois, Mégille, Clinias et moi, et nous convenons qu’on ne doit pas s’en proposer d’autre ; mais nous voulons que vous pensiez comme nous, et que suivant nos leçons, vous ayez toujours devant les yeux ce but, dont nous avons jugé que le législateur et les gardiens des lois ne doivent jamais détourner leurs regards. Or, ce dont nous sommes convenus se réduit à un seul point essentiel, savoir, ce qui peut rendre [770d] l’homme vertueux et moralement accompli, que ce soit telle ou telle occupation, habitude, position, désir, sentiment, connaissance ; en sorte que tous les membres de la société, hommes et femmes, jeunes et vieux, dirigent tous leurs efforts vers cet objet durant toute la vie, et qu’on n’en voie jamais aucun préférer ce qui pourrait y mettre obstacle ; qu’enfin fallût-il être chassé de sa patrie, plutôt que de consentir à la voir sous le joug de l’esclavage [770e] et soumise à de mauvais maîtres, ou fallût-il se condamner volontairement à l’exil, on soit disposé à souffrir tout cela plutôt que de passer sous un autre gouvernement, dont l’effet serait de pervertir les âmes. Voilà ce dont nous sommes convenus tous trois : voilà le double point de vue[10] sous lequel vous devez juger de nos lois, soit pour les approuver, [771a] soit pour les blâmer. Condamnez celles qui ne seraient pas propres à produire cet effet : pour celles qui y sont propres, embrassez-les, recevez-les avec joie, et conformez-y votre conduite. Mais quant aux autres pratiques dont le but serait d’acquérir ce que le vulgaire appelle biens, renoncez-y pour jamais.

Venons maintenant aux lois, et entrons en matière par celles qui appartiennent à la religion. Mais il faut auparavant nous rappeler notre nombre de cinq mille quarante, [771b] et la multitude de divisions très-commodes dont il est susceptible, soit qu’on le prenne en son entier, ou qu’on n’en prenne que la douzième partie, qui est le nombre des familles de chaque tribu, et le produit juste de vingt et un par vingt. Comme le nombre entier se divise en douze parties égales, chacune d’elles, qui fait une tribu, peut aussi être divisée en douze autres ; et on doit regarder chacune de ces parties comme un don sacré de la Divinité, puisqu’elles répondent aux différents mois et à la révolution annuelle de l’univers. Ainsi l’état tout entier est sous la direction du principe divin qu’il porte en lui et qui en consacre toutes les parties. Au reste, les différents législateurs ont fait des divisions plus ou moins justes et ont consacré ces partages [771c] d’une manière plus ou moins heureuse. Pour nous, nous prétendons avoir préféré avec raison le nombre de cinq mille quarante, vu qu’il a pour diviseurs tous les nombres depuis l’unité jusqu’à douze, hormis onze : encore est-il très facile d’y remédier ; car si on laisse de côté deux familles sur la totalité, on aura de part et d’autre deux diviseurs exacts. Avec un peu de loisir, on peut se convaincre aisément de la vérité de ce que je dis. Sur la foi de ce discours, [771d] comme sur celle d’un oracle, partageons maintenant notre cité, donnons à chaque portion pour protecteur un Dieu ou un enfant des Dieux ; érigeons-leur des autels avec tout ce qui convient à leur culte, et que deux fois le mois on s’assemble pour y faire des sacrifices ; en sorte qu’il y en ait douze par an pour chaque tribu, et douze pour les douze portions de chaque tribu. Ces assemblées se tiendront premièrement en vue d’honorer les Dieux, et de la religion : en second lieu, pour établir la familiarité, une connaissance réciproque, [771e] et toute sorte de liaisons entre les citoyens ; car pour les mariages et les alliances, il est nécessaire de connaître la famille dans laquelle on prend une femme, la personne et la parenté de celui à qui on donne sa fille ; et en ces sortes de choses, on doit se faire un scrupule de n’être trompé en quoi que ce soit, autant qu’il est possible. C’est pourquoi il faut, toujours dans cette même vue, établir des divertissements et des danses [772a] entre les jeunes garçons et les jeunes filles, qui fourniraient aux uns et aux autres des raisons plausibles et fondées sur le rapport des âges de se voir et de laisser voir dans toute la nudité que permet une sage pudeur. Tout se passera sous les yeux et la direction des présidents des chœurs, qui de concert avec les gardiens des lois régleront les détails que nous omettons. Car, comme nous avons dit, c’est une nécessité que le législateur omette en ce genre une foule de petites choses, [772b] et que ceux qui auront tous les ans occasion de s’instruire par l’expérience, fassent les arrangements nécessaires, corrigent, changent chaque année, jusqu’à ce que ces règlements et ces exercices aient acquis la perfection convenable. Le terme de dix ans est, ce me semble, raisonnable et suffisant pour faire de pareilles expériences sur les sacrifices et les danses ; tout, dans l’ensemble et dans les détails, sera réglé durant ce temps de concert avec le législateur pendant sa vie ; [772c] et après sa mort, chaque corps de magistrats fera part aux gardiens des lois de ce qu’il jugera avoir besoin d’être rectifié dans les diverses fonctions de sa charge, jusqu’à ce qu’on ait sujet de croire que chaque chose est aussi bien réglée qu’elle puisse l’être. Alors on donnera à ces règlements une forme immuable, et on s’y conformera ainsi qu’aux autres lois prescrites dès le commencement par le législateur, lois auxquelles il ne faut jamais toucher sans nécessité. Si l’on se croyait obligé d’y faire quelque changement, on ne le fera qu’après avoir pris l’avis de tous [772d] les magistrats et du peuple, après avoir consulté tous les oracles des dieux, et supposé que tous y consentent : sans cela on n’y touchera point, et ce doit être une loi qu’une seule opposition suffira toujours pour empêcher l’innovation.

En quelque temps et dans quelque famille qu’un jeune homme de vingt-cinq années, après avoir vu et s’être laissé voir suffisamment, croira avoir trouvé une personne à son gré, à laquelle il puisse s’unir avec décence pour avoir [772e] et élever en commun des enfants ; qu’il se marie depuis l’âge de vingt-cinq ans jusqu’à trente-cinq. Mais auparavant qu’il apprenne comment il doit chercher ce qui lui convient et lui composerait une union assortie. Car, comme dit Clinias, il faut mettre à la tête de chaque loi le prélude qui lui est propre.

CLINIAS.

Tu as une mémoire excellente, étranger, et tu ne pouvais saisir plus à propos l’occasion de rappeler ce principe.

L’ATHÉNIEN

Bien. Mon fils, dirons-nous donc à celui qui est né de parents [773a] honnêtes, il faut contracter un mariage qui mérite l’approbation des personnes sages ; elles te feront entendre qu’il ne faut point fuir l’alliance des pauvres, ni rechercher avec trop d’empressement celle des riches ; mais que tout le reste étant égal, tu dois toujours préférer l’alliance de ceux qui ont peu de biens : car une pareille alliance est également avantageuse à l’État et aux familles qui la contractent : que la vertu se trouve mille fois plus aisément dans la proportion et l’égalité que dans les extrêmes :[773b] ainsi que celui qui se connaît impétueux et trop précipité dans ses démarches, doit travailler à devenir le gendre de citoyens modérés, et celui qui est né avec des dispositions contraires, s’allier avec des personnes d’un caractère opposé. En général la règle qu’il faut suivre en fait de mariage, est de consulter moins son goût et son plaisir particulier, que l’utilité publique. Tous se sentent naturellement portés à s’unir à ceux qui leur ressemblent le plus : ce qui empêche dans la société tout mélange de biens et de caractères : de là, dans la plupart des États, [773c] l’inconvénient dont nous voulons préserver le nôtre. Mais de défendre par la lettre de la loi au riche d’épouser la fille du riche, et à l’homme puissant de s’allier à une autre famille puissante, et de forcer ceux d’un caractère vif de s’unir par le mariage aux personnes d’un caractère lent, et réciproquement ; outre que cela paraîtrait ridicule, il serait à craindre que beaucoup de gens n’en fussent très-choqués. En effet, il n’est point aisé à tous de concevoir que les humeurs [773d] doivent être mêlées dans un État, comme les liqueurs dans une coupe, où le vin versé seul pétille et bouillonne, tandis que, corrigé par le mélange d’une autre divinité sobre, il devient, par cette heureuse alliance, un breuvage sain et modéré. Tel est l’effet que produit le mélange dans les mariages, mais presque personne n’est capable de s’en apercevoir. C’est ce qui nous met dans la nécessité de ne point faire de loi expresse sur ce point, et d’essayer seulement auprès de nos citoyens la voie douce de la persuasion, leur insinuant de songer plutôt en mariant leurs enfants [773a] à assortir les personnes, qu’à vouloir par une avarice insatiable que les biens de fortune soient égaux de part et d’autre, et détournant par la honte ceux qui dans le mariage n’ont en vue que les richesses, sans les contraindre par une loi écrite.

Voilà ce que nous avons à dire par forme d’exhortation sur le mariage. Il faut joindre à ceci ce qui a été dit précédemment, que chaque citoyen doit tendre à se perpétuer en laissant après soi une postérité qui lui succède dans le culte qu’il rendait aux [774a] dieux. On pourrait ajouter à ce prélude bien des choses touchant le mariage et la manière de le contracter. Si quelqu’un refuse de se soumettre à la loi, et qu’il veuille vivre dans notre ville comme un étranger, sans alliance ; si à l’âge de trente-cinq ans accomplis il n’est point marié, il paiera chaque année une âmende de cent drachmes, s’il est de la première classe ; de soixante et dix, s’il est de la seconde ; de soixante, s’il est de la troisième, et de trente, s’il est de la quatrième. Cet argent sera consacré à [774b] Junon. S’il ne paie point exactement à chaque terme, il sera condamné au décuple. L’économe de la déesse exigera cette amende ; s’il manque à le faire, on la lèvera sur ses propres biens, et dans les comptes que chaque économe rendra, on fera mention de cet article. Telle est l’amende pécuniaire établie contre ceux qui refuseraient de prendre aucun engagement. A l’égard des honneurs, ils n’en recevront point des citoyens plus jeunes qu’eux : aucun n’aura pour eux le moindre respect, la moindre déférence ; et s’ils s’avisaient de vouloir châtier quelqu’un, quiconque sera présent prendra la défense de l’attaqué, et repoussera leurs coups : [774c] bien plus, la loi déclare lâche et mauvais citoyen celui qui ne viendra pas à son secours. Nous avons déjà parlé de la dot : disons encore une fois qu’il faut enseigner aux pauvres qu’il y a égalité à ne rien recevoir et à ne rien donner faute de biens ; car nous avons pourvu à ce que tous les habitans de notre ville eussent le nécessaire. Les femmes en seront moins insolentes, et les maris moins esclaves et moins rampans devant elles [774d] à cause de la riche dot qu’elles auraient apportée. Si l’on se conforme à ce règlement, ce sera une action louable : mais si on ne veut pas s’y soumettre, et si pour l’habillement de la future, on donne ou l’on reçoit au-delà de cinquante drachmes pour la dernière classe, d’une mine pour la troisième, d’une mine et demie pour la seconde, et de deux mines pour la première, on paiera le double au trésor public ; et ce qu’on aura donné ou reçu sera consacré à Jupiter et à Junon. Les économes des temples [774e] de ces dieux auront soin de lever cet argent, comme nous avons dit que devaient faire les économes du temple de Junon à l’égard de ceux qui ne se marient point ; et s’ils ne le font pas, ils paieront cette âmende de leur argent. Les cautions valables pour la promesse de mariage sont, en premier lieu celle du père, ensuite celle de l’aïeul, puis celle des frères nés du même père. Si l’on n’a aucun parent du côté paternel, les cautions du côté de la mère seront valables dans le même ordre. Et si par un accident extraordinaire on avait perdu tous ses parens, alors les alliés les plus proches avec les tuteurs seront reçus à caution. Quant aux fiançailles et aux autres cérémonies [775e] qui doivent précéder, accompagner ou suivre le mariage, chacun doit se persuader qu’il ne peut mieux faire que de consulter là-dessus les interprètes de la religion, et d’exécuter de point en point ce qu’ils auront réglé.

L’époux et l’épouse ne pourront inviter au festin de noces, chacun plus de cinq de leurs amis ; ils n’y inviteront aussi qu’un égal nombre de parents et d’alliés[11]. Que la dépense soit proportionnée à la fortune d’un chacun, et qu’elle n’excède pas une mine pour ceux de la première classe, une demi-mine pour ceux de la seconde, et [775b] ainsi de suite en diminuant en proportion du cens. Si l’on se soumet à cette loi, on n’aura que des éloges à attendre de toutes parts. Mais quiconque refusera de s’y conformer, les gardiens des lois le puniront comme un homme qui n’a nulle idée des bienséances, et des lois qui se rapportent aux muses nuptiales. Outre qu’il est indécent de boire jusqu’à s’enivrer, si ce n’est dans les fêtes du dieu qui nous a fait présent du vin, cela est encore dangereux, surtout pour les personnes qui songent au mariage. [775c] L’époux et l’épouse ne sauraient apporter trop de présence d’esprit à un engagement qui les fait passer à un état de vie tout différent du précédent. De plus, il est très-important que les enfants soient engendrés de parents sobres et maîtres de leur raison. Or, on ne peut savoir dans quel jour ou dans quelle nuit l’enfant sera conçu avec la coopération de Dieu. Outre cela il ne faut point faire d’enfants lorsque l’ivresse met le corps dans un état de dissolution ; il faut que la conception se fasse en temps utile, avec consistance, stabilité et tranquillité. L’homme ivre, [775d] dont l’âme et le corps sont livrés à une espèce de rage, n’est point maître de ses mouvements ni de son action. Dans ce désordre il n’est point propre à engendrer, et il n’aura probablement que des enfants mal constitués, et qui ne seront ni solides ni droits, ni d’esprit ni de corps. Par conséquent il faut pendant tout le cours de l’année ou même de la vie, mais surtout tant qu’on est dans le cas d’avoir des enfants, être extrêmement sur ses gardes, et ne rien faire volontairement qui nous expose à la maladie, ou qui tienne du libertinage et de l’injustice, parce que c’est une nécessité que la disposition où l’on se trouve alors, passe et s’imprime dans le corps et dans l’âme des enfants, [775e] et qu’ils naissent avec bien plus de défauts. Mais c’est principalement le premier jour et la première nuit des noces, qu’on doit s’abstenir de tout excès semblable. En effet, le commencement est comme une divinité qui fait réussir nos entreprises toutes les fois qu’on lui rend les honneurs qu’elle mérite. Que celui qui se marie se mette dans l’esprit que, des deux maisons [776a] qu’il a dans la part qui lui a été assignée, une est destinée à la naissance et à l’éducation de ses enfants, et qu’il doit se séparer de son père et de sa mère pour aller y célébrer ses noces, y faire sa demeure, y vivre lui et sa famille : car en amitié le désir qui naît de l’absence rend les liaisons plus fortes et l’union plus intime, au lieu qu’un commerce assidu, dont une séparation de quelque temps ne ranime jamais la langueur, engendre un incroyable dégoût, et détache l’un de l’autre. Par cette raison, le nouvel époux laissant à ses père et mère et aux parents de sa femme la maison qu’ils occupent, se retirera avec elle dans une autre, comme [776b] dans une colonie : là, visités par leurs parents qu’ils visiteront à leur tour, ils engendreront et élèveront des enfants, transmettant le flambeau de la vie de génération en génération, et observant religieusement le culte des dieux tel que la loi le prescrit.

Voyons présentement quelles sont les possessions qui constituent une fortune honnête. Il n’est pas difficile de les imaginer ni de les acquérir ; mais l’article des esclaves est embarrassant [776c] à tous égards. Les raisons qu’on en apporte sont bonnes en un sens, et mauvaises en un autre ; car elles prouvent à la fois l’utilité et le danger d’avoir des esclaves.

MÉGILLE.

Comment l’entends-tu ? Nous ne comprenons point, étranger, ce que tu veux dire.

L’ATHÉNIEN

Je n’en suis pas surpris, Mégille : car s’il y a quelque difficulté à justifier ou à condamner l’usage des esclaves, tel qu’il est établi chez les autres peuples de la Grèce, cette difficulté est incomparablement plus grande au sujet des ilotes de Lacédémone ; l’embarras est moindre pour les Mariandyniens, esclaves des habitants d’Héraclée, [776d] et pour ceux de Thessalie appelés Pénestes[12]. Lorsqu’on jette les yeux sur ce qui se passe là et ailleurs, sait-on que régler touchant la possession des esclaves ? Quant à ce que je viens de dire à ce propos comme en passant, et qui ta donné lieu de me demander une explication de ma pensée, voici ce que c’est. Nous savons qu’il n’est personne qui ne dise qu’il faut des esclaves fidèles et affectionnés : car il s’en est trouvé beaucoup qui ont montré plus de dévouement que des frères et des fils, et qui ont sauvé à leurs maîtres la vie, [776e] les biens et toute leur famille: nous savons, dis-je, qu’on parle ainsi des esclaves.

MÉGILLE.
A la bonne heure.
L’ATHÉNIEN

Ne dit-on pas aussi d’un autre côté qu’une âme esclave n’est capable de rien de bon, et qu’un homme sensé ne s’y fiera jamais ? C’est ce que le plus sage des poètes nous donne à entendre, lorsqu’il dit que [777a]

Jupiter prive de la moitié de leur intelligence Ceux qui tombent dans l’esclavage[13].

Suivant qu’ils partagent l’un ou l’autre de ces sentiments contraires, les uns ne se fiant nullement à leurs esclaves, les traitent comme des bêtes féroces, et, à force de coups de fouet et d’étrivières, rendent leur âme non-seulement trois fois, mais vingt fois plus esclave : les autres tiennent une conduite tout opposée.

MIÉGILLE.

Cela est vrai.

CLINIAS.

[777b] Mais puisque les hommes pensent et agissent si diversement à cet égard, quel parti faut-il que nous prenions, étranger, dans notre nouvelle colonie par rapport à l’acquisition des esclaves et à la façon de les gouverner ?

L’ATHÉNIEN

Ce que nous ferons, mon cher Clinias ? Il est clair que l’homme qui est un animal difficile à manier, ne consent à se prêter qu’avec une peine infinie à cette distinction de libre et d’esclave, de maître et de serviteur, introduite par la nécessité.

CLINIAS.

Eh bien ?

L’ATHÉNIEN

Par conséquent l’esclave est une possession bien [777c] embarrassante. L’expérience l’a fait voir plus d’une fois, et les fréquentes révoltes des Messéniens, les maux auxquels sont sujets les Etats où il y a beaucoup d’esclaves parlant la même langue, et encore ce qui se passe en Italie, où des vagabonds exercent toute sorte de brigandages, tout cela ne le prouve que trop. A la vue de tous ces désordres, il n’est pas surprenant qu’on soit incertain du parti qu’on doit prendre à cet égard. Je ne vois que deux expédients : le premier, de ne point avoir d’esclaves [777d] d’une seule et même nation, mais, autant qu’il est possible, qui parlent entre eux différentes langues, si l’on veut qu’ils portent plus aisément le poids de la servitude ; le second, de les bien traiter, non seulement pour eux-mêmes, mais encore plus pour ses intérêts. Ce bon traitement consiste à ne point se permettre d’outrages envers eux, et à être, s’il se peut, plus justes vis-à-vis d’eux qu’à l’égard de nos égaux. En effet c’est surtout dans la manière dont on en use avec ceux qu’on peut maltraiter impunément, que l’on fait voir si on aime naturellement et sincèrement la justice, et si on a une véritable haine pour tout ce qui porte le caractère d’injustice. Celui donc qui n’a rien à se reprocher de criminel ou d’injuste dans ses habitudes et ses actions par rapport à ses esclaves, [777e] sera aussi pour eux le plus habile maître de vertu. On peut porter le même jugement avec autant de raison sur la conduite que tient tout maître, tout tyran, en général tout supérieur envers ceux qui lui sont soumis. Quand un esclave a manqué, il faut le punir, et ne pas s’en tenir à de simples réprimandes, comme on ferait à l’égard d’une personne libre ; ce qui le rendrait plus insolent. Quelque chose qu’on ait à lui dire, il faut toujours prendre un ton de maître, [778a] et ne jamais plaisanter avec ses esclaves, soit hommes, soit femmes, chose que beaucoup ont coutume de faire, les gâtant par cette conduite inconsidérée, leur rendant l’obéissance plus pénible, et à eux-mêmes l’autorité plus difficile.

CLINIAS.

Tu as raison.

L’ATHÉNIEN

Après que chacun se sera convenablement pourvu d’esclaves, soit pour le nombre, soit pour leur aptitude aux services auxquels ils sont destinés, ne sera-t-il pas temps de tracer le plan des habitations ?

CLINIAS.

Sans doute.

L’ATHÉNIEN

[778b] Il me paraît même que, dans une cité toute nouvelle, jusque là inhabitée, il faut commencer par les temples et les murs de la ville. Nous aurions dû traiter cette matière avant celle des mariages, Clinias ; mais rien ne nous empêche d’en parler à présent, puisque notre cité n’est ici qu’en paroles : lorsqu’elle s’exécutera en effet, alors, avec l’aide de Dieu, nous penserons aux maisons avant que de penser aux mariages, et nous donnerons à cet article comme aux autres toute sa perfection. Bornons-nous pour le présent à en tracer un modèle en peu de mots.

CLINIAS.

A merveille.

L’ATHÉNIEN

Les temples seront donc construits autour de la place publique, et toute la ville bâtie en cercle sur les lieux élevés, tant pour la sûreté que pour la propreté. Près des temples sera la demeure des magistrats, et les tribunaux où ils recevront les plaintes des citoyens et leur rendront la justice ; ces lieux seront sacrés, et à raison des fonctions des magistrats qui sont saintes, [778d] et à raison de la sainteté des dieux qui y habitent ; surtout les tribunaux où doivent se juger les causes de meurtre, et les autres crimes qui méritent la mort. A l’égard des murailles de la ville, Mégilie, je serais assez de l’avis de Sparte, de les laisser dormir couchées en terre, et de ne point les relever : en voici les raisons. Je ne trouve rien de plus beau que ce qu’on dit à ce sujet en langage poétique, qu’il vaut mieux que les murs des villes soient d’airain et de fer, [778e] que de terre[14]. De plus, pour ce qui nous regarde en particulier, ce serait nous exposer à la risée des gens sensés, si après avoir envoyé chaque année les jeunes gens sur les frontières de l’État, pour y faire des fossés, des retranchemens, et y construire même des tours, afin d’arrêter l’ennemi et l’empêcher de mettre le pied sur nos terres, nous allions fermer notre ville d’une enceinte de murailles, chose fort nuisible à la santé des habitans, et qui de plus produit ordinairement dans leur âme une certaine habitude de lâcheté, [779a] en les invitant à se réfugier dans les murs sans faire tête à l’ennemi, et à chercher leur salut non dans l’énergie qui veille nuit et jour, mais derrière des murailles et des portes, où l’on croit pouvoir s’abandonner sans crainte au sommeil ; comme si nous étions nés pour ne pas travailler, et comme si le repos n’était pas véritablement le fruit du travail, au lieu qu’un repos honteux et la négligence engendrent d’ordinaire à leur tour les travaux. Mais enfin si l’on ne peut absolument [779b] se passer de murailles, il faut dès le commencement disposer de telle sorte les maisons des particuliers, que toute la ville ne fasse qu’un mur continu, et qu’étant toutes de la même forme et sur une même ligne, elles soient par là aisées à défendre. Ce serait en effet un beau spectacle, qu’une ville qu’on prendrait à la vue pour une seule maison, et la garde en serait infiniment plus facile et plus sûre. Tandis qu’on bâtira la ville pour la première fois, le soin de donner aux maisons cette forme, appartiendra principalement aux particuliers qui doivent les occuper. [779c] Les astynomes se chargeront d’y avoir l’œil, contraignant par la force et les amendes ceux qui refuseraient d’obéir. Ce sera encore à eux d’entretenir la propreté dans les différens quartiers de la ville, et d’empêcher qu’aucun citoyen, soit en bâtissant, soit en creusant, n’empiète sur les lieux publics. Ils auront soin aussi de procurer un écoulement facile aux eaux de pluie ; en un mot leurs soins s’étendront à tout ce qui les réclamera, tant au dedans de la ville qu’au dehors. Les gardiens des lois, [779d] à mesure qu’ils en sentiront le besoin, feront sur ces choses, ainsi que sur toutes les autres, dans le détail desquelles il est impossible au législateur d’entrer, les règlemens qu’ils jugeront nécessaires.

Maintenant que tous ces édifices, tant ceux de la place publique que les autres, sont construits ; que les gymnases, les écoles, les théâtres sont prêts, et n’attendent que des élèves et des spectateurs, reprendrons-nous la suite de nos lois, pour voir ce qui vient après le mariage ?

CLINIAS.

Sans doute.

L’ATHÉNIEN.

Supposons que les mariages sont déjà faits, mon cher Clinias. Maintenant, il y a une autre manière de vivre [779e] pour le nouvel époux et la nouvelle épouse, au moins la première année, avant qu’ils aient des enfans. Quelle sera-t-elle dans une ville qui doit se distinguer entre toutes les autres villes ? Ce que nous avons à dire sur ce sujet, n’est point l’article le plus facile de notre législation : et quelque difficulté que nous ayons déjà éprouvée sur plusieurs autres points, la foule aura encore bien plus de répugnance à se soumettre à celui-ci. Toutefois, mon cher Clinias, il faut dire sans balancer ce que nous jugeons conforme à la droite raison et à la vérité.

CLINIAS.

Assurément.

L’ATHÉNIEN

[780a] Ce serait une erreur de penser qu’il suffit que les lois règlent les actions dans leur rapport avec l’ordre public, sans descendre, à moins de nécessité, jusque dans la famille : qu’on doit laisser à chacun une liberté parfaite dans la manière de vivre journalière, qu’il n’est pas besoin que tout soit soumis à des règlemens, et de croire qu’en abandonnant ainsi les citoyens à eux-mêmes dans les actions privées, ils n’en seront pas pour cela moins exacts observateurs des lois dans l’ordre public. A quoi tend ce préambule ? Le voici. Nous voulons que les nouveaux mariés [780b] prennent leurs repas dans des salles à manger communes ni plus ni moins qu’avant leur mariage. Ce règlement parut sans doute étrange la première fois qu’il fut porté en Crète et à Sparte, soit que la guerre, comme il y a apparence, ait contraint d’en faire une loi, ou quelque autre fléau non moins puissant, qui avait réduit votre pays à un petit nombre d’habitans. Mais après qu’on eut essayé de cette vie commune, et qu’on eut été forcé de la pratiquer, on jugea [780b] que cet usage était d’une utilité merveilleuse pour l’État. C’est ainsi à peu près que les repas en commun ont été établis chez nous.

CLINIAS.

Cela est vraisemblable.

L’ATHÉNIEN

Ce que je viens de dire, que cet usage dut paraître étrange alors, et que ce ne fut pas sans crainte qu’on le proposa à quelques uns, n’aurait plus lieu aujourd’hui, et le législateur ne trouverait pas les mêmes difficultés à vaincre. Mais le point qui coûterait beaucoup à proposer, et encore plus à faire exécuter, est celui qui tient au précédent et mériterait nos éloges s’il était en vigueur, mais qui par malheur n’est établi nulle part, et faute duquel le législateur est réduit, comme on dit en badinant, à donner des coups dans le feu, [780d] et à faire mille autres choses semblables qui n’aboutissent à rien.

CLINIAS.

Étranger, quel est donc ce point dont tu as envie de parler et que tu parais avoir tant de peine à dire ?

L’ATHÉNIEN

Vous allez l’entendre, pour ne pas vous fatiguer à cet égard de longs et inutiles délais.

Tout ce qui se fait dans un Etat selon l’ordre et sous la direction de la loi ne peut avoir que de bons effets, tandis que ce qui n’est pas réglé ou ce qui l’est mal, fait tort à la plupart des autres règlemens les plus sagement établis. Nous en avons la preuve dans la chose même dont nous parlons. Chez vous, Mégille et Clinias, les repas en commun [780e] pour les hommes ont été sagement introduits, et, comme je l’ai dit, d’une manière extraordinaire, à la suite de quelque nécessité imposée par les dieux. Mais on a eu le tort de ne pas étendre la même loi aux femmes, [781a] et de ne pas faire de règlement qui les assujettisse à la vie commune ; et comme, entre autres différences, ce sexe est, à raison même de sa faiblesse, plus porté que nous autres hommes à se cacher et à agir par des voies détournées, c’est une faute du législateur de le négliger, comme difficile à gouverner. Le manque de lois sur cet objet détruit le bon effet de beaucoup d’autres, où tout irait mieux qu’il ne va aujourd’hui, si le premier point avait été réglé par des lois. Ne prescrire aucun ordre aux femmes pour leur conduite, [781b] n’est pas seulement, comme on le pourrait croire, laisser l’ouvrage imparfait : le mal va bien au-delà, et d’autant plus loin que ce sexe a moins de disposition que le nôtre à la vertu. Il est donc plus avantageux pour le bien public, de revenir sur ce point, de réparer le défaut de cette omission, et de prescrire en commun aux hommes et aux femmes les mêmes pratiques. Mais aujourd’hui les choses sont disposées si peu favorablement à cet égard, que dans les autres lieux et les autres cités [781c] où les repas en commun n’ont jamais été établis, la prudence ne permet pas même d’en parler. Comment ne s’y rendrait-on pas ridicule, si l’on entreprenait d’assujettir les femmes à manger et à boire en public ? Il n’est rien au monde que ce sexe portât plus impatiemment. Accoutumé qu’il est à une vie cachée et retirée, il n’est point de résistance qu’il n’oppose au législateur, qui voudra le produire de force au grand jour, [781d] et à la fin son opiniâtreté l’emportera. Ainsi, par les raisons que je viens de dire, la seule proposition de ce projet, quelque raisonnable qu’il soit, ne serait écoutée nulle part ailleurs par les femmes sans de grandes clameurs ; mais ici peut-être s’y prêteraient-elles. Si vous jugez à propos que notre plan de législation ne reste point imparfait, du moins en paroles, je vais vous exposer combien cet établissement serait utile et convenable, si vous voulez m’écouter : sinon, passons à d’autres choses.

CLINIAS.

Etranger, nous souhaitons ardemment de t’entendre là-dessus.

L’ATHÉNIEN

Voyons donc. Ne soyez pas surpris au reste si je reprends la chose [781b] d’un peu loin : nous avons du loisir ; rien ne nous presse, ni ne nous empêche d’examiner à fond la matière des lois.

CLINIAS.

Tu as raison.

L’ATHÉNIEN

Remontons par conséquent à ce qui a été dit dès le commencement. Il est nécessaire que chacun comprenne, ou que le genre humain n’a jamais commencé et ne finira [782a] jamais, mais qu’il a existé et existera toujours, ou du moins que son origine va se perdre dans des temps si reculés qu’il est presque impossible d’en assigner l’époque.

CLINIAS.

Il est vrai.

L’ATHÉNIEN

N’est-il pas naturel de croire que dans cet intervalle immense, il y a eu une infinité d’États fondés et détruits, des usages de toutes les sortes, les uns pleins de sagesse, les autres pleins de désordre, mille coutumes différentes par rapport à la manière de se nourrir, au boire et au manger, dans tous les lieux du monde ; sans parler de je ne sais combien de révolutions dans les saisons, qui ont dû causer [782b] des altérations de toute espèce dans la nature des animaux ?

CLINIAS.

Sans contredit.

L’ATHÉNIEN

Ajouterons-nous aussi foi à ce qu’on dit qu’il y a eu un temps où la vigne, jusqu’alors inconnue, a commencé d’être ? J’en dis autant de l’olivier, et des présents de Cérès et de Proserpine, présents qu’elles ont faits aux hommes par le ministère de Triptolème. Ne croyez-vous pas qu’auparavant les animaux se dévoraient les uns les autres, comme ils font encore aujourd’hui ?

CLINIAS.

Oui.

L’ATHÉNIEN

[782c] Nous voyons même que la coutume de sacrifier des hommes s’est conservée jusqu’à nos jours en plusieurs contrées : comme au contraire nous apprenons qu’en d’autres pays on n’osait pas même toucher à la chair de bœuf, on n’immolait point d’animaux sur les autels des dieux ; on se contentait de leur offrir des gâteaux, des fruits enduits de miel, et d’autres dons purs de sang ; on s’abstenait de l’usage de la chair, ne croyant pas qu’il fût permis d’en manger ni de souiller de sang les autels des dieux ; qu’en un mot la vie de ces temps-là ressemblait à celle qui nous est recommandée dans les mystères d’Orphée, et qui consiste à se nourrir de ce qui est inanimé et à s’interdire absolument [782d] tout ce qui a vie.

CLINIAS.

C’est en effet ce qu’on raconte, et il y a en ce récit beaucoup de vraisemblance.

L’ATHÉNIEN

On me demandera peut-être où j’en veux venir avec tout ce discours.

CLINIAS.

Cette remarque, étranger, vient à propos.

L’ATHÉNIEN

Hé bien, mon cher Clinias, je vais tâcher, si je puis, d’arriver à la conclusion.

CLINIAS.

Parle.

L’ATHÉNIEN

Je vois qu’ a l’égard des hommes tout se réduit à trois sortes de besoins et d’appétits, que de leur bon usage naît la vertu, et le vice de l’usage [782e] contraire. Les deux premiers de nos besoins et de nos appétits sont ceux du boire et du manger ; ils naissent avec nous, et produisent dans tout animal un certain désir naturel, plein d’impétuosité, incapable d’écouter quiconque dirait qu’il faut faire autre chose que contenter l’inclination et le plaisir qui nous portent vers ces objets et se délivrer en toute rencontre du tourment qui nous presse. Le troisième [783a] et le plus grand de nos besoins, comme aussi le plus vif de nos désirs, est celui de la propagation de notre espèce : il ne se déclare qu’après les autres ; mais à son approche l’homme est saisi des accès d’une fièvre ardente, qui le transporte hors de lui-même et le consume d’une ardeur effrénée. Il faut, en détournant l’homme de ce qu’on appelle le plaisir et en le dirigeant vers la vertu, essayer de maîtriser ces trois maladies par les trois plus puissants remèdes, la crainte, la loi et la droite raison, tandis que les Muses et les dieux [783b] qui président aux combats aideront à en éteindre l’ardeur et à en arrêter le cours. Mettons la génération des enfants après le mariage, et ensuite la manière de les nourrir et de les élever. En gardant cet ordre nos lois se formeront peu à peu, et leur progrès nous conduira insensiblement aux repas en commun. Quand nous en serons venus là, regardant les objets de plus près, peut-être verrons-nous mieux si cette vie commune ne doit avoir lieu que pour les hommes, ou s’il faut y comprendre les femmes. Nous mettrons aussi à leur place naturelle les articles qui doivent précéder ceux-ci, [783c] et qui n’ont pas encore été réglés ; et, comme je disais tout à l’heure, nous verrons les objets d’une manière plus distincte et nous porterons sur chacun d’eux les lois qui lui conviennent davantage.

CLINIAS.

Parfaitement.

L’ATHÉNIEN

Ainsi conservons dans notre mémoire ce qui vient d’être dit : car peut-être aurons-nous besoin de tout cela dans la suite.

CLINIAS.

De quoi faut-il conserver le souvenir ?

L’ATHÉNIEN

Des trois choses que nous avons désignées par les noms de manger, de boire, et de penchant [783d] vers les plaisirs de l’amour.

CLINIAS.

Nous ne les oublierons pas, étranger.

L’ATHÉNIEN

Fort bien. Revenons aux nouveaux mariés : enseignons-leur comment ils doivent se comporter pour faire des enfants, et menaçons de quelques lois ceux qui ne voudraient pas obéir.

CLINIAS.

Comment ?

L’ATHÉNIEN

Il faut que l’époux et l’épouse se mettent dans l’esprit qu’ils doivent, autant qu’il dépend d’eux, donner à la [783a] république les enfants les mieux faits pour le corps et pour l’âme. Or dans les actions que les hommes font en commun, si chacun est attentif à soi-même et à ce qu’il fait, l’ouvrage ne peut manquer d’être beau et parfait: le contraire arrive, lorsqu’on n’a pas cette attention, ou qu’on n’est pas en état de l’avoir. Que le mari s’occupe donc sérieusement de sa femme et de la production des enfants ; que la femme en fasse autant de son côté ; surtout pendant le temps où ils n’auront encore eu aucun [784a] fruit de leur mariage. Nous choisirons des femmes pour veiller là-dessus, au nombre et dans les cas que détermineront les magistrats. Elles s’assembleront tous les jours dans le temple d’Ilithye, pendant la troisième partie d’une heure : là elles se feront part réciproquement de la négligence qu’elles auront remarquée dans ceux des maris ou des femmes qui donnent des enfants à l’Etat à s’acquitter des devoirs qui leur ont été prescrits dans les sacrifices [784b] et les cérémonies du mariage. L’espace du temps où les époux feront des enfants, et où l’on veillera sur eux à cet égard, sera de dix ans ; on ne l’étendra point au-delà, lorsque le mariage aura été fécond. Ceux qui durant cet intervalle n’auraient point eu d’enfants, seront séparés pour le bien commun de l’un et de l’autre, après qu’on aura pris l’avis de leurs parents et des matrones préposées à ce sujet. S’il s’élève quelque doute sur ce qui est convenable et avantageux au mari ou à la femme, on prendra pour juges dix [784c] d’entre les gardiens des lois, et l’on s’en tiendra à leur décision. Les matrones seront chargées aussi de visiter les jeunes mariés qui se comporteraient mal, et d’employer successivement la douceur et les menaces pour les tirer du désordre et de l’ignorance où ils sont. Si elles ne peuvent y réussir, elles porteront leurs plaintes aux gardiens des lois, qui rangeront les coupables à leur devoir. Au cas qu’eux-mêmes n’en viennent point a bout, ils les dénonceront au public, en affichant leur nom, et protestant avec serment [784b] qu’ils n’ont pu corriger tel ou tel citoyen. Celui dont le nom aura été ainsi affiché, sera déclaré infâme à moins qu’il ne convainque en justice ses accusateurs de faux : il sera dépouillé du droit d’assister aux noces, et aux sacrifices pour la naissance des enfants : s’il ose s’y présenter, le premier venu pourra le frapper impunément. La même chose aura lieu à l’égard des femmes : elles ne pourront paraître en public avec les personnes de leur sexe, n’auront aucune part aux honneurs, et seront exclues des cérémonies pour les noces et la naissance des enfants, s’il leur arrive d’être dénoncées publiquement [784e] pour une pareille faute, et qu’elles ne puissent se justifier. Si un homme, après avoir eu des enfants selon les règles prescrites par les lois, a commerce avec une autre femme pour qui le terme de faire des enfants n’est point expiré, ou une femme avec un autre homme, ils seront soumis aux mêmes peines que ceux qui font encore des enfants. Qu’on accorde toute sorte de distinctions aux époux qui, après l’expiration de ce terme, se comporteront sagement : qu’on les refuse à ceux qui se conduiront mal, ou plutôt qu’on les couvre d’ignominie. Tant que le plus grand nombre se tiendra à cet égard dans les bornes [785a] du devoir, le législateur gardera le silence ; mais si le contraire arrive, il portera des lois conformément à ce qu’on vient de dire. La première année étant pour chacun le commencement de la carrière de la vie, il est nécessaire d’en faire mention dans les chapelles domestiques, tant pour les garçons que pour les filles. On l’inscrira aussi dans chaque phratrie sur une muraille blanchie, dans la série des magistrats qui marquent les années. Dans chaque phratrie encore, [785b] à mesure qu’on écrira par ordre les noms des vivants, on effacera ceux des morts. Les filles pourront se marier depuis seize ans jusqu’à vingt ; c’est le plus long terme qu’on puisse leur accorder ; et les garçons depuis trente jusqu’à trente-cinq. Pour ce qui est des charges, les femmes ne pourront y entrer qu’à quarante ans, et les hommes qu’à trente. Les hommes porteront les armes depuis vingt ans jusqu’à soixante. Quant aux femmes, quelles que soient les occasions où l’on se croira obligé de les employer à la guerre, on ne le fera qu’après qu’elles auront cessé d’avoir des enfants, jusqu’à l’âge de cinquante ans, et en ne leur ordonnant rien qui ne soit proportionné à leurs forces et bienséant à leur sexe.


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Notes[modifier]

  1. A Athènes les archontes étaient tenus, avant d’entrer en charge, de rendre compte non seulement de leur cens, de leurs biens et de leur propre vie antérieure, mais aussi de celle de leurs ancêtres. Pollux, VIII, 9, 85 et 86.
  2. Voyez la note de la page 303.
  3. Une mine valait cent drachmes, et la drachme huit sous de notre monnaie.
  4. En Chalcide, selon Héraclide, on ne pouvait arriver aux magistratures ni aller en ambassade avant cinquante ans.
  5. Commandants du continrent de cavalerie fourni par une tribu, φυλή.
  6. La τάξις était le contingent d’infanterie de la tribu, composé à peu près de 125 hommes.
  7. Voyez la critique que fait Aristote (II, 3) de ce modo d’élection.
  8. Ceux qui à Lacédémone faisaient la Criptie. Voyez le livre I, page 25.
  9. En Attique l’année commençait au solstice d’été; de sorte que le premier mois était alors en partie notre mois de juin, en parde celui de juillet, l’hécatombéon, ainsi nommé des sacrifices qu’on offrait aux dieux. Voyez Palmerius de anno atiicodans le Thés. grœc. ant. IX, p. 1114.
  10. La vertu considérée dans la vie privée et dans la vie publique.
  11. La loi des Jasiens défendait également d’inviter au repas de noces plus de dix hommes et de dix femmes. Fragments d’Héraclide.
  12. Sur les Mariandyniens voyez Aristote, Polit., VII, 5; Athénée, VI, 85; t. II, 510; Strabon, XII; Pausanias, Élide. Strabon parle aussi des Pénestes, ibid., et Suidas au mot Πένεσθαι. Aristote, Polit., Il, explique pourquoi les Ilotes se sont révoltés souvent contre les Spartiates, les Pénestes contre les Thessaliens, et jamais les Périœciens contre les Crétois.
  13. Odyss., XVII, 332.
  14. Voyez la critique que fait Aristote de cette opinion, Polit., VII, 11.