Livre pour l’enseignement de ses filles du Chevalier de La Tour Landry/Chapitre 18

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Cy parle de la bourgoise qui se fist ferir par son oultraige
Chappitre XVIIIe


Après ne doit l’en point à son seigneur estriver ne luy respondre son desplaisir, comme la bourgoise qui respondoit à chascune parolle que son seigneur luy disoit tant anvieusement, que son seigneur fut fel et courrouscié de soy veoir ainsi ramposner devant la gent ; si en ot honte, et lui dist une foiz ou deux qu’elle se teust, et elle n’en voulsist riens faire. Et son seigneur, qui fut yrié, haulça le poing et l’abbati à terre, et oultre la fery du pié au visaige et luy rompit le nez. Si en fut toute sa vie deffaite, et ainsy par son ennuy et par sa riote elle ot le nez tort, qui moult lui mesadvint. Il luy eust mieux valu qu’elle se feust teue et soufferte ; car il est raison et droit que le seigneur ait les haultes parolles, et n’est que honneur à la bonne femme de l’escouter et de soy tenir en paix et laissier le hault parler à son seigneur, et aussy du ccontraire, car c’est grant honte de oïr femme estriver à son seigneur, soit droit, soit tort, et par especial devant les gens.

Je ne dis mis que, quant elle trouvera espace seul à seul, que par bel et par courtoisie, elle le puet bien aprendre et luy monstrer courtoisement qu’il avoit tort, et s’il est homme de Dieu il luy en saura bon gré, et s’il est autre, se n’aura elle fait que son droit.

Car tout ainsy le doit faire preude femme à l’exemple de la sage dame la royne Hester, femme du roy de Surie, qui moult estoit colorique et hatif ; mais sa bonne dame ne lui respondoit riens en son yre ; maiz après, quant elle véoit son lieu, elle faisoit tout ce qu’elle vouloit, et c’estoit grant senz de dames, et ainsi le doivent faire les bonnes dames a ceste exemple. Cestes femmes, qui sont foles et remponeuses, ne sont pas de l’obeyssance comme fut la femme d’un marchant, dont je vous en diray l’exemple.