Livre pour l’enseignement de ses filles du Chevalier de La Tour Landry/Chapitre 49

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Chappitre XLIXe
Cy parle de tenir moyen estat


Celle se tient à la mieulx venue qui premierement se cointoye ; mais celles qui premierement prennent telles nouveautés, ce dit le preudomme, ressemblent aux juennes femmes qui se souillèrent en la boue, dont l’en se bourde d’elles et de leur chemin nouvel. Et celles qui se tiennent plus meurement et simplement, ce sont les saiges qui alèrent le grant chemin seur ; car l’on ne se puet bourder de celles qui se tiennent meurement. Je ne dy mie, puisque l’estat et la nouvelleté est courant par tout et que toutes s’y prennent, il convient qu’elles suyvent le siècle et facent comme les autres. Mais les saiges y doivent reculer le plus qu’elles peuvent, et au fort en prendre sur elles avant moins que plus, et elles ne se hasteront pas tant de venir au devant comme celles qui cheyrent en la boue pour cuidier venir les premières, et elles furent les derrenières, et furent souilliées et honnyes. Pour ce, mes chières filles, est-il bon de ne se haster, point et de tenir le moyen estat, c’est à en faire plus sur le moins que sur le plus. Maiz il est aujourd’huy un si meschant siècle ; car se aucune jolie ou aucune nice prent aucune nouveaulté et aucun nouvel estat, tantost chacune dira à son seigneur : « Sire, l’en me dist que telle a telle chose qui trop bel est et trop bien lui siet. Je vous prye que j’en aye ; car je suis aussi gentil femme et vous aussi gentil homme, et aussy puissant comme elle et son seigneur, et avons aussy de quoy bien paier comme eulx. » Et trouvera raysons par quoy il convendra qu’elle en ait, ou la noise et le meschief sera en l’ostel, ne jamais n’y aura paix jusques à ce que elle en ait sa part aussi comme l’autre, soit droit, soit tort ; elle ne regardera pas que le plus de ses voisines en ayent avant, ne ne enquerra se les bonnes dames qui sont renommées et tenues pour saiges en ont encore prins telles nouveaultez ; il convient que elles aillent les premières comme firent celles qui cheyrent en la fange. Si est grant merveilles de telles cointises et de telles nouveaultez, dont les grans clercs dient que les hommes et femmes se desguisent en telle manière que ilz ont doubte que le monde perisse, comme il fist ou temps de Noé, que les femmes se desguisèrent et aussy firent les hommes ; maiz il despleut plus à Dieu des femmes que des hommes, pour ce qu’elles se doivent tenir plus simplement. Dont je vous en diray une merveille que une bonne dame me compta en cest an, qui est l’an mil trois cens LXXII. Elle me deist que elle et tout plein de damoiselles estoient venues à une feste de Sainte-Marguerite, où tous les ans avoit grant assemblée, et là vint une damoisele moult cointe et moult jolye, et estoit plus diversement arroyée que nulles des autres, et, pour son estrange atour, toutes la vinrent regarder comme une beste sauvaige ; car son attour ne sambloit à nul des autres, et pour ce eut-elle sa part des regars. Si luy demanda la bonne dame : « M’amie, comment appellez-vous cest attour ? » Et elle lui respondi que l’on l’appelloit l’attour du gibet. — « Du gibet ! » dist la dame. « En nom Dieu, le nom n’est pas bel, ne l’atour plaisant. » Si ala la voix amont et aval que celle damoiselle avoit nommé son atour l’atour du gibet, et chacun s’en jengla, et la venoient veoir comme petis enfans. Si demanda à la bonne dame la manière de cellui atour ; sy le me devisa ; maiz en bonne foy je le retins petitement, maiz que, tant qu’il me semble, qu’elle me dist qu’il estoit hault levé sus longues espingles d’argent plus d’un doy sur la teste comme un gibet pour estre estrangement. Si n’estoit pas tenue celle damoiselle à trop sage, et estoit moult bourdée ; et ainsi chascune nyce amainne sa nouveaulté et sa desguiseure. Sy vous laisseray à parler de cestes desguisures et atours ; je vous ay dit comment l’evesque les chastioyt et soutenoit et prouvoyt par la sainte escripture que, quant les hommes et par especial les femmes se cointissoient et desguisoient, que c’estoit contre mal temps de mortalité ou de grans guerres, comme anciennement est advenu, et comme encore on le puet veoir chascun jour et le appercevoir, et que c’est un pechié d’orgueil, par quel les angels cheyrent du ciel, par qui le deluge vint quant le monde fut noyé, par lequel la luxure y est conceue par la racine de celluy orgueil.