Les Papiers posthumes du Pickwick Club/Tome I/XXIV.

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Traduction par Pierre Grollier.
Hachette (Tome 1p. 335-351).

CHAPITRE XXIV.

Dans lequel M. Peter Magnus devient jaloux, et la dame d’un certain âge, craintive ; ce qui jette les Pickwickiens dans les griffes de la justice.

Quand M. Pickwick descendit dans la chambre où il avait passé la soirée précédente avec M. Peter Magnus, il le trouva en train de se promener dans un état nerveux d’agitation et d’attente, et remarqua que ce gentleman avait disposé, au plus grand avantage possible de sa personne, la majeure partie du contenu des deux sacs, du carton à chapeau, et du paquet papier gris.

« Bonjour, monsieur, dit M. Magnus. Comment trouvez-vous ceci, monsieur ?

— Tout à fait meurtrier, répondit M. Pickwick en examinant avec un sourire de bonne humeur le costume du prétendant.

— Oui, je pense que cela fera l’affaire, monsieur Pickwick ; monsieur, j’ai envoyé ma carte.

— Vraiment !

— Oui, et le garçon est venu me dire qu’elle me recevrait à onze heures. À onze heures, monsieur, et il ne s’en faut plus que d’un quart d’heure maintenant. »

Ah ! c’est bientôt !

« Oui, c’est bientôt ! Trop tôt, peut-être, pour que ce soit agréable. Eh ! monsieur Pickwick, monsieur.

— La confiance en soi-même est une grande chose dans ces cas là.

— Je le crois, monsieur. J’ai beaucoup de confiance en moi-même. Réellement, monsieur Pickwick, je ne vois pas pourquoi un homme sentirait la moindre crainte dans une circonstance semblable. Quoi de plus simple en somme, monsieur ? il n’y a rien là de déshonorant. C’est une affaire de convenances mutuelles, rien de plus. Mari d’un côté, femme de l’autre. C’est là mon opinion de la matière, monsieur Pickwick.

— Et c’est une opinion très-philosophique. Mais le déjeuner nous attend, monsieur Magnus, allons. »

Ils s’assirent pour déjeuner ; cependant malgré les vanteries de M. Magnus, il était évident qu’il se trouvait sous l’influence d’une grande agitation, dont les principaux symptômes étaient des essais lugubres de plaisanterie, la perte de l’appétit, une propension à renverser les tasses et la théière, et une inclination irrésistible à regarder la pendule, toutes les deux secondes.

« Hi ! hi ! hi ! balbutia-t-il en affectant de la gaieté, mais en tremblant d’agitation ; il ne s’en faut plus que de deux minutes, monsieur Pickwick. Suis-je pâle, monsieur ?

— Pas trop. »

Il y eut un court silence.

« Je vous demande pardon, monsieur Pickwick. Avez-vous jamais fait cette sorte de chose, dans votre temps ?

— Vous voulez dire une demande en mariage ?

— Oui.

— Jamais ! répliqua M. Pickwick avec grande énergie, jamais !

— Alors vous n’avez pas d’idées sur la meilleure manière d’entrer en matière ?

— Eh ! je puis avoir quelques idées à ce sujet ; mais comme je ne les ai jamais soumises à la pierre de touche de l’expérience, je serais fâché si vous vous en serviez pour régler votre conduite.

M. Magnus jeta un autre coup d’œil à la pendule : l’aiguille marquait cinq minutes après onze heures. Il se retourna vers M. Pickwick en lui disant : « Malgré cela, monsieur, je vous serai bien obligé de me donner un avis.

— Eh bien ! monsieur, répondit le savant homme avec la solennité profonde qui rendait ses remarques si impressives quand il jugeait qu’elles en valaient la peine ; je commencerais, monsieur, par payer un tribut à la beauté et aux excellentes qualités de la dame. De là, monsieur, je passerais à ma propre indignité.

— Très-bien, s’écria M. Magnus.

— Indignité, par rapport à elle seule, monsieur. Faites bien attention à cela ; car pour montrer que je ne serais pas absolument indigne, je ferais une courte revue de ma vie passée et de ma condition présente : j’établirais, par analogie, que je serais un objet très-désirable pour toute autre personne. Ensuite je m’étendrais sur la chaleur de mon amour, et sur la profondeur de mon dévouement. Peut-être pourrais-je, alors, essayer de m’emparer de sa main.

— Oui, je vois. Cela serait un grand point.

— Ensuite, continua M. Pickwick, en s’échauffant à mesure que son sujet se présentait devant lui sous des couleurs plus brillantes ; ensuite j’en viendrais à cette simple question : Voulez-vous de moi ? Je crois pouvoir supposer raisonnablement que la dame détournerait la tête…

— Pensez-vous qu’on puisse prendre cela pour accordé ? interrompit M. Magnus. Parce que, voyez-vous, si elle ne détournait pas la tête au moment précis, cela serait embarrassant.

— Je crois qu’elle la détournerait à ce moment-là, monsieur ; et là-dessus je saisirais sa main, et je pense, je pense, monsieur Magnus, qu’après avoir fait cela, supposant qu’elle n’eût point proféré de refus, je retirerais doucement le mouchoir qu’elle aurait porté à ses yeux, si ma faible connaissance de la nature humaine ne me trompe point, et je déroberais un baiser respectueux : oui, je pense que je le déroberais ; et je suis convaincu que dans cet instant même, si la dame devait m’accepter, elle murmurerait à mon oreille un pudique consentement. »

M. Magnus se leva de sa chaise, regarda pendant quelque temps M. Pickwick en silence et avec un regard intelligent, puis il lui secoua chaleureusement la main et s’élança, en désespéré, hors de la porte. L’aiguille de la pendule marquait onze heures dix minutes.

M. Pickwick fit quelques tours dans la chambre, et l’aiguille suivant son exemple, était arrivée à la figure qui indique la demi-heure, lorsque la porte s’ouvrit soudainement. M. Pickwick se retourna pour féliciter M. Magnus, mais à sa place il aperçut la joyeuse physionomie de M. Tupman, la figure guerrière de M. Winkle, et les traits intellectuels de M. Snodgrass.

Pendant que M. Pickwick les complimentait, M. Peter Magnus se précipita dans l’appartement.

« Mes bons amis, dit le philosophe, voici le gentleman dont je vous parlais, M. Magnus.

— Votre serviteur, messieurs, dit M. Magnus qui était évidemment dans un état d’exaltation. Monsieur Pickwick, permettez-moi de vous parler un moment, monsieur. »

En prononçant ces mots M. Magnus insinua son index dans une des boutonnières de M. Pickwick, et l’attirant dans l’ouverture d’une fenêtre : « Félicitez-moi, monsieur Pickwick ; j’ai suivi votre avis à la lettre.

— Était-il bon ?

— Oui, monsieur, il ne pouvait pas être meilleur. Elle est à moi, monsieur Pickwick.

— Je vous en félicite de tout mon cœur, répondit le philosophe, en secouant cordialement la main de sa nouvelle connaissance.

— Il faut que vous la voyiez, monsieur. Par ici, s’il vous plaît. Excusez-nous pour un instant, messieurs. » En parlant ainsi l’amant triomphant entraîna rapidement M. Pickwick hors de la chambre, s’arrêta à la porte voisine dans le corridor, et y tapa doucement.

« Entrez, » dit une voix de femme.

Ils entrèrent.

« Miss Witherfield[1], dit M. Magnus, permettez-moi de vous présenter un de mes meilleurs amis, M. Pickwick. — Monsieur Pickwick, permettez-moi de vous présenter à miss Witherfield. »

La dame était à l’autre bout de la chambre. M. Pickwick la salua, et en même temps, tirant adroitement ses lunettes de sa poche, il les ajusta sur son nez ; mais à peine les y avait-il posées qu’il poussa une exclamation de surprise, et recula plusieurs pas. La dame, de son côté, jetait un cri involontaire, cachait son visage dans ses mains, et se laissait tomber sur sa chaise ; tandis que M. Peter Magnus, qui semblait pétrifié sur la place, les contemplait tour à tour avec une physionomie défigurée par un excès d’étonnement et d’horreur.

Un semblable coup de théâtre paraît inexplicable ; mais le fait est que M. Pickwick, aussitôt qu’il avait mis ses lunettes, avait reconnu tout à coup, dans la future Mme  Magnus, la dame chez laquelle il s’était si odieusement introduit la nuit précédente ; et qu’à peine lesdites lunettes avaient-elles croisé le nez de M. Pickwick, lorsque la dame s’aperçut de l’identité de sa physionomie avec celle qu’elle avait vue, environnée de toutes les horreurs d’un bonnet de coton. En conséquence la dame cria et le philosophe tressaillit.

« Monsieur Pickwick, que signifie cela, monsieur ? Dites-moi ce que signifie cela, monsieur ? s’écria M. Magnus d’un ton de voix élevé et menaçant.

— Monsieur, je refuse de répondre à cette question, répliqua M. Pickwick, un peu échauffé par la manière soudaine dont M. Magnus l’avait interrogé, au mode impératif.

— Vous le refusez, monsieur ?

— Oui, monsieur. Je ne consentirai pas, sans la permission de cette dame, à dire quelque chose qui puisse la compromettre, ou réveiller dans son sein de désagréables souvenirs.

— Miss Witherfield, reprit M. Magnus, connaissez-vous monsieur ?

— Si je le connais ? répondit en hésitant la dame d’un certain âge.

— Oui, si vous le connaissez ! Je demande si vous le connaissez ? répéta M. Magnus avec férocité.

— Je l’ai déjà vu, balbutia la dame.

— Où ? demanda M. Magnus, où, madame ?

— Voilà, dit la dame en se levant et détournant la tête ; voilà ce que je ne révélerais pas pour un empire…

— Je vous comprends, madame, interrompit M. Pickwick, et je respecte votre délicatesse. Cela ne sera jamais divulgué par moi. Vous pouvez y compter.

— Sur ma parole, madame ! reprit M. Magnus, avec un amer ricanement, sur ma parole, madame ! vu la situation où je suis placé vis-à-vis de vous, vous vous conduisez, vis-à-vis de moi, avec assez de sang-froid, assez de sang-froid, madame !

— Cruel monsieur Magnus ! » balbutia la dame d’un certain âge, et elle se prit à pleurer abondamment.

M. Pickwick s’interposa. « Adressez-moi vos observations, monsieur. S’il y a quelqu’un de blâmable ici, c’est moi seul.

— Ah ! c’est vous seul qui êtes blâmable, monsieur ! Je vois, je vois. Oui, je comprends, monsieur. Vous vous repentez de votre détermination, maintenant.

— Ma détermination ! répéta M. Pickwick.

— Votre détermination, monsieur. Oh ! ne me regardez pas comme cela, monsieur. Je me rappelle vos paroles d’hier au soir. Vous êtes venu ici pour démasquer la fausseté et la trahison d’une personne, dans la bonne foi de laquelle vous aviez placé une entière confiance. Eh ! monsieur ? » Ici M. Peter Magnus se laissa aller à un ricanement prolongé ; puis ôtant ses lunettes bleues, qu’il jugea probablement superflues dans un accès de jalousie, il se mit à rouler ses petits yeux d’une manière effrayante.

« Eh ? dit-il, sur nouveaux frais en répétant son ricanement, avec un effet redoublé. Mais vous m’en répondrez, monsieur !

— De quoi répondrai-je ? demanda M. Pickwick.

— Ne vous inquiétez pas, monsieur ! vociféra M. Magnus en arpentant la chambre ; ne vous inquiétez pas ! »

Il faut que ces quatre mots aient une signification fort étendue, car nous ne nous rappelons pas d’avoir jamais observé une querelle dans la rue, au spectacle, dans un bal public, ou ailleurs, dans laquelle cette phrase ne servît pas de réponse principale à toutes les questions belliqueuses. « Croyez-vous être un gentleman, monsieur ? Ne vous inquiétez pas, monsieur ! — Est-ce que j’ai dit quelque chose à la jeune femme, monsieur ? Ne vous inquiétez pas, monsieur ! — Avez-vous envie de vous faire casser les reins, monsieur ? Ne vous inquiétez pas, monsieur ! » En même temps il faut observer qu’il semble y avoir une provocation cachée dans cet universel ne vous inquiétez pas ; car il éveille dans le sein des individus auxquels il s’adresse plus de courroux qu’une grave injure.

Nous ne prétendons pas cependant que l’application de cette expression à M. Pickwick remplit son âme de l’indignation qu’elle aurait infailliblement excitée dans un esprit vulgaire. Nous racontons simplement le fait. En entendant ces mots, M. Pickwick ouvrit la porte de la chambre, et cria brusquement.

« Tupman, venez ici ! »

M. Tupman arriva immédiatement avec un air de considérable surprise.

« Tupman, dit M. Pickwick, un secret de quelque délicatesse et qui concerne cette dame est la cause d’un différend qui vient de s’élever entre ce gentleman et moi-même. Mais je l’assure, devant vous, que ce secret n’a aucune relation avec lui-même, ni aucun rapport avec ses affaires. Après cela je n’ai pas besoin de vous faire remarquer que s’il continuait à en douter, il douterait en même temps de ma véracité, ce que je considérerais comme une insulte personnelle. »

À ces mots, le philosophe lança à M. P. Magnus un regard qui renfermait toute une encyclopédie de menaces.

La figure honorable et assurée de M. Pickwick, jointe à la force, à l’énergie du langage qui le distinguaient si éminemment, auraient porté la conviction dans tout esprit raisonnable ; mais malheureusement, dans l’instant en question, l’esprit de M. Peter Magnus n’était nullement dans un état raisonnable. Au lieu donc de recevoir, d’une manière convenable l’explication du philosophe, il procéda immédiatement à se monter sur un diapason dévorant de colère et de menaces, parlant avec rage de ce qui était dû à sa délicatesse, à sa sensibilité, et donnant de la force à ses déclamations en marchant furieusement à travers la chambre, et en arrachant ses cheveux ; amusement qu’il interrompait quelquefois pour agiter son poing sous le nez philanthropique de M. Pickwick.

Cependant, fort de sa rectitude et de son innocence, contrarié d’avoir malheureusement embarrassé la dame d’un certain âge, dans une affaire aussi désagréable, M. Pickwick, à son tour, était dans une disposition moins paisible qu’à son ordinaire. En conséquence, on parla plus vivement ; on se servit de plus gros mots, et à la fin, M. Magnus dit à M. Pickwick qu’il aurait bientôt de ses nouvelles. M. Pickwick, avec une politesse digne de louange, lui répondit que le plus tôt serait le mieux. À ces mots la dame d’un certain âge se précipita en pleurant hors de la chambre, et M. Tupman entraîna son savant ami, abandonnant le prétendu désappointé à ses sombres méditations.

Si la dame d’un certain âge avait vécu dans la société, ou si elle avait tant soit peu connu les coutumes et les manières de ceux qui font les lois et établissent les modes, elle aurait su que cette espèce de férocité est la chose du monde la plus innocente. Mais elle avait principalement habité la province, n’avait jamais lu les débats parlementaires, et était peu versée, par conséquent, dans le code d’honneur raffiné des nations civilisées. Aussitôt donc qu’elle eut gagné sa chambre à coucher et soigneusement verrouillé sa porte, elle commença à méditer sur les scènes dont elle venait d’être témoin. Des idées de massacre et de carnage se présentèrent à son imagination, et, dans cette fantasmagorie, le tableau le moins sanglant représentait M. Peter Magnus, enrichi d’une livre de plomb dans le côté gauche, et rapporté à l’hôtel sur un brancard. Plus la dame d’un certain âge méditait, plus elle était épouvantée, et à la fin elle se détermina à aller trouver le principal magistrat de la ville, et à le requérir de faire empoigner sans délai M. Pickwick et M. Tupman.

La dame d’un certain âge fut poussée à prendre ce parti par un grand nombre de considérations ; mais la principale était la preuve incontestable qu’elle donnerait ainsi à M. Peter Magnus du dévouement qu’elle lui avait voué, de l’anxiété qu’elle ressentait pour le salut de sa personne. Elle connaissait trop bien la jalousie de son tempérament, pour s’aventurer à faire la plus légère allusion à la cause réelle de son agitation, en voyant M. Pickwick, et elle se fiait à son influence et à ses moyens de persuasion, pour apaiser le petit homme, pourvu que l’objet de ses soupçons fût éloigné, et qu’il ne s’élevât plus de nouvelles occasions de querelles. La tête remplie de ces réflexions, elle ajusta son chapeau et son châle, et se rendit en droite ligne au domicile du maire.

Or, George Nupkins, esquire, maire de la ville d’Ipswich, était un grand personnage ; si grand qu’un bon marcheur pourrait à peine en rencontrer un semblable entre le lever et le coucher du soleil, même le 21 juin, jour qui lui offrirait naturellement le plus de chances pour cette recherche, puisque, suivant tous les almanachs, c’est le plus long jour de l’année. Dans la matinée en question, M. Nupkins se trouvait dans un état d’irritation extrême, car il y avait eu une rébellion dans la ville. Tous les externes de la plus grande école avaient conspiré pour briser les carreaux d’une marchande de pommes qui leur déplaisait ; ils avaient hué le bedeau ; ils avaient jeté des pierres à la police chargée de comprimer l’émeute, et représentée par un bonhomme en bottes à revers, qui remplissait ses fonctions depuis au moins un quart de siècle. M. Nupkins était donc assis dans sa bergère, fronçant majestueusement ses sourcils et bouillant de rage, lorsqu’une dame fut annoncée pour une affaire pressante, importante, particulière. M. Nupkins, prenant un air calme et terrible, donna ordre d’introduire la dame, et cet ordre, comme tous ceux des magistrats, des empereurs et des autres puissances de la terre, ayant été immédiatement exécuté, miss Witherfield, dont l’agitation était visible et intéressante, se présenta devant le grand homme.

« Muzzle ! dit le magistrat. »

Muzzle était un domestique rabougri, dont le coffre était long, les jambes courtes.

« Muzzle !

— Oui, Votre Honneur.

— Donnez un fauteuil, et quittez la chambre.

— Oui, Votre Vénération.

— Maintenant, madame, voulez-vous exposer votre affaire.

— Elle est d’une nature très-pénible, monsieur.

— Je ne dis pas le contraire, madame. Calmez-vous madame, (Ici M. Nupkins prit un air de douceur.) Et dites-moi quelle affaire légale vous amène devant moi, madame. (Ici le magistrat reprit le dessus et M. Nupkins se donna un air sévère et grandiose.)

— Il est fort affligeant pour moi, monsieur, de vous faire cette dénonciation. Mais je crains bien qu’il n’y ait un duel ici.

— Ici, madame ? — Où madame ?

— Dans Ipswich.

— Dans Ipswich ! madame. Un duel dans Ipswich ! s’écria le magistrat parfaitement stupéfait à cette seule idée. Impossible, madame ! Rien de la sorte ne peut arriver dans cette ville ; j’en suis persuadé. Dieu du ciel ! madame, connaissez-vous l’activité de notre magistrature locale ? N’avez-vous pas entendu dire, madame, que le quatre mai passé, suivi seulement par soixante constables spéciaux, je me précipitai entre deux boxeurs, et qu’au risque d’être sacrifié aux passions furieuses d’une multitude irritée, j’empêchai une rencontre pugilastique entre le champion de Middlesex et celui de Suffolk. Un duel dans Ipswich, madame ! Je ne le pense pas. Non, je ne pense pas qu’il puisse y avoir deux mortels assez audacieux pour projeter un tel attentat dans cette ville.

— Ce que j’ai l’honneur de vous dire n’est malheureusement que trop exact, reprit la dame d’un certain âge. J’étais présente à la querelle.

— C’est la chose la plus extraordinaire ! s’écria le magistrat étonné. Muzzle !

— Oui, Votre Vénération.

— Envoyez-moi M. Jinks, sur-le-champ, à l’instant même.

— Oui, Votre Vénération. »

Muzzle se retira, et bientôt on vit entrer dans la chambre un clerc d’âge raisonnable, mal vêtu, et évidemment mal nourri, comme l’annonçaient son visage pâle et son nez aigu.

— Monsieur Jinks, dit le magistrat, monsieur Jinks.

— Monsieur, répliqua Jinks.

— Cette dame est venue ici pour nous informer d’un duel qui doit avoir lieu dans cette ville. »

M. Jinks, ne sachant pas exactement que dire, sourit d’un sourire d’inférieur.

« De quoi riez-vous, monsieur Jinks ? » demanda le magistrat.

M. Jinks prit à l’instant un air sérieux.

« Monsieur Jinks, poursuivit le magistrat, vous êtes un sot, monsieur. (M. Jinks regarda humblement le grand homme, et mordit le haut de sa plume.) Vous pouvez voir quelque chose de très-comique dans cette information, monsieur ; mais je vous dirai, monsieur Jinks, que vous avez très-peu de raisons de rire. »

Le clerc à l’air affamé soupira, comme un homme convaincu qu’il avait en effet fort peu de motifs d’être gai. Puis, ayant reçu l’ordre de noter la déposition de la dame, il se glissa jusqu’à son siége, et se mit à écrire.

« Ce Pickwick est le principal, à ce que j’entends, dit le magistrat, lorsque la déclaration fut terminée.

— Oui, monsieur, répondit la dame d’un certain âge.

— Et l’autre perturbateur ? Quel est son nom, monsieur Jinks ?

— Tupman, monsieur.

— Tupman est le témoin, madame ?

— Oui, monsieur.

— L’autre combattant a quitté la ville, dites-vous, madame ?

— Oui, répondit miss Witherfield avec une petite toux.

— Très-bien. Ce sont deux coupe-jarrets de Londres, qui sont venus ici pour détruire la population de Sa Majesté, pensant que le bras de la loi est faible et paralysé à cette distance de la capitale. Mais nous en ferons un exemple. Expédiez le mandat d’amener, monsieur Jinks. Muzzle !…

— Oui, Votre Vénération.

— Grummer est-il en bas ?

— Oui, Votre Vénération.

— Envoyez-le ici. »

L’obséquieux Muzzle se retira et revint presque immédiatement avec le représentant de l’autorité, constable depuis son enfance, et qui était principalement remarquable par son nez vineux, sa voix enrouée, son habit couleur de tabac, ses bottes à revers et son regard errant.

« Grummer ! dit le magistrat.

— Votre Vin-à-ration.

— La ville est-elle tranquille maintenant ?

— Pas mal, Votre Vin-à-ration ; la populace s’est apaisée par conséquent que les garçons s’en est allé jouer à la crosse.

— Grummer, reprit le magistrat d’un air déterminé ; dans un temps comme celui-ci, il n’y a que des mesures vigoureuses qui puissent réussir. Si l’on méprise l’autorité des officiers du roi, il faut faire lire le riot-act[2]. Si le pouvoir civil ne peut pas protéger les fenêtres, il faut que le militaire protège le pouvoir civil et les fenêtres aussi. Je pense que c’est une maxime de la constitution, monsieur Jinks ?

— Certainement, monsieur.

— Très-bien, dit le magistrat en signant le mandat d’amener. Grummer, vous ferez comparaître ces personnes devant nous cette après-midi ; vous les trouverez au Grand Cheval blanc. Vous vous rappelez l’affaire des champions de Middlesex et de Suffolk, Grummer ? »

M. Grummer exprima par une secousse de sa tête qu’il ne l’oublierait jamais ; ce qui, en effet, n’était guère probable, aussi longtemps surtout que cette affaire continuerait à lui être citée tous les jours.

« Ceci, poursuivit le magistrat, est peut-être encore plus inconstitutionnel. C’est une plus grande violation de la paix ; c’est une plus grave atteinte aux prérogatives de Sa Majesté. Je pense que le duel est un des privilèges les plus incontestables de Sa Majesté, monsieur Jinks.

— Expressément stipulé dans la magna Charta, monsieur.

— Un des plus beaux joyaux de la couronne, arraché à Sa Majesté par l’union politique des barons…, n’est-ce pas, monsieur Jinks ?

— Justement, monsieur.

— Très-bien, continua le magistrat en se redressant avec orgueil. Cette prérogative royale ne sera pas violée dans cette portion des domaines de Sa Majesté. Grummer, procurez-vous du secours, et exécutez ce mandat avec le moins de délai possible. Muzzle.

— Oui, Votre Vénération…

— Reconduisez cette dame. »

Miss Witherfield se retira, profondément impressionnée par la science et par la dignité du magistrat. M. Nupkins se retira pour déjeuner. M. Jinks se retira en lui-même, car c’était le seul endroit où il pût se retirer ; si l’on excepte le lit-sofa du petit parloir, qui était occupé pendant le jour par la famille de son hôtesse. Enfin M. Grummer se retira pour laver, par la manière dont il exécuterait sa présente commission, l’insulte qui était tombée dans la matinée sur lui-même et sur l’autre représentant de Sa Majesté, le bedeau.

Tandis que l’on faisait des préparatifs si formidables pour conserver la paix du roi, M. Pickwick et ses amis, tout à fait ignorants des prodigieux événements qui se machinaient, étaient tranquillement assis autour d’un excellent dîner. La bonne humeur la plus expansive régnait dans leur petite réunion. M. Pickwick était précisément en train de raconter, au grand amusement de ses sectateurs, et principalement de M. Tupman, ses aventures de la nuit précédente, lorsque la porte s’ouvrit, et laissa voir une physionomie assez rébarbative qui s’allongea dans la chambre. Les yeux de la physionomie rébarbative se fixèrent attentivement sur M. Pickwick pendant quelques secondes, et ils furent apparemment satisfaits de leur investigation, car le corps auquel appartenait la physionomie rébarbative s’introduisit lentement dans l’appartement, sous la forme d’un individu en bottes à revers. Enfin, pour ne pas tenir plus longtemps le lecteur en suspens, ces yeux étaient les yeux errants de M. Grummer, et ce corps était le corps du susdit gentleman.

M. Grummer procéda d’une manière légale, mais particulière. Son premier acte fut de verrouiller la porte à l’intérieur ; le second, de polir très-soigneusement sa tête et son visage avec un mouchoir de coton ; le troisième, de placer son mouchoir de coton dans son chapeau, et son chapeau sur la chaise la plus proche ; et le quatrième enfin, de tirer de sa poche un gros bâton court, surmonté d’une couronne de cuivre, avec laquelle il fit signe à M. Pickwick aussi gravement que la statue du commandeur.

M. Snodgrass fut le premier à rompre le silence d’étonnement qui régnait dans la chambre. Durant quelques minutes, il regarda fixement M. Grummer et dit ensuite avec force : « Ceci est une chambre particulière, monsieur ! une chambre particulière ! »

M. Grummer secoua la tête et répondit : « Il n’y a point de chambres particulières pour Sa Majesté, quand une fois la porte de la rue est passée ; v’là la loi. Y en a qui disent que la maison d’un Anglais, c’est sa forteresse ; eh bien ! ceux-là disent une bêtise. »

Les pickwickiens échangèrent entre eux des coups d’œil étonnés.

« Lequel c’est-il qu’est M. Tupman ? » demanda M. Grummer. Il avait reconnu M. Pickwick du premier coup par une perception intuitive.

— Mon nom est Tupman, dit ce gentleman.

— Mon nom est la loi, reprit M. Grummer.

— Quoi ? demanda M. Tupman.

— La loi, répliqua M. Grummer. La loi, le pouvoir incivil et ésécutif, c’est mon titre, et v’là mon autorité. « Tupman (nom de baptême en blanc) ; Pickwick (idem) : contre la paix de notre seigneur le roi, vu les estatuts et ordonnances… » C’est en règle, vous voyez ! je vous empoigne les susdits Pickwick et Tupman.

— Qu’est-ce que signifie cette insolence ? s’écria M. Tupman en se levant. Quittez cette chambre ! sortez sur-le-champ !

— Ohé ! cria M. Grummer en se retirant rapidement vers la porte et en l’entre-bâillant, Dubbley !

— Voilà ! dit une voix grave dans le corridor.

Au même instant, un homme qui avait près de six pieds de haut et une grosseur proportionnée se fourra dans la porte entr’ouverte, avec des efforts qui rendirent tout rouge son visage malpropre, et entra dans l’appartement.

« Dubbley, dit M. Grummer, les autres constables spécial est-il dehors ? »

En homme laconique, M. Dubbley ne répondit que par un signe affirmatif.

« Faites entrer la division qu’est sous vos ordres, Dubbley. »

M. Dubbley obéit, et une demi-douzaine d’hommes, porteurs de gros bâtons courts, avec une couronne de cuivre, se précipitèrent dans la chambre. M. Grummer empocha son bâton, et regarda M. Dubbley ; M. Dubbley empocha son bâton, et regarda la division ; la division empocha ses bâtons, et regarda MM. Tupman et Pickwick.

Le philosophe et ses partisans se levèrent comme un seul homme.

« Que signifie cette violation atroce de mon domicile, s’écria M. Pickwick ?

— Qui oserait m’arrêter ? demanda M. Tupman.

— Que venez-vous faire ici, coquins ? murmura M. Snodgrass. »

M. Winkle ne dit rien, mais il fixa ses yeux sur Grummer avec un regard qui lui aurait percé la cervelle et serait ressorti de l’autre côté, si le constable n’avait pas eu la tête plus dure que du fer ; mais, à cause de cette circonstance, le regard de M. Winkle n’eut sur lui aucun effet visible quelconque.

Quand les exécutifs s’aperçurent que M. Pickwick et ses amis étaient disposés à résister à l’autorité de la loi, ils relevèrent les manches de leurs habits d’une manière très-significative, comme si c’était une chose toute simple, un acte purement professionnel, de jeter les délinquants par terre, pour les ramasser ensuite et les emporter. Cette démonstration ne fut pas perdue pour M. Pickwick. Il conféra à part pendant quelques instants avec M. Tupman, et déclara ensuite qu’il était prêt à se rendre à la résidence du maire, ajoutant seulement qu’il prenait à témoin tous les citoyens présents de cette monstrueuse atteinte aux privilèges d’un anglais, et de son engagement solennel de s’en faire rendre raison aussitôt qu’il serait en liberté. À cette déclaration, tous les citoyens présents éclatèrent de rire, excepté cependant M. Grummer, qui paraissait considérer comme une espèce de blasphème intolérable la moindre réflexion sur le droit divin des magistrats.

Mais lorsque M. Pickwick eut déclaré qu’il était prêt à obéir aux lois de son pays, et justement lorsque les garçons, les palefreniers, les servantes et les postillons, que sa résistance avait flattés d’un charmant spectacle, commençaient à se retirer avec désappointement, une autre difficulté s’éleva qui menaça le Grand Cheval blanc d’une confusion nouvelle. Malgré ses sentiments de vénération pour les autorités constituées, M. Pickwick refusa résolument de paraître dans la rue, entouré, comme un malfaiteur, par les officiers de la justice. Dans l’état incertain de l’opinion publique (car c’était presque fête, et les écoliers n’étaient pas encore rentrés chez eux), M. Grummer refusa tout aussi résolument de marcher avec sa suite d’un côté de la rue, et d’accepter la parole de M. Pickwick qu’il suivrait l’autre côté pour se rendre directement chez le magistrat. Enfin, M. Pickwick et M. Tupman se refusèrent vigoureusement à faire la dépense d’une chaise de poste, ce qui était le seul moyen de transport respectable qu’on pût se procurer. La dispute dura longtemps et sur une clef très-haute. Enfin, M. Pickwick, continuant de refuser de se rendre à pied chez le magistrat, les exécutifs étaient sur le point de recourir à l’expédient bien simple de l’y porter, lorsque quelqu’un se rappela qu’il y avait dans la cour une vieille chaise à porteurs, construite originairement pour un gros rentier goutteux, et qui par conséquent devait contenir les deux coupables aussi commodément, pour le moins, qu’un cabriolet moderne. La chaise fut donc louée et apportée dans la salle d’en bas ; M. Pickwick et M. Tupman s’insinuèrent dans l’intérieur, et baissèrent les stores ; une couple de porteurs fut facilement trouvée ; enfin, la procession se mit en marche dans le plus grand ordre. Les constables spéciaux entouraient le char ; M. Grummer et M. Dubbley s’avançaient triomphalement en tête ; M. Snodgrass et M. Winkle marchaient bras dessus, bras dessous, par derrière, et les malpeignés d’Ipswich formaient l’arrière-garde.

Les boutiquiers de la ville, quoiqu’ils n’eussent qu’une idée fort indistincte de la nature de l’offense, ne pouvaient s’empêcher d’être tout à fait édifiés et réjouis par ce spectacle. Ils reconnaissaient le bras infatigable de la loi, qui était descendu, avec la force de vingt presses hydrauliques, sur deux coupables de la métropole elle-même. Cette puissante machine, mise en mouvement par leur propre magistrat, et dirigée par leurs propres officiers, avait comprimé les deux malfaiteurs dans l’étroite enceinte d’une chaise à porteurs. Nombreuses furent les expressions d’admiration qui saluèrent M. Grummer pendant qu’il conduisait le cortège, son bâton de commandement à la main ; bruyantes et prolongées étaient les acclamations des malpeignés ; et parmi ces témoignages unanimes de l’approbation publique, la procession s’avançait lentement et majestueusement.

Sam Weller, vêtu de sa jaquette du matin et avec ses manches de calicot noir, s’en revenait d’assez mauvaise humeur, car il avait inutilement examiné la mystérieuse maison à la porte verte, lorsqu’il aperçut, en levant les yeux, un flot de populaire qui s’avançait autour d’un objet ressemblant fort à une chaise à porteur. Charmé de trouver une distraction à son désappointement, il se rangea pour laisser passer les malpeignés, et voyant qu’ils applaudissaient en chemin, à leur grande satisfaction apparente, il commença immédiatement (par pur désœuvrement) à applaudir aussi de toutes ses forces et de tous ses poumons.

M. Grummer passa, et M. Dubbley passa, et la chaise à porteurs passa, et les gardes du corps spéciaux passèrent, et Sam répondait toujours aux acclamations enthousiastes de la populace, en agitant son chapeau au-dessus de sa tête, comme s’il eût été entraîné par la joie la plus vive, quoique, bien entendu, il n’eût pas la plus légère idée de ce qu’il applaudissait. Tout à coup il resta immobile, en voyant inopinément apparaître MM. Winkle et Snodgrass.

« Qu’est-ce qu’est arrivé, gentlemen ? demanda Sam. Qu’est-ce qu’ils ont pincé dans cette guérite en deuil ? »

Les deux amis répondirent ensemble : mais leurs paroles étaient dominées par le tumulte.

« Qu’est-ce qu’est dedans ? » cria Sam de nouveau.

Une seconde réplique lui fut donnée en commun, et quoiqu’il n’en pût distinguer les paroles, il vit par le mouvement des deux paires de lèvres qu’elles avaient prononcé le mot magique : Pickwick.

C’en est assez ; en une minute l’héroïque valet s’ouvre un chemin à travers la foule, arrête les porteurs, et vient affronter le majestueux Grummer.

« Ohé ! vieux gentleman, lui dit-il ; qu’est-ce que vous avez coffré dans cette boîte ici ?

— Gare de delà ! s’écria avec emphase M. Grummer, dont l’importance, comme celle de beaucoup d’autres grands hommes, était singulièrement enflée par le vent de la popularité.

— Faites-y prendre un billet de parterre, cria M. Dubbley.

— Je vous suis fort obligé pour votre politesse, vieux gentleman, reprit Sam ; et je suis encore plus obligé à l’autre gentleman qui a l’air échappé d’une caravane de géants, pour son agréable avis ; mais j’aimerais mieux que vous répondissiez à ma question, si ça vous est égal. — Comment vous portez-vous, monsieur ? » Cette dernière phrase était adressée, d’un air protecteur, à M. Pickwick, dont les lunettes étaient perceptibles entre les stores et le châssis inférieur de la portière de la chaise.

M. Grummer, que l’indignation avait rendu muet, agita devant les yeux de Sam son gros bâton, orné d’une couronne de cuivre.

« Ah ! dit celui-ci, c’est fort gentil ; spécialement la couronne, qui est hermétiquement pareille à la véritable.

— Gare de delà ! » vociféra de nouveau le fonctionnaire offensé ; et comme pour donner plus de force à cet ordre, il saisit Sam d’une main, tandis que de l’autre il introduisait dans sa cravate le métallique emblème de la royauté. Notre héros répondit à ce compliment en jetant par terre son auteur, après avoir charitablement renversé le premier porteur, pour lui servir de tapis.

M. Winkle fut-il alors saisi d’une attaque temporaire de cette espèce d’insanité produite par le sentiment d’une injure, ou fut-il mis en train par le spectacle de la valeur de Sam ? C’est ce qui est incertain. Mais il est certain qu’à peine avait-il vu tomber Grummer, qu’il fit une terrible invasion sur un petit gamin qui se trouvait près de lui. Échauffé par cet exemple, M. Snodgrass, dans un esprit véritablement chrétien, et afin de ne prendre personne en traître, annonça hautement qu’il allait commencer ; aussi fut-il entouré et empoigné pendant qu’il ôtait son habit avec le plus grand soin. Au reste, pour lui rendre justice, ainsi qu’à M. Winkle, nous devons déclarer qu’ils ne firent pas la plus légère tentative pour se défendre, ni pour délivrer Sam ; car celui-ci, après la plus vigoureuse résistance, avait enfin été accablé par le nombre et était demeuré prisonnier. La procession se reforma donc, les porteurs firent leur office, et la marche recommença.

Pendant toute la durée de ces opérations, l’indignation de M. Pickwick n’avait pas connu de bornes. Il distinguait confusément que Sam renversait les constables et distribuait des horions autour de lui ; mais c’était tout ce qu’il pouvait voir, car la portière de la chaise refusait de s’ouvrir, et les stores ne voulaient pas se relever. À la fin, avec l’assistance de son compagnon de captivité, M. Pickwick parvint à soulever l’impériale, monta sur la banquette, se haussa le plus qu’il put en appuyant ses deux mains sur les épaules de M. Tupman, et commença à haranguer la multitude. Il la prit à témoin que son domestique avait été assailli le premier. Il s’étendit éloquemment sur la brutalité inexcusable avec laquelle lui-même avait été traité, et ce fut de cette manière que la caravane atteignit la maison du magistrat ; les porteurs trottant, les prisonniers suivant, M. Pickwick haranguant, et la populace vociférant.





  1. En français : De champ sec.
  2. Sommation pour inviter la foule à se disperser.