Les Petits poèmes grecs/Pindare/Olympiques/IX

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IX (1).

À ÉPHARMOSTE (2) D’OPONTE (3),

Vainqueur à la lutte.

Loin de moi cet hymne d’Archiloque qu’Olympie entend souvent répéter (4), ce triple refrain bruyant : Gloire au vainqueur ! Il a pu suffire pour guider les pas d’Épharmoste et les chœurs de ses amis près du mont de Saturne.

Mais aujourd’hui, ô Muse ! c’est à toi de faire entendre d’autres concerts ; que nos accens soient dignes du puissant maître de la foudre et des sommets (5) de l’Élide, que Pélops, le héros de la Lydie, conquit par sa bravoure et assura pour dot à la belle Hippodamie.

Dirige d’abord ton vol heureux vers la ville d’Apollon : ne crains pas de ramper ; tu célèbres aux accords de ta lyre un illustre enfant d’Oponte, qui vient de s’immortaliser à la lutte. Chante donc et le fils et la mère, chante Oponte, séjour fortuné de Thémis (6) et sa fille la glorieuse Eunomie.

Les sources (7) de Castalie et les bords de l’Alphée sont également témoins de la valeur d’Épharmoste ; et les lauriers de sa couronne rehaussent aujourd’hui la gloire de cette patrie des Locriens, si fameuse par sa fertilité.

O cité chérie, puissé-je, par l’éclat de mes chants, répandre au loin ta gloire avec plus de vitesse que le coursier rapide ou que le vaisseau léger qui fend l’onde ! Pourvu qu’une main divine daigne m’introduire dans le jardin des Grâces et m’aide à y cueillir quelques fleurs. Les Grâces seules donnent la beauté, de même que les dieux distribuent aux mortels la force et la sagesse. Et comment Hercule, lorsqu’il attaqua (8) Pylos, aurait-il pu, sans autres armes que sa massue, résister au trident de Neptune, braver (9) Apollon, qui épuisa contre lui les traits de son arc d’argent, et rendre (10) immobile dans la main de Pluton cette baguette fatale avec laquelle il conduit dans le séjour des ombres les victimes de la mort ?...

Silence, ma bouche ! loin de toi de semblables récits ! Médire des dieux est une fausse et odieuse sagesse et le symptôme de la folie. Cesse (11) donc de proférer d’imprudentes paroles et de nous représenter les immortels déchirés par les dissensions et les combats.

Chante plutôt la cité de (12) Protogénie où, par l’ordre de Jupiter-Tonnant, Deucalion et Pyrrha, descendant du ciel, trouvèrent leur premier asyle, où, sans suivre les lois de la nature, ils propagèrent leur race et firent sortir des pierres (13) un peuple dont le nom seul rappelle l’origine. Consacre-leur des chants harmonieux, mais nouveaux ; car si la vieillesse est louable dans la liqueur de Bacchus, la nouveauté prêta toujours des charmes aux accens de la poésie.

Je dirai donc qu’à cette époque, un déluge engloutit la terre sous la profondeur de ses ondes ; mais que bientôt les flots, refoulés au loin, rentrèrent dans les abîmes creusés par la puissante main de Jupiter.

Ce couple illustre, ô Épharmoste ! fut la souche de tes magnanimes aïeux ; ainsi les héros de ton sang sont également issus des filles de Japhet et des fils valeureux de Saturne, qui régnèrent toujours dans Oponte, leur berceau et le tien.

Jadis le puissant roi de l’Olympe enleva de la terre (14) des Éphéens la fille d’Oponte, et s’unit à elle sur les sommets du (15) Ménale : puis il la rendit à Locrus son époux, afin que la mort ne le vînt point surprendre sans postérité.

Protogénie portait dans son sein un gage de la tendresse de son divin ravisseur ; et Locrus fut transporté de joie en voyant naître cet enfant, dont il n’était que le père adoptif. Il voulut que ce fils, depuis si célèbre par sa beauté et ses vertus, prît le nom de son aïeul maternel, et qu’il régnât sur la ville et les peuples d’Oponte.

Bientôt des émigrés d’Argos (16), de Thèbes, d’Arcadie et de Pise accourent se ranger sous ses lois. Mais, de tous ces étrangers celui qu’il honora le plus fut le fils d’Actor et d’Égine, le vaillant Ménétius. Il était père de ce guerrier qui accompagna les Atrides dans la contrée où régna Teuthras (17), et qui soutint seul avec Achille le choc des bataillons troyens, lorsque Télèphe (18) repoussait les enfans de Danaüs et les forçait à se retirer en désordre dans leurs vaisseaux.

Dès ce jour on connut la valeur de Patrocle ; dès ce jour le fils de Thétis ne voulut plus que ce brave s’exposât aux hasards des combats meurtriers, sans être protégé de sa lance redoutable aux mortels.

Qui m’inspirera maintenant des chants sublimes, et me rendra digne de m’asseoir sur le char des Muses ! C’est là que la hardiesse (19) sera donnée à mes pensées et la force à mes paroles.

Chantre de l’hospitalité et de nobles exploits, je viens célébrer le triomphe que Lampromaque (20) et Épharmoste ont remporté en un même jour aux jeux isthmiques. Déjà deux victoires les avaient signalés aux portes de Corinthe ; le nom d’Épharmoste a depuis été proclamé dans la forêt de Némée. Argos (21) lui a décerné la couronne des hommes faits, et Athènes (22) celle de l’enfance.

Mais de quelle gloire ne se couvrit-il pas à Marathon (23) lorsque, dédaignant de combattre des rivaux de son âge, il enlevait à des athlètes vigoureux la coupe d’argent, prix du triomphe ; et, qu’après les avoir vaincus par son agilité et son adresse, il parcourait la lice aux bruyantes acclamations des spectateurs. Dieux ! que de noblesse répandaient sur sa personne les grâces du jeune âge, rehaussées par son héroïque valeur !

Partout il a paru digne d’admiration, et aux peuples de Parrhasie (24) dans les fêtes publiques de Jupiter Lycéen, et à Pellène (25), où il obtint, pour prix de sa bravoure, un manteau que ni les vents, ni les frimas ne sauraient pénétrer. Le tombeau d’Iolas (26) et la maritime Éleusis (27) ont été aussi témoins de ses exploits.

C’est de la nature que nous vient tout ce qui est parfait. Cependant combien de mortels s’efforcent d’acquérir de la gloire par des vertus empruntées à l’art et aux préceptes ; mais tout ce qu’on entreprend contre nature et sans la divinité, il est peu important que la renommée le publie ou le laisse dans l’oubli du silence. Ainsi, il est certaines routes qu’il n’est pas donné à tout homme de parcourir ; car les mêmes désirs ne les enflamment pas tous, et la sagesse exige les plus grands efforts.

Maintenant, ô ma Muse ! offre à Épharmoste cet hymne qui doit immortaliser sa victoire, et publie à haute voix qu’issu d’un sang divin, ce héros fut doué dès sa naissance d’une souplesse, d’une dextérité et d’une force extraordinaires. Cet éloge est bien dû à celui dont la main victorieuse a naguère couronné au milieu des banquets sacrés l’autel (28) de l’invincible Ajax, fils d’Oïlée.