Lettres d’Amour

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Œuvres complètes de François CoppéeL. Hébert, libraireProse, tome III (p. 110-126).


Depuis ces dix dernières années, il n’y a certainement pas eu de plus vive surprise dans le monde des lettres que l’apparition du charmant volume de prose, tout simplement intitulé Lettres d’Amour, qu’a publié chez Alphonse Lemerre le poète Marius Cabannes, et qui est arrivé en peu de mois à sa soixantième édition.

Fils d’un cultivateur des environs de Bayonne, Marius Cabannes a débarqué, il y a sept ou huit ans, dans un petit hôtel garni de la rue Racine, avec quatre louis dans son gousset et un gros manuscrit de poèmes au fond de sa malle. Cet homme du Midi, ambitieux et pauvre, qui, pendant l’interminable voyage en « troisième », s’était nourri d’un pot de confit d’oie et d’un pain de quatre livres emportés de son pays natal, marchait, lui cent millième, à la conquête de Paris. Il comptait, pour réussir, un peu sur ses vers, écrits en l’honneur du Béarn et du pays Basque, et beaucoup sur sa soif de célébrité, sa souplesse gasconne, son talent de déclamateur et sa brune et jolie tête d’Arabe, à la barbe en fourche, aux yeux de chèvre amoureuse.

Tout de suite, ce gracieux et rusé compagnon prit pied dans le quartier Latin. Gagnant sa vie au moyen de quelques leçons, — son oncle, le curé, avait fait de lui un passable humaniste, — il triomphait tous les soirs dans un café du boulevard Saint-Michel, fréquenté par des compatriotes, où il récitait ses poèmes d’une belle voix de médium, avec le geste du Rouget de l’Isle des images et le regard inspiré des cabotins.

Les vers de Marius Cabannes étaient-ils bons ou mauvais ? Nul n’aurait pu le dire. Ils sonnaient bien, étaient tortillés à l’avant-dernière mode parnassienne, et l’habile garçon n’ignorait aucun des secrets de la prosodie nouvelle, bousculant l’hémistiche tout comme un autre et rimant en prétérit. Les pièces étaient convenablement composées, les strophes harmonieuses. On y voyait défiler, en descriptions assez justes de dessin et de couleur, les scènes et les paysages de là-bas ; et c’était, chez tous les étudiants de Pau ou de Dax installés devant les pyramides de soucoupes, un rugissement de plaisir quand Marius, adossé au poêle de l’établissement, annonçait avant de les déclamer ses poèmes par leurs titres : Aux Pyrénées. Les Joueurs de pelote. A Henri Quatre. Une Soirée à Biarritz. Au bord du Gave. L’Écarteur landais. La Lame de fond. A Saint-Jean-de-Luz, etc.

Un public plus désintéressé se serait-il aperçu qu’il n’y avait là aucune sincérité, aucune palpitation, que tous ces morceaux — c’est le mot qui convient pour parler des vers de Cabannes — étaient à la glace, fabriqués de parti pris comme des vers latins ? Peut-être. Mais Marius, excellent diseur, était aussi très capable d’éblouir les critiques les plus sévères par sa voix chaude, que faisait trembler une émotion factice, et par son faux air d’homme de génie.

Ce simili-poète, qui avait en lui l’étoffe d’un diplomate, ne devait pas s’attarder, on le pense bien, à des succès de cénacle. Il joua des coudes, et vigoureusement, dans la cohue parisienne, fit d’utiles relations, s’accouda, pour déclamer ses vers, à toutes les cheminées littéraires, se surpassa dans ce genre à un dîner de la Cigale présidé par un ministre méridional, obtint, du coup, une place dans les bureaux de l’Instruction publique, séduisit enfin un éditeur et publia ses Poèmes Béarnais.

La redoutable épreuve de l’impression ne leur fut pas favorable, du moins aux yeux des véritables connaisseurs. Tout nus sur le papier blanc, dépouillés de la chaleur artificielle dont les échauffait la voix de baryton de Marius, ils apparurent tels qu’ils étaient en réalité, froids comme cadavres et creux comme radis. Malgré les nombreuses réclames obtenues par l’auteur, qui se multiplia et fit « donner » tous les journalistes nés au delà de la Loire, l’infortuné libraire, qui avait eu la témérité d’imprimer les Poèmes Béarnais à ses dépens, n’en vendit pas deux cents exemplaires sur mille.

Marius Cabannes souffrit beaucoup, sans doute, de cet insuccès ; mais il eut l’adresse de s’en servir, de s’en faire même une parure. Il alla plus que jamais dans le monde, où il affectait la fière mélancolie du poète méconnu et où il accusait la société moderne d’une cruelle indifférence pour le grand art. Souriant avec amertume quand on lui demandait de dire quelques vers, il se faisait beaucoup prier, cédait toujours néanmoins, et grâce à son admirable organe et à son talent d’acteur, il animait un de ses froids poèmes, lui « faisait un sort », comme on dit dans l’argot des coulisses, et forçait les applaudissements. De cette façon, Marius finit par se constituer un groupe d’admirateurs, peu nombreux, mais enthousiastes, composé de ceux qui n’avaient pas lu ses vers et les lui avaient seulement entendu réciter.

Les femmes, séduites par son joli visage, à qui la tristesse allait bien, le plaignirent et s’intéressèrent à lui. Il élargit le cercle de ses connaissances, assista, silencieux et l’œil fatal, à beaucoup de dîners en ville, obtint de l’avancement à son ministère, fut aimé d’un bas-bleu qui avait de l’influence. L’Académie française, bonne et indulgente personne, accorda l’un de ses prix aux Poèmes Béarnais, que le secrétaire perpétuel, dans son aimable discours, appela un « bel effort. » Bref, sans parvenir à la notoriété, Marius se créa tout doucement une petite réputation latente, et tira tout le parti possible de son piteux livre.

Il eut le grand tort, au bout de trois ans, d’en mettre au jour un second. Ses Pyrénéennes furent trouvées, par les gens de goût, encore plus vides et plus ennuyeuses que les Poèmes Béarnais. Peu ou point de réclames. Cette fois, les camarades de la presse firent la sourde oreille aux sollicitations de Marius. On commençait même, dans les salons littéraires, à se moquer un peu de celui qu’on appelait « le beau diseur », et les malveillants murmuraient déjà les mots fâcheux de « raté » et de « fruit sec », lorsque, brusquement, deux mois après l’échec radical de ses malencontreuses Pyrénéennes, Marius Cabannes publia ce pur et délicat chef-d’œuvre qui a nom : Lettres d’Amour.

L’étonnement fut immense. Il n’y avait pas à dire, mon bel ami, depuis la Religieuse Portugaise et Mlle de Lespinasse, on n’avait rien lu de plus sincère, de plus touchant, de plus passionné. Ce n’était pas l’insupportable roman par lettres. — Non ! trop éloquente Julie de Rousseau. Non ! Corinne à turban. — C’était bien plus simple que cela.

Une très pauvre sous-maîtresse, gagnant son pain dans une institution de jeunes demoiselles, n’avait qu’une demi-journée de liberté par semaine ; cette demi-journée, elle la passait avec son amant, un étudiant-poète aussi pauvre qu’elle, vivant dans un taudis du quartier latin ; et, follement amoureuse, pensant à lui sans cesse, elle lui écrivait, dans le silencieux ennui de la classe, devant les fillettes penchées sur leurs devoirs. La correspondance ne durait pas longtemps. Quelques mois à peine. Elle commençait le lendemain du jour où l’imprudente enfant avait donné son cœur et le reste, — quel sublime cri d’amour ! quel hymne de joie ! — et elle finissait par le douloureux et suprême appel de l’abandonnée qui va mourir de l’abandon. Quarante lettres, voilà tout. Mais quel livre ! La vérité même, une tranche toute saignante de la vie. Et le style ! Fougueux, emballé, incorrect, mais avec des trouvailles divines, des coups de génie féminin, et coulant sur la page, pur et chaud comme le sang d’une veine coupée.

Quel bruit dans le Landerneau littéraire ! Marius Cabannes fut illustre en quinze jours. A la bonne heure, disait-on à la brasserie où se réunissaient les jeunes naturalistes, voilà du « coudoyé », du « sous les yeux ». Exquis ! délicieux ! chantaient les femmes du monde, dans les thés de cinq heures. Le nouveau Planche de la « Revue » avait sans retard maçonné un article, ponctué de « que si » et de « tout de même que », dans lequel il plaçait le « livre récent » entre la Princesse de Clèves et Manon Lescaut ; et, en descendant l’escalier de l’Institut au bras d’un confrère, Jean Borel, le vieux critique aveugle, qui s’était fait lire la veille les Lettres d’Amour, s’écriait : « Attention ! Voilà un écrivain ! » du ton dont il eût entonné le Nunc dimittis. Les « déliquescents » eux-mêmes, tout en regrettant, dans le livre frais éclos, l’absence complète de symbolisme, étaient légèrement troublés.

Seuls, quelques esprits chagrins se demandaient avec stupéfaction comment un poète aussi mécanique, aussi médiocre que Marius Cabannes, avait pu écrire ces pages de feu, où tout le cœur d’une femme était deviné. Quoi ! On était, la veille, un versificateur, un « livresque », un rhétoricien, on cuisinait des descriptions à la sauce moderne, à peu près comme un abbé Delille qui aurait lu Victor Hugo, et puis, — changement à vue ! — du jour au lendemain, parce qu’on avait lâché les vers pour la prose, on trouvait du premier coup l’originalité, l’émotion, la vie, les cris du cœur ? Allons donc ! Ce n’était pas possible. Il y avait quelque chose là-dessous.

Ce n’était pas possible, en effet, et voilà tout le mystère. Les Lettres d’Amour n’étaient pas de Marius Cabannes.

Peu de jours après son arrivée à Paris, un dimanche, par une de ces claires matinées du milieu de l’automne où l’on se meut à l’aise dans une atmosphère très douce, Marius se promenait dans le jardin du Luxembourg. Malgré la beauté du jour et de l’heure, il était triste. Des quelques personnes à qui il était recommandé et chez qui il avait déposé ses lettres d’introduction, aucune ne lui avait encore donné signe de vie, et des quatre-vingts francs, son unique capital, qu’il possédait en débarquant, il ne lui restait plus que trois pièces de cent sous. Voulant épargner ses dernières cartouches, il avait déjeuné sur le pouce, tout en flânant le long des terrasses, d’un bout de saucisson et d’un morceau de pain, et, comme il lui restait une boule de mie, il était venu jusqu’au bord du bassin et il endettait le reste de son pain aux cygnes.

Il avait alors remarqué, à quelques pas de lui, une jeune fille vêtue plus que modestement, l’air oisif, un doigt dans un livre, qui regardait comme lui l’eau dormante. Elle était petite, bien faite, avait un visage à la Greuze et de grands yeux pleins de lumière. Du premier regard, on reconnaissait en elle une nature affinée, délicate, et elle avait l’air si « comme il faut », malgré sa « confection » à bon marché et son pauvre chapeau de paille brune sans un ruban !

Pourquoi Marius et cette jeune fille, en dépit de toutes les convenances, se rapprochèrent-ils peu à peu ? Comment eurent-ils en même temps un sourire ? Comment se parlèrent-ils enfin de ce qu’ils avaient sous les yeux, des cygnes gourmands, de la pure splendeur du ciel ? Sans doute parce qu’ils étaient malheureux et seuls au monde. Il leur sembla qu’ils s’étaient toujours connus. Ils s’éloignèrent du bassin, marchant côte à côte et causant comme d’anciens amis ; ils remontèrent sur la terrasse, cherchèrent d’instinct un banc à l’écart sous les arbres, s’y assirent, échangèrent des confidences.

Elle s’appelait Anna, elle était orpheline, et, durement traitée par des parents avares dans la petite ville de Champagne où elle était née, elle avait demandé son pain à son brevet d’institutrice, et après avoir erré de pensionnat en pensionnat, elle était maintenant sous-maîtresse dans une assez bonne maison, boulevard Montparnasse, où elle gagnait cinquante francs par mois, avec la nourriture et le logement. Elle n’était libre que le dimanche, dans l’après-midi, et ne connaissant personne à Paris, elle visitait les musées, les jours de mauvais temps, ou se promenait dans les jardins publics quand il faisait beau, et elle emportait toujours, l’enfant solitaire qu’elle était, un livre qui lui tenait compagnie.

Marius prit celui qu’elle avait à la main et lut le titre. C’était le Myosotis d’Hégésippe Moreau.

Il lui dit alors qu’il était poète, lui aussi, et combien il se sentait perdu dans la grande ville. Elle le plaignit avec de caressantes paroles et voulut connaître quelques-uns de ses vers. Marius, de sa voix profonde qui était encore plus belle quand il la contenait, lui récita les seules strophes sincèrement émues qu’il ait trouvées dans sa vie. Il les avait écrites, la veille au soir, à la lueur de sa bougie d’hôtel, dans sa chambre froide et nue, et c’était un sanglot de douleur dont Anna admira l’éloquence sans en sentir l’égoïsme. Quand Marius eut fini, elle avait les yeux pleins de larmes.

Ils ne songeaient plus à se séparer. Ils restèrent ensemble ainsi, s’asseyant sur les bancs ou suivant les longues allées, jusqu’à la tombée du jour, quand le vent du soir fit frémir sur le sol et chassa devant leurs pas les premières feuilles mortes. Anna devait rentrer à six heures à son pensionnat, mais on ne se quitta pas sans s’être promis de se revoir le dimanche suivant.

Tous deux furent exacts au rendez-vous ; et ce fut encore une belle journée, déjà plus froide, qu’ils passèrent dans le jardin, plus dépouillé, jusqu’à la nuit, qui vint plus vite. Leur causerie était souvent coupée de longs silences pendant lesquels ils faisaient ensemble le même rêve. Timides, ils n’avaient pas encore parlé d’amour, mais la pauvre fille aimait déjà, et Marius, hélas ! croyait aimer.

Le dimanche d’après, l’hiver était venu tout à fait et une pluie fine et glaciale lavait les squelettes noirs des grands arbres. Ce jour-là, il la décida à venir chez lui, dans cette chambre meublée de la rue Racine où il ne rentrait jamais, le soir, sans avoir envie de pleurer, tant elle était lugubre, avec son carrelage mal caché par un vieux tapis, son sale fauteuil de velours jaunâtre, son papier à fleurs déchiré par places, et tant il était dégoûté de voir, accrochée au mur en face du pied de son lit, une horrible gravure à la manière noire, qui représentait le Naufrage de la Méduse.

Elle leur devint bientôt un paradis, la hideuse chambre, car ce fut là qu’ils s’aimèrent. Tous les dimanches matins, Marius y mettait le luxe et la joie du pauvre en allumant un grand feu, et bientôt après, Anna y apportait le parfum de sa jeunesse épanouie et du petit bouquet de violettes, piqué à son corsage. Elle s’était donnée absolument sans se marchander, la pauvre enfant sans famille, sans protections, sans amis, qui se croyait privilégiée entre toutes les femmes puisqu’elle était aimée d’un poète ; elle s’était donnée corps et âme, à jamais, et comme elle ne pouvait passer que quelques heures par semaine avec son amant, elle voulut du moins être toute à lui en pensée le plus souvent possible, et elle commença à lui écrire chaque jour, tout en surveillant l’étude des pensionnaires, ces tendres, ces naïves, ces adorables lettres, embaumées par les fleurs de son sentiment, et qu’il comparait, le littérateur, — quand il les lisait, le matin, un coude dans l’oreiller, en fumant sa première cigarette, — au flot de roses s’échappant du tablier brusquement ouvert d’Élisabeth de Hongrie.

Marius fut d’abord bien aise, sans doute, d’avoir cette jolie maîtresse, point gênante, « hebdomadaire », comme il la qualifia un jour en racontant son aventure à un camarade. Il prit même quelquefois plaisir à lire ces pages brûlantes où flambait à chaque ligne un vrai mot d’amoureuse. Celui-ci, par exemple : « Quand je me dis intérieurement ton nom, il me semble que ma pensée sourit. » Mais, au fond, le froid méridional n’aimait point Anna. Bientôt, ces longues épîtres, auxquelles il ne prenait pourtant même pas la peine de répondre, l’importunèrent, et il les jeta, sans les ouvrir, au fond d’un tiroir. Puis Anna elle-même l’ennuya. Il avait été présenté à une comédienne de l’Odéon, qui semblait avoir un caprice pour ses yeux languissants et sa barbe fourchue ; il rêvait déjà de lui écrire un rôle, d’arriver au théâtre par son entremise. Marius prit donc le parti de rompre avec Anna. Il le fit avec une indigne brutalité, dans une scène où il laissa éclater tout son cynisme et toute sa dureté de fils de paysan ; et la pauvre enfant s’en alla la tête basse, les membres cassés, frappée au cœur, tuée.

Il n’entendit plus parler d’elle, ne s’en inquiéta nullement, absorbé qu’il était par le rude combat de la vie, par ses efforts d’intrigant et de faux poète. Enfin, six mois après, il reçut une lettre d’Anna, la dernière, datée de l’hôpital Cochin, où la malheureuse fille se mourait de chagrin et de consomption ; lettre admirable, débordante de miséricorde et de générosité, où la martyre pardonnait à son bourreau, où toutes les blessures qu’il lui avait faites devenaient des bouches pour crier encore : « Je t’aime ! »

Le sec et méchant cœur de Marius fut un peu remué, malgré tout. Le poète fut assez heureux pour arriver à temps à l’hôpital et recueillir son pardon sur la bouche expirante de sa maîtresse, et empêcher que ce corps charmant n’échouât sur la table d’amphithéâtre. Il mit même sa montre en gage et loua pour la morte un terrain de cinq ans au Champ des Navets.

Seulement, — oh ! par hasard, — il avait gardé les lettres.

Et, plusieurs années plus tard, quand l’insuccès de ses Pyrénéennes fut bien constaté, même pour lui, un soir d’hiver qu’il se chauffait mélancoliquement les tibias, il se les rappela, ces lettres ; il les retrouva parmi ses paperasses, les relut, en comprit la touchante beauté...

Et il les a copiées de sa main, publiées comme de lui, et le voilà presque passé grand homme !

C’est ainsi. Le misérable a vendu la dépouille de sa victime. Plagiat compliqué de meurtre et de vol. C’est la pire des infamies ! Mais, qui sait ? Si les morts s’occupent des vivants, Anna pardonne encore à Marius ; car elle l’aime pour l’éternité, et elle est heureuse de lui être encore bonne à quelque chose... Il se dit cela pour s’excuser, et il ne se trompe peut-être pas. Les cœurs aimants doivent conserver jusque dans l’autre vie leurs incroyables faiblesses.

D’ailleurs, les remords tourmentent-ils Marius ? Bah ! n’a-t-il pas assez de vanité pour se convaincre qu’inspirer un livre ou l’écrire, cela revient au même ?

Quoi qu’il en soit, Marius Cabannes a vitement profité de son triomphe. Il est devenu l’époux d’une riche héritière à qui les Lettres d’Amour avaient tourné la tête, et il donne aujourd’hui d’excellents dîners. Aussi, son ambition n’a-t-elle plus de limites. On assure même que, l’autre nuit, quelqu’un l’a reconnu, debout dans le clair de lune, au milieu du Pont des Arts, devant l’Institut, et que, montrant le poing à la célèbre coupole, Marius murmurait entre ses dents le fameux défi de Rastignac :

« À nous deux, maintenant ! »