Livre pour l’enseignement de ses filles du Chevalier de La Tour Landry/Chapitre 10

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Cy parle comment toutes femmes doivent être courtoises
Chappitre Xe


Après, mes belle filles, gardez que vous soiez courtoises et humbles, car il n’est nulle plus belle vertu, ne qui tant attraite à avoir la grace de Dieu et l’amour de toutes gens, que estre humbles et courtoises ; car courtoisie vaint les felons orguilleux cuers, et à l’exemple de l’espervier sauvage, par courtoisie vous le ferez franc, si que de l’arbre il vendra sur vostre poing, et se vous lui estiez en riens rudes ne cruelz, jamais ne vendroit. Et donc, puisque courtoisie vaint oisel sauvaige, qui n’a nulle rayson en soy, doit courtoisie mater et refraindre tout cuer de homme et de femme, jà tant n’aient le cuer orgueilleux, fier ne felon ; courtoisie est le premier chemin et l’entrée de toute amistié et amour mondaine, et qui vaint les haulz couraiges et adoulcist l’ire et tout le couroux de toute amistié, et pour tant est belle chose d’estre courtoise.

Je congnois un grant seigneur en ce païs qui a plus conquis chevaliers et escuiers et autres gens à le servir ou faire son plaisir par sa grant courtoisie, au temps qu’il se povoit armer, que autres ne faisoient pour argent ne pour autres choses. C’est messire Pierre de Craon, qui bien fait à louer de honneur et courtoisies sur tous les autres chevaliers que je congnoys. Après je congnoys des grans dames et autres qui sont moult courtoises et qui en ont moult de belles graces acquises de l’amour des grans et de petits ; se vous monstrés vostre courtoisie aux petits et aux petites, c’est de leur faire honneur et parler bel et doulcement avec eux et leurs estre de humbles responses ; ceulx vous porteront plus grant louange et plus grant renommée et plus grant bien que les grans. Car l’honneur et la courtoisie qui est portée aux grans n’est faicte que de leurs droiz, et que l’on leur doit faire. Mais celle qui est faite aux petits gentilz homms et aux petites gentils femmes et autres maindrez, telles honneurs et courtoisies viennent de franc et de doulx cuer, et li petiz à qui on la fait s’en tient pour honnouré, et lors il l’essauce par tout, en donne loz et gloire à cellui ou à celle qui lui a fait honneur, et ainsi des petis à qui l’on fait courtoisie et honneur vient le grant loz et la bonne renommée, et se croist de jour en jour. Dont il avint que je estoye en une bien grant compaignie de chevaliers et de grans dames, si osta une grant dame son chapperon et se humilia encontre un taillandier. Si y avoit un chevalier qui dist : « Madame, vous avez osté vostre chapperon contre un taillandier », et la dame respondit que amoit mieux à l’avoir osté contre luy que à l’avoir laissié contre un gentil homme. Si fut tenu à grant bien de tous pour la bonne dame.