Livre pour l’enseignement de ses filles du Chevalier de La Tour Landry/Chapitre 20

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De celle qui donnoit la char aux chiens
Chappitre XXe


Je vous parleray de celle qui donnoit la chair et les bons morseaulx à ses petiz chiens. Une dame estoit qui avoit deux petis chiens. Si les avoit sy chiers qu’elle y prenoit moult grant plaisance et leur faisoit faire leur escuielle de souppes, et puis leur donnoit de la char. Sy y ot une fois un frère mendiant qui lui dist que ce n’estoit pas bien fait que les chiens fussent ros et gras là où les povres de Dieu estoient povres et maigres de faing. Si lui en sceut moult mal gré la dame, et pour ce ne se voult chastier. Sy advint que la dame acoucha au lit malade de la mort, et y avint telles merveilles que l’en vit tout appertement sur son lit deux petiz chiens nois, et, quant elle transit, ilz estoient entour sa bouche et lui lechoient le bec, et, quand elle fut transie, l’on lui vit la bouche toute noire, que ilz avoient léchée, comme charbons, dont je l’ouy compter à une demoiselle qui disoit qu’elle l’avoit veue, et me nomma la dame.

Pourquoy a cy bonne exemple à toute bonne dame comment elle ne doit point avoir si grant plaisance en telle chose, ne donner la char aux chiens ne les lescheries, dont les povres de Dieu meurent de faing là hors, qui sont creatures de Dieu et fais à sa semblance, et sont ses serfz et ses sergens, et cestes femmes ont pou ouy la parolle que Dieu dist en la sainte euvangille, que qui fait bien à son povre il le faist à luy meismes.

Cestes femmes ne resemblent pas à la bonne royne Blanche qui fut mère saint Loys, qui ne prenoit point desplaisir ains faisoit donner la viande de devant elle aux plus mesaisiéz. Et après, saint Loys, son filz, le faisoit ainsy ; car il visitoit les povres et les paissoit de sa propre main. Le plaisir de toute bonne femme doit estre à véoir les orphelins et povres et petiz enfanz par pitié, et les nourrir et les vestir comme faisoit la sainte dame qui estoit comtesse du Mans, laquelle nourissoit bien XXX orphelins, et disoit que c’estoit son esbat, et pour ce fut amie de Dieu, et ot bonne vie et bonne fin, et vit l’en plus grant clarté et planté de petiz enfanz en sa mort ; ce ne furent pas les petiz chiens que l’on vit à la mort de l’autre, comme ouy avez.