Liseuse

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Poésies de André LemoyneAlphonse Lemerre, éditeur1871-1883 (p. 151-153).

 
I

Des neiges de la nuit toute la terre est blanche,
Et nos cloches d’église ont perdu leur voix franche :

De près on croit entendre un Angélus lointain
Qui se gèle dans l’air, mat comme un son d’étain.

Les peupliers transis, en deux longues rangées,
Grelottent sans reflet au bord des eaux figées.

Pas une aile d’oiseau sur le fond gris du ciel. —
On a le frisson noir d’un hiver éternel.

 

II

Mais qu’importe la bise et les neiges tombées.
Quand l’âtre est réjoui par de claires flambées ?

Les rafales de neige aux vitres grésillant
Font éclater de rire un grand feu pétillant.

Puisqu’un si rude hiver nous tient en quarantaine,
Nous relirons Joinville et notre La Fontaine.

Ces merveilleux conteurs, immortels Champenois,
Sont de très chauds amis dans la rigueur des froids.

O liseuse à voix d’or, avec ces purs génies,
Tu nous enchanteras de légendes bénies.

Tu comprends le poète et le vieux chroniqueur
Qui gardaient simplement la jeunesse du cœur.

 
Et puis... n’avons-nous pas à nous deux quelque chose
Que jamais ne diront ni les vers, ni la prose ;

Et qui ne peut mourir, quand s’éteindrait le jour :
— C’est un rayon sacré d’inaltérable amour.