Lettre à M. *** pour l’inviter à revenir de la campagne

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Lettre à M. *** pour l’inviter à revenir de la campagne


LETTRE À MONSIEUR ***
Pour l’inviter à revenir de la campagne1.

Ami, dis-moi, que je le sache,
Dedans les champs ce qui t’attache,
À présent que leur vert panache
Impitoyablement s’arrache
À coup de vent, à coup de hache ;
Que le brouillard les vallons cache,
Et gèle leur rude moustache ;
Que l’air d’une obscure rondache
Couvre la terre et toujours crache
Sur le vilain plancher à vache ;
Qu’on ne peut aller sans gamache
Ou grand soulier qui crotte écache,
Que de Corbeil l’orde patache
Plus que jamais les grègues tache.

Il faut que quelque donce flèche
Dans ton estomac ait fait brèche,
Que quelque bergère t’allèche,
Comme un enfant qui sirop lèche,
Ou comme un agneau près sa crèche.
Aurois-tu la tête assez sèche
Pour prendre comme de la mèche
À cette amoureuse flammèche ?
Dans ce soupçon dis si je pèche.

Quoi donc ! pour tuer une biche
Et trouver où faisan se niche,
Ou faire au lièvre quelque niche,
Cours-tu pré, bois, montagne et friche
Avec levrier et barbiche ?
Ou, grimpé dessus la corniche
D’un rocher, tout un jour, sans miche,
Attends-tu le hasard qui triche,
Qui promet dedans son affiche
À chacun de le faire riche,
Ou quelque autre colle nous fiche,
Et de bon succès est très chiche ?

Ne souffre pas qu’on te reproche
Un pareil travers, qui s’approche
De la rage et du cœur de roche
Des animaux à l’ongle croche.
Ne prends le gibier qu’à la broche,
Comme les clercs de la bazoche ;
Tu ne craindras point la taloche
D’un cerf, ni qu’un sanglier t’accroche,
Ou qu’une branche l’œil te poche,
Qu’un chicot déchire ta poche,
Qu’il te vienne au pied quelque cloche,
Que le trot d’un cheval te hoche,
Qu’il tombe, qu’il bronche ou qu’il cloche,
Ou qu’il ait quelque fer qui loche.
Viens donc, et que nulle anicroche
N’embarrasse plus ta caboche ;
Tu seras gras comme une coche
Cent ans, sans faire sonner cloche,
Sans que pour toi fosse on pioche,
Et sans humer suc de bouroche.
Viens, te dis-je, prends la galoche,
Vite comme un trait qu’on décoche,
À cheval ou dedans un coche.

Assis là tout près d’une huche,
Sur qui maint garnement se juche
Pour mieux hausser gondole et cruche,
Pendant qu’autour mainte guenuche
Toutes les nouvelles épluche,
En bourdonnant comme une ruche,
Emmitoufle-toi dans ta pluche ;
Cet an l’almanach de Coluche
Nous menace de coqueluche.
Adieu, ton valet je me huche.



1. Rec. de Sercy, t. III, p. 235. Sans nom d’auteur.

Si j’attribue cette lettre à Chapelle, c’est uniquement parceque le style, le tour du vers et la manière d’amener les rimes ont beaucoup de ressemblance avec d’autres lettres en vers qu’on lit dans cette édition, et qui sont certainement de lui. (S.-Marc.)

Il faut avoir un bien grand désir de n’être pas moins complet que ses prédécesseurs pour admettre ici cette pièce et la note naïve de Saint-Marc.